dimanche 27 mars 2011

Rousseau vu par Grimm

Melchior Grimm
Ami de Rousseau lors de ses premières années à Paris, Melchior Grimm va bientôt devenir l'un des ennemis les plus farouches du philosophe genevois. Rappelons que la rupture entre les deux hommes coïncide avec le séjour de Rousseau au château de la Chevrette, auprès de Madame d'Epinay, maîtresse de Grimm.
On a bien souvent prétendu que la fâcherie avec les philosophes était liée à des motifs idéologiques. Pour Grimm du moins, on peut avancer sans aucune crainte de se tromper qu'il s'agit de motifs d'ordre privé qui vont l'amener à haïr Rousseau.
La Correspondance Littéraire qu'il destine à quelques têtes couronnées en Europe nous éclaire sur le regard que porte l'Allemand sur le Genevois.


"Le philosophe Diderot, avec lequel il se lia en ce temps-là, fut le premier à lui dessiller les yeux sur son vrai talent, et l'Académie de Dijon ayant proposé la fameuse question de l'influence des lettres sur les moeurs, M. Rousseau la traita dans un Discours qui fut l'époque de sa réputation et du rôle de singularité qu'il a pris depuis. Jusque-là, il avait été complimenteur, galant et recherché, d'un commerce même mielleux... Tout à coup il prit le manteau de cynique, et n'ayant point de naturel dans le caractère, il se livra à l'autre excès." (1762)


Quel talent, ce Grimm ! En quelques lignes, il discrédite totalement Rousseau, laissant notamment entendre que c'est Diderot qui lui a soufflé l'idée de son "personnage". Depuis, Rousseau aurait donc enfilé un "manteau de cynique" pour jouer le "rôle" d'un nouveau Diogène. Et cela lui aurait valu sa "réputation".


"Rousseau n'a point d'admirateurs, il a des dévots : né avec toutes les qualités d'un chef de secte, il s'est trouvé déplacé dans son siècle, dont l'esprit tend à une association générale de culture et de philosophie, fondée sur une grande indifférence pour toutes opinions particulières... Rousseau aurait joué un grand rôle il y a deux cents ans... dans ce siècle, il meurt oublié en Dauphiné sans avoir produit un effet mémorable." (1770)

On retrouve là le leitmotiv des encyclopédistes dans les années 1765-1778 : Rousseau est fou, mais s'il avait accepté d'intégrer la secte des philosophes, on aurait pu en faire quelque chose. Depuis que j'ai entamé l'écriture du 2è tome, je prends plaisir à imaginer la peur de Melchior Grimm (et d'autres...) lorsqu'il apprit que Rousseau allait publier ses mémoires. L'effort concerté de plusieurs philosophes pour convaincre le public de l'insignifiance de Rousseau vient conforter mes intuitions


En 1778, lorsque Rousseau meurt, Grimm poursuit le pilonnage entrepris depuis plus de dix ans, et il accrédite la thèse selon laquelle Rousseau se serait donné la mort. Jusqu'au bout donc, sans jamais manifester la moindre empathie, Grimm aura mené un incessant travail de sape destiné à discréditer non seulement le Genevois, mais surtout son oeuvre.
Mais qu'avaient-ils donc tous à craindre des révélations de Jean-Jacques ? Excellente question qui ouvre bien des perspectives au romancier...
Correspondance littéraire



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