mercredi 24 décembre 2014

La Régence (1)- Marion Sigaut

http://www.dailymotion.com/video/x2bzqr7_marion-sigaut-en-direct-la-regence-1ere-partie-la-mort-du-roi-07-12-2014_school


Intervention fort intéressante de Marion Sigaut consacrée aux dernières heures du roi Louis XIV et à l'arrivée au pouvoir du régent Philippe d'Orléans.
Même si je connais mal cette période, j'émettrai néanmoins une ou deux réserves. Contrairement à ce que prétend l'historienne, le régent a tant bien que mal tenté de "rétablir l'union et la tranquillité de l'Eglise", mises à mal par la bulle papale dite Unigenitus. Quant à Mgr de Noailles, opposé à l'application de la constitution en compagnie de huit autres prélats (dits "appelants"), je perçois plutôt de la lucidité et du courage dans son attitude. Ainsi, lors du conseil du clergé, en 1713-1714, il fit déclarer au moment de la délibération sur l'enregistrement de ladite bulle : "...ne pouvons opiner sur cette pièce, parce que nous croyons, avec déplaisir, obligés de prendre un parti différent, auquel cet acte ne peut servir : c'est de recourir au pape, lui proposer nos peines et nos difficultés et le supplier de nous donner les moyens de calmer sûrement les consciences alarmées... de conserver la paix dans nos églises".
Mgr de Noailles, archevêque de Paris jusqu'en 1729
Acceptée à une très forte majorité et enregistrée en janvier 1714, la constitution Unigenitus allait effectivement raviver la persécution contre les jansénistes. Ainsi, en 1746, le nouvel archevêque de Paris (le très célèbre Christophe de Beaumont) décida que les fidèles devaient désormais disposer d'un billet de confession signé par un prêtre favorable à la bulle pour recevoir la communion ou les derniers sacrements ! On entra alors dans une longue querelle ecclésiastique, opposant Parlement pro-janséniste et clergé, qui acheva de déstabiliser une monarchie déjà vacillante. Malgré ses efforts et les injonctions faites aux uns et aux autres, le conseil du roi ne parvint jamais à faire valoir son autorité.

En fait, le problème qui sous-tend l'ensemble de cette affaire est celui de l'ingérence du pouvoir temporel et civil dans les affaires religieuses. De manière bien péremptoire, Marion Sigaut affirme qu'il n'a pas à s'en mêler. Jamais !
Peut-être a-t-elle raison... Le fait est que, malgré l'expulsion des Jésuites puis la mise au pas (toute relative) du Parlement pro-janséniste, la royauté s'attaqua trop tardivement à ces différents groupes de pression (excusez l'anachronisme).
Elle en paiera le prix à la fin du siècle...

Instructions pour NOEL (1770)


 En vous souhaitant de très joyeuses fêtes, à toutes et à tous !
O.M




Instructions sur le dimanche et les fêtes en général (1770)
 (ouvrage utile à toutes les familles chrétiennes surtout aux personnes qui sont chargées de l'instruction de la jeunesse)


Sur la Fêtes de Noël, 25 Décembre.
  A. Voici enfin arrivée la grande Fête de Noël. Dites-nous quel est le Mystère que l'Eglise célèbre aujourd'hui avec tant de pompe?
B. C'est le Mystère aimable de la naissance de notre Seigneur Jésus Christ , Dieu et homme tout ensemble: Mystère dont l'accomplissement a été l'objet des vœux et des soupirs de tous les Justes pendant quatre mille ans.
C. Comment l'Eglise prépare-t-elle ses enfants à la célébration de ce Mystère?
B. Elle les y prépare par toutes les saintes pratiques de l'Avent, par le jeûne des Quatre-Temps , par les prières solennelles des O, et par le jeûne de la veille.
A. Qu'est-ce que l'Eglise attend de ses enfants après toutes ces préparations ?
B. Elle attend d'eux qu'ils se mettent en état de recevoir dignement Jésus-Christ à cette Fête , afin que ce divin Sauveur prenne aussi naissance dans leur cœur.
C. Y a-t-il quelque obligation de communier à cette Fête?
B.  Tous les Fidèles étaient obligés autrefois à communier au moins trois fois l'année , à Pâques , à la Pentecôte , et à Noël. Le Concile de Latran a réduit cette obligation à une fois l'an, pendant la quinzaine de Pâques.
 A. Pourquoi les Fidèles ne le sont-ils pas aujourd'hui comme anciennement?
B. C'est le malheur des Chrétiens de négliger un si grand bonheur. Hé ! que pouvait faire davantage le Fils de Dieu, que de venir à eux dans l'état d'un petit enfant plein de douceur et d'amour ? II cache tout exprès et majesté, afin qu'aucun ne puisse trouver d'excuse pour s'en dispenser.
C. Je me sens un grand désir de participer à ce bonheur, et je suis surpris qu'il y ait quelqu'un qui ne soit pas dans cette disposition.
B. II ne tiendra qu'à vous, car ce divin Enfant se présente à tous indistinctement ; mais travaillez pour vous mettre en état de le bien recevoir, et d'en être favorablement reçu. Ce n'est plus dans une Etable qu'on le trouve, mais dans nos Eglises. Ce n'est plus dans une Crèche, mais sur nos Autels; Ce n'est plus entre les bras de la sainte Vierge, mais entre les mains des Prêtres.
A. Nous y sommes bien déterminés Racontez-nous, s'il vous plaît, toutes les merveilles de cette naissance.
B. C'est ce que je serai avec bien du plaisir, afin d'augmenter par ce récit votre piété envers ce divin Sauveur.
Cl Que veut dire le mot de Noël?
B. II veut dire naissance. Cette Fête est encore appelée Théophanie chez les Grecs, qui veut dire manifestation, ou apparition de Dieu, parce que c'est dans cette Fête que Dieu a apparu, et s'est manifesté aux hommes.
A. Dans quelle Ville ce Dieu fait homme est-il né ?
B. II est né dans Bethléem, petite Ville de Judée.
C. Pourquoi dans Bethléem , plutôt que dans Jérusalem, qui était une Ville bien plus célèbre.


B. Ce n'est point à nous à vouloir entrer dans les Conseils de Dieu , ni à demander des raisons de ce que sa sagesse a jugé à propos de faire : mais en suivant ce que l'Ecriture et les Saints nous ont appris, c'est parce que Bethléem était la Ville de David , de qui Jésus-Christ tirait son origine selon la chair, et pour nous avertir de ne point rechercher ce qui est éclatant, et d'embrasser de bon cœur ce qui peut nous obscurcir aux yeux du monde.
A. De qui ce divin Entant est il né?
B. II est né de Marie, la plus pure et la plus sainte de toutes les créatures
C Pourquoi, s'il vous plaît, Jésus-Christ a-t-il voulu naître d'une Vierge?
B. C'est parce qu'il était convenable que celui qui était engendré d'un Mère vierge dans l'éternité, fût aussi engendré d'une Mère vierge dans le temps. C'est aussi pour nous marquer combien ce Dieu de pureté est amateur de cette aimable et toute angélique vertu.
A. Dans quelle saison ce saint Enfant est-il né ?
B. II est né dans une saison la moins agréable et la plus rigoureuse , qui est celle de l'hiver.
C. Pourquoi dans cette saison plutôt que dans une autre ? Y a-t-il là du mystère ?
B. C'est pour nous faire entendre que les âmes sans la charité sont aux yeux de Dieu dans un froid semblable à celui de l'hiver. C'est aussi pour nous faire comprendre qu'il ne venait chercher dans le monde que des souffrances et non des commodités.
A. Dans quel temps, et à quelle heure cet aimable Sauveur est-il né?
B. II est né au milieu de la nuit, lorsque les ténèbres sont les plus épaisses.
C. Qu'est-ce que cela nous apprend?
B. Cela nous apprend que le monde sans Jésus-Çhrist est dans les ténèbres. Cela nous apprend aussi que c'est dans le silence que Jésus Christ prend plaisir à se communiquer aux âmes.
A. Dans quel lieu ce divin Sauveur est-il né?
B. II est né dans une pauvre étable, lieu destiné à la retraite des bêtes.
C. Trouvez vous-là quelque mystère?
B. C'est pour nous faire entendre que les hommes par le péché s'étaient réduits à la condition des bêtes. C'est aussi pour nous faire connaître combien il aimait la pauvreté et l'humiliation. (…)
 A. De quelle manière Jésus-Christ est-il né?
B. II est né comme il avait été conçu ; c'est-à-dire , d'une manière toute miraculeuse.
C. Nous le savons, et nous le croyons : mais nous voudrions quelque chose de plus?
B. Je veux dire qu'il est sorti du sein de sa Mère comme un rayon de soleil passe au travers d'un beau cristal, sans l'endommager aucunement.
A. La sainte Vierge n'a donc souffert ni douleur ni affaiblissement en mettant son divin Fils au monde ?
B- Non, elle n'a souffert ni l'un ni l'autre; car comme la conception de ce saint Enfant a été toute divine, étant l'ouvrage seul du Saint-Esprit, l'enfantement de la sainte Vierge n'a pu ressembler en rien à l'enfantement des autres mères , qui est sujet à la douleur et à l'affaiblissement, parce que leurs enfants sont conçus dans le péché.
C. La sainte Vierge n'a donc point cessé d'être Vierge, même dans l'enfantement?
B Non, elle n'a point cessé d'être Vierge - et sa perpétuelle virginité a été la croyance de l'Eglise dans tous les temps et dans tous les lieux ,et l'Eglise a toujours regardé comme hérétiques ceux qui ont osé la contester. ... . .
A. Ce que vous dites là est bien glorieux pour la sainte Vierge.
B. II ne se pouvait faire que Jésus-Christ, qui est Fils et Dieu de toute éternité, endommageât tant soit peu la virginité de Marie, en devenant son Fils dans le temps ; nous devons penser bien plutôt ( ce qui est très véritable) qu'il y ajouta un nouveau lustre , et un nouvel éclat.
(…)

     A. Pourquoi, s'il vous plaît, dit-on trois Messes à cette Fête?
 B. Cela était ordinaire anciennement à toutes les grandes solennités, et cela n'est resté qu'à la Fête de Noël.
C. Et pourquoi à cette Fête plutôt qu'aux autres?
B. C'est pour honorer les trois Naissances de notre Seigneur, sa Naissance éternelle du sein de son Père, sa Naissance temporelle du sein de sa mère, et sa Naissance spirituelle dans le cœur des Justes.
A. Dites-nous quelle naissance on honore à chacune des trois Messes , afin que nous ne nous y méprenions pas?
B. A la Messe de minuit on honore la Naissance temporelle de Jésus-Christ, à celle du point du jour sa Naissance spirituelle , et à la dernière Messe qui se dit dans le grand jour , sa Naissance éternelle. Donnez-vous la peine de lire ces trois Messes, et surtout leur Evangile, et vous y trouverez ces trois Naissances bien marquées.
C. Que doivent faire les Fidèles pour honorer ces trois Naissances?
B- Quoiqu'on ne soit obligé, en s'en tenant au précepte de l'Eglise , que d'entendre une Messe ce jour-là , il est bon néanmoins et très utile d'en entendre trois, pour honorer ces trois Naissances, et avoir sein d'entrer à chacune dans l'esprit et dans l'intention de l'Eglise.
A. C'est ce que nous ferons exactement.  
B.  Je vous le conseille, si vous voulez participer abondamment aux grâces de cette Fête.  

lundi 22 décembre 2014

Julie de Lespinasse : mourir d'amour (2)


Née en 1732, Julie de Lespinasse aura attendu les dernières années de son existence pour découvrir l'amour. D'abord avec le marquis de Mora, fils de l'ambassadeur d'Espagne à Paris ; puis, pendant l'absence de son amant parti soigner ses poumons en Espagne, elle cède aux avances du colonel Guibert, un aventurier qui lui fait goûter "la coupe du délicieux poison".
Mora succombe à la maladie au moment même où Julie se donne à Guibert. La jeune femme ne s'en remettra jamais... D'autant qu'un an plus tard, Guibert lui annonce son prochain mariage avec une jeune fille de 17 ans, confortablement dotée.
(pour lire le récit détaillé de ce drame amoureux, c'est ici)
Nous sommes en 1775. Il reste à Julie moins d'un an à vivre...
Vous trouverez ci-dessous quelques-unes des ultimes lettres envoyées à Guibert, et notamment la dernière d'entre elles, datée de mai 1776.
( pour lire le précédent article sur le même sujet, c'est ici)


Lettre CLV
Mon ami, je suis malade, bien souffrante.Mais aussi je suis folle, depuis deux jours. Je ne sais ce qu'est devenue mon âme, c'est un. désert : je n'y trouve plus ni sentiment, ni passion , mais des regrets déchirants, une parfaite douleur, l'étonnement d'exister encore, la sensibilité et l'égarement des premiers moments où la mort impitoyable m'enleva ce que seul m'avait fait chérir la vie. Ah, mon dieu? pourquoi m'empêchâtes-vous de le suivre! pourquoi me condamnâtes-vous à une mort si lente et si douloureuse? Voilà, mon ami, les pensées qui ont rempli ma vie depuis hier au soir.

Lettre CLXII
Je ne veux pas, mon ami, que, dans le peu de jours qui me restent à vivre , vous puissiez en passer un sans vous souvenir que vous êtes aimé à la folie par la plus malheureuse de toutes les créatures. Oui, mon ami, je vous aime. Je veux que cette triste vérité vous poursuive , qu'elle trouble votre bonheur; je veux que le poison qui a défendu ma vie, qui la consume, et qui sans doute la terminera, répande dans votre âme cette sensibilité douloureuse , qui du moins vous disposera à regretter ce qui vous a aimé avec le plus de tendresse et de passion. Adieu mon ami. Ne m'aimez pas, puisque cela serait contre votre devoir, et contre votre volonté; mais souffrez que je vous aime, et que je vous le redise cent fois, mille fois, mais jamais avec l'expression qui répond à ce que je sens.

LETTRE CLXXVIII.
Mon ami, vous m'avez vue bien faible, bien malheureuse. Ordinairement votre présence suspend mes maux, et détourne mes larmes. Aujourd'hui je succombe, et je ne sais lequel, de mon âme ou de mon corps , me fait le plus de mal. Cette disposition est si profonde, que je viens de refuser hes consolations de l'amitié, et que j'ai préféré d'être seule, de vous dire un mot, de me coucher, à la douceur et à la tristesse de me plaindre et de faire partager ma douleur. — Je viens de me souvenir que vous m'avez dit que vous aimiez à rester chez vous les mardis et les jeudis. Votre bonté vous l'a fait oublier, mais je vous rends votre parole. Mon ami, jamais je n'ai moins désiré que vous me tissiez des sacrifices Hélas! vous voyez si je suis en état de jouir de rien ! je vous crie seulement: ne déchirez pas ma plaie. Voilà où se bornent tous mes désirs. (…) Adieu.—Je n'ai pas, en vérité, la force de tenir ma plume: toutes mes facultés sont employées à souffrir. Ah! je suis arrivée à ce terme de la vie, où il est presque aussi douloureux de mourir que de vivre. Je crains trop la douleur ; les maux de mon âme ont épuisé toutes mes forces. Mon ami, soutenez-moi ; mais ne souffrez pas : car cela deviendrait mon mal le plus sensible.

LETTRE CLXXX.

Quatre heures, 1776.

Vous êtes trop bon, trop aimable, mon ami. Vous voudriez ranimer, soutenir une âme qui succombe enfin sous le poids et la durée de la douleur. Je sens tout le prix de votre sentiment; mais je ne le mérite plus. Il a été un temps où être aimée de vous ne m'auroit rien laissé à désirer. Hélas! peut-être cela eût-il éteint mes regrets, ou du moins eu aurait adouci l'amertume ; j'aurais voulu vivre. Aujourd'hui je ne veux plus que mourir. Il n'y a point de dédommagement, point d'adoucissement à la perte que j'ai faite ; il n'y fallait pas survivre. Voilà, mon ami, le seul sentiment d'amertume que je trouve dans mon âme contre vous. —Je voudrois bien savoir votre sort, je voudrais bien que vous fussiez heureux. — J'ai reçu votre lettre à une-heure; j'avais une fièvre ardente. Je ne puis vous exprimer ce qu'il m'a fallu de peine et de temps pour la lire : je ne voulais pas différer jusqu'aujourd'hui, et cela me donnait presque le délire. — J'attends de vos nouvelles ce soir. Adieu, mon ami. Si jamais je revenais à la vie, j'aimerais encore à l'employer à vous aimer; mais il n'y a plus de temps.

dimanche 21 décembre 2014

Julie de Lespinasse : mourir d'amour (1)

Née en 1732, Julie de Lespinasse aura attendu les dernières années de son existence pour découvrir l'amour. D'abord avec le marquis de Mora, fils de l'ambassadeur d'Espagne à Paris ; puis, pendant l'absence de son amant parti soigner ses poumons en Espagne, elle cède aux avances du colonel Guibert, un aventurier qui lui fait goûter "la coupe du délicieux poison".
Mora succombe à la maladie au moment même où Julie se donne à Guibert. La jeune femme ne s'en remettra jamais... D'autant qu'un an plus tard, Guibert lui annonce son prochain mariage avec une jeune fille de 17 ans, confortablement dotée.
(pour lire le récit détaillé de ce drame amoureux, c'est ici)
Nous sommes en 1775. Il reste à Julie moins d'un an à vivre...
Julie de Lespinasse (1732-1776)

Voici quelques extraits des lettres qu'elle a envoyées à Guibert au cours de cette dernière année. 
 
Lettre XCIV
Jugez de mon malheur : je me sentais une répugnance mortelle à ouvrir votre lettre; si je n'avais craint de vous offenser , j'allais vous la renvoyer. Quelque chose me disait qu'elle irriterait mes maux, et je voulais me ménager. La souffrance continuelle de mon corps affaisse mon âme; j'ai encore eu la fièvre , je n'ai pas fermé l'œil, je n'en puis plus. De grâce, par pitié, ne tourmentez plus une vie qui s'éteint, et dont tous les instants sont dévoués à la douleur et aux regrets. Je ne vous accuse point, je n'exige rien, vous ne me devez rien : car, en effet je n'ai point eu un mouvement, pas un sentiment auquel j'aie consenti; et quand j'ai eu le malheur d'y céder, j'ai toujours détesté la force ou la faiblesse qui m'entraînait. Vous voyez que vous ne me devez aucune reconnaissance, et que je n'ai le droit de vous faire aucun reproche. Soyez donc libre, retournez à ce que vous aimez, et à ce qui vous convient plus que vous ne croyez peut-être. Laissez-moi à ma douleur, laissez-moi m'occuper sans distraction du seul objet que j'ai adoré, et dont le souvenir m'est plus cher que tout ce qui reste dans la nature. Mon dieu ! je ne devrais pas le pleurer, j'aurais dû le suivre : c'est vous qui me faites vivre, qui faites le tourment d'une créature que la douleur consume, et qui emploie ce qui lui reste de forces à invoquer la mort.

Lettre XCVIL
Oui, mon ami, je peux vous céder à ce que vous aimez ; mais par ce sacrifice, je dois obtenir de vous de ne plus chercher à nourrir dans mon âme un sentiment qui en ferait le désespoir. Mon ami, je le sais, il ne vous est plus libre de m'aimer. Rendez du repos à votre âme; ne passez pas votre vie à vous reprocher ce que vous faites : cessez d'inquiéter ce que vous aimez, et n'offensez plus ce qui vous aime, et qui prévient votre goût, vos désirs, votre volonté, en un mot, qui vous fait le sacrifice de vous à vous même. Mon dieu! comment pourrais-je croire qu'il ne vous en coûterait pas beaucoup pour me tromper? Ah! si vous n'avez pas assez de force pour faire mon bonheur, du moins il est certain que vous êtes assez honnête pour être affligé de faire mon malheur. Mon ami, croyez-en un cœur qui est tout à vous, et qui ne respire que pour vous.. Ne combattez plus, abandonnez-vous à votre penchant : du moins il me restera la pensée consolante que j'ai fait quelque chose pour votre bonheur; et dans la situation forcée où vous me mettez, j'ai à me reprocher de le troubler. Ah! délivrez-moi et du mal que je vous fais, et de celui que vous me faites
 
Guibert
Lettre CIL
Eh, mon dieu ! que j'ai mal à l'âme! que je souhaite passionnément d'être délivrée, il n'importe par quel moyen , de la disposition où je suis ! j'attends , je désire votre mariage ; je suis comme les malades condamnés à une opération : ils voient leur guérison, et ils oublient le moyen violent qui doit la leur procurer. Mon ami, délivrez-moi du malheur de vous aimer. Il me semble si souvent qu'il n'y a presque rien à faire pour cela, que je me sens une sorte de honte d'y avoir pu mettre l'intérêt de ma vie; mais plus souvent encore je me sens tellement enchaînée, garottée de toutes parts, que je n'ai plus un mouvement de libre : c'est alors que la mort me paraît la seule ressource et leseul secours que j'aie contre vous.

Lettre CXXX
Hélas! il est donc vrai, on survit à tout! L’excès du malheur en devient donc le remède! Ah, mon dieu! le moment est arrivé où je puis vous dire, où je dois vous dire avec autant de vérité : je vivrai sans vous aimer, que je vous disais il y a trois mois : vous aimer ou cesser d'être. Ma passion a éprouvé toutes les secousses , tous les accès d'une grande maladie.

Lettre CXLIV
Mon dieu ! est-ce que vous ne souffririez point de n'avoir point de mes nouvelles? est-ce que cela ne fait pas un vide dans votre vie ? Seriez-vous occupé ou enivré au point de ne pas éprouver tour à tour un besoin actif et une grande langueur ? Est-ce que je ne suis pas bien près de votre pensée lorsque je ne la suis pas ? Ah, mon ami ! ces questions ne vous peignent qu'une bien faible partie de ce que je sens; je meurs de tristesse. (...)

mercredi 17 décembre 2014

A propos d'Eric Zemmour...

En moins de 24 heures, Eric Zemmour sera passé du rang d'icône des médias à celle de boutefeu fasciste, raciste, et antirépublicain...
En cause cette interview donnée il y a quelques mois à un journal italien, et dans laquelle il déclarait :

"Les musulmans ont leur code civil, c'est le Coran (...) Je pense que nous nous dirigeons vers le chaos. Cette situation d’un peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile. Des millions de personnes ne vivent, en France, et ne veulent vivre, à la française."


Initiée par l'inénarrable Jean-Luc Mélenchon, la cabale lancée aujourd'hui contre Zemmour confortera ceux qui, depuis quelques mois, accusent le chroniqueur de RTL et iTélé de puiser sa réflexion chez les Soral, Sigaut et autre Belghoul...
(voir ici cet article extrait du Monde dans lequel on reprochait au journaliste ses délires sur la fameuse théorie du genre prétendument enseignée à l'école). De fait, il s'agirait d'une nouvelle preuve que Zemmour est devenu "l'idiot utile d'une extrême droite contre-révolutionnaire". 
Ite missa est, le voilà définitivement condamné à l'opprobre et au bûcher...
Paradoxalement, et en dépit de toutes ses approximations, je soulignerais plutôt dans cette analyse l'étroite frontière qui sépare le républicain Zemmour du trio précédemment nommé. Ils ont certes pour point commun de dénoncer la présence sur le sol français d'un "peuple dans le peuple", mais au moment d'identifier l'origine de ce mal, leur avis diverge. 
Pour Zemmour, c'est l'Islam...
Avant de se soumettre aux lois républicaines, au "code civil", le musulman voudrait obéir au Coran. Essentialiste et suprémaciste, il aimerait que la loi religieuse (ou charia) se substitue aux lois civiles du pays qu'il habite. Et sans un pouvoir politique qui impose avec fermeté ses coutumes, ses valeurs et ses lois (républicaines, rappelons-le), la perspective du chaos menacerait à court terme notre pays...
Plutôt que de gloser sur ce raisonnement, je préfère le mettre en perspective en rapportant ci-dessous un extrait de l'article Théocratie, écrit (pour l'Encyclopédie) par le baron d'Holbach en 1751 :

"THÉOCRATIE, s. f. (Hist. anc. et politiq.) c’est ainsi que l’on nomme un gouvernement dans lequel une nation est soumise immédiatement à Dieu, qui exerce sa souveraineté sur elle, et lui fait connaître ses volontés par l’organe des prophètes et des ministres à qui il lui plaît de se manifester (...) En général l’histoire et l’expérience nous prouvent que le sacerdoce s’est toujours efforcé d’introduire sur la terre une espèce de théocratie ; les prêtres n’ont voulu se soumettre qu’à Dieu, ce souverain invisible de la nature, ou à l’un d’entre eux, qu’ils avaient choisi pour représenter la divinité ; ils ont voulu former dans les états un état séparé indépendant de la puissance civile ; ils ont prétendu ne tenir que de la Divinité les biens dont les hommes les avoient visiblement mis en possession. C’est à la sagesse des souverains à réprimer ces prétentions ambitieuses et idéales, et à contenir tous les membres de la société dans les justes bornes que prescrivent la raison et la tranquillité des états.... "
 
Paul Thiry d'Holbach
Surprenant, non ? 
250 ans ont passé, mais ceux qu'on pointe du doigt demeurent les mêmes : autrefois, les prélats catholiques qui imposaient en sous-main leur volonté politique à Versailles ; aujourd'hui, les imams musulmans qu'on imagine terrés dans de sordides caves de banlieues, et exhortant les fidèles à la guerre sainte.
Autre temps, autres moeurs, et pourtant d'Holbach et Zemmour ont cela de commun : tous deux désignent l'ennemi à la vindicte populaire. Le combat du baron d'Holbach trouva son épilogue pendant la période révolutionnaire de 1789. Espérons que celui de Zemmour ne s'achèvera pas dans le même bain de sang... 

NB : ce soir, vendredi 19/12, la bien-pensance a réagi : Zemmour est viré d'I Télé...

 

mardi 16 décembre 2014

Débat : Etienne Chouard vs Florence Gauthier - Tirage au Sort, ou Suffra...

  

Étienne Chouard est enseignant en économie et en droit dans un lycée à Marseille. Blogueur français (Plan C), il a connu une certaine notoriété en 2005 à l'occasion de la campagne du référendum français sur la constitution européenne en argumentant pour le « non ». Depuis, il étudie différents régimes démocratiques et constitutions. Il défend notamment le système du Tirage au Sort et soutient qu'une nouvelle assemblée constituante devrait être basée sur cette méthode. Il défend également le référendum d'initiative populaire et soutient que le véritable suffrage universel est le vote direct des lois par les citoyens.

Florence Gauthier est Maître de conférences en histoire moderne à l'Université Paris VII. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la Révolution et aux premières années de la République Française. Elle participe activement à l'Association Pour Une Constituante présidée par André Bellon. Elle fait partie également des animateurs du site internet Le Canard Républicain. Elle soutient de manière inconditionnelle le Suffrage Universel.

Entre ces deux citoyens engagés et passionnés, le débat devait avoir lieu

lundi 15 décembre 2014

Diderot, "défenseur du prolétariat" ? (2)

(pour lire la 1ère partie )

En fait, si Diderot éprouve du mépris pour ceux que Marx qualifiera plus tard de Lumpenproletariat, c'est parce qu'il les perçoit comme une masse anonyme, ignorante et facilement remplaçable. "Il ne faut pas perdre du temps et des soins à cultiver l'esprit d'un enfant bouché à qui la nature n'a donné que des bras qu'on enlèverait à des travaux utiles", écrira-t-il en 1775, dans son Plan d'un université pour le gouvernement de Russie.  
On croirait entendre Voltaire...
Davantage que la naissance, c'est l'utilité de chaque individu au sein du corps social que Diderot tente de mesurer au moment d'envisager la société idéale. De son point de vue, un manouvrier ou un travailleur saisonnier n'occupent pas dans la machine économique une place aussi importante que l'ouvrier qualifié.
Inspirée par la pensée physiocratique, la réflexion de l'encyclopédiste hiérarchise les différents groupes sociaux en fonction de la place qu'ils occupent dans le double circuit de la production et de la répartition des biens (voir à ce propos le chapitre "Diderot réformateur" de Jacques Proust in Diderot et l'Encyclopédie). Ainsi, l'article Fermier de l'Encyclopédie distingue nettement le cultivateur dont "l'assiduité et l'activité sont les qualités essentielles" et les "rustres" qui "sont pour la plupart comme des automates qui ont besoin à tout moment d'être animés et conduits". Le premier, plus productif, se révèle utile à la nation alors que le second se montre incapable d'exploiter les ressources qu'il possède.
Muni de cette grille de lecture, Diderot peut passer au crible l'ensemble de la société d'Ancien Régime : inutile cette aristocratie versaillaise qui s'enrichit sans jamais rien produire; inutiles ces ordres religieux qui possèdent tant de terres mal exploitées ; inutile cette société de Fermiers Généraux qui bride l'économie du royaume. 
Dans l'esprit de Diderot, tous ces privilégiés ne valent guère mieux que la canaille évoquée plus haut.
A l'opposé, un autre groupe obtient toutes ses faveurs : les écrivains, bien sûr, qu'il imaginerait volontiers en conseillers du roi ; mais également les fermiers, les propriétaires, les manufacturiers qui pourraient faire valoir leurs talents et leurs efforts s'ils ne vivaient pas dans une société corsetée par les traditions.
Nulle trace d'humanisme dans ces considérations-là. Sur le plan économique, la réflexion de Diderot est toujours demeurée utilitariste. D'ailleurs, gageons qu'en ce début de XXIème siècle, il aurait à n'en point douter participé au débat sur le travail dominical ! Je vous laisse imaginer quelle aurait été sa position...

dimanche 14 décembre 2014

Diderot, "défenseur du prolétariat" ? (1)



En 1900, lors d'un discours prononcé en l'honneur de Diderot, l'académicien Anatole France osa ce très audacieux rapprochement :  "Est-ce trop de dire après cela que Diderot dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire, Diderot mort depuis cent seize ans, nous touche de très près, qu’il est des nôtres, un grand serviteur du peuple, un défenseur du prolétariat, j'oserai dire, en prenant le mot dans une large acception, un socialiste ?"   
Diderot, par mme Therbusch (1767)

A s'en tenir aux notices biographiques (j'allais dire aux hagiographies...) des manuels scolaires, voire à certains essais qui évoquent la pensée sociale du cofondateur de l'Encyclopédie, on serait tenté d'approuver ce jugement. Pour un peu, on ferait même de Diderot LE grand ami du peuple, un défenseur infatigable de ces paysans et ouvriers qui représentaient au XVIIIème siècle plus de 90% de la population française.
L'écriture d'un roman national obéit habituellement à des règles, notamment celle qui réduit les grands épisodes de notre histoire à un combat manichéen entre les forces du bien et celles du mal. Bombardé héros parmi d'autres du récit sur les Lumières, Diderot est dans la foulée paré de toutes les vertus...

"La multitude des regards patine les statues" disait Cocteau. Concernant Diderot, les innombrables exégèses qui lui ont été consacrées ont fini par estomper la réalité de l'homme qu'il fut vraiment. Car quand on remonte à la source, à ses ouvrages et surtout à sa correspondance, on ne trouve chez lui nulle trace de ce "défenseur du prolétariat" fantasmé par Anatole France.

Jugez-en plutôt au regard des quelques passages qui suivent, tirés de lettres adressées à sa maîtresse Sophie Volland.
Dans ce 1er extrait, il rapporte une conversation qu'il a eue avec quelques ami(e)s, dont Madame d'Holbach.
Le 30 octobre 1759. 

"— Vous en étiez à l’acte religieux annuel, et au déclin de la superstition nationale. — M’y voilà. Je pense que ce déclin a un terme ; les progrès de la lumière sont limités ; elle ne gagne guère les faubourgs. Le peuple y est trop bête, trop misérable et trop occupé..."

Dans le 2ème extrait, il évoque le monde paysan, qu'il côtoie de temps à autre lors de ses séjours à la campagne, chez d'Holbach ou Mme d'Epinay.
Le 2 novembre 1759.

"Dès le matin j’entends sous ma fenêtre des ouvriers. À peine le jour commence-t-il à poindre qu’ils ont la bêche à la main, qu’ils coupent la terre et roulent la brouette. Ils mangent un morceau de pain noir ; ils se désaltèrent au ruisseau qui coule : à midi, ils prennent une heure de sommeil sur la terre ; bientôt ils se remettent à leur ouvrage. Ils sont gais ; ils chantent ; ils se font entre eux de bonnes grosses plaisanteries qui les égaient ; ils rient. Sur le soir, ils vont retrouver des enfants tout nus autour d’un âtre enfumé, une paysanne hideuse et malpropre, et un lit de feuilles séchées, et leur sort n’est ni plus mauvais ni meilleur que le mien..."


Enfin, ce dernier courrier rapporte la visite qu'il rend à un malheureux copiste travaillant pour l'Encyclopédie.
Le 4 août 1762

"J'avais donné un manuscrit à copier à un pauvre diable. Le temps pour lequel il me l'avait promis expire, et mon homme ne reparaissant point, l'inquiétude m'a pris; je me suis mis à courir après lui; je l'ai trouvé dans un trou grand comme ma main, presque privé de jour, sans un méchant bout de bergame qui couvrît ses murs, deux chaises de paille, un grabat avec une couverture ciselée de vers, sans draps, une malle dans un coin de la cheminée, des haillons de toute espèce accrochés au- dessus, une petite lampe de fer-blanc à laquelle une bouteille servait de soutien ; sur une planche une douzaine de livres excellents. J'ai causé là pendant trois quarts d'heure. Mon homme était nu comme un ver, maigre, noir, sec, mais serein, ne disant rien, mangeant son morceau de pain avec appétit, et caressant de temps en temps sa voisine sur ce misérable châlit qui occupait les deux tiers de sa chambre. Si j'avais ignoré que le bonheur est dans l'âme, mon Épictète de la rue Hyacinthe me l'aurait bien appris."
Le ton se veut paternaliste, mais il est surtout teinté de mépris, de ce qu'on qualifierait aujourd'hui (sans doute à tort) de mépris de classe. En vérité, Diderot ignore tout du peuple dont il parle dans ces lignes. Où aurait-il pu apprendre à le connaître ? Certainement pas chez les Jésuites, ni dans les ateliers de l'Encyclopédie, et encore moins lors de ses séjours au Grandval (chez d'Holbach) ou à la Chevrette (chez Mme d'Epinay). Il n'y a jamais croisé que des financiers, des musiciens, des écrivains, tout aussi ignorants que lui de la réalité des quartiers populaires de Paris. Il y parle métaphysique, économie, politique, musique, littérature... jamais du portefaix stationné au coin de la rue, jamais du saisonnier mis en chômage pendant les mois d'hiver...
Diderot, "défenseur du prolétariat" ? Diderot "socialiste" ?
Allons donc... comment diable aurait-il pu l'être ?
(à suivre) 
Diderot à la Chevrette
 (pour lire la 2ème partie)


lundi 8 décembre 2014

Marion Sigaut prend la défense de Mgr de la Motte.



 
 Pour compléter ce plaidoyer prononcé par Marion Sigaut en faveur de Monseigneur de la Motte, je joins ci-dessous l'amende honorable rendue en date du 12 septembre 1765 par ce même évêque.

Pénétré , ô mon Dieu , des outrages que vous ont fait quelques impies, en frappant l'image sainte de votre corps adorable, cloué à la croix pour le salut de tous les hommes, je vous en fais ici une amende honorable en réparation d'honneur.
Combien n'est-il pas douloureux de voir des Chrétiens qui ne doivent ce titre précieux qu'aux mérites d'un Dieu crucifié , porter l'ingratitude jusqu'à l'outrager même dans son image sur la Croix ! Ils se sont par-là rendus dignes des derniers supplices en ce monde, et des peines éternelles en l'autre; mais parce que nul péché n'est irrémissible auprès de votre miséricorde , ô mon Dieu, quand elle est sollicitée par les mérites infinis de Notre-Seigneur Jésus-Christ , nous réclamons cette même miséricorde et ces mêmes mérites, pour obtenir la conversion de ceux qui ont commis une si grande impiété. Faites leur grâce, ô mon Dieu, changez leurs cœurs de pierre en cœurs de chair, afin que reconnaissant leur noirceur, ils viennent se joindre à nous pour la pleurer et la détester; que si malheureusement ils endurcissent leurs cœurs, jusqu'à ne plus écouter votre voix, daignez recevoir en dédommagement de leurs outrages, l'hommage de notre adoration, ainsi que celui d'un amour tendre et constant, que nous vous promettons aux pieds de ce Christ même, qui a été outragé. C'est dans ces sentiments que, moyennant votre sainte grâce, nous voulons vivre et mourir,. pour n'être jamais séparés de vous, ni. dans le temps ni dans l'eternité, Ainsi soit-il.
Nous, Evêque d'Amiens, accordons quarante jours d'indulgence à ceux et celles qui visiteront le Christ outragé , lequel a été transporté dans l'Eglise Royale et Collégiale de Saint Vulfran , et y diront, ou le Vexilla Regis, ou l'Amende-honorable ci-dessus, ou cinq Pater et cinq Ave, à leur choix , tous les Vendredis de l’année. Les Religieux et les Religieuses gagneront la même indulgence, en faisant les mêmes prières à un Christ que leur Supérieur désignera. Ceux et celles qui seront retenus dans leurs maisons par leurs infirmités , à tel Christ qu'ils choisiront eux mêmes ; le tout à perpétuité. Donné à Amiens , ce douze Septembre mil sept cent soixante-cinq.
Signé,  Louis-François - Gabriel , Evêque d'Amiens



24 heures plus tard (oui, seulement 24 heures plus tard...), est déposée la plainte qui conduira le chevalier de la Barre devant le tribunal...


Remontre le Procureur-du-Roi de ce Siège, qu'il a appris qu'un jeune homme, demeurant en cette Ville, ayant été voir il y a environ six semaines ou deux mois le sieur Beauvarlet, ancien Marchand, résident actuellement à l'Abbaye de Willancourt, ce jeune homme
remarquant dans la chambre dudit sieur Beauvarlet un Crucifix de plâtre, lui demanda s'il voulait lui vendre ce crucifix; que le sieur Beauvarlet lui ayant demandé ce qu'il en voulait faire, il répondit que c'était pour le briser; qu'il  a appris en outre que le même jeune-homme, accompagné de deux autres jeunes gens de cette ville  s'étant trouvé sur la Place de Saint-Pierre le jour de la Fête Díeu dernière , dans le moment ou la Procession du Saint-Sacrement sortait de l'Eglise de Saint-Pierre , ces trois jeunes gens
passèrent devant Ie Saint-Sacrement sans ôter leur chapeau et sans se mettre à genoux; et qu'ils s'en font vantés depuis , comme s'ils eussent fait une belle action ; qu'il sait qu'il y en a d'entr'eux qui ont tenu des discours et fait d'autres actions impies.