vendredi 17 avril 2015

Marion Sigaut : Voltaire, une imposture au service des puissants

 Marion Sigaut sur Voltaire
Marion Sigaut

Les péchés (souvent véniels...) avoués par Rousseau font-ils perdre tout crédit à son oeuvre ? Les pratiques homosexuelles de Rimbaud et Verlaine jettent-elles l'opprobre sur leurs ouvrages poétiques ? Faut-il renoncer à lire Céline au motif qu'il était antisémite ?
Enfin, doit-on bannir Voltaire du Panthéon des lettres parce que son alter ego Arouet était un fieffé coquin, à la fois menteur et manipulateur ?
A ces questions Marion Sigaut répondrait oui. Sans hésiter...
"L'oeuvre de Voltaire, je ne m'y intéresse pas", avance-t-elle pour justifier la démarche adoptée dans son ouvrage : "Voltaire, une imposture au service des puissants". Admettons...
 
J'ai feuilleté cet ouvrage. On y trouve en fait les mêmes faiblesses que dans l'intervention relayée ci-dessus.

- Ainsi mentionne-t-elle en toute candeur la correspondance "privée" (1ère minute) de Voltaire comme l'une de ses principales sources. L'historienne devrait se méfier de ce qu'elle nomme correspondance privée, surtout quand il s'agit de lettres à la diffusion biaisée, destinées à être relues par le destinataire en public. Passons sur ce premier défaut qu'on pourrait imputer à bon nombre de biographes.

- Son propos sur les affaires Calas et La Barre ( 3è minute) paraît plus inquiétant encore puisqu'elle réfute l'idée d'"intolérance religieuse"dans ces "jugements en bonne et due forme" rendus par des Parlements "laïcs". Pour mémoire, on rappellera tout d'abord (on en a parlé ici et ici ) que la procédure menée lors de l'enquête toulousaine fut entachée de nombreuses irrégularités. On répétera également que s'il avait commis son exécrable blasphème après 1789, La Barre n'aurait été puni que d'un bon coup de pied aux fesses (qu'il méritait au demeurant). Enfin, pour ne parler que du Parlement parisien, la simple présence d'un fort parti janséniste (une quarantaine environ) et de quelques molinistes prouve à l'évidence l'interférence du religieux dans la pratique judiciaire sous l'Ancien Régime.

- "Il ne risquait rien" dit Marion Sigaut pour railler le manque de courage de Voltaire. Peut-être... Mais alors, pourquoi s'est-il lamenté pendant près de 30 ans de ne pas pouvoir rentrer à Paris ? Si l'historienne a véritablement lu sa correspondance, elle n'aura pas manqué de parcourir ces dizaines de lettres dans lesquelles le poète supplie ses correspondants d'oeuvrer à son retour en grâce. "Voltaire au service des puissants" ? Soit... Mais dans ce cas, il a été bien mal payé en retour !

- Un mot encore sur le "fort honnête"Fréron et sur le "jeune protestant... sincère" La Baumelle que Voltaire aurait poursuivi "jusqu'à la mort". On en a déjà parlé ici . Le premier était un homme de parti, bon critique, mais animé d'une haine violente et d'une jalousie sans égale à l'encontre du patriarche de Ferney. Quant au second, Voltaire l'avait si mal tué qu'il sévissait encore à Toulouse, vingt ans après leur altercation ! 

De son propre aveu, Marion Sigaut ne s'intéresse pas aux oeuvres. C'est visiblement un tort. Ces lectures lui éviteraient peut-être de commettre des erreurs aussi grossières. Elles lui permettraient surtout de comprendre qu'en dépit des petitesses de l'homme, il arrive quelquefois à l'auteur de toucher au sublime et à l'universel...
L'oeuvre de Voltaire nous le prouve, n'en déplaise à l'historienne-polémiste.

On achèvera ce billet par ces quelques mots d'Elisabeth Badinter, célébrant l'auteur Voltaire dans la revue Marianne 
( n° 939 du 17 au 23 avril 2015) :

 "Aujourd'hui, enseigner l'amour de la France, cela implique, selon moi, d'enseigner Voltaire... Parce que l'auteur du Traité sur la Tolérance est la quintessence du génie français, parce qu'il emblématise ce qui existe de meilleur et, sans doute, de plus précieux en France... N'est-il pas, pour la France de 2015, le meilleur général en chef de la lutte contre le fanatisme dont nous disposons ? La meilleure réponse à tous ceux qui veulent nous persuader de plier le genou face aux religieux ?"

 

2 commentaires:

  1. Ce qui me fascine chez Marion Sigaut et dans cette dissidence,c`est l`élément psycho pathologique et ses projections sur la production "intellectuelle" et idéologique. Tout ce que reproche Marion Sigaut aux autres,est applicable aux individus avec lesquels elle s`associe.
    Désolé de toujours revenir au cote psychologique,aux dépends du contexte historiographique. C`est une déformation professionnelle. Mais je considère que les deux sont essentiels pour comprendre la nature du problème. Démonter le message ne représente qu`une phase,il faut aussi disséquer "le messager".

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  2. Sachant qu'il faut montrer patte blanche pour assister aux conférences, c'est qu'il existe une inquiétude (ce qu'on veut bien comprendre !) Entre initiés convaincus, le risque est moindre...

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