Si on n'ignore plus rien des auteurs des Lumières, il nous reste tout à apprendre sur les hommes : sur leurs passions, leur courage et leur générosité, mais également sur leurs ambitions, leurs haines et leurs noirceurs. Ecrit au gré de mes humeurs, ce blog raconte mon amour du XVIIIè siècle.
mardi 24 octobre 2017
mercredi 18 octobre 2017
Florence Gauthier à propos du droit naturel (1)
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Entretien avec Florence Gauthier (historienne Paris Diderot)
– Vos travaux
sur les Révolutions de France et de Saint-Domingue/Haïti mettent en lumière la
philosophie du droit naturel dans la Révolution française. Vous y avez consacré
plusieurs ouvrages, La Guerre du blé
au XVIIIe siècle; Triomphe et
mort de la Révolution des droits de l’homme, 1789-1795-1802 ; L’Aristocratie de l’épiderme, le combat
des Citoyens de couleur, 1789-1791 et un n° spécial « Droit naturel »,
de la revue Corpus en 2013. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette
Déclaration des Droits Naturels de l’Homme et du Citoyen ?
Florence Gauthier
– Historienne des
Révolutions de France et de Saint-Domingue/Haïti, je me suis intéressée aux
questions agraires en étudiant la communauté villageoise, son système agraire
communautaire, sa gestion des droits d’usage sur les biens communaux, ses modes
de résistance aux usurpations seigneuriales et ses pratiques démocratiques,
avant et pendant la Révolution française. J’ai rencontré encore l’offensive des
économistes physiocrates qui, dans les années précédant la Révolution de 1789
ont cherché à détruire cette propriété communale et à introduire des rapports
de type capitalistes dans le marché des denrées de première nécessité, à
commencer par celui des subsistances. Je me suis tournée vers les colonies
esclavagistes pour comprendre la Révolution de Saint-Domingue/Haïti et les
politiques coloniales qui s’affrontaient pendant la Révolution et c’est ainsi
que j’ai constaté que les archives
des couches populaires de la société, comme celles des catégories supérieures, s’intéressaient toutes à la question
des droits de l’homme, soit pour les défendre, soit pour les combattre.
J’ai alors porté mon attention sur le fait que la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen déclarait des « droits
naturels et imprescriptibles ». Je suis partie à la recherche de
« ces droits naturels » parce que je ne trouvais guère de références
explicites à ce sujet. Et pour cause ! En 1789, la Convocation des
Etats généraux, réunis pour le 1er mai à Versailles comme le voulait
la tradition, se sont transformés en Assemblée nationale constituante le 20
juin suivant, lorsqu’une majorité de députés s’est formée pour imposer au roi
une constitution : ce fut l’Acte
I de la Révolution, juridique ici, par le remplacement des Etats généraux
convoqués par le roi, en une assemblée constituante élue par tous les sujets du
Royaume. Puis, lorsque le roi refusa la constitution
et tenta la répression contre les députés, le peuple, qui s’était impliqué en
rédigeant ses doléances, s’arma pour se protéger lui-même. On était au début du
mois de juillet.
Partout dans le pays, à la vitesse du tocsin qui prévenait
les villages voisins, les gens s’armaient avec ce qu’ils trouvaient sous la
main et les paysans se rendirent au château, exigèrent les titres de propriété
seigneuriale et les brûlèrent, réclamant la suppression des rentes féodales. Le
pouvoir municipal fut pris par les insurgés qui formèrent spontanément des
gardes nationales de citoyens. Résultat : le mouvement dura trois
semaines environ, le pays était transformé : la grande institution de la
monarchie s’était effondrée car les responsables locaux, les intendants du roi,
prirent la fuite et les gouverneurs militaires se firent tout discrets…
Une des premières mesures révolutionnaires fut le vote par
l’Assemblée constituante de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
le 26 août 1789. Ce texte était le Manifeste de la Révolution, votée à
l’unanimité par une Assemblée qui venait d’être sauvée par l’insurrection
populaire. Que disait-il ? Je vais tenter de préciser ce qu’il y a
dans le cœur de ce manifeste. La notion de droit naturel a permis de
développer, depuis le Moyen-âge, des théories et des propositions
constitutionnalistes, fondées sur le principe de la souveraineté populaire,
dans le but de contrôler l’exercice des pouvoirs publics, législatif et
exécutif. Le législatif représente l’expression de la conscience sociale et est
constitué de l’ensemble des textes de
la constitution votés par l’assemblée des députés, sous le contrôle effectif des citoyens.
Et en effet, le système électoral communal depuis le
Moyen-âge, permettait ce contrôle effectif et voici comment : le député
élu était un commis de confiance, choisi par les électeurs et responsable
devant eux. Chargé d’une mission,
ce commis de confiance devait en rendre compte à ses électeurs et, en 1789 par exemple, les mandataires étaient entretenus durant leur mission par leurs mandants. Enfin, si ces derniers
considéraient que leurs mandataires avaient perdu leur confiance, ils étaient
rappelés et tout simplement remplacés.
Mais je reviens au droit naturel.
La notion de « droit naturel » a été retrouvée au
XIIe siècle et précisée par Gratien, juriste à l’Université de
Bologne qui a repris les termes de droit naturel à l’ancien droit romain, en
leur donnant une nouvelle signification afin d’exprimer la spécificité de ce
mouvement venu de la société entière, pour la reconnaissance de la liberté et
de la dignité humaine.
Gratien définit ce droit naturel comme un complexe de
droits et de pouvoirs. Résumons :
– Un sentiment d’indignation connu de toute personne qui
subit une violence et réclame justice.
– Un droit à la pensée critique et un pouvoir exercé selon
la raison humaine.
– Gratien l’a décliné en « droit naturel de liberté
qui appartient à tout être humain » : et voilà l’égalité qu’il
définit comme la réciprocité de ce droit de liberté et de résistance à
l’injustice et à l’oppression. Cette réciprocité, ou égalité, exprime la
relation à l’autre et aux autres. On le voit, il s’agit bien d’un droit individuel ou personnel puisqu’il appartient à chaque être humain et réciproque parce qu’il prend en compte
la relation à l’autre : l’autre a les mêmes droits que moi, j’ai le devoir
de les respecter.
Les idées d’unité du
genre humain et les termes de droit
naturel viennent de l’antiquité grecque et romaine, héritage d’une société
plus ancienne encore, puisque l’esclavage antique a contré le droit naturel de
naître libre. Mais cette notion est là, à la fois offerte et niée, dans le
droit romain : on la trouve dans la principale source du droit romain que
nous conservions, le Code Justinien (VIe s.), dans la partie
intitulée Digeste, Livre 1.
Mais ce fut au Moyen-âge, depuis la chute de l’Empire
romain d’Occident, que ces termes de droit naturel ont été retrouvés et
réappropriés pour exprimer le rejet de l’esclavage, puis du servage, et faire
de la liberté et de la résistance à l’oppression le fondement du droit des
sociétés de l’espace ouest-européen. Ce fut un tournant dans l’histoire du
droit, que de concevoir ce droit naturel justifiant la résistance à
l’oppression.
– Gratien a
laissé le Decretum, écrit vers 1140, dans lequel on trouve le droit à
l’existence des pauvres, mais ce droit est en rapport avec le droit de
propriété, de quoi s’agit-il ?
Florence Gauthier
– Retournons au droit
romain pour mieux comprendre cette question du droit à l’existence des pauvres,
qui est en effet un droit de propriété. On y rencontre l’idée que l’usage des
choses qu’offre le monde est commun au genre humain et les sociétés humaines
doivent organiser cet usage qui est à la fois commun et privé. Un
exemple : un paysan cultive une terre qui est commune à la société, mais
les fruits de son travail lui appartiennent ; ou un chasseur chasse dans
le bois commun et consomme le produit de sa chasse, etc…
Le droit de propriété des biens matériels n’est pas
considéré comme un droit naturel, à la différence des droits à la vie, à la
liberté, à la résistance à l’oppression. L’exercice du droit de propriété
relève d’une décision de la société politique qui réserve tels biens en commun,
tels autres biens à des personnes privées. Mais, que les biens soient
distribués à des particuliers ou à des collectivités, ils le sont sous condition de restitution en cas de
nécessité. Il n’y a donc pas de propriété
privée exclusive en ce qui touche à la répartition des biens matériels.
Gratien discute la question du droit des pauvres.
Ecoutons-le :
" Nourrissez les pauvres, si vous ne le faites pas,
vous les tuez " écrit-il dans le Decretum.
Les pauvres doivent être aidés parce qu’en tant qu’êtres
humains, ils ont droit à leur part des biens de ce monde. En temps de détresse,
la propriété privée a des devoirs vis-à-vis des autres et les pauvres ont un
droit sur le superflu des riches. Un pauvre qui vole un riche ne fait que
reprendre sa part du bien commun, écrit encore Gratien. Le droit à l’existence
et aux moyens de la conserver est donc bien un devoir de la société selon la
conception du droit naturel médiéval.
Prenons l’exemple de l’hospitalité partageuse. Une
communauté villageoise pouvait accueillir de nouveaux venus et décider, en
assemblée générale, de leur reconnaître le
droit d’habiter là et d’obtenir le titre d’habitant (comme membre de la
communauté) et l’accès aux droits d’usage collectifs, dont celui d’obtenir un
terrain pour construire sa maison. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas
eu de périodes de misère au Moyen-âge, il y a eu des épidémies, des guerres
dévastatrices, des accidents climatiques, mais la société a organisé des moyens
d’accueil et d’entraide, au niveau local pour s’en défendre.
– On présente
ordinairement les droits économiques et sociaux comme des idées récentes ;
il semble, au contraire, qu’elles existent depuis bien longtemps. Toutefois,
ces droits ont du être contrés de façon virulente et donner lieu à des luttes
intenses, comme le laisse penser la puissante offensive actuelle contre les
politiques de protection sociale…
Florence Gauthier
– La conception d’un
droit naturel partageux a été dominante au Moyen-âge. Elle a cependant été
contrée par des courants de pensée qui refusaient d’aborder la place du genre
humain dans la nature et dans la société, de cette manière partageuse entre
chacun de ses membres. Nous connaissons bien ces adversaires du partage,
qui ont organisé des systèmes qui réussirent à s’imposer. Prenons celui que
nous connaissons le mieux et qui domine depuis le début du XIXe
siècle : le capitalisme impérialiste,
qui peut prendre encore des formes variées, bien qu’il tende à
l’uniformisation. Il est apparu depuis la conquête du Nouveau monde,
appelé ensuite Amérique, et s’est développé peu à peu, lorsqu’une poignée
d’Européens réussit, par un concours de circonstances favorables, à mettre la
main sur un continent énorme, qui est devenu leur champ d’expériences les plus
criminelles : violences, massacres, pillages, extermination des peuples
« indiens », puis déportation de captifs africains mis en esclavage
en Amérique.
De nombreux Espagnols ont réagi avec vigueur, dès 1492, à
ces violences et ont fait avancer la théorie du droit naturel, d’une part en
dénonçant cet impérialisme nouveau, qualifié de crime contre les droits de l’humanité, et d’autre part en jetant
les bases d’une alliance cosmopolitique défendant les droits naturels des
peuples et des gens contre les conquêtes. Ce furent Las Casas et Vitoria à
l’Université de Salamanque, au début du XVIe siècle qui le
théorisèrent, ce qui fut repris et développé jusqu’à la fin du XVIIIe
siècle.
Las Casas |
Mais je n’ai pas le temps de développer cette question
importante, ici, et je poursuis sur le droit à l’existence, avec toutefois en
toile de fond, ce courant de droit naturel cosmopolitique refusant
l’impérialisme.
Les conséquences du capitalisme impérialiste commencèrent à
se faire sentir dès le XVIe siècle et de nombreuses révolutions, qui
cherchaient à s’en libérer, se succédèrent, au nom du droit naturel dans cet
espace ouest-européen. Je rappelle rapidement l’Indépendance hollandaise qui
rejeta la domination espagnole au bout d’un siècle de résistance, puis la
première Révolution d’Angleterre de 1640, qui vécut l’expérience d’un mouvement
populaire faisant campagne pour une Constitution démocratique, éclairée par une
Déclaration des droits naturels (birthrights
en anglais, droits de naissance). John Locke en fut l’héritier et offrit, avec
ses Deux Traités de gouvernement, en 1690, une théorie politique critique,
qui nourrit le siècle suivant et inspira un renouveau de la pensée du
droit naturel, largement diffusé par les Lumières au siècle suivant.
Portrait de
Montesquieu
Voici comment Montesquieu abordait la question du droit à
l’existence dans L’Esprit des Lois,
en 1757. Il constatait l’expropriation des paysans de son temps et
l’accroissement du nombre de misérables, et prenait la défense d’une
redistribution de la propriété et des droits sociaux pour assurer le droit à
l’existence :
« Quelques aumônes que l’on fait à l’homme nu dans les
rues ne remplissent pas les obligations de l’état , qui doit à tous les
citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un
genre de vie qui ne nuise pas à la santé »
Il est clair que Montesquieu connaît la philosophie du
droit naturel et pense dans ce cadre : la société politique doit assurer
le partage des biens afin que chacun ait accès à sa part des choses du monde et
que cette part ne soit pas accaparée par une minorité sans scrupules. Tel est,
selon, lui, le rôle d’une société politique et de son gouvernement.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Mably
fut un critique perspicace de l’économie politique des puissances européennes
de son temps. Grand connaisseur des économistes écossais et, en France, des
physiocrates et des turgotins, il constatait les résultats dévastateurs des
expérimentations de cette économie politique, qui tendait à polariser les
sociétés en une mince couche de plus en plus riche et une classe de bas
salariés et de chômeurs de plus en plus misérables. Mably expose son rejet de
l’esclavage, propre à la pensée du droit naturel, et le compare à la misère des
sociétés modernes européennes : « Vous parlerai-je de la
mendicité, qui déshonore aujourd’hui l’Europe, comme l’esclavage a autrefois
déshonoré les républiques des Grecs et des Romains ? »
La misère lui apparaît comme une forme d’exclusion à
l’accès aux droits sociaux et politiques. L’objectif premier est alors d’en
proscrire la cause : « La mendicité déshonore et affaiblit un
gouvernement. Les aumônes des riches ne réparent pas le mal ; et si vous
ne voulez pas que les vices du riche profitent des vices des pauvres,
proscrivez la pauvreté »
Comment ? En renonçant aux politiques conquérantes en
ouvrant un processus de décolonisation, réclamé à l’époque dans plusieurs
colonies européennes et, à l’intérieur, en menant une politique capable de
renouer avec les principes d’une société politique qu’il estime élémentaires,
c’est-à-dire ceux du droit naturel, en commençant par rétablir un pouvoir
législatif réellement représentatif de la société, afin qu’elle puisse
délibérer et répondre aux problèmes qui se posent à elle.
Or, la monarchie, sans les avoir supprimés, ne convoquait
plus les Etats généraux en France depuis le XVIIe s, raison pour
laquelle on la qualifiait, à juste titre, de « despotique ». Mably
réclama la convocation de cette vieille institution, afin qu’elle reprenne
l’exercice du pouvoir législatif délibérant et ouvre des débats publics. Et, en
1789, la monarchie en crise profonde, en vint à convoquer les Etats généraux,
choisissant une solution politique pour répondre aux graves problèmes qui
s’imposaient alors.
(à suivre ici)
dimanche 15 octobre 2017
mardi 10 octobre 2017
Marion Sigaut – Les événements marquants du XVIIIème siècle
La Bulle dite Unigenitus (1713), que le Parlement avait enregistrée sous la contrainte, constitue assurément l'un des moments-clés de ce siècle. Au cours de son règne, Louis XV ne parviendra jamais à imposer son autorité à des magistrats attachés aux libertés gallicanes, et encore moins au Clergé de France, qui formait selon les mots du baron d'Holbach un "état séparé" dans le Royaume de France (voir ici).
On aurait également pu mentionner l'année 1754, lorsque La Condamine présenta à l'Académie des Sciences un premier rapport en faveur de l'inoculation de la variole. Face à l'hostilité du Clergé, il faudra attendre 1774 (et combien de milliers de morts supplémentaires ?) pour que la famille royale (et Louis XVI en personne) accepte de se faire vacciner.
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