Le tremblement de terre de Lisbonne raconté par deux mémorialistes du XVIIIè siècle.
Lisbonne, novembre 1755 |
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Extrait des Mémoires du Marquis d'Argenson
20 novembre— On a eu hier une nouvelle affreuse. La ville
de Lisbonne a été abîmée soudainement par un tremblement de terre, et ce qui a
échappé à ce météore était en proie aux flammes au départ du courrier. Ainsi
brûlèrent jadis Sodome et Gomorrhe ; cela en rappelle l'image. Mais quelle
nation est sans péché ? Ceux qui viennent de la fausseté du cœur sont les plus
grands. L'hypocrisie, la fourberie, l'orgueil, accablent plus les Espagnes que
les autres pays. Encore l'Italie est-elle plus excusable par la servitude. Mais
combien déplaît à Dieu cette humeur hautaine des prêtres, leur orgueil et leur
avarice, qui les ont portés à tromper ces pauvres chrétiens par l'inquisition
et par leur magnificence? Quoi! un Dieu pauvre, un Dieu doux, voilà comme on le
sert!
Dans ces pays catholiques, l'amour vénal partout, les
pucelages achetés des parents, la vérole sans soin de la guérir, le pauvre
livré à la vermine, etc. On peut douter que les trois villes hébraïques du
temps de Loth fussent aussi coupables que celle-ci.
Le roi et la reine ont été épargnés;
ils étaient à leur maison de Bélem. Les églises abîmées, les palais, les
ministères portugais et étrangers, que de richesses perdues! Nous craignons
aussi bien des banqueroutes pour nos connaissances. Les Anglais y font de
grosses pertes.
— Il y a quelques jours, il passa un
globe de feu tout près de Paris, et qui pouvait le brûler. M. Cassini annonça
au roi le tremblement de terre du 1er novembre (à Lisbonne), disant qu'il
devait v avoir un grand mouvement sur la terre, ce qu'il avait reconnu à
l'agitation du pendule de l'Observatoire.
Oh ! que la puissance publique a bien
peu de principes philosophiques et politiques ! Quel heureux malheur que la
destruction d'une grande ville ! Pourquoi des villes ? Pour la mollesse,
pour le luxe, pour l'orgueil, pour l'agio. Que
22 novembre 1755. — La secousse à
Madrid a duré sept minutes. Le roi étoit à l'Escurial; il est venu à Madrid, et
a passé la nuit aux environs de cette ville sous une tente. L'église de Séville
a été fendue en deux.
2 décembre. — Le tremblement de
terre de Lisbonne s'est fait sentir en Hollande, et jusqu'au Groenland. Un
vaisseau a péri à 150 lieues en mer. La ville de Porto est submergée.
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Le 1er de ce mois de novembre, événement terrible dans la
nature, embarrassant pour les physiciens et humiliant pour les théologiens. Il
y a eu dans la ville même de Lisbonne, capitale de Portugal, bâtie sur le bord
du fleuve du Tage, port de mer considérable, un tremblement de terre des plus
violents, qui a duré huit ou dix minutes dans toute sa force. Les eaux du
fleuve se sont élevées au-dessus des maisons. La terre s'est ouverte, et la
belle partie de la ville sur le bord du Tage, le palais du Roi, les hôtels, les
maisons des plus gros banquiers ont été renversés, écroulés, engloutis, et il
est dit dans la Gazette de France
que, pendant ce désastre du côté du port, le feu était dans l'autre partie de
la ville, apparemment par un volcan. On ne sait encore des nouvelles de ce
malheur que par un courrier qui est parti sur-le-champ. Le Roi et toute la
famille royale étoient heureusement aux environs de la ville dans une maison de
plaisance, qui ont été, dit-on, vingt-quatre heures sans avoir de quoi manger.
On comptait déjà plus de cinquante mille personnes de péries (…). Le Tage a été
tellement gonflé et élevé, qu'à cent lieues de là il était grossi de dix pieds.
Il se fait un très gros commerce à Lisbonne. Le port est toujours rempli de
vaisseaux. Ou dit que les Anglais perdent cinquante millions. La France perd
aussi considérablement. Ce n'est pas tout ; cette secousse de la terre s'est
fait sentir en même temps en Espagne, à Madrid et dans plusieurs villes
principales. Le roi d'Espagne est sorti de sa maison de l'Escurial et a couché
dans les champs, sous des tentes, ainsi que le peuple de Madrid ; la ville de
Cadix a pensé être submergée. Les eaux ont renversé une chaussée et enlevé plus
de deux cents personnes qui passaient dessus en voiture ou autrement. On dit
même que ce tremblement s'est fait sentir à Rayonne et à Bordeaux. Ou n'a
encore que des nouvelles imparfaites de ce désastre par quelques lettres et par
la Gazette de France du 22 de ce mois; il y en aura apparemment une relation
circonstanciée, quand on en sera mieux instruit.
Gazette de France du 22 novembre 1755 |
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