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samedi 10 septembre 2016

De l'obscurantisme...

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Qu’il me soit permis d’ajouter encore un mot sur l’idée qu’on se fait des maladies dont les individus qui composent le genre humain sont si souvent affligés. Elles viennent de Dieu ; c’est Dieu qui les envoie, la chose est indubitable (…) Que quelquefois… Dieu visite les peuples et les particuliers en leur envoyant immédiatement des maladies pour les humilier et les châtier, c’est sur quoi la Révélation ne laisse aucun doute. (…) Contre l’intervention immédiate de la Providence, tous les moyens humains, toutes les ressources de l’art sont parfaitement inutiles. Il n’y a point de préservatif contre les justes coups de la main divine, que de ne pas les attirer par une conduite vicieuse…





Essai apologétique sur l'Inoculation, 1755

Charles Chais (pasteur protestant suisse)

Th. Tronchin, qui introduisit l'inoculation en France en 1756




Jenner inoculant un enfant



***



Vous avez voulu, Seigneur, nous prouver avec quelle facilité vous pouviez, au milieu de notre sécurité, nous faire éprouver le même sort. Nous avons entendu votre voix et compris les desseins de votre miséricorde. La terre a tremblé sous nos pieds ; nous avons compté les secousses ; nos maisons ont été agitées ; les murs de cet édifice sacré en portent encore les empreintes ; un peu plus de force dans les ébranlements, et il y aurait eu du bouleversement et de la destruction. Nous en avons été quittes pour la frayeur : puisse-t-elle être salutaire, efficace, permanente ! Oh ! Puisse-t-elle faire des impressions si profondes, que les distractions du monde, que la dissipation d’un siècle frivole ne soient pas capable de les effacer ! Craignons celui devant qui toute la nature tremble, et qui fait trembler la terre quand il lui plait. Craignons celui qui peut détruire ce globe qu’il a formé…



Extrait d’un sermon prononcé par Elie Bertrand (pasteur protestant suisse) après le séisme de Lisbonne en 1755


Lisbonne, une ville rayée de la carte du monde


***



Le Seigneur, mes très chers Frères a exercé sur nous dans sa justice ses plus redoutables vengeances, les douleurs de la mort nous ont assiégés pendant un an entier, des milliers de victimes ont été de toutes parts immolées à la colère de Dieu allumée par nos crimes, le deuil et les larmes ont fait le triste partage de cette ville désolée, devenue dans son affliction un sujet de crainte et d’horreur à toutes les nations de l’univers, qui des extrémités de la terre venaient auparavant y aborder avec empressement. Mais enfin nous éprouvons dans cet heureux jour que si le Dieu des miséricordes se fâche contre les pêcheurs, s’il les menace, son courroux ne dure pas toujours et cède à la fin à la bonté.



Extrait d’un mandement de Monseigneur l’évêque de Marseille qui ordonne de rendre à Dieu de solennelles actions de grâces de ce que par sa miséricorde la contagion a entièrement cessé dans Marseille (1721)

l'évêque de Marseille secourant une victime de la "colère de Dieu"

jeudi 12 novembre 2015

Le tremblement de terre de Lisbonne (3)


La catastrophe de Lisbonne, suivie d'autres secousses qui surviennent peu après en Europe du nord-ouest, va raviver le débat philosophico-théologique autour de la question du mal et de la souffrance humaine. 
Séisme à Lisbonne

En effet, comment expliquer qu'un Dieu nécessairement bon et parfait puisse vouloir le malheur de l'homme ?
A cette question, l'homme d'Eglise avance l'idée du châtiment divin. Ainsi, lors de la peste de Marseille (1720), Mgr de Belsunce envisageait déjà auprès de ses fidèles la colère d'un "Dieu justement irrité par nos crimes" avant de les encourager à "une sincère et prompte pénitence, et à une entière soumission aux décisions de l'Eglise". Il appelait ensuite ses ouailles à communier et à pratiquer le jeûne afin de "détourner à jamais de dessus nos têtes le plus redoutable de tous les fléaux."
Dans ses Réflexions sur le désastre de Lisbonne, le janséniste Laurent Rondet (1717-85) évoque quant à lui la responsabilité du Portugal, "théâtre sanglant de cette Inquisition odieuse, mais encore le berceau d'une Société qui a bien dégénéré de l'auguste nom qu'elle s'est attribué" (comprenez : les Jésuites). Le débat sur le désastre de Lisbonne fournit aux Jansénistes le prétexte idéal pour raviver le combat contre leurs ennemis tout en posant la question de la réforme des moeurs religieuses. 
C'est dans ce contexte, et notamment contre la thèse providentialiste, que Voltaire va faire paraître début 1756 son célèbre Poème sur le désastre de Lisbonne. S'interrogeant sur la place des catastrophes dans un monde régi par Dieu, le philosophe va passer en revue, l'une après l'autre, les théories de ses adversaires.  
A la question : Le Mal serait-il un châtiment infligé par le Créateur ?, Voltaire répond :
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?

Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices

A cette autre théorie, qui prétend que le Mal absolu ne saurait exister, et qu'il est forcément compensé par un Bien ultérieur, Voltaire répond par l'ironie :
 Ce malheur, dites-vous, est le bien d’un autre être.
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître ;
Quand la mort met le comble aux maux que j’ai soufferts,
Le beau soulagement d’être mangé des vers !

Voltaire réfute enfin la théorie du Mal rédempteur :
Il (Dieu)visita la terre, et ne l’a point changée!
Un sophiste arrogant nous dit qu’il ne l’a pu ;
« Il le pouvait, dit l’autre, et ne l’a point voulu :
Il le voudra, sans doute » ; et, tandis qu’on raisonne,
Des foudres souterrains engloutissent Lisbonne...

Maigre consolation pour l'Homme, s'il doit attendre l'au-delà pour obtenir sa rédemption !


(à suivre)

samedi 7 novembre 2015

Le tremblement de terre de Lisbonne (2)


Le tremblement de terre de Lisbonne raconté par deux mémorialistes du XVIIIè siècle.
Lisbonne, novembre 1755

***


Extrait des Mémoires du Marquis d'Argenson
 
d'Argenson
20 novembre— On a eu hier une nouvelle affreuse. La ville de Lisbonne a été abîmée soudainement par un tremblement de terre, et ce qui a échappé à ce météore était en proie aux flammes au départ du courrier. Ainsi brûlèrent jadis Sodome et Gomorrhe ; cela en rappelle l'image. Mais quelle nation est sans péché ? Ceux qui viennent de la fausseté du cœur sont les plus grands. L'hypocrisie, la fourberie, l'orgueil, accablent plus les Espagnes que les autres pays. Encore l'Italie est-elle plus excusable par la servitude. Mais combien déplaît à Dieu cette humeur hautaine des prêtres, leur orgueil et leur avarice, qui les ont portés à tromper ces pauvres chrétiens par l'inquisition et par leur magnificence? Quoi! un Dieu pauvre, un Dieu doux, voilà comme on le sert!
Dans ces pays catholiques, l'amour vénal partout, les pucelages achetés des parents, la vérole sans soin de la guérir, le pauvre livré à la vermine, etc. On peut douter que les trois villes hébraïques du temps de Loth fussent aussi coupables que celle-ci.
Le roi et la reine ont été épargnés; ils étaient à leur maison de Bélem. Les églises abîmées, les palais, les ministères portugais et étrangers, que de richesses perdues! Nous craignons aussi bien des banqueroutes pour nos connaissances. Les Anglais y font de grosses pertes.
— Il y a quelques jours, il passa un globe de feu tout près de Paris, et qui pouvait le brûler. M. Cassini annonça au roi le tremblement de terre du 1er novembre (à Lisbonne), disant qu'il devait v avoir un grand mouvement sur la terre, ce qu'il avait reconnu à l'agitation du pendule de l'Observatoire.
Oh ! que la puissance publique a bien peu de principes philosophiques et politiques ! Quel heureux malheur que la destruction d'une grande ville ! Pourquoi des villes ? Pour la mollesse, pour le luxe, pour l'orgueil, pour l'agio. Que
22 novembre 1755. — La secousse à Madrid a duré sept minutes. Le roi étoit à l'Escurial; il est venu à Madrid, et a passé la nuit aux environs de cette ville sous une tente. L'église de Séville a été fendue en deux.

2 décembre. — Le tremblement de terre de Lisbonne s'est fait sentir en Hollande, et jusqu'au Groenland. Un vaisseau a péri à 150 lieues en mer. La ville de Porto est submergée.

***

Extrait du Journal de Barbier 


 Le 1er de ce mois de novembre, événement terrible dans la nature, embarrassant pour les physiciens et humiliant pour les théologiens. Il y a eu dans la ville même de Lisbonne, capitale de Portugal, bâtie sur le bord du fleuve du Tage, port de mer considérable, un tremblement de terre des plus violents, qui a duré huit ou dix minutes dans toute sa force. Les eaux du fleuve se sont élevées au-dessus des maisons. La terre s'est ouverte, et la belle partie de la ville sur le bord du Tage, le palais du Roi, les hôtels, les maisons des plus gros banquiers ont été renversés, écroulés, engloutis, et il est dit dans la Gazette de France que, pendant ce désastre du côté du port, le feu était dans l'autre partie de la ville, apparemment par un volcan. On ne sait encore des nouvelles de ce malheur que par un courrier qui est parti sur-le-champ. Le Roi et toute la famille royale étoient heureusement aux environs de la ville dans une maison de plaisance, qui ont été, dit-on, vingt-quatre heures sans avoir de quoi manger. On comptait déjà plus de cinquante mille personnes de péries (…). Le Tage a été tellement gonflé et élevé, qu'à cent lieues de là il était grossi de dix pieds. Il se fait un très gros commerce à Lisbonne. Le port est toujours rempli de vaisseaux. Ou dit que les Anglais perdent cinquante millions. La France perd aussi considérablement. Ce n'est pas tout ; cette secousse de la terre s'est fait sentir en même temps en Espagne, à Madrid et dans plusieurs villes principales. Le roi d'Espagne est sorti de sa maison de l'Escurial et a couché dans les champs, sous des tentes, ainsi que le peuple de Madrid ; la ville de Cadix a pensé être submergée. Les eaux ont renversé une chaussée et enlevé plus de deux cents personnes qui passaient dessus en voiture ou autrement. On dit même que ce tremblement s'est fait sentir à Rayonne et à Bordeaux. Ou n'a encore que des nouvelles imparfaites de ce désastre par quelques lettres et par la Gazette de France du 22 de ce mois; il y en aura apparemment une relation circonstanciée, quand on en sera mieux instruit.
Gazette de France du 22 novembre 1755

vendredi 6 novembre 2015

Le tremblement de terre de Lisbonne (1)


Par Grégory Quenet, professeur d’université, auteur  de « Les tremblements de terre en France aux XVIIe et XVIIIe siècles »
 
Grégory Quenet
Le séisme se produit un samedi, jour de la Toussaint, vers 9h40 du matin. En neuf minutes se succèdent quatre secousses, tellement violentes que le ciel est obscurci par la poussière des bâtiments qui s'écroulent et par les vapeurs sulfureuses. Quelques instants plus tard, un tsunami d'une hauteur de 5 à 10 mètres balaie la partie basse et littorale de la ville, le Terreiro do Paço , suivi d'un nouveau tremblement de terre vers 11 heures.
Lisbonne, 1755

Les chutes de cheminées, l'éparpillement des feux domestiques et parfois l'action des pillards déclenchent un gigantesque incendie qui dure cinq ou six jours. Les flammes causent d'ailleurs la plus grande partie des dégâts, notamment parmi les biens mobiliers et les marchandises, et atteignent une telle intensité qu'elles sont visibles à Santarem, à environ 70 kilomètres au nord-est. Les secousses se répéteront : plus de 500 jusqu'en septembre 1756, accentuant la panique et la désorganisation de la société lisbonnine.
(…)Le bilan matériel est impressionnant. Seuls 3000 des 20000 édifices existants demeurent habitables. Sur les 40 églises principales, 35 ont été réduites à l'état de ruine, et les autres plus ou moins endommagées. Sur 65 couvents, 11 seulement sont restés debout. La maison royale perd ses plus beaux fleurons, essentiellement à cause de l'incendie : l'église patriarcale et l'Opéra, une partie de ses collections de bijoux et de tableaux, sa bibliothèque de 70 000 volumes et le trésor gardé dans les magasins des Indes.
Les explications physiques des séismes ne sont pas une nouveauté. Depuis le Moyen Age, il est admis que, si Dieu est cause première, les causes secondes obéissent à des mécanismes physiques. En 1755-1756, la nouveauté réside dans la floraison de nouvelles théories électriques, minéralogistes, anti-newtoniennes... et dans la manière de s'interroger sur l'action humaine. Certains auteurs, comme la marquise de Bricqueville, vont même jusqu'à imputer la multiplication des secousses aux nouvelles machines électriques.
Cette approche ouvre la voie à des questions inédites sur la responsabilité des populations locales, comme sur la possibilité d'utiliser des mesures autoritaires pour protéger les habitants contre leur gré. Les très nombreuses publications qui suivent le désastre de Lisbonne, le concours organisé en 1756 par l'académie de Rouen sur la cause des tremblements de terre résonnent de ces interrogations. Le vainqueur, Isnard, souligne que « si la vie était plus chère au commun des hommes que le soin d'amasser des richesses, on ne volerait pas vers les mêmes écueils où l'on s'était déjà brisé : on ne rebâtirait jamais une ville sur le même rivage, où les tremblements de terre l'ont renversée » .
Ces débats appartiennent bien à la pensée des Lumières. Condorcet souligne que la protection contre le mal physique est un objectif à viser dans le long terme par la mobilisation des institutions académiques et l'éducation. L'inquiétude va de pair avec la tâche exaltante, mais écrasante, de devoir inventer le bonheur ici-bas.
S'impose en effet, à l'époque, l'idée qu'il revient aux hommes de lutter contre le mal. Dans ce contexte, une tragédie telle que le séisme de 1755 prend un sens nouveau. Certes, les explications et les terreurs anciennes n'ont pas disparu d'un seul coup. La plupart des livres et des journaux consacrés à la catastrophe de Lisbonne l'expliquent par la colère divine
 s'abattant sur les pécheurs. Le roi George II décrète un jour de jeûne et de repentance pour le 6 février 1756 en Angleterre et en Irlande en réponse au séisme de Lisbonne.
 Reste que, pour la première fois, le mal apparaît comme un scandale que rien ne peut justifier, ce qui s'exprime dans de nombreux écrits. La plus forte prise de position en ce sens est le Poème sur le désastre de Lisbonne de Voltaire, dont le retentissement est considérable.
 
Lisbonne, 1755
Ces vers sont une réponse cinglante à l'« optimisme ». Dans cette conception, la catastrophe est envisagée comme un détail à l'échelle de la Création, si parfaite et si complexe que l'homme ne peut la percevoir dans son ensemble ; le mal physique, souvent incompréhensible pour l'homme, serait justifié par la Providence. Ces arguments théologiques, qui avaient connu jusque-là un grand succès, ne résistent pas à la mise en scène de la souffrance des innocents, un sentiment de scandale qui transparaît notamment dans le poème de Voltaire. En 1759, Candide ridiculise un peu plus le « tout est bien dans le meilleur des mondes possibles » de Pangloss.

Voltaire ne renonce pas tout à fait à penser la catastrophe en des termes religieux - ses écrits postérieurs témoignent d'une recherche incessante pour concilier le mal avec l'existence d'une puissance divine. Toutefois, ce qui naît à l'occasion du tremblement de terre de 1755, c'est bien une vision laïcisée de la catastrophe naturelle. Le débat scientifique se développe indépendamment de toute problématique religieuse sur la Providence. Les récits privés sur les séismes se passent des références à Dieu. Les descriptions submergent les remarques générales sur la signification de la catastrophe. C'est dans la nature et dans l'action humaine qu'il faut chercher les explications et les remèdes aux catastrophes naturelles.
Ce hiatus inédit entre Dieu et la nature introduit une figure nouvelle, celle de l' « accident », qui va dominer tout le XIXe siècle. On considérait auparavant la catastrophe naturelle comme inscrite dans un plan divin ; l'accident, lui, est un choc, une rencontre aléatoire et injustifiable. Selon cette définition, le séisme de Lisbonne est le premier « accident » moderne. De mémoire d'homme, aucune ville européenne de la taille de Lisbonne n'avait été détruite dans le passé par un tremblement de terre ; et Lisbonne n'était pas particulièrement menacée. Rien ne pouvait laisser prévoir ce drame. Une épidémie de peste mortelle, un incendie gigantesque auraient assurément moins ébranlé les contemporains.
L'accident, fruit du hasard et non d'une « colère divine », est imprévisible. Ce qui engendre une plus grande inquiétude. Mais également une plus grande liberté. Une tension apparaît entre, d'un côté, la nécessité d'essayer de prévenir les événements funestes, de l'autre, la conscience de ne jamais pouvoir définitivement réduire la part de l'imprévisible.
Ce sont donc à la fois des doutes et une confiance nouvelle dans les capacités des hommes à anticiper et à surmonter les catastrophes naturelles qui s'expriment au lendemain du séisme de Lisbonne. « Il ne serait peut-être [pas] impossible de découvrir quelque signe de l'arrivée des tremblements de terre, mais ce n'est point dans ce siècle qu'on pourrait jouir de cette découverte » , explique un participant au concours de Rouen en 1756. 

(à suivre)