dimanche 30 août 2015

L'intrigue au bordel, anonyme (4)

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Scène 8
ST-ELME, GODICHON

Godichon
On n’est pas plus aimable

St-Elme
Et la demoiselle

Godichon
Ravissante ! ô mon ami quelle connaissance.

St-Elme
Tu ne te figure pas tout ce que tu y gagneras. Mais, à propos, tu ne m’as pas encore parlé des belles de ton canton, comment les gouvernes-tu ?

Godichon
Dis donc, comment elles me gouvernent.

Air : Mon père était pot
A l’une, si je fais la cour,
Finissez, malhonnête.
A l’autre, parlais-je d’amour,
Vous êtes une bête.
Puis ce sont des cris,
Des airs de mépris,
Sitôt que je les touche.

St-Elme
Nigaud

Brave leur dépit
C’est avec un vit,
Qu’on leur ferme la bouche.
Ainsi donc, tu gardes ton pucelage.

Godichon
Hélas !

St-Elme
A vingt-cinq ans, un grand garçon comme toi, n’as-tu pas de honte… Mais, à quoi t’occupais-tu donc dans ton village ?

Godichon

Air : au point du jour
Au point du jour,
Je me branlais pour célébrer l’aurore.
Avec mes cinq doigts tour à tour,
Du soir, j’attendais le retour.
Souvent je me branlais encore
Au point du jour ! (bis)

St-Elme
Grand couillon ! laisse-moi faire je te stilerai… Cours les filles, le pince-cul, la roulette. Lance-toi dans un société honnête, perds ton argent, gagne la vérole, baise-moi toutes les garces à couillons rabattus, imite-moi. Je secoue le préjugé, je me fous du censeur. Vive le con, vive le cul !  (…)


Scène 9
LA MERE L’EVEQUE, JAMBE-DE-COQ

Jambe-de-coq
Ma petite mère, comment tu me refuseras !

La mère l’évêque
Allez, vous n’entrerez pas

Jambe-de-coq
Un coup de poignet seulement, qu’est-ce que cela te coûte.

La mère l’évêque
Allez vous faire foutre, vous dis-je

Jambe-de-coq

Air : de la soirée orageuse
J’ai fait preuves au champ d’honneur ;
Chez toi, je peux entrer en lice.

La mère l’évêque
Je ne crois pas en ta valeur,
Tu n’es plus bon pour le service.
Que l’état s’acquitte envers toi,
C’est à lui de payer ses dettes ;
Mais aux invalides, chez moi
Je n’accorde pas de retraites.

Allez, circule, vieux bougre.

Jambe-de-coq
De grâce.

La mère l’évêque
Allons, roule, te dis-je.

Scène 10
LES PRECEDENTS, LEONORE, accourant

La mère l’évêque
Encore un oignon, je parie.

Léonore
Ah ! mon Dieu ! je ne sais où j’en suis ; l’officier qui vient d’entrer fait un bouzin horrible ; il a arraché la moitié des poils du cul de cette pauvre Justine.

La mère l’évêque
Comment ? Justine !

Léonore
Je ne sais pas qui lui a dit qu’elle a la vérole.

La mère l’évêque
Mais ce n’est pas Justine que je lui avais donnée ; quand je disais qu’il y avait de l’oignon… ma présence est nécessaire. Quant à toi, l’ancien, rest là si tu veux, tu pourras nous être utile en cas de malheur.

Jambe-de-coq, amoureusement
Tu ne veux donc pas absolument.

La mère l’évêque
Allons donc tu me scies. (elles sortent)

(à suivre ici)

jeudi 27 août 2015

L'intrigue au bordel, anonyme (3)



Scène VI

LES PRECEDENTS, GODICHON



Godichon

Le maraud ! quelle impudence ! oser me jouer de la sorte !



(il aperçoit la mère l’évêque et salue profondément)



St-Elme

Permettez-moi, madame, de vous présenter le jeune homme qui…



Godichon, salue derechef

Oui, madame, c’est moi qui suis le jeune homme qui…



St-Elme

Qui vient d’éprouver l’aventure la plus désolante.



Godichon

Un tour pendable, et dont je me vengerais bien si j’osais.



La mère l’évêque

Quelle est donc cette aventure ? Je mérite d’en être instruite, de grâce…



Godichon

Madame, en vérité…



La mère l’évêque

Je vous en supplie



Godichon

Certainement que…



St-Elme

Eh ! que de simagrées, vien donc au fait.



Godichon

Il est bon de vous dire, que j’étais descendu dans ce café que l’on trouve…



St-Elme

Nous le connaissons, continue.



Godichon

Air : Monseigneur d’Orléans, de Vadé

Or, voici le cas ;

Ne m’interrompez pas.

Vous allez voir

Quel fut mon désespoir ;

Je m’entends appeler, fort bien,

Je me lève et n’entends plus rien.

Je me rassieds aussitôt,

L’on m’appelle, et je reste sot.

Ai-je perdu la cervelle,

Me prend-on pour un nigaud ?

- Monsieur Godichon !

Parbleu, c’est bien mon nom.

Je réponds soudain, qui m’appelle ?

- Monsieur Godichon !

- Eh bien ! que me veut-on ?

- Vite, au perron,

Votre oncle de Dijon,

Vous apporte un dindon.

C’est bon.

J’y monte et cours, j’attends,

Je demande à tous les passants .

Par trois fois, je monte et descends,

Tout près d’en perdre le bon sens.

Enfin le maître du café,

Me voyant le sang échauffé,

Me dit, c’est assez mon garçon.

Moi, je le reconnais au son ;

Lui seul était l’oncle de Dijon,

Et moi j’étais le dindon.




Scène VII

LES PRECEDENTS, FLORE



Flore, courant

A quoi vous amusez-vous donc là ?



La mère l’évêque

Va donc te faire f…



Godichon, à voix basse à St-Elme

Quelle est cette charmante personne ?



St-Elme, en confidence

L’une des filles de la maison.



Flore

Mais venez donc, on ne peut pas jouir de Victoire, elle ne veut pas marcher.



St-Elme

Quelle est donc cette victoire ?



La mère l’évêque, bas à son oreille

Une petite connasse (haut) Une parente (bas) pucelage à vendre.



St-Elme

En vérité !... Je serais enchanté de faire connaissance avec elle.

(il met deux louis dans la main de la mère l’évêque)



La mère l’évêque

Adjugé. Monsieur, je lui procurerai cet honneur. Les soins de ma maison m’appellent, mais je ne vous dis pas adieu.



St-Elme, bas

N’oublie pas la vérole.



La mère l’évêque, bas

Je vais la mettre de côté dans ce cabinet. (haut) Messieurs, au revoir.



St-Elme

A l’avantage. (la mère l’évêque et St-Elme sortent)


mardi 25 août 2015

L'intrigue au bordel, anonyme (2)

 

LA MERE L’EVEQUE, seule



Qu’on dise après cela que je n’ai pas de mal. Oh ! nous autres maquerelles, nous ne gagnons l’argent qu’à la sueur de notre corps ; il est vrai que je puis me vanter d’exercer avec honneur. J’ai blanchi dans le foutre… trente-six ans de galerie ! à combien de gens aussi ne suis-je pas utile. Que de services n’ai-je pas rendus à l’humanité !



Air : j’ai perdu mon âme



Dans toutes les rues,

Filles sont perdues.

Moi, je viens à leurs secours,

Et je retrouve toujours

Des filles perdues (bis)



Cette petite Victoire, par exemple, que je rencontrai hier, rue Tire-Boudin, s’enfuyait de la maison paternelle ; sa mère la retenait trop sévèrement. Je lui trouve un minois chiffonné, de la taille, une espèce de gorge, et je l’adopte : aussi quelle cruauté a une mère de vouloir enfermer sa fille ; une brodeuse de quinze ans !



Air : de la Gravotte de Madame Gardel

Je vous comprends toujours bien



Mesdames, pourquoi ces verroux,

Pour garder l’honneur de vos filles ;

L’amour ne sait-il pas sans vous,

Se glisser au travers des grilles.

Malgré le soin de leurs mamans,

Combien de couseuses gentilles,

Plus d’une fois par leurs amants

Se font enfiler leurs aiguilles.




Scène 5

LA MERE L’EVEQUE, ST-ELME



St Elme, il entre en riant aux éclats

Ah ! ah ! ah ! qu’il est précieux, ah ! ah !



La mère l’évêque

Quelle gaîté ?



St-Elme

On n’est pas plus aimable, ah ! ah !



La mère l’évêque

De qui parles-tu donc



St-Elme

D’un sot que je viens de berner. Ah ! ah !



La mère l’évêque

Oh ! ma bonne, il faut m’expliquer cela.



St-Elme

Unique. Ah ! ah !



La mère l’évêque

Mais enfin, dis-moi de quoi il s’agit.



St-Elme

Figure-toi donc un individu bien sec, bien long, tourné à l’avenant, bas de soie chinés, large cravate, habit serin à côtes et chapeau en pain de sucre, une badine à la main.



La mère l’évêque

Quel signalement !



St-Elme

Ce gracieux personnage, fraîchement descendu du coche d’Auxerre, et à qui je viens de faire mettre pied à terre au café Bovel.



La mère l’évêque

Je devine le reste.



St-Elme

Un moment, ce que tu ne devines pas, c’est que je transplante ledit individu au milieu de ton bordel.



La mère l’évêque

Belle pratique ! et que veux-tu que j’en fasse ?



St-Elme

A discrétion. Au surplus tu peux être tranquille, je paie pour lui.



La mère l’évêque

Soit.



St-Elme

Tu te doutes bien cependant que pour mon argent je veux m’amuser. Le nigaud s’étaie de ma personne pour se présenter dans le monde et se lancer dans la bonne société ; moi qui désire répondre à sa confiance, je l’introduis au bordel. Il vient à l’insu de son père passer ses vacances à Paris, je le conduis dans ces lieux ; tu es une veuve de condition, tu vis de ton bien, tu as de grandes filles à marier ; ton hôtel est le rendez-vous des personnages de la capitale, conduis-toi en conséquence.



La mère l’évêque

Oh ! voilà bien de la couillonnade



St-Elme

Foutre ! avec de pareils propos, adieu la femme de qualité.



La mère l’évêque

N’importe, je m’en fous ; je vais tâcher de parler proprement, nous disons donc ?



St-Elme

Que tu dois traiter mon ami comme un jeune homme à bone fortune.



La mère l’évêque

Fort bien



St-Elme

A qui l’une de tes salopes, sous le nom de demoiselle de la maison, prodiguera les plus douces faveurs.



La mère l’évêque

Justine… une coulante depuis six mois.



St-Elme

Excellente idée, tu donnes dans mon plan



La mère l’évêque

Il veut faire son entrée dans le monde, oh ! comme je vais l’avancer, écoute



Air : de l’enfantine



Nous commencerons l’ouvrage

Par lui donner un poulain (1).

C’est le moyen le plus sage

Pour bien faire son chemin.



St-Elme

A merveille !



Pour compléter l’équipage,

Nous pourrons lui faire hommage

D’un chancre pour son voyage…

Va, s’il passe par ma main,

La vérole est son partage.

Nous le mènerons bon train !

Quel délice !

Puis soudain

La chaude-pisse

Le farcin,

Boutons malins,

Porreux bénins

Aux Capucins

Le conduiront enfin. (…)   

(à suivre ici)

(1) bubon syphilitique

lundi 24 août 2015

L'intrigue au bordel, anonyme (1)

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Scène première

Flore. Elle entre en fredonnant l’air suivant

Air : à l’ombre d’un vieux chêne

Les couilles de mon père
Sont pendues au plancher
Ma mère se désespère
De les voir s’dessécher (bis)
(elle s’interrompt)

Comment, personne ici ? où donc est cette salope de Justine, cette gueuse d’Eléonore… On ne sait pas ce qu’elles deviennent ; pour des femmes publiques elles ne sont guère rangées…

(elle continue son air)
Parfois elle les presse
Pour en tirer le jus
Et s’en frotter les fesses
Et les babines du cul. (bis)

Scène II

FLORE, LA MERE L’EVEQUE

La mère l’évêque
Chante, chante bougresse, je te ferai déchanter.

Flore
C’est vous, maman, qu’avez-vous donc ?

La mère l’évêque
Ce que j’ai, sacré nom d’un foutre ! Ce que j’ai… je suis d’une colère affreuse.

Flore
Pourquoi ?

La mère l’évêque
Comment… je suis déshonorée ! onze heures sonnent, la galerie pleine d’hommes ; des officiers, des sénateurs, des étrangers et pas un miché (1) !... salopes que vous êtes, qu’on vous foutes donc pour cent louis d’or et de diamants sur le cul… pas un miché ! … et moi, qui ai fait repeindre  mon grand salon avec dorures, bordures antiques, dans le goût le plus moderne… et pas un miché !

Flore
Ne vous fâchez pas, maman.

La mère l’évêque
Mille tonnerres, je ne me fâche pas, mais foutre est-ce la peine de se jeter dans les dépenses infernales quand le commerce est mort ; quand l’homme ne donne plus, quand il faut payer au gouvernement mille écus de patente, au propriétaire mille écus de loyer, et puis les chirurgiens, les médecins, couturières, marchandes de mode, coiffeurs, et par-dessus tout cela, des guenons comme vous, qui ne gagnez pas seulement ce que vaut la peau de votre cul, qui mangez et buvez comme des gouines, et qui restez toute la journée, les bras croisés et les jambes pendantes à vous grattez la motte… beau bénéfice !
(…)

-->Scène 3  

LES PRECEDENTS, JUSTINE, LEONORE, JOSEPHINE  

(elles reprennent le refrain en chœur)  
Faites-nous foutre sans cesse, 
Au lieu de vous foutre à l’eau (bis) 
La mère l’évêque, ironiquement 
Voilà un bordel bien monté !... d’où venez-vous donc si gaiement ?
Joséphine  
Moi ? je viens de faire des hommes ; voilà deux louis, j’ai monté deux militaires et mon gros banquier anglais : il m’a régalé de punch… Oh ! c’est un bon enfant, vivent les banquiers !

Air : j’ai vu partout dans mes voyages 
Moi, je préfère cette race, 
Faut-il en dire la raison, 
Jamais ils ne font la grimace, 
Et leur argent coule à foison. 
Ils sont nos uniques ressources, 
Chez nous dans un besoin urgent, 
En leur grattant un peu les bourses 
Nous faisons tomber leur argent (bis)

Léonore  
J’ai été plus malheureuse. J’ai eu affaire à un vieux procureur : j’ai fait tout mon possible, mais il avait le cœur trop dur et le vit trop mou ; pourtant il avait apporté des verges pour se faire fouetter ; j’ai usé la poignée, je me suis démanché le poignet, et l’animal ne bandait pas plus que la comète (...)   

(1) miché : client d'une prostituée

samedi 22 août 2015

Lassay et l'utopie de Félicie

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En son temps, les aventures amoureuses d'Armand de Madaillan de Lesparre (1653-1738), dit le Marquis de Lassay, défrayèrent la chronique et lui valurent le surnom de Don Juan du Grand Siècle
le marquis de Lassay
Ignorée du public, son oeuvre littéraire n'en mérite pas moins le détour, notamment cette Relation du Royaume de Félicie, une utopie écrite en 1726. Bien avant Voltaire et son Eldorado (dans Candide en 1759), l'auteur y décrit un lieu coupé du monde dont la capitale, Leliopolis, apparaît comme l'exact opposé de Paris...
Sa critique politique semble quant à elle bien plus impertinente que celle du patriarche de Ferney...
 

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Après le naufrage, le narrateur découvre l’île de Félicie. Dans ce passage, il évoque les caractéristiques de ce royaume.

Il est borné d’un côté par la mer, des trois autres côtés par de fort hautes montagnes qui le séparent d’autres peuples, et par une grande rivière qui sort de ces montagnes, et prenant son cours du côté de la Ligne, va se jeter dans la mer, à vingt lieues au-dessous de la ville capitale qui est bâtie sur cette rivière à la même élévation que Marseille, et qui s’appelle Leliopolis. Cette ville, qui est extrêmement peuplée, est à peu près grande comme Paris, mais bâtie beaucoup plus régulièrement, d’une pierre jaspée, aussi belle que le marbre, et pavée d’un pavé blanc et rouge, fort dur ; les maisons n’y sont pas aussi hautes qu’à Paris, mais plus égales, les rues sont tirées au cordeau, avec de grandes places d’espace en espace ; des fontaines et des édifices publics magnifiques, et surtout les temples où ils s’assemblent pour faire leurs prières. (…) Les sciences et l’étude sont aussi du goût de la nation, et il y a quantité de gens savants parmi eux : ils ont poussé leurs connaissances fort loin, et ils ont des livres admirables dans presque tous les genres d’écrire ; ils nous surpassent dans la plupart des arts ; ils excellent dans la poésie, dans la musique, dans l’architecture, dans la sculpture et dans la peinture. (…) Ils sont persuadés que la vraie gloire d’un roi consiste à rendre les peuples heureux, et à laisser ses voisins en repos ; si bien que les rois des Féliciens, élevés dans ces maximes et instruits par leurs pères, observent régulièrement le traité fait avec leurs peuples, et les conditions auxquelles ils les ont élevés sur le trône ; contents de l’autorité qui leur a été accordée, ils ne songent point à empiéter sur la liberté de leurs sujets, qui de leur côté rassurés par l’exemple des siècles passés, ne craignent rien de leurs rois et ne sont occupés qu’à donner des marques de leur zèle et de leur reconnaissance à des princes qui les ont toujours rendus heureux.

La moindre révolte serait punie par les plus cruels supplices ; car il n’y a que la nation entière, représentée par ses députés qui composent les états du Royaume, qui soit en droit d’examiner la conduite du roi ; et chaque particulier, quelque grand qu’il soit, lui doit une obéissance aveugle.


Pour découvrir l'intégralité du texte, c'est ici
 

mercredi 19 août 2015

L'éveil de Louis XV à la sexualité (2)


Désireuse de faire passer à Louis son goût pour les jeunes éphèbes, la Cour décide alors d'employer les grands moyens.
Fin juin 1724, à l'occasion d'un voyage vers Chantilly, on joint au convoi royal un sérail de 17 jeunes femmes auxquelles on confie l'impérieuse mission de déniaiser le souverain ! 
Louis adolescent
Dans son Journal de Paris, Marais dresse la liste complète de ces expertes en amour, parmi lesquelles Madame de la Vrillière, dont les talents en la matière sont connus de tous... Le lendemain du départ, le mémorialiste Barbier lance déjà les paris sur l'identité de l'heureuse élue : "On croit dans Paris qu'on va faire de grandes affaires à Chantilly ; mais le sujet véritable du voyage est très croustilleux ; on veut tâcher de donner au roi du goût pour les femmes... C'est madame de la Vrillière qui est chargée de la commission ou de le faire .... la petite duchesse d'Epernon, qui est très jolie et très jeune, ou de le prendre pour elle-même. Ce dernier sera plus aisé, car la jeune duchesse ne pourra pas faire tout ce qu'il faut pour cela, au lieu que Madame de la Vrillière, qui est jolie et qui est femme d'expérience, mènera le roi dans quelque bosquet et lui fera faire..."
De son côté, Marais rapporte le contenu des chansons qui courent au même moment dans Paris :

Sur l'issue de cette cocasse équipée, les interprétations divergent. Sans doute s'est-elle achevée par un fiasco que l'historien Jean-Christian Petitfils explique de manière fort édulcorée : "Fleury avait élevé son docile élève dans la crainte du péché et l'avait mis en garde contre la liberté de moeurs de la Cour: aucune des capiteuses sirènes venues à Chantilly déployer leurs grâces ne parvint à l'embarquer pour Cythère..."
Si l'on ignorait tout des moeurs de l'adolescent, on pourrait peut-être croire en cette image du prince vertueux. Mais en l'occurrence, cette analyse nous semble pour le moins contestable...
Un brin fataliste, Barbier nous fait néanmoins part de ses regrets :
"Il ne paraît pas qu'on ait réussi dans le dessein du voyage de Chantilly. Le roi ne songe qu'à chasser et il ne veut point tâter du.... J'avoue en mon particulier que c'est dommage, car il est bien fait et beau prince ; mais si c'est son goût, qu'y faire ? Il est en place à ne se point gêner."
Ce constat d'échec est pourtant contredit par une autre chanson de l'époque qui prétend que le jeune Louis aurait finalement cédé aux avances de la "grand-mère" (trente-six ans !!!) Madame de Vrillière.

A la fin, notre jeune roi
S’est soumis à la douce loi
Du dieu qu’on adore à Cythère,
Laire lan laire.
De dix-sept bêtes qu’il courut,
Quoique tous fussent en rut,
Il n’a choisi qu’une grand-mère.
Mais quoique l’objet de son choix
Ne soit pas un morceau de roi,
C’était la meilleure ouvrière.
Pour dresser un jeune courrier
Et l’affermir sur l’étrier,
Il lui fallait une routière ;
Aussi, depuis cet heureux jour
Tout tremble sous elle à la cour,
Tant de sa conquête elle est fière. (...)


Peu importe au fond que notre grand adolescent ait goûté ou non au plaisir dans les bras de la "meilleure ouvrière" du royaume... Il se rattrapera un an plus tard en compagnie de sa jeune épouse qu'il honora (selon ses dires) sept fois de suite au cours de la nuit de noces !
Après tant de manigances pour le ramener sur le droit chemin et le déniaiser, c'est donc la candide Marie qui aura décidé de l'orientation sexuelle du jeune Louis !
Quoi qu'en disent nos cagots, les adolescents d'aujourd'hui ont décidément bien des points en commun avec ceux d'autrefois...
 

lundi 17 août 2015

L'éveil de Louis XV à la sexualité (1)

Sans doute s'agit-il d'une forme de vice, mais je me délecte du regard que posent les traditionalistes sur notre lointain passé. Les uns pestent contre l'actuelle dépravation des moeurs, les autres plaident en faveur d'une restauration de l'ordre moral traditionnel, et dans leur curieuse Théogonie, tous s'entendent pour considérer que 1789 marque décidément la fin de notre âge d'or.
Car les preuves de la chute sont là ! clament-ils en choeur, tout en vociférant contre les textes et autres projets sur l'adoption, l'euthanasie, l'avortement, le mariage homosexuel ou encore la théorie du genre...
Dans le même temps, ils réécrivent le roman national, celui d'un Ancien Régime mythifié, porteur de repères moraux et de valeurs pérennes.
l'indicible Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps Français
Marion Sigaut, éructant contre les instituteurs qui apprennent la masturbation à l'école...
Farida Belghoul, l'initiatrice de la sinistre JRE
Je pensais à eux tout récemment en lisant l'excellent Louis XV, libertin malgré lui de Maurice Lever, dans lequel l'historien rappelle notamment quelques anecdotes méconnues sur l'adolescence du roi bien-aimé.
L'une d'elles, datant de 1722, mérite d'être racontée.
Louis a 12 ans, et au grand désespoir de son entourage, il semble davantage attiré par les garçons que par les jeunes filles. Comme l'explique alors la duchesse de la Ferté, la galanterie des rois roulait l'un après l'autre sur les hommes et sur les femmes, qu'Henri II et Charles IX aimaient les femmes, et Henri III les mignons ; Henri IV aimait les femmes, Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes, et qu'à présent le tour des mignons était revenu (propos rapporté par Marais dans ses mémoires).
Parmi ses favoris les plus proches se trouvent le duc d'Antin, le duc de Gesvres et le duc de la Trémoille, alors âgé de 14 ans et premier gentilhomme de la chambre du roi. En compagnie de leurs amis d'Alincourt, Boufflers, Meuse (le futur Choiseul) et Rambure, ils ont pris pour habitude de se livrer à ce que Maurice Lever nomme des "débauches secrètes", et Jean-Christian Petitfils de "singulières nocturnales"... Celle d'août 1722 va provoquer un scandale public puisque ces derniers s'adonnent à leur bacchanale nocturne jusque sous les fenêtres du roi ! Plein de pudeur, le journaliste Barbier explique que "le marquis de Rambures... toute la bande" (à vous de compléter)...Cette fois, la Cour se doit de réagir. Comme nous l'explique le mémorialiste Marais, le maréchal de Villeroy fait exiler son petit-fils à Joigny, le duc de Boufflers est exilé en Picardie alors que le marquis de Rambure est mis à la Bastille.
Pour cette fois, le jeune Louis est épargné par le scandale.
Cela ne durera pas. Là encore, donnons la parole à Marais, en date du 27 juin 1724 :
"La Trémoille - Le propre jour que le maréchal de Villeroi est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de la Trémoille, premier gentilhomme de la chambre du roi, lui servait plus que de gentilhomme et avait fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est bientôt devenu public..."
Dans la bouche de Voltaire, le propos se fait encore plus cru : 
"La Trimouille est exilé de la Cour. C'est pour avoir mis très souvent la main dans la braguette de sa majesté très chrétienne" (lettre de juillet 1724 à Madame la Présidente de Bernières).
En effet, dès le lendemain, son tuteur envoie le jeune Trémouille à l'académie "pour apprendre à régler ses moeurs" (Journal de Paris, Marais).

(à suivre)