vendredi 10 décembre 2010

Les Confessions (1) : le plaisir de la fessée...

Pour mon grand malheur, je n'ai jamais pu prêter foi au récit d'enfance proposé par Rousseau dans les premiers livres des Confessions. Contrairement à certains biographes, je n'ai d'ailleurs jamais cherché à prendre appui sur cette autobiographie pour retracer le parcours du philosophe genevois. Car comment un écrivain âgé de plus de cinquante ans pourrait-il se remémorer les faits marquants de ses jeunes années, alors qu'il ne dispose d'aucune pièce, d'aucun document, en dehors de ses quelques souvenirs ?

Prenons un exemple, peut-être l'un des plus célèbres du livre premier des Confessions : la fessée administrée par Mlle Lambercier au petit Jean-Jacques. Que nous dit Rousseau ? 

"Qui croirait que ce châtiment d'enfant reçu à huit ans... a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie?... En même temps que mes sens furent allumés, mes désirs prirent si bien le change, que, bornés à ce que j'avais éprouvé, ils ne s'avisèrent point de trouver autre chose... Même après l'âge nubile, ce goût bizarre...m'a conservé les moeurs honnêtes... Dans mes érotiques fureurs...j'empruntais imaginairement le secours de l'autre sexe, sans penser jamais qu'il fût propre à nul autre usage qu'à celui que je brûlais d'en tirer... Mon ancien goût d'enfant...m'a toujours rendu très peu entreprenant près des femmes... N'osant jamais déclarer mon goût, je l'amusais du moins par des rapports qui m'en conservaient l'idée. Etre aux genoux d'une maîtresse impérieuse, obéir à ses ordres... étaient pour moi de très douces jouissances..."

Peu nous importe que cette scène ait réellement eu lieu. Ce qui compte, c'est le lien de causalité qu'établit systématiquement Rousseau (l'écrivain) entre les épisodes de son enfance et l'homme qu'il prétend être devenu. Or, que nous dit-il ici ? Que cette fessée a déterminé sa sexualité à venir, qu'elle lui a conservé des "moeurs honnêtes" jusqu'à un âge avancé. Que, même adulte, il n'a jamais rêvé d'autre chose que d'être dominé et soumis à une femme. Certains psychologues ont voulu y voir du masochisme. Là encore, cela ne présente que peu d'intérêt, dès lors qu'il nous avoue ce penchant. 

Pour ma part, (et c'est là mon "malheur"...), je continue de m'interroger sur les raisons de cet aveu et j'y vois plusieurs explications possibles.
-Rousseau cherche à couper l'herbe sous le pied à ceux de ses contemporains qui l'accusent d'être un "débauché", un "séducteur", voire un propagateur de maladies (relisez le Sentiment des Citoyens, écrit par Voltaire)
-En faisant cet aveu, il prouve au lecteur qu'il est capable de tout dire, même le plus honteux. Dès lors, on ne peut que croire en sa sincérité la plus totale. Pourquoi cacherait-il quelque chose puisqu'il se met à nu ?
-Ce récit bat en brèche une autre rumeur qui court dans Paris à son propos : Rousseau serait impuissant, ce qui expliquerait son peu d'empressement auprès des femmes. Or, ici, cette anecdote expliquerait les véritables raisons de ce comportement peu "viril"...
-Ce récit accrédite enfin la thèse d'un Rousseau différent de ses contemporains, incompréhensible pour eux, mais authentique. Non, il n'a pas jamais joué de rôle, ce n'est pas un de ces bateleurs de foire qui cherchent à se singulariser. D'ailleurs, toutes les facettes de son caractère se trouvent expliquées par son enfance, ce que prouve cet épisode.

Comme vous le constatez, les premiers livres de cette autobiographie offrent une richesse interprétative quasiment inégalée. Et dans le même temps, elle plonge le passionné dans un abîme de perplexité...



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