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mardi 22 septembre 2020

Les Etats Généraux vus par Jean-Christian Petitfils (3)

 Les extraits qui suivent proviennent d'une contribution de l'écrivain Jean-Christian Petitfils au Livre Noir de la Révolution Française (2008). 

Il propose ici une relecture très personnelle de la convocation des Etats Généraux.

 

(pour lire ce qui précède)

L'élément déclenchant fut, comme l'a montré l'historien Timothy Tackett, le refus des députés de la noblesse de vérifier leurs pouvoirs en présence de ceux du tiers. En réaction, ceux-ci se constituèrent en assemblée autonome le 12 juin. Il fallait « couper le câble», comme disait l'abbé Sieyès. Le 17, cette assemblée à laquelle s'étaient joints quelques membres du clergé, dont l'abbé Grégoire, se proclama «Assemblée nationale ». «Ce décret, dira avec pertinence Mme de Staël, était la Révolution même. » Le 19, les délégués du clergé décidèrent de rejoindre le tiers. Le 20, redoutant la dissolution des états généraux, les membres de la nouvelle assemblée prononcèrent le fameux serment du Jeu de Paume, jurant de ne pas se séparer tant qu'une constitution du royaume n'aurait pas été rédigée.

Au regard de l'ancien droit et des institutions monarchiques, c'était un coup d'État sans précédent, un gigantesque déplacement de pouvoir mettant à bas tout l'édifice séculaire du mystère capétien, auréolé du sacre de Reims. L'assemblée s'était emparée du pouvoir constituant au nom de la souveraineté nationale, telle que l'avait définie Sieyès dans sa fameuse brochure, et elle entendait l'exercer en plénitude, dépouillant le roi de sa propre souveraineté.

Le moment était capital, décisif, même si les députés mirent un certain temps à en tirer toutes les conséquences. On passait d'une représentation de la nation à l'ancienne, assise sur la juxtaposition des intérêts sociaux, à celle d'une nation moderne, fondée sur un corps politique unifié, englobant l'ensemble des citoyens, dans laquelle en définitive le roi n'avait plus sa place, sinon comme un simple fonctionnaire. À l'absolutisme monarchique, qui dans la réalité n'était qu'une fiction, compte tenu de la multitude des corps intermédiaires de l'Ancien Régime, se substituait l'absolutisme populaire, pouvoir fort, redoutable, détenteur de toute autorité, exécutive, législative et judiciaire, enclin par son origine comme par sa nature à la toute-puissance. Le rejet du bicaméralisme en septembre ne fit qu'aggraver le mouvement. Ce concept d'une souveraineté unique, appartenant à la nation et s'incarnant dans une assemblée omnipotente, allait peser lourd sur la suite de la tragédie révolutionnaire. Bientôt, on verra l'assemblée réduire les pouvoirs du roi telle une peau de chagrin, voulant légiférer jusque dans le domaine religieux, au point de se prendre parfois pour un concile œcuménique! «Nous sommes une convention nationale, dira le député Camus le 3 mai 1790. Nous avons assurément le pouvoir de changer la religion, mais nous ne le ferons pas» ! Cette appropriation sans partage de la souveraineté par une assemblée élue rendait impraticable toute monarchie constitutionnelle, malgré la bonne volonté de Louis XVI, prêt pourtant, pour le bonheur de son peuple, à tenter l'expérience. Roi réformateur, ayant accepté la fin de la société d'ordres, les droits de l'homme et à peu près toutes les transformations de la société civile, il aurait pu être le meilleur roi possible pour la Révolution naissante, mais c'est elle finalement qui, par son intransigeance dogmatique, n'a pas voulu de lui.

Il est permis de penser que tous les maux ultérieurs de la Révolution, l'emballement des événements, les désordres, le déchirement des factions, le déchaînement des violences, la Terreur elle-même,trouvent leur origine dans cet acte fondateur. Une si brutale et si violente révolution juridique permet aussi de comprendre pourquoi la démocratie française sera fort différente des démocraties britannique ou américaine, sagement hérissées de contre-pouvoirs, respectueuses du droit des minorités et qui, elles, n'ont pas eu l'audace prométhéenne de placer au centre de leur réflexion politique la question quasi métaphysique de la souveraineté originelle.

La rupture radicale est souvent l'ennemie du bien commun

dimanche 16 août 2020

Les Etats Généraux vus par Jean-Christian Petitfils (2)

Les extraits qui suivent proviennent d'une contribution de l'écrivain Jean-Christian Petitfils au Livre Noir de la Révolution Française (2008). 
Il propose ici une relecture très personnelle de la convocation des Etats Généraux. 




À l'ouverture des états généraux, le 5 mai 1789, le monarque avait donc récupéré une large capacité de manœuvre. Sans doute la situation sociale était-elle devenue délicate au fil des mois. En avril, la troupe avait dû réprimer durement l'émeute Réveillon, qui avait fait tache d'huile aux faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel. On avait dénombré au moins 300 morts. On peut néanmoins penser qu'en dépit de ces troubles liés à des difficultés économiques que l'Ancien Régime connaissait régulièrement, la France, à ce moment-là, aurait pu évoluer en douceur vers un nouveau régime, conduisant à la disparition de la société d'ordres. Au vieil absolutisme monarchique se serait substituée une monarchie constitutionnelle dotée d'une représentation permanente des peuples. De là sans doute serait née progressivement une monarchie parlementaire, qui aurait maintenu dans son principe - et c'est ce qui était important pour la stabilité de l'ordre public - la souveraineté royale. C'est ce qui était advenu à l'Angleterre après sa Glorious Revolution de 1688. L'évolution vers la « modernité» s'était faite en douceur au cours du XVIIIe siècle. 
Aujourd'hui encore, en Grande-Bretagne, la reine est, en son Parlement, la « fontaine des pouvoirs ». Elle est pleinement souveraine, ce qui n'empêche pas la nation britannique d'être l'une des plus démocratiques du monde.

Pourquoi donc et comment cette marge de manœuvre dont Louis XVI disposait à l'ouverture des états généraux a-t-elle été gâchée?

Trois facteurs principaux au moins expliquent le déclenchement de la crise révolutionnaire de juin, «tragédie centrale du règne », comme l'a bien vu l'historien britannique John Hardman.

Le premier fut la singulière division du Conseil du roi et de la cour. Une large partie de l'entourage royal rejoignit le clan des partisans de l'absolutisme animé par le comte d'Artois: le groupe des Polignac, favorable au début à la modernisation de la monarchie administrative, et la reine elle-même, qui allait exercer sur son mari une influence néfaste. Tous estimaient qu'il fallait mettre un coup d'arrêt à la fermentation de l'opinion. Artois avait dit à son frère que «sa couronne était en danger, que Necker était un second Cromwell ».

Le second facteur fut le refus de Necker, à qui incombait la conduite des affaires intérieures, de proposer aux états généraux un programme détaillé de réformes. L'assemblée des députés, forte de 1 154 membres, réunie à l'hôtel des Menus-Plaisirs, se trouva ainsi livrée à elle-même, après une séance d'ouverture le 5 mai, magnifique quant au déploiement du faste monarchique, mais atone sur le plan politique et qui laissait sur leur faim les éléments les plus réformateurs. Le discours de Necker, en particulier, faisait étalage de chiffres, de technique financière, au milieu d'un flot de lieux communs, évoquait longuement la dette et le déficit, sans proposer le moindre remède. Personne ne comprit où il voulait en venir. Et ce fut tout. Des semaines furent perdues ensuite à vérifier les pouvoirs des élus, dans une vive atmosphère de tension entre les trois ordres. L'inaction engendra l'exaspération.

Le dernier facteur fut la maladie du petit dauphin, Louis Joseph Xavier, qui mourut de tuberculose à sept ans, le 4 juin. Louis et Marie-Antoinette furent accablés par ce décès, qui ne souleva pas la moindre émotion dans l'opinion. «À partir de ce jour-là, écrira la reine à son frère Léopold, le peuple est en délire et je ne cesse de dévorer mes larmes. » Les députés du tiers, qui avaient élu Bailly comme doyen - Bailly qui déclarait: «Vos fidèles communes (ainsi désignait-il, à l'image de l'Angleterre, l'assemblée particulière du tiers état) n'oublieront jamais cette alliance du trône et du peuple contre les aristocraties» -, insistèrent pour être reçus par le roi, comme l'avaient été les nobles. Sans succès. Louis, tout à sa douleur, refusa, en s'interrogeant: «N'y a-t-il pas un père parmi ces gens-là? » Les députés bretons du tiers, particulièrement hostiles à la noblesse, tous membres du club Breton, ancêtre du club des Jacobins, allèrent trouver l'ancien intendant de Bretagne, Bertrand de Molleville, et lui demandèrent eux aussi comment approcher le roi et le soutenir dans sa volonté de réformes. La délégation, une fois de plus, fut éconduite. Le garde des Sceaux Barentin, acquis à la faction du comte d'Artois, faisait barrage devant le roi, de plus en plus isolé et enfermé dans un impénétrable silence. L'autisme apathique du pouvoir, incapable de communiquer, l'irritante aboulie du roi, l'attentisme prudent de Necker créèrent un climat de malaise, d'incertitude et d'incompréhension qui allait vite dégénérer. L'image débonnaire et paternelle du monarque se brouilla sans doute dès ce moment-là. Ce fut en tout cas la vacuité du gouvernement royal qui déclencha le mouvement de 1789. Les députés des états généraux n'étaient pas à l'origine des révolutionnaires, ils allaient le devenir.

(à suivre ici)

lundi 22 juin 2020

L'inspecteur Jean Poussot, raconté par Hervé Bennezon

Dans cet ouvrage, l'historien Hervé Bennezon retrace le parcours d'un des plus efficaces inspecteurs parisiens du XVIIIè siècle.

Un travail de fourmi remarquablement documenté.


Dans sa préface, Robert Muchembled précise que Hervé Bennezon est "le premier historien à décrire l'existence et les actions d'un représentant de base de l'autorité, qui arpente inlassablement les rues de Paris... Il reste au lecteur à découvrir ce bel essai d'histoire vue d'en bas, écrit avec autant de talent que de modestie."

mardi 8 janvier 2019

La fabrique du Paris révolutionnaire, David Garrioch

L'historien Fadi El Hage propose ci-dessous une intéressante recension de l'excellent ouvrage de David Garrioch (la fabrique du Paris révolutionnaire), réédité en poche par les éditions La découverte.



Le livre en lui-même est un excellent tableau de Paris au XVIIIsiècle, en trois parties équilibrées. La première expose la situation sociale parisienne dans sa diversité, en insistant particulièrement sur les relations d’équilibre existant entre les différentes entités (nobles, bourgeois, pauvres…). Les quartiers étaient marqués par une profonde unité, si bien que « chaque quartier était comme un village » (p. 33), avec des rythmes de vie particuliers, dans une ville où migrait une population venant des différentes provinces du royaume (un tiers d’entre-elle seulement était native de Paris). Les relations de voisinage étaient un des éléments majeurs de l’existence dans la ville, y compris dans ses soubresauts.
Les distinctions sociales étaient clairement établies, ne serait-ce que par l’habitat. David Garrioch relève les rapports ambigus entre la noblesse et Paris. N’en formant que 3 % de la population, les nobles s’y établissaient pour sa proximité avec la Cour. Les plus fortunés avaient des hôtels, tandis que d’autres louaient un appartement, sans compter ceux qui s’établissaient dans la campagne proche, plus calme et où l’air était réputé meilleur. Paris semblait peu agréable, avec ses rues étroites, ses bruits, ses odeurs pestilentielles, ainsi vers le charnier des Innocents, qui obligeait les riverains à fermer leurs fenêtres pendant les chaleurs estivales.
La présence de la noblesse était pourtant essentielle à Paris. Elle établissait un lien dans la ville entre les élites sociales, les élites urbaines, l’Église et les plus pauvres qui bénéficiaient de la charité et autres bienfaits de ces personnages plus puissants.
La distinction sociale se marquait par les vêtements, Garrioch citant Daniel Roche et sa « hiérarchie des apparences » (p. 113). Or, au cours du XVIIIsiècle, celle-ci commençait à péricliter, et des non-nobles prenaient des habits chatoyants… Cette pratique n’était pas sans risque, ainsi lorsque la police arrêtait des roturiers portant une épée, ce qui constituait une usurpation d’honneur. Ces dérèglements vestimentaires ne remettaient pas en cause la hiérarchie sociale, mais à la lecture de l’ouvrage, on en tire le sentiment que cette subversion symbolique était déjà un coup porté à l’ordre établi, fondé sur « la naissance et la lignée » (p. 116).
La deuxième partie de l’ouvrage, consacrée au gouvernement urbain confronté aux mécontentements populaires, insiste sur la longue tradition des contestations des Parisiens, partant fréquemment d’une broutille pour aboutir à une émeute. L’exemple de l’attaque contre une boulangerie en introduction du chapitre 5 ne date pas de 1789 mais bel et bien de 1725. Les problèmes d’approvisionnement et de prix avaient profondément marqué le XVIIIsiècle, si bien que les réactions violentes contre les boulangeries sous la Révolution n’ont été que la continuité de celles qui se produisaient au cours des décennies précédentes. La crainte des difficultés d’approvisionnement pesait car l’accroissement de la population parisienne était inexorable.
L’ordre public était un autre enjeu majeur, et le XVIIIsiècle a été un moment de rationalisation, afin de respecter le contrat social tacite existant entre l’État (représenté par le souverain) et le peuple, qu’il est censé gouverner et nourrir justement en échange de l’obéissance, du respect et du payement des impôts. Pourtant, plusieurs difficultés sont survenues pour des questions religieuses ayant mué en enjeu politique. La querelle autour du jansénisme est devenue progressivement une lutte avec le Parlement de Paris, désireux de récupérer un pouvoir politique annihilé au cours du règne de Louis XIV, et soutenu par de nombreux Parisiens, dont la religiosité a muté. Ces contentieux ont porté préjudice à l’autorité monarchique et au prestige royal, d’autant plus que Louis XV n’avait pas incarné un modèle de piété. Son attitude avait marqué l’opinion.
 Le terme d’« opinion » incarne le mieux l’évolution mentale des Parisiens. On le retrouve de façon récurrente dans la troisième partie de l’ouvrage, au cours de laquelle nous observons les conséquences des Lumières sur Paris. De nombreux Parisiens se sont mis à réfléchir sur les événements que les différents canaux d’informations (officiels ou non) apportaient. Ils n’y étaient pas indifférents, mais l’évolution marquante est que la consignation de nouvelles n’était véritablement plus le fait d’élites éclairées. Le chapitre VII débute par la recension d’événements entre 1757 et 1774 par un tailleur parisien. L’émergence d’une « opinion » se manifestait par la naissance d’une réflexion écrite ou orale, en vers ou en prose, sur les événements appris. Les commentaires étaient exprimés au risque d’être arrêté, comme lors de l’« affaire des quatorze », récemment développée par Robert Darnton. La dénonciation du despotisme a été cependant plus tardive, après le « coup d’État » contre les Parlements en 1771.
Au même moment, Paris se transformait. La décennie 1780 a été celle de grands changements urbains, comme la fermeture du charnier des Innocents, mais aussi celle de projets impliquant de nombreuses destructions d’emblèmes du Paris médiéval. Louis XVI n’avait-il pas projeté dès 1783 de démolir la Bastille ? David Garrioch mentionne de nombreux projets qui inquiéteraient de nos jours les plus ardents défenseurs du patrimoine comme le déplacement de l’Hôtel-Dieu et de Notre-Dame, la destruction de l’Hôtel de Ville, qualifié par Voltaire de « bâtiment grossier » (p. 217) et la démolition de Saint-Germain-l’Auxerrois ! L’esprit de rationalisation des Lumières était appelé à harmoniser le centre congestionné de la ville, ce qui n’a été fait que trois quarts de siècle plus tard.
La noblesse s’établissait dans des quartiers nouvellement créés en périphérie, comme le Roule. Ce processus était synonyme d’un éloignement des élites, creusant dans l’urbanisme un fossé avec le reste du peuple. Le lien symbolique du mélange dans la ville, en dépit de quartiers et demeures strictement délimités, était mis à mal. Cette rupture n’est pas étrangère aux réactions parisiennes de 1789-1790 contre la noblesse.

samedi 21 avril 2018

Hilarion

Une belle découverte que je m'empresse de partager avec vous !
Christophe Estrada présente une qualité rare, il sait mettre son érudition au service de l'intrigue.


Automne 1776, Aix s’anime : les hommes du Parlement font leur rentrée après avoir passé les mois d’été dans leur villégiature. De Toulon, arrive la rumeur des frasques des fils de bonne famille qui servent le roi dans les Gardes Marines. Une jeunesse plus dissipée, plus insolente, plus violente… Mais les apparences sont trompeuses. Dans l’ombre du vieux palais comtal, le drame se noue. Le chevalier Hilarion, dont la réputation d’investigateur n’est plus à faire, est sollicité pour débusquer l’auteur de mises en scène autant macabres que scandaleuses. La noblesse d’Aix enterre ses morts, Hilarion poursuit ses fantômes.

lundi 4 décembre 2017

Bibliothèque Médicis, avec Arlette Farge

 

Spécialiste du XVIIIè siècle, Arlette Farge est un véritable puits de science pour tout ce qui concerne le Paris des Lumières.


 

vendredi 27 janvier 2017

Robespierre, la fabrication d'un monstre, par JC Martin (3)

Professeur d'histoire-géographie, Anne-Marie Coustou pose un regard particulièrement critique sur l'ouvrage de Jean-Clément Martin.
Voici quelques extraits de sa recension. 

 


Un révolutionnaire qui justifie les massacres

La propension de Robespierre à justifier les massacres commis par le peuple avait déjà été évoquée à propos des violences liées à la prise de la Bastille (p. 82). On les retrouve sous forme d’interrogations à propos des massacres de Septembre 1792. Après avoir cité à nouveau Manon Roland qui accuse Robespierre de les avoir « permis » par la radicalité de ses propos et après avoir affirmé que Robespierre les « justifie », l’auteur s’interroge : « La marche de la Révolution impose-t-elle de ne pas s’intéresser à la trivialité des actes qui la favorisent ? Est-ce la définition restrictive du « peuple » qui interdit toute compassion avec les « traîtres » ? Le silence sur les exactions commises et le refus de dénoncer ces actes barbares et de les considérer comme un acte de justice est un choix dont la portée ne peut être éludée. » (p. 171-172.) Ainsi, Martin interprète la célèbre formule de Robespierre « Citoyens ! Vouliez vous la Révolution sans la révolution ? » comme une justification des massacres commis par le peuple destinée à « figer les positions » à ce sujet. D’ailleurs l’auteur assimile les massacres d’août (donc les violences consécutives aux tirs des gardes suisses contre les insurgés des Tuileries le 10 août) à ceux de septembre. Il déplore donc que, par sa faute, le débat sur ces massacres n’ait pas été ouvert et affirme que « le jugement à porter sur ces tueries demeure en suspens », car, selon lui, « la naissance de la république demeure associée à cette tragédie » (p. 181). Nous retrouvons là sans surprise les thèses de Furet sur le « dérapage » de la Révolution à partir de septembre 1792, et même d’août pour Martin, dérapage porteur de violences dont il convient de faire le procès à la Révolution. En réalité, Robespierre ne « justifie » pas les massacres, il les déplore comme tous les hommes politiques contemporains, mais il refuse les manœuvres qui consistent, en prenant prétexte des violences ponctuelles commises par certains groupes, à justifier la nécessité de la répression contre les sans-culottes et le recours à des décrets limitant la liberté du peuple, ce qui équivaudrait à une contre-révolution. A propos des massacres, saluons la parution d’un ouvrage qui va à l’encontre des idées reçues, celui de Micah Alpaugh qui montre que la violence, dans les manifestations politiques du peuple de Paris, a été beaucoup plus l’exception que la règle et que le peuple a toujours privilégié les méthodes pacifiques d’intervention dans la vie politique chaque fois que cela était possible. Ouvrage salutaire qui vient mettre en porte-à-faux tous les tenants de la violence du peuple déchaîné.
 
JC Martin
Grande mutation et abandon des principes
Cependant, pour J.-C. Martin, « c’est manifestement cette expérience qui, non seulement modifie les sensibilités des contemporains, mais change aussi les positions de Robespierre. » (p. 170) C’est ainsi qu’il interprète la prise de position de Robespierre en faveur de la mort du roi de manière étrange « au nom d’une nécessité quasi-eugénique visant à débarrasser la terre d’un monstre » (p. 114), comme un « changement de logique » (p. 188) et, en quelque sorte comme une « mutation » par rapport au principe qu’il a toujours défendu du refus de la peine de mort. En effet, l’auteur s’interroge : « Pense-t-il encore que l’exécution capitale ne doit pas figurer dans le code pénal, donc que sa position en janvier 1793 n’a été que ponctuelle, liée à la circonstance exceptionnelle du procès de Louis XVI ? Rien n’est moins sûr. » (p. 189). Et l’auteur d’énumérer toute une série d’exemples où, à partir du printemps 1793, Robespierre se prononce pour la peine de mort dans les cas d’attentat contre « la sûreté générale de l’État ».
En premier lieu, il convient d’abord de préciser que Robespierre ne parle pas d’attentats contre la « sûreté de l’Etat ». Il justifie la peine de mort dans les cas de complots contre-révolutionnaires, donc des attentats contre la liberté du peuple, ce qui est fort différent de l’acception actuelle du terme de « sûreté de l’Etat ». Le 3 décembre 1792, après avoir déploré que l’Assemblée constituante a refusé sa proposition d’abolir la peine de mort, il confirme ses convictions et explique ainsi l’exception qu’il fait pour le roi : « Pour moi, j’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n’ai pour Louis ni amour ni haine : je ne hais que ses forfaits. J’ai demandé l’abolition de la peine de mort à l’assemblée que vous nommez encore constituante, et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais si vous ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux, dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer ? Oui, la peine de mort en général est un crime, et par cette raison seule que, d’après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du corps social….Un roi détrôné au sein d’une révolution…, un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée ; ni la prison ni l’exil ne peut rendre son existence indifférente au bonheur public ; et cette cruelle exception aux lois ordinaires… ne peut être imputée qu’à la nature de ses crimes (18). »
Ensuite, pour apprécier correctement ce présumé « changement de logique », il convient de rappeler le contexte qui amena l’Incorruptible à prendre de telles positions, apparemment contradictoires avec celles défendues auparavant. Rappelons qu’en mars 1793 la France dut faire face à de multiples dangers : la débâcle des armées françaises suite à la guerre de conquête impulsée par les Girondins, la menace d’invasion imminente du territoire de la République par les armées coalisées de tous les monarques européens, le soulèvement de la Vendée contre la République et la guerre civile fédéraliste allumée dans les départements par la Gironde. Face à cette situation de grand péril, les vrais défenseurs du peuple avaient-ils un autre choix pour sauver les acquis de la Révolution que d’adopter des mesures exceptionnelles ? Les principes indispensables en temps de paix pouvaient-ils s’appliquer intégralement ? Les changements relevés chez Robespierre à propos de la peine de mort ne peuvent s’appréhender qu’en tenant compte de cette situation nouvelle. En d’autres termes, ce n’est pas Robespierre qui a changé, c’est le contexte.
Comme il ne tient pas compte de ce contexte nouveau, J.-C. Martin en déduit logiquement que « la position que Robespierre adopte dorénavant sur la peine de mort semble répondre à cette mutation. Accepter de payer le prix du sang permet de s’appuyer sur la force vive des sans-culottes… » (p. 190). (...)

L’Incorruptible corrompu ?
J.-C. Martin suggère d’ailleurs que cet « abandon des principes » ne concernerait pas seulement la question de la peine de mort. Même sa probité légendaire serait également sujette à caution. Lorsque le Journal Les Révolutions de Paris accuse Robespierre d’être « un traître fréquentant la maison de la princesse de Lamballe, où il aurait trouvé l’argent pour lancer son propre journal » (le Défenseur de la Constitution), Martin estime que « la question reste posée, personne n’ayant, semble-t-il, expliqué comment Robespierre a pu ainsi abandonner un poste de magistrat pour une situation de folliculaire, soumis à une opinion et à un éditeur,… » (p. 159). Rappelons, pour éclaircir ce prétendu mystère, que, d’une part, le Défenseur de la Constitution » était financé par souscription, et que, d’autre part, le train de vie de Robespierre était très sobre car il considérait le luxe et le confort comme très accessoires.  (...)

« Accéder au pouvoir » pour « purger la société »
A propos de la journée du 10 août, dans laquelle Robespierre est pourtant supposé n’avoir joué aucun rôle, et des massacres de septembre, qu’il est censé avoir favorisés par la radicalité de ses propos, Martin tire la conclusion suivante : « Cette série de coups de force est-elle le prix à payer pour accéder au pouvoir et purger la Révolution de ses membres égoïstes et corrompus ? Sans doute » (p. 172). L’image du doctrinaire utopiste aspirant au pouvoir pour y installer un régime totalitaire se dessine. Ce thème de la « dérive totalitaire » de la Révolution en général, et de Robespierre en particulier, se précise dans le chapitre intitulé « L’idole abattue ». Dans ce chapitre, l’auteur développe des thèses très ambiguës. Le ton est donné dès l’introduction : « Après le 5 avril, tous les Conventionnels peuvent légitimement craindre de connaître le même sort » (que Danton) (p. 269). « Or, non seulement Robespierre a joué un rôle de premier plan dans cette opération, mais il semble bien vouloir continuer de mettre l’Assemblée au pas » (p. 269). Même s’il reconnaît, ainsi que l’historiographie en a maintenant fait la démonstration, que cette légende d’un Robespierre sanguinaire, obsédé par le pouvoir et désireux d’éliminer tous ses adversaires, a été forgée par ses ennemis, les Thermidoriens, dès avant sa mort, et qu’elle a été divulguée dans l’opinion pour le discréditer, l’auteur ne s’interdit pas pour autant de glisser quelques insinuations tendant à faire penser que cette volonté de s’emparer du pouvoir qui lui est prêtée ne serait pas totalement dénuée de fondement. Ainsi, à propos de la fête de l’Être suprême, affirme-t-il que les députés « craignent que Robespierre ne se transforme en grand prêtre ou en grand inquisiteur, disposant d’un pouvoir sans limites sur l’opinion et de troupes à sa solde » (p. 275) car le cérémonial a « isolé radicalement les spectateurs et figurants des pontifes, et pire, du pontife unique ». Martin se pose donc la question de savoir si Robespierre « était conscient de ce qu’il a organisé autour de sa personne » (p. 277), faisant ainsi une allusion tacite au culte de la personnalité développé dans les régimes totalitaires.
On sait pourtant que ce fantasme du « grand pontife » a été créé de toutes pièces par les Thermidoriens, qui n’ont rien négligé pour accréditer cette idée. Ces craintes supposées des députés ne sont donc que des fantasmes, très utiles pour instiller la crainte dans l’esprit des conventionnels hésitants et pour discréditer Robespierre dans l’opinion.  (...)
Robespierre

Au total, cette biographie, qui se présente comme un cheminement pas à pas dans la vie de Robespierre accompagnée d’une confrontation sélective et étriquée avec d’autres personnages ayant vécu les mêmes événements, offre des analyses parfois intéressantes mais difficilement compréhensibles pour le lecteur, en particulier pour le lecteur non averti, dans la mesure où le récit donne à voir un parcours dépourvu de toute logique intrinsèque et qui s’insère dans une histoire dont la trame n’est pas présentée, si ce n’est de manière anecdotique dans certains passages. Aucun fil conducteur ne permet donc d’appréhender le raisonnement politique de l’Incorruptible puisque ces prises de position sont présentées la plupart du temps comme relevant de tactiques politiciennes fluctuantes. On a du mal à comprendre à quel type de lecteur cet ouvrage s’adresse. Il apparaît comme trop touffu pour un lecteur néophyte qui se perdrait dans les méandres du cheminement en apparence incohérent de Robespierre sans connaître les idées maîtresses de sa pensée ni le contexte global qui a déterminé ses prises de position, puisque seul le micro-contexte du moment est parfois évoqué. Mais il semble d’un intérêt limité pour les historiens qui connaissent déjà ce contexte et qui n’y trouvent aucun élément nouveau susceptible d’enrichir la personnalité du révolutionnaire, d’autant plus que l’absence de notes montre clairement que l’auteur a renoncé à faire œuvre d’historien. Le seul auditoire visé par Martin semble en réalité être celui des « fanatiques » supposés de Robespierre qu’il présume ignorants des hésitations, des erreurs et des faiblesses de l’Incorruptible, et qu’il prétend déniaiser. D’où l’impression dominante qui ressort de cette biographie d’un Robespierre plutôt falot, suiviste et indécis, cultivant les « postures », privilégiant la tactique aux principes, mais préoccupé avant tout par son accession au pouvoir afin d’instaurer un régime d’intolérance pour purger la société de ses éléments impurs.

samedi 11 juin 2016

Xavier Martin : Voltaire Méconnu (4)


Combien furent-ils, au XVIIIème siècle, à croiser le fer avec Voltaire dans le seul espoir de se faire un nom ? On en connaît de talentueux (Rousseau) qui lancèrent leur carrière par un défi adressé au mentor des Lumières (songez à sa Lettre sur la Providence en 1756, puis au célèbre "je ne vous aime point, monsieur... je vous hais, enfin" en 1760).
D'autres, comme le journaliste Fréron, doivent leur renommée au combat qu'ils menèrent contre le prince des poètes. 
Les derniers, d'obscurs gratte-papier en quête de gloire (et le plus souvent d'une sinécure...), sont retombés dans un anonymat dont ils n'auraient jamais dû sortir. 
Tous ont du moins un point en commun : Voltaire a répondu à leur déclaration de guerre. 
Et tous, sans exception, ont été écrasés...
Le Franc de Pompignan fut de ceux-là : on sait ce qu'il advint de lui. Et reconnaissons avec le biographe Jean Orieux que dans ces moments-là, "nous le (Voltaire) voyons répondre à ses bas adversaires avec des armes aussi viles que les leurs." 
Mais cela, nous le savons déjà...

 ***

Dans son pamphlet, l'universitaire Xavier Martin évoque le sort d'un autre de ces fiers-à-bras, le dénommé Laurent Angliviel de La Beaumelle. Comme on en a déjà longuement parlé ici , on ne rappellera pas les interminables tribulations du conflit qui a opposé les deux hommes. 
La Beaumelle

Penchons-nous plutôt sur la manière dont Xavier Martin nous expose les faits.
En premier lieu, il nous présente La Beaumelle comme un jeune écrivain "talentueux" p.47 dont "les productions avaient l'indécence de lui ( à Voltaire ) faire ombrage"p.43. D'emblée, l'essayiste insinue que le philosophe se serait acharné par jalousie, afin de faire taire un auteur jugé trop brillant. Or, il n'en est rien. Qu'a écrit La Beaumelle en 1751, au moment où il arrive à Berlin ? Mes Pensées ou Qu'en dira-t-on ? , un ouvrage de réflexions "qui ne firent penser personne" selon Jean Orieux. On y trouve néanmoins le jugement qui suit : "Qu'on parcoure l'histoire ancienne et moderne , on ne trouvera point d'exemple de prince qui ait donné sept mille écus de pension à un homme de lettres , à titre d'homme de lettres. Il y a eu de plus grands poètes que Voltaire; il n'y en eut jamais de si bien récompensé, parce que le goût ne met jamais de bornes à ses récompenses. Le roi de Prusse comble de bienfaits les hommes à talents, précisément par les mêmes raisons qui engagent un petit prince d'Allemagne à combler de bienfaits un bouffon ou un nain".  
Passe encore que La Beaumelle ait été impertinent. Mais qu'il ose ensuite demander audience à l'homme qu'il venait d'injurier, ce même homme dont il sollicitait le concours, deux ans plus tôt, pour créer une collection d'ouvrages classiques à Copenhague ! Une telle audace pourrait être mise sur le compte de l'inconscience. J'y vois pour ma part la provocation parfaitement réfléchie d'un boutefeu désireux d'en découdre avec le prince des poètes. Lorsque Xavier Martin prétend que Voltaire s'est "obstiné à le poursuivre obstinément (sic...) de sa vindicte", il omet d'ailleurs de rapporter les menaces de La Beaumelle ("je le poignarderai en publiant ses crimes dont j'ai une liste assez exacte", lettre à Mme Denis en 1753).
Pour entrer dans la lumière, il lui fallait approcher du soleil Voltaire. Ses démêlés avec le poète distrayaient le public ? Eh bien, La Beaumelle allait lui en donner pour son argent !

D'abord dans Le Siècle de Louis XIV par M. de Voltaire […] nouvelle édition augmentée d'un très grand nombre de remarques, par M. de La B*** (publié sans privilège en 1753), puis dans le Commentaire sur La Henriade  (1775).
Dans ces deux rééditions, La Beaumelle s'autorise à donner des leçons de style et de grammaire au prince des poètes. Jugez-en plutôt :


 Et là, quelques autres commentaires tout aussi essentiels :
 
La suite sera à l'avenant :  
- Réponse au Supplément du Siècle de Louis XIV ( en 1754)
- Lettres de M. de La Beaumelle à M. de Voltaire (en 1763)

Voilà pour l'écrivain qualifié de "talentueux" par Xavier Martin...  

Le véritable tort de Voltaire est d'avoir donné prise à un aussi insignifiant détracteur. Car comme l'explique fort sobrement Jean Orieux : s'"il a pu pour un instant ressembler à un La Beaumelle (...) les La Beaumelle ne ressemblent jamais à un Voltaire."