lundi 13 décembre 2010

Les Confessions (3) : Rousseau et Paris

Au livre IV des Confessions, Rousseau raconte son entrée à Paris, alors qu'il est âgé de 18 ans à peine : 
" Combien l'abord de Paris démentit l'idée que j'en avais ! La décoration extérieure que j'avais vue à Turin, la beauté des rues, la symétrie et l'alignement des maisons me faisaient chercher à Paris autre chose encore. (...) En entrant par le faubourg Saint-Marceau, je ne vis que de petites rues sales et puantes, de vilaines maisons noires, l'air de la malpropreté, de la pauvreté, des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses, des crieuses de tisanes et de vieux chapeaux."

Bon, Paris pue ; Paris est sale ; Paris est une ville bruyante et insupportable pour qui aime le calme. Tout cela, depuis Le Parfum de Süskind, nous le savions déjà.

Le souci, c'est que Jean-Jacques va y demeurer plus de vingt ans, sans que personne ne l'y contraigne d'une façon ou d'une autre. Lorsqu'il regagne Genève (en 1754), sa ville natale, malgré ses nombreuses déclarations d'intentions, on sent bien chez lui ce désir de revenir vers la lumière et les fastes parisiens.
Attirance et répulsion, voilà le lien complexe qui unit Rousseau à Paris. Durant ses premières années, il fréquente pourtant les salons en vogue, ceux de Mme du Deffand, de Mlle Quinault... Il est présent tous les soirs, comme les autres, à se montrer, à vouloir se faire remarquer. Hélas pour lui, il ne parvient pas à briller. Il passe même à ce point inaperçu que Mme Dupin, qui l'emploie comme secrétaire, lui donnera systématiquement congé les soirs où elle reçoit ses invités. Voilà les premières années parisiennes de Jean-Jacques : celle d'un parasite comme tant d'autres. Son système de notation musicale n'ayant connu aucun succès, il espère se faire valoir pas la musique (les Muses galantes) ou même la comédie (Narcisse). En vain. Les échecs se multiplient, et à la fin des années 1740, Rousseau se résigne presque à renoncer à ses rêves de gloire. "Je crois m'apercevoir chaque jour que c'est le hasard seul qui règle ma destinée...", écrit-il à Mme de Warens en 1748. Il faudra le succès du Discours sur les Sciences et les Arts (en 1750) pour que Rousseau accède enfin au rang des hommes qui comptent dans l'opinion parisienne.
C'est à partir de cette date, lorsque naissent les polémiques autour de ce même discours, lorsque Jean-Jacques devient célèbre, qu'apparaissent sous la plume les premières critiques sur Paris et la vie qu'on y mène. Dans le même temps, ses amis s'amusent de ce personnage devenu soudainement bourru, sauvage, de ce Diogène qu'ils connaissent trop bien pour le croire authentique. Et toute la question est là : lorsqu'il rompt avec Paris, Rousseau prétend redevenir lui-même. Alors qu'aux yeux des philosophes, s'il quitte Paris, c'est uniquement pour asseoir son nouveau personnage et convaincre l'opinion qu'il ne joue pas un rôle. 
J'achèverai cet article par ces propos de Grimm, extraits de sa Correspondance Littéraire : "Le rôle de la singularité réussit toujours à qui a le courage et la patience de le jouer." Vous l'aurez compris, c'est de son ancien ami Rousseau qu'il parle en ces termes...


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