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mercredi 20 novembre 2013

Maupertuis (4)

L'hallali avant la curée...
De retour à Paris, Maupertuis ambitionne de succéder à Mairan à la tête de l'Académie des Sciences. Son avidité de gloire le conduit dès lors aux pires excentricités, comme celle de distribuer à toutes ses connaissances un portrait de son auguste personne habillée en lapon... 
Mairan, secrétaire de l'Académie de 1740 à 1743
Evidemment, le Tout-Paris s'amuse du savant, d'autant que personne n'a oublié ses mésaventures en Silésie. Dans son journal historique, Collé explique qu'il est "en horreur à tous les gens de lettres de ce pays", qu'il apparaît comme "un objet de pitié pour les honnêtes gens et les gens sensés". Le journaliste va jusqu'à remettre en cause ses compétences scientifiques : "J'ai entendu dire à de grands géomètres qu'il ne savait de géométrie que ce que les grands écoliers peuvent en savoir, et qu'il n'avait jamais rien trouvé ; cependant, au retour de son voyage de Laponie, il s'attribua seul toute la gloire des calculs et des opérations de M. Clairaut".
Non content de postuler au secrétariat de l'Académie des Sciences, Maupertuis intrigue dans le même temps pour entrer à l'Académie Française, aidé en cela par le ministre Maurepas. Malgré l'hostilité des ses très nombreux opposants, Maupertuis parvient à ses fins et est élu (30 mai 1743).
Maurepas, ministre de la Maison du Roi

Pour l'Académie des Sciences, c'est évidemment une autre affaire, d'autant que la vieille garde (Réaumur en tête) ne lui a pas pardonné ses excès. Face à ce constat, Maupertuis songe un instant à une candidature bicéphale qui l'associerait à Voltaire. Ce dernier ayant refusé son offre, Maupertuis est contraint, la mort dans l'âme, de renoncer à ses ambitions.
Pour laver ce nouvel affront public, il ne lui reste plus qu'une issue : Berlin, où Frédéric continue de le réclamer pour prendre la tête de l'Académie. Cette présidence s'accompagnera d'une pension de 12000 livres, et de la promesse d'un pouvoir absolu sur le monde scientifique local. Maupertuis accepte.
Cette nouvelle désertion, largement blâmée par l'intelligentsia parisienne, lui sera fatale. D'ailleurs, lorsqu'il tentera de faire franchir le Rhin à d'autres sommités scientifiques, on lui opposera une fin de non recevoir quasi unanime. Témoin ce refus de l'abbé Le Blanc (historiographe des bâtiments du roi) : "je tiens à ma patrie et je n'ai de regrets que de ne lui pas être plus utile que je le suis..."(correspondance de l'abbé Le Blanc)
Traître à la France, Maupertuis devra néanmoins subir une dernière humiliation : celle d'être rayé de la liste des pensionnaires de l'Académie des Sciences à Paris.
Fin 1745, la France a définitivement tourné le dos à l'ancien génie des sciences.
(à suivre)

vendredi 15 novembre 2013

Maupertuis (3)

"L'honneur que m'a fait Votre Majesté de m'approcher de sa personne et de me croire capable d'être un des instruments dont elle peut se servir pour exécuter quelques-unes des grandes choses qu'elle entreprend est pour moi d'un si grand prix que je n'ai plus qu'à lui demander de n'y point joindre d'autres récompenses...". 
Volontiers flagorneur à l'égard de son bienfaiteur, Maupertuis refuse prudemment la pension de 12000 livres que lui propose Frédéric II pour s'installer à Berlin. Une telle gratification ferait de lui un traître aux yeux des académiciens parisiens, et surtout, elle attiserait les jalousies des quelques savants réunis à Berlin.
Maupertuis maître du monde

Sitôt achevés les plans de la nouvelle Académie, Maupertuis doit faire face à ce mal qui minera tous les intellectuels français éloignés de Paris : l'ennui...
A son ami Algarotti, il écrit : "Je suis blasé par les beautés d'ici..." (janvier 1741), "j'ai écrit ces jours passés au roi (lire Louis XV) pour le prier de trouver bon que je retourne en France..." (mai 1741). Toujours aussi avide d'honneurs et de gloire, Maupertuis songe déjà à son retour prochain à Paris, et plus encore au projet qu'il ambitionne depuis quelque temps : devenir le secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences en lieu et place du terne Mairan.
En attendant, le voilà en Silésie, où Frédéric guerroie contre les Autrichiens. C'est là, à la bataille de Mollwitz, que Maupertuis va une nouvelle fois se couvrir de ridicule (voir portrait ci-dessus). Pour l'occasion, il s'est pourtant confectionné un très bel et très seyant uniforme bleu d'officier prussien et le voilà chevauchant en commandant d'armée au côté du roi Frédéric ! La mêlée s'engage bientôt, et lorsque s'éteint le fracas des armes, Maupertuis a disparu ! Qu'est-il devenu ? se demande le roi victorieux. L'attente va durer plusieurs jours, à tel point que l'ambassadeur de France à Berlin se voit contraint d'annoncer la mort du savant !
l'armée prussienne lors de la bataille de Mollwitz

En France, son ancienne maîtresse Mme du Châtelet se lamente déjà : "C'est une grande perte pour la France et pour l'Académie". Et Voltaire d'ajouter dans la foulée : "Mon Dieu, quelle fatale destinée ! Qu'allait-il faire dans cette galère ?"( à l'ambassadeur Valori, le 2 mai).
Alors qu'on le croyait mort, Maupertuis réapparaît soudain, et si le récit de Voltaire peut sembler suspect, il suffit pourtant à couvrir le savant de ridicule : en effet, au cours de la bataille, la monture de Maupertuis se serait emballée, et il se serait alors retrouvé bien malgré lui au milieu des troupes ennemies, où des paysans l'auraient dépouillé de ses biens !
"Il fut dépouillé par les paysans dans cette maudite Forêt Noire où il était comme Don Quichotte faisant pénitence. On le mit tout nu ; quelques housards, dont un parlait français, eurent pitié de lui, chose peu ordinaire aux housard. On lui donna une chemise sale et on le mena au Comte Neipperg lui prêta cinquante louis... Voilà un homme né pour les aventures." (Voltaire au même Valori). Si le témoignage de Voltaire est caustique, celui du roi Frédéric va achever de ruiner la réputation de Maupertuis : 
"Vous ignorez que Maupertuis 
Cet aplatisseur de Terre,
De Berlin nous avait suivis
Pour voir et faire la guerre,
Mais hélas ! les hussards l'ont pris.
Il crut qu'aux champs de Silésie
Comme aux glaçons de Laponie
On ne courait aucun danger.
Toute une cohorte ennemie
En tapinois vint le charger.
L'algèbre ni l'astronomie
Lors ne purent le dégager." (Fréderic à Voltaire, mai 1741).
Fin mai, lorsque Maupertuis quitte enfin Berlin pour revenir à Paris, il sait que le récit de ses mésaventures s'est diffusé comme une traînée de poudre dans les salons du Faubourg St-Honoré. "Chargé de ridicule et d'avilissement", il se doute également que ses "ennemis vont avoir bien de quoi triompher" (lettre à Algarotti, juin 1741).
Hélas pour lui, la réalité sera pire encore que ses craintes les plus noires... (à suivre)
 
 

mercredi 13 novembre 2013

Maupertuis (2)

Loin d'obtenir le triomphe escompté, Maupertuis va voir le clan des Cassini (et celui des Jésuites) contester les mesures effectuées au cours de l'expédition du Pôle nord. Malgré le soutien de Voltaire, Maupertuis commence peu à peu à développer un sentiment de paranoïa et de persécution qui ne va cesser de grandir au cours des années qui suivront.
Maupertuis
 Dans ses mémoires, l'écrivain Charles Collé dit de lui : "...au retour de son voyage en Laponie, il s'attribua seul toute la gloire des calculs et des opérations de Clairaut, qui avait tout fait ; il se fit graver avec le globe de la Terre qu'il aplatissait. Plein d'intrigue et d'audace, il se louait lui-même et se faisait louer par un tas de grimauds, par un nombre prodigieux de sots, par des femmes de qualité...". C'est à cette même époque, en effet, que Maupertuis publie anonymement l'Examen désintéressé, un petit essai qu'on attribue tout d'abord à d'autres académiciens, et qui ridiculise ouvertement les thèses soutenues par Cassini. Si certains flairent la supercherie, Maupertuis prend surtout le risque de heurter l'Académie des Sciences, peu habituée à ces guerres intestines qui nuisent à sa réputation.
Malgré les concessions faites par Cassini en 1740, Maupertuis continue pourtant de s'acharner avec une rage qui confine au sadisme : "C'est un homme qui se noie et qui ne sait à quoi se prendre, mais j'arracherai jusqu'au moindre roseau auquel il voudrait s'accrocher" (lettre à Bernoulli). Devant un tel comportement, toute la vieille garde de l'académie, dont Réaumur et Fontenelle, s'unit pour condamner les excès de Maupertuis, lui reprochant par la même occasion de nuire à la grandeur de l'institution.
Ce dernier leur réserve pourtant un nouvel affront en acceptant l'offre faite par Frédéric II de venir créer une académie des sciences à Berlin. Malicieux, Voltaire lui écrit : "Vous voilà, Monsieur, comme le messie, trois rois courent après vous ; mais je vois bien que puisque vous avez 7000 livres de la France, et que vous êtes Français, , vous n'abandonnerez point Paris pour Berlin" (lettre à Maupertuis, juillet 1740). Par patriotisme ou par crainte de s'attirer les foudres royales, bon nombre d'académiciens refusaient habituellement les sollicitations de monarques étrangers.

Las de ne pas obtenir les lauriers qu'il croit mériter, Maupertuis accepte pourtant la proposition de Frédéric II...
Bouffi d'orgueil, il arrive à Berlin en septembre 1740. (à suivre)

dimanche 10 novembre 2013

Maupertuis (1)

Au cours du premier tiers du XVIIIè siècle, la vénérable Académie des Sciences voit monter une jeune génération de scientifiques dont Maupertuis devient rapidement le chef de file. Adjoint géomètre en 1723, puis pensionnaire en 1731, il prend bientôt part au vieux débat qui oppose Français et Anglais quant à la forme de notre globe.
Celui-ci est-il aplati aux pôles et enflé à l'équateur, comme semble l'avoir établi Newton, ou est-il au contraire écrasé à l'équateur, ce que soutient le parti cartésien ?

En 1735, malgré la réticence de la vieille garde des académiciens, Maupertuis propose de mener une expédition au pôle, complémentaire de celle déjà entreprise au Pérou par la Condamine et Godin. Désireux de marquer le monde scientifique de son empreinte, Maupertuis déchaîne ses amis les plus proches (notamment le jeune mathématicien Clairaut, mais également le naturaliste Buffon) contre les traditionalistes cartésiens (les Cassini père- 1677/1756- et fils- 1714/1784, ainsi que leurs alliés majoritaires à l'Académie).
Pour trancher définitivement la question, l'institution accepte donc (avec l'aval du ministre Maurepas) le projet d'une seconde expédition, que Maurepas entreprend en avril 1736, entouré de ses partisans les plus proches : Clairaut et le suédois Celsius, mais également le mathématicien Lemonnier ainsi que l'abbé Outhier.
Le voyage durera 16 mois, au cours desquels ces quelques scientifiques parviendront à "mesurer le degré le plus septentrional que vraisemblablement il soit permis aux hommes de mesurer, le degré qui coupait le cercle polaire" (extrait du discours de Maupertuis lu devant l'Académie à son retour en 1737). Avide de célébrité et même de gloire, Maupertuis maintient très intelligemment l'intérêt de l'opinion publique en entretenant avec certaines de ses amies mondaines une correspondance abondante et très détaillée qu'elles sont chargées de diffuser dans les cercles et salons parisiens. Ainsi, Madame du Châtelet (l'une de ses innombrables maîtresses) fut-elle régulièrement mise au courant de l'avancée des découvertes, bien que Maupertuis se gardât bien d'en révéler l'essentiel. 
Lorsqu'il revient en France (en août 1737), l'hypothèse qu'il était le premier à soutenir est devenue réalité. Et cette victoire personnelle, Maupertuis compte bien la transformer en triomphe public. Pour l'heure, débordant d'orgueil, il en profite pour poser en vainqueur du globe terrestre...
 

vendredi 8 novembre 2013

Marion Sigaut : Voltaire servit-il bien la France ?

Marion Sigaut sur Radio courtoisie

Dans cette intervention sur Radio Courtoisie, Marion Sigaut revient une nouvelle fois sur le "méchant fou" qu'était Voltaire, rappelant fort justement l'origine de sa fortune ainsi que certaines de ses turpitudes. Hélas, toujours aussi caricaturale, elle réduit la pensée des Lumières à celle, bien pauvre il est vrai,  du patriarche de Ferney.
Malicieux, l'animateur Albert Salon lui soumet alors le nom de Jean-Jacques Rousseau, que l'historienne ne connaît visiblement pas puisque, de son propre aveu, les ouvrages du Genevois lui "tombent des mains"...
Albert Salon

Plus amusants encore, ses propos sur Maupertuis qu'elle qualifie de "grand savant", de "grand homme" soi-disant "couvert de gloire" à son retour d'expédition au Pôle Nord. Pour l'occasion, Voltaire écrivit effectivement à propos de l'aventurier et de ses compagnons :

"Héros de la Physique, Argonautes nouveaux
Qui franchissez les Monts, qui traversez les Eaux ,
Dont le travail immense et l'exacte mesure ,
De la Terre étonnée ont fixé la figure,
Dévoilez ces ressorts qui font la pesanteur.
Vous connaissez les lois qu'établit son auteur,
Parlez, enseignez-moi comment ses mains fécondes
Font tourner tant de Cieux, graviter tant de Mondes...

Pour le reste, il se trouve hélas que je suis justement en train de m'intéresser au personnage de Maupertuis, et qu'il ne ressemble guère au portrait qu'en donne Mme Sigaut.
Il me faudra donc y revenir...