dimanche 16 août 2020

Les Etats Généraux vus par Jean-Christian Petitfils (2)

Les extraits qui suivent proviennent d'une contribution de l'écrivain Jean-Christian Petitfils au Livre Noir de la Révolution Française (2008). 
Il propose ici une relecture très personnelle de la convocation des Etats Généraux. 




À l'ouverture des états généraux, le 5 mai 1789, le monarque avait donc récupéré une large capacité de manœuvre. Sans doute la situation sociale était-elle devenue délicate au fil des mois. En avril, la troupe avait dû réprimer durement l'émeute Réveillon, qui avait fait tache d'huile aux faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel. On avait dénombré au moins 300 morts. On peut néanmoins penser qu'en dépit de ces troubles liés à des difficultés économiques que l'Ancien Régime connaissait régulièrement, la France, à ce moment-là, aurait pu évoluer en douceur vers un nouveau régime, conduisant à la disparition de la société d'ordres. Au vieil absolutisme monarchique se serait substituée une monarchie constitutionnelle dotée d'une représentation permanente des peuples. De là sans doute serait née progressivement une monarchie parlementaire, qui aurait maintenu dans son principe - et c'est ce qui était important pour la stabilité de l'ordre public - la souveraineté royale. C'est ce qui était advenu à l'Angleterre après sa Glorious Revolution de 1688. L'évolution vers la « modernité» s'était faite en douceur au cours du XVIIIe siècle. 
Aujourd'hui encore, en Grande-Bretagne, la reine est, en son Parlement, la « fontaine des pouvoirs ». Elle est pleinement souveraine, ce qui n'empêche pas la nation britannique d'être l'une des plus démocratiques du monde.

Pourquoi donc et comment cette marge de manœuvre dont Louis XVI disposait à l'ouverture des états généraux a-t-elle été gâchée?

Trois facteurs principaux au moins expliquent le déclenchement de la crise révolutionnaire de juin, «tragédie centrale du règne », comme l'a bien vu l'historien britannique John Hardman.

Le premier fut la singulière division du Conseil du roi et de la cour. Une large partie de l'entourage royal rejoignit le clan des partisans de l'absolutisme animé par le comte d'Artois: le groupe des Polignac, favorable au début à la modernisation de la monarchie administrative, et la reine elle-même, qui allait exercer sur son mari une influence néfaste. Tous estimaient qu'il fallait mettre un coup d'arrêt à la fermentation de l'opinion. Artois avait dit à son frère que «sa couronne était en danger, que Necker était un second Cromwell ».

Le second facteur fut le refus de Necker, à qui incombait la conduite des affaires intérieures, de proposer aux états généraux un programme détaillé de réformes. L'assemblée des députés, forte de 1 154 membres, réunie à l'hôtel des Menus-Plaisirs, se trouva ainsi livrée à elle-même, après une séance d'ouverture le 5 mai, magnifique quant au déploiement du faste monarchique, mais atone sur le plan politique et qui laissait sur leur faim les éléments les plus réformateurs. Le discours de Necker, en particulier, faisait étalage de chiffres, de technique financière, au milieu d'un flot de lieux communs, évoquait longuement la dette et le déficit, sans proposer le moindre remède. Personne ne comprit où il voulait en venir. Et ce fut tout. Des semaines furent perdues ensuite à vérifier les pouvoirs des élus, dans une vive atmosphère de tension entre les trois ordres. L'inaction engendra l'exaspération.

Le dernier facteur fut la maladie du petit dauphin, Louis Joseph Xavier, qui mourut de tuberculose à sept ans, le 4 juin. Louis et Marie-Antoinette furent accablés par ce décès, qui ne souleva pas la moindre émotion dans l'opinion. «À partir de ce jour-là, écrira la reine à son frère Léopold, le peuple est en délire et je ne cesse de dévorer mes larmes. » Les députés du tiers, qui avaient élu Bailly comme doyen - Bailly qui déclarait: «Vos fidèles communes (ainsi désignait-il, à l'image de l'Angleterre, l'assemblée particulière du tiers état) n'oublieront jamais cette alliance du trône et du peuple contre les aristocraties» -, insistèrent pour être reçus par le roi, comme l'avaient été les nobles. Sans succès. Louis, tout à sa douleur, refusa, en s'interrogeant: «N'y a-t-il pas un père parmi ces gens-là? » Les députés bretons du tiers, particulièrement hostiles à la noblesse, tous membres du club Breton, ancêtre du club des Jacobins, allèrent trouver l'ancien intendant de Bretagne, Bertrand de Molleville, et lui demandèrent eux aussi comment approcher le roi et le soutenir dans sa volonté de réformes. La délégation, une fois de plus, fut éconduite. Le garde des Sceaux Barentin, acquis à la faction du comte d'Artois, faisait barrage devant le roi, de plus en plus isolé et enfermé dans un impénétrable silence. L'autisme apathique du pouvoir, incapable de communiquer, l'irritante aboulie du roi, l'attentisme prudent de Necker créèrent un climat de malaise, d'incertitude et d'incompréhension qui allait vite dégénérer. L'image débonnaire et paternelle du monarque se brouilla sans doute dès ce moment-là. Ce fut en tout cas la vacuité du gouvernement royal qui déclencha le mouvement de 1789. Les députés des états généraux n'étaient pas à l'origine des révolutionnaires, ils allaient le devenir.

(à suivre ici)

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