mardi 29 juin 2010

Justifications


Pourquoi écrire sur Rousseau alors que tant de biographes et de critiques ont déjà scruté jusque dans le moindre détail toutes les facettes de l'homme et du personnage ? D'ailleurs, lui-même s'était déjà longuement "ausculté" dans les Confessions et les Rêveries, allant jusqu'à révéler ses déviances sexuelles. J'ai même souvenir d'une enseignante de lettres qui affirmait d'un ton péremptoire : "On se moque de connaître l'homme, comprendre son oeuvre est suffisant."
Et c'est là que le bât blesse, selon moi, dans cette erreur d'aiguillage... Car à mes yeux toute l'oeuvre de Rousseau est comprise dans son existence, annoncée par elle comme un prolongement logique de ce qu'il fut ou de ce qu'il voulait paraître. Ignorer l'homme, c'est donc s'interdire définitivement l'accès à l'oeuvre.
Certains l'ont évidemment perçu. Mais en se fondant sur les écrits autobiographiques pour définir l'individu, ils ont là encore suivi une démarche bien hasardeuse. Car Rousseau le reconnaît lui-même : il s'est souvent peint "de profil" dans ses Confessions, omettant certains détails, déformant des faits, en inventant certains pour combler les vides.
Quelques-uns, plus rares, se sont penchés sur l'homme, sa personnalité et son existence.
Dans La Transparence et l'Obstacle, Starobinski tente avec succès de cerner les failles psychologiques du Genevois pour comprendre la démarche de l'auteur. Henri Guillemin a quant à lui reconstitué les événements survenus à l'Ermitage en 1756/1757, qui expliquent toute la production ultérieure de Rousseau.
Je remonterais pour ma part un peu plus loin dans le temps, à ce jour d'octobre 1749 où Rousseau se rend à pied jusqu'à la prison de Vincennes pour voir son ami Diderot. Ce jour où il décide de répondre à ce sujet de concours littéraire, imaginé par l'Académie de Dijon : "si le rétablissement des Sciences et des Arts a contribué à épurer les moeurs". Ce jour où il est devenu écrivain, en somme.
Il n'existe que deux récits de cette journée : ceux de Rousseau et de Diderot. Evidemment, ils se contredisent...

samedi 26 juin 2010

Tergiversations...


Le fait est là : je n'ai guère d'imagination. Du moins, force est de reconnaître que je ne parviens pas à échafauder une trame ex nihilo. D'où la documentation, les témoignages, les voyages également... C'est dans ce terreau que je suis contraint de puiser, non seulement pour respecter les faits historiques, mais surtout pour développer mon intrigue et concevoir mes personnages.
Pour l'Elysée de Sophie d'Houdetot, je me suis inspiré de la Nouvelle Héloïse ( Rousseau, lui, s'était vraisemblablement inspiré du jardin de Mme d'Houdetot... ) ; pour les scènes qui se déroulent à la Chevrette, je dois beaucoup à M. Bourlet et à son ouvrage sur le "Versailles deuillois". Les Confessions ont évidemment constitué un fonds incontournable.
Faisons un autre aveu : accumuler une telle documentation permet également de retarder le passage à l'écriture. On se donne une excuse pour ne pas s'y mettre, en somme. Et on se ment à soi-même comme aux autres... D'ailleurs, le moment venu, que faire de cette somme d'informations ? Certains les "plaquent" de manière artificielle dans leurs ouvrages, sacrifiant la fluidité de l'intrigue à leur volonté de didactisme ( lisez JF Parot et son cycle Nicolas Le Floch). Mais après tout, pourquoi diable aurais-je mené ces recherches sur le système d'éclairage au XVIIIème, sur les réverbères à huile ou à gaz, les fontaines parisiennes, les cris des marchands ambulants, les circuits des chaises de poste, la localisation des salons parisiens, la numérotation des rues... Oui, pourquoi, si ce n'est pour que cela apparaisse dans le roman ? L'autre question s'impose alors : doit-on être vrai à tout prix ou bien peut-on se contenter de paraître vrai (le fameux effet de réel des auteurs réalistes du XIXème) ? Dès lors qu'on écrit un ouvrage dit historique, a-t-on le droit de déformer les faits, et si oui, jusqu'à quel point ? L'appellation roman, qu'on appose en couverture, excuse-t-elle vraiment toutes les petites falsifications auxquelles on se livre inévitablement ? Dans HHhH, Laurent Binet fait de ces interrogations l'un des sujets centraux de son livre. Et c'est un coup de génie que je lui envie...

mercredi 23 juin 2010

Le château de la Chevrette

Ce château n'existe plus. Je l'ai pourtant visité bien des fois. La nuit, alors que je m'endormais...
Rendons hommage tout d'abord à Michel Bourlet et à son ouvrage "les grandes heures du château de la Chevrette". L'auteur y reproduit l'état des lieux effectué par les experts chargés de la succession de M. d'Epinay. On y découvre dans les détails un domaine de 37 hectares, un château de 50 mètres de façade, la distribution des pièces, étage par étage... C'est dans cette demeure située à Deuil, au nord de Paris, que les d'Epinay venaient passer la belle saison. C'est ici que Louise accueillit Jean-Jacques en 1756. Elle l'installa dans son "Ermitage", en bordure de la forêt de Montmorency. Les deux ailes extérieures (en retrait sur l'illustration) étaient affectées aux appartements privés : d'un côté, ceux de M. d'Epinay ; de l'autre, ceux de Louise et de son amant Grimm. J'imagine combien cette situation peut sembler inconcevable à bon nombre d'entre vous. Il faut toutefois imaginer qu'à cette époque, la fidélité au conjoint, loin d'être une vertu, vous laissait plutôt une réputation de "ridicule", notamment dans le milieu aristocratique. L'idéal actuel du couple uni par le sentiment amoureux ne s'est imposé qu'au cours du XVIIIème siècle, en premier lieu chez les bourgeois.
Pour en revenir au château, il fut détruit peu avant la Révolution, pour des raisons demeurées obscures. C'est ainsi que disparut dans sa quasi totalité ce domaine que certains surnommaient le Versailles deuillois.

lundi 21 juin 2010

Genèse

Pour satisfaire ma curiosité, je me suis jeté sur tous les ouvrages susceptibles de répondre à mes interrogations. Citons pêle-mêle Starobinski ("la transparence et l'obstacle"), Trousson ("Rousseau"), Guillemin ("un homme, deux ombres", "cette affaire infernale"), Mély ("Rousseau, un intellectuel en rupture"), Guéhenno ("Rousseau, histoire d'une conscience") ; d'autres, moins récents : Auguste Rey ("Rousseau dans la vallée de Montmorency"), Guyot ("Plaidoyer pour Thérèse Levasseur"), Louise d'Epinay ("les contre-confessions") ; et d'autres encore, qu'il serait fastidieux d'énumérer ici, d'autant que je n'en ai guère tenu compte. La correspondance complète de Rousseau s'est évidemment avérée indispensable, tout comme les "Confessions".
Peu à peu, les contours du projet commençaient à se dessiner. L'enjeu, également : proposer, dans le cadre du roman, un regard sur la naissance du "personnage" Rousseau. Le tout, en respectant les faits connus, les lieux, les personnages et la chronologie...
Contrairement à bon nombre de ses biographes, je n'ai pas cherché d'explications dans l'enfance du Genevois, ni d'ailleurs dans ses années d'errance. A mes yeux, seul compte le séjour parisien, et plus encore la période qui fait suite à l'"illumination" de Vincennes fin 1749.
De cela, il faudra peut-être parler plus tard...
Car, étrangement, "La Comédie des Masques" débute en 1756, alors que Rousseau s'apprête à quitter Paris pour s'installer à l'Ermitage de Montmorency, chez son amie Louise d'Epinay.
De cela aussi, il faudra que je m'explique.

dimanche 20 juin 2010

A l'origine

Pourquoi Rousseau ? me demande-t-on souvent, au détour de la conversation
Oui, pourquoi cette passion, née il y a près de vingt ans, alors que je somnolais sur un banc de la fac de lettres, pendant que notre professeur de littérature essayait en vain de nous intéresser aux Confessions ?
Ce soir-là, pourtant, quelque chose s'est passé. Je me souviens presque des mots : "En 1756, après des années d'efforts pour parvenir, Rousseau arrive à ses fins et accède à la célébrité. C'est ce moment qu'il choisit pour rompre avec Paris, avec ses amis philosophes, avec les milieux mondains, et qu'il s'en éloigne définitivement. Personne n'a jamais su expliquer pourquoi..."
Oui, ce soir-là, ma curiosité s'est éveillée. Elle ne m'a plus quitté depuis.
Pour la satisfaire, je me suis tourné vers les exégètes : Starobinski, Trousson, Guillemin, Lejeune, Eigeldinger ; puis, vers les psychanalystes, les médecins ; enfin, vers Rousseau lui-même, en me replongeant dans les Confessions, la Nouvelle Héloïse, les Discours, la correspondance...
En lieu et place des réponses que j'attendais naïvement, ces lectures ont fait surgir d'autres interrogations.
Encore et encore...
J'ai voulu me rendre sur place, découvrir les lieux, marcher sur les pas du philosophe genevois.
J'en suis revenu émerveillé, mais toujours aussi incertain.
Un temps, j'ai même renoncé.
J'avais tort.
Il fallait que j'écrive, que je le reconstruise, que je lui redonne vie.
Tel que je l'imagine. Tel qu'il fut peut-être...
C'est ainsi qu'est né le projet de ce cycle romanesque. Aujourd'hui, le premier volume est achevé. Les éditions Télémaque le publieront courant 2010.