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mercredi 15 avril 2015

Charles Palissot, les Philosophes (3)

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La sortie des Philosophes, en 1760, provoqua un joli ramdam sur la scène parisienne. Dans cette parodie des Femmes Savantes, le très opportuniste Charles Palissot brosse un portrait au vitriol du parti des philosophes.
A la fin de la pièce, Crispin (autrement dit Rousseau) entre en scène à quatre pattes, en écho au mot célèbre de Voltaire déclarant au Genevois : "On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre Bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre. Et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes, que vous et moi..." (août 1755)


Scène IX

Cydalise, les philosophes, Marton, Crispin.



 
Crispin, alias Rousseau, entrant en scène



Crispin, allant à quatre pattes.

Madame, elle n’a rien dont je me formalise.

Je ne me règle plus sur les opinions,

Et c’est-là l’heureux fruit de mes réflexions.

Pour la Philosophie un goût à qui tout cède,

M’a fait choisir exprès l’état de quadrupède :

Sur ces quatre piliers mon corps se soutient mieux,

Et je vois moins de sots qui me blessent les yeux.



Cydalise, à Valere.

Il est original du moins dans son système.



Valere

Mais il est fort plaisant.



Marton

Moi, je sens que je l’aime.



Crispin

En nous civilisant, nous avons tout perdu,

La santé, le bonheur, et même la vertu.

Je me renferme donc dans la vie animale ;

Vous voyez ma cuisine, elle est simple et frugale. 

On ne peut, il est vrai, se contenter à moins ;

Mais j’ai su m’enrichir en perdant des besoins.

La fortune autrefois me paraissait injuste ;

Et je suis devenu plus heureux, plus robuste

Que tous ces Courtisans dans le luxe amollis,

Dont les femmes enfin connaissent tout le prix.

Prévenu de l’accueil que vous faites aux Sages,

Madame, je venais vous rendre mes hommages,

Inviter ces Messieurs, peut-être à m’imiter,

Du moins si mon exemple a de quoi les tenter.



Cydalise

Savez-vous qu’on démêle, à travers sa folie,

De l’esprit ?



Dortidius

Mais beaucoup.



Marton

Je dirais du génie ;

Et jamais Philosophe à ce point ne m’a plu.



Théophraste

C’est ce que nous cherchions ; un homme convaincu,

Qui plein de son système, et bravant la critique,
Aux spéculations veut joindre la pratique.


Cydalise

Dans le fond, ce serait un homme à respecter ;

Mais par les préjugés on se sent arrêter.



Crispin

Ma résolution peut vous sembler bizarre.



Cydalise

Vous donnez, à vrai dire, un exemple bien rare ;

Mais votre empressement ne peut qu’être flatteur ;

Vous êtes Philosophe, et même à la rigueur.



Crispin

Je me suis interdit de consulter les modes,

J’ai cru que des habits devaient être commodes,

Et rien de plus. Encor dans un climat bien chaud…



Théophraste

On juge ici, Monsieur, l’homme par ce qu’il vaut,

Et non par les habits.



Crispin

C’est penser en vrai Sage. (...)

mardi 14 avril 2015

Charles Palissot, les Philosophes (2)


La sortie des Philosophes, en 1760, provoqua un joli ramdam sur la scène parisienne. Dans cette parodie des Femmes Savantes, le très opportuniste Charles Palissot brosse un portrait au vitriol du parti des philosophes.
Découvrons deux d'entre eux, Valère et Carondas, parlant de la salonnière Cydalise.

ACTE II

Scène première
Valère, M. Carondas


Valere
Frontin.

M. Carondas
Ce maudit nom sera quelque méprise,
Je vous l’ai déjà dit, et devant Cydalise
Il vous arrivera de me nommer ainsi.
Frontin ! pour un Savant le beau nom ! songez-y,
Monsieur, il ne faudrait que cette étourderie
Pour donner du dessous à la Philosophie.

Valere
D’accord.

M. Carondas
Il faut d’ailleurs supprimer entre nous
Les tons trop familiers, puisqu’enfin, selon vous,
Les hommes sont égaux par le droit de nature,
Je suis, quoique Frontin, votre égal.

Valere
Je te jure
Que c’est mon sentiment.

M. Carondas
Moi, je l’approuve fort.
J’avais toujours pensé que les Lois avaient tort ;
Et même Cydalise, en un certain Chapitre,
Ne prouve point trop mal à mon gré…

Valere
Le beau titre
Que l’avis d’une folle à qui dans un moment
On ferait adopter tout autre sentiment ;
Qui ne sait que des mots, et n’a rien dans la tête.

M. Carondas
Mais entre nous, Monsieur, son Livre est-il si bête ?

Valere
Pitoyable.

M. Carondas
Le style…

Valere
Ennuyeux à l’excès.

M. Carondas
Vous la flattez pourtant du plus brillant succès.

Valere
Sans doute.

M. Carondas
Et le Public ?

Valere
Nous savons lui prescrire
Comment il faut penser, parler, juger, écrire ;
Nous le déciderons aisément.

M. Carondas
D’accord ; mais
Il faut l’apprivoiser, le flatter.

Valere
Non, jamais.
Il est, pour le gagner, des méthodes plus sûres.

M. Carondas
Le moyen ?

Valere
Par exemple, on lui dit des injures ;
C’est un expédient par nos Sages trouvé ;
Le secret est certain, nous l’avons éprouvé.
Dans peu, tu le verras toi-même avec surprise,
Nous porterons aux Cieux le nom de Cydalise ;
Cinq ou six traits hardis, révoltants, scandaleux,
Produiront dans son Livre un effet merveilleux.
Il faut les ajouter.

M. Carondas
Bon ! la ruse est nouvelle !
Et comment lui prouver que ces traits-là sont d’elle.

Valere
Et le reste en est-il ? D'abord avec pudeur
Elle s’en défendra, puis s’en croira l’Auteur.

M. Carondas
Je ne sais ; mais pour moi, je rougirais dans l’âme….

Valere
As-tu donc oublié que Cydalise est femme ?
Crois-moi, suppose encore un piège plus grossier,
L’amour propre est crédule, et l’on peut s’y fier.
Les femmes sur ce point sont même assez sincères.

M. Carondas
Messieurs les beaux esprits ne leur en doivent guère.
Mais enfin vous croyez qu’avec cinq ou six traits
Nous devons nous attendre au plus heureux succès ?

Valere
Sans doute, et cette idée, entre nous, n’est pas neuve.
(...)

M. Carondas
Mais pour ces beaux endroits ajoutés à son Livre,
Si les Lois s’avisaient, Monsieur, de nous poursuivre.

Valere
Elle aurait le plaisir de s’entendre louer ;
N’est-ce rien ? Quitte après à tout désavouer.
D’ailleurs l’amour du vrai va jusqu’à l’héroïsme
Ces grands mots importants d’erreur, de fanatisme
De persécution viendraient à son secours.
C’est un ressort usé qui réussit toujours.
N’avons-nous pas encor l’exemple de Socrate
Opprimé, condamné par sa Patrie ingrate ?
Tous nos admirateurs parleraient à la fois.

M. Carondas
Mais, Monsieur, ce Socrate obéissait aux Lois.

Valere
Oui, la Philosophie encor dans son enfance
Des préjugés du moins conservait l’apparence ;
Mais nous n’en voulons plus.

M. Carondas
Tout devient donc permis ?

Valere
Excepté contre nous et contre nos amis.

M. Carondas
Vive le bel Esprit et la Philosophie !
Rien n’est mieux inventé pour adoucir la vie.

Valere
Comment ! sur des rochers on plaçait la Vertu ?
Y grimpait qui pouvait. L’homme était méconnu.
Ce Roi des animaux, sans guide et sans boussole,
Sur l’Océan du monde errait au gré d’Eole ;
Mais enfin nous savons quel est son vrai moteur.
L’homme est toujours conduit par l’attrait du bonheur,
C’est dans ses passions qu’il en trouve la source.
Sans elles, le mobile arrêté dans sa course
Languirait tristement à la terre attaché.
Ce pouvoir inconnu, ce principe caché,
N’a pu se dérober à la Philosophie,
Et la Morale enfin est soumise au génie.
Du globe où nous vivons Despote universel.
Il n’est qu’un seul ressort, l’intérêt personnel ;
A tous nos sentiments, c’est lui seul qui préside ;
C’est lui qui dans nos choix nous éclaire et nous guide.
Libre de préjugés ; mais docile à sa voix,
Le Sauvage attentif le suit au fond des bois.
L’homme civilisé reconnaît son empire ;
Il commande en un mot à tout ce qui respire.

M. Carondas
Quoi ! Monsieur, l’intérêt doit seul être écouté ?

Valere
La Nature en a fait une nécessité.

M. Carondas
J’avais quelque regret à tromper Cydalise ;
Mais je vois clairement que la chose est permise.

Valere
La fortune t’appelle, il faut la prendre au mot.

M. Carondas
Oui, monsieur.

Valere
La franchise est la vertu d’un sot.

M. Carondas, se disposant à le voler.
Oui, Monsieur… mais toujours je sens quelque scrupule
Qui voudrait m’arrêter.

Valere
Préjugé ridicule,
Dont il faut s’affranchir !

M. Carondas
Quoi ! Véritablement ?

Valere
Il s’agit d’être heureux, il n’importe comment.

M. Carondas
Tout de bon ?

Valere
Mais sans doute, en flattant Cydalise,
Tu remplis un devoir que l’usage autorise.
Ne faut-il pas flatter quand on veut plaire aux gens ?
Bien voir ses intérêts, c’est être de bon sens.
Le superflu des sots est notre patrimoine.


lundi 13 avril 2015

Charles Palissot, les Philosophes (1)


La sortie des Philosophes, en 1760, provoqua un joli ramdam sur la scène parisienne. Dans cette parodie des Femmes Savantes, le très opportuniste Charles Palissot brosse un portrait au vitriol du parti des philosophes, et notamment du duo Rousseau-Diderot.
Voici la scène d'exposition de cette comédie.

ACTE premier
Scène première
Damis, Marton

Damis
Non, je ne reviens pas d'un semblable vertige.
Rompre un hymen conclu !

Marton
Tout est changé, vous dis-je.

Damis
Mais encor ?

Marton
Mais encor, vous êtes Officier ;
Notre projet n’est pas de nous mésallier.
Nous voulons un Mari taillé d’une autre étoffe ;
En un mot, nous prenons un Mari Philosophe.

Damis
Que me dis-tu, Marton ?

Marton
Je vous étonne fort ;
Mais ne savez-vous pas que les absents ont tort ?
Trois mois ont opéré bien des Métamorphoses :
Peut-être dans trois mois verrons-nous d’autres choses.
Vous pourrez reparaître alors avec succès ;
 Mais jusques-là, néant. En dépit du procès
 Qui devait se finir par votre Mariage,
 Sans appel aujourd’hui la pomme est pour le sage.

Damis
Le moyen que l’on change ainsi dans un moment !

Marton
Toute Femme est, Monsieur, un animal changeant.
On pourrait calculer les jours de Cydalise
Par les différents goûts dont son âme est éprise :
Quelquefois étourdie, enjouée à l’excès,
D’autres fois sérieuse, et boudant par accès ;
Coquette, s’il en fut, en sauvant le scandale,
Prude à nous étourdir de son aigre morale ;
Courant le Bal la nuit, et le jour les Sermons ;
Tantôt les Directeurs, et tantôt les Bouffons.
C’était-là le bon temps. Mais aujourd’hui que l’âge
Fait place à d’autres mœurs, & veut un ton plus sage,
Madame a depuis peu réformé sa maison.
Nous n’extravaguons plus qu’à force de raison.
D’abord on a banni cette gaité grossière,
Délices des Traitants, aliment du Vulgaire ;
A nos soupers décents tout au plus on sourit.
Si l’on s’ennuie, au moins c’est avec de l’esprit
Quelquefois on admet, au lieu de Vaudevilles,
De savants Concerto, de grands airs difficiles ;
Car il faut bien encore un peu d’amusement.
Mais notre fort, Monsieur, c’est le raisonnement.
Quelque temps, dans le cercle, on parla Politique ;
Enfin tout disparut sous la Métaphysique.

Damis
Quelque chargé que soit ce bizarre tableau,
Je livre Cydalise aux traits de ton pinceau ;
Je m’en rapporte à toi. Mais que fait Rosalie ?

Marton
Ce que nous faisons tous, Monsieur ; elle s’ennuie.

Damis
Aux vœux de mon Rival son cœur s’est-il rendu ?

Marton
Non, ce cœur est à vous. L’Amour l’a défendu
Contre tous les projets d’un Rival téméraire ;
Mais votre sort dépend de l’aveu d’une Mère,
Ensorcelée au point que je n’ai plus d’espoir.
Pardonnez-moi ce mot ; je vois comme il faut voir.

Damis
Elle fut mon Amie, et je me flatte encore…

Marton
Le Bel Esprit, Monsieur, est tout ce qu’elle adore.
C’est une maladie inconnue à vingt ans ;
Mais bien forte à cinquante. Encore avec le temps,
On pourrait espérer un retour de sagesse,
S’il en était quelqu’un contre cette faiblesse
Quand à certains degrés elle a fait des progrès.
Dans les commencements, moi-même j’espérais ;
Mais sachez tous nos maux et ceux qui vont les suivre.
Entre nous…

Damis
Hé bien ? Quoi ?

Marton
Madame a fait un Livre.

Damis
Bon !

Marton
Qui même à présent s’imprime incognito.

Damis
Quelque brochure ?

Marton
Non : un volume in-quarto.

Damis
Je lui conseille fort de garder l’anonyme.
Mais, dans ces beaux Esprits que Cydalise estime,
N’en est-il donc aucun assez droit, assez franc,
Pour lui montrer l’excès d’un travers aussi grand ;
Pour la désabuser ?

Marton
Eux ! ils se moquent d’elle ;
Ils ont tous conspiré de gâter sa cervelle ;
Sur-tout votre Rival. Comme il connaît son goût,
Il ne se borne pas à l’applaudir en tout ;
Il la fait admirer par Meilleurs ses semblables,
Tous Charlatans adroits, et Flatteurs agréables,
Ravis de présider dans sa Société,
D’y porter leurs erreurs, et faisant vanité
De dominer ici sur un esprit crédule
Qu’ils ont l’art d’aguerrir contre le ridicule.

Damis
Et ce sont-là, dis-tu, des Philosophes ?

Marton
Oui ;
Du plus grand air encor. Paris en est rempli.
Mais pour établir mieux leur crédit chez Madame,
Et pour mieux pénétrer jusqu’au fond de son âme,
Ils nomment aux emplois vacants dans la maison.
Leur choix, toujours guidé par la saine raison,
Quel qu’il soit, à Madame est toujours sûr de plaire.
Je soupçonne pourtant un certain Secrétaire,
Reçu par Cydalise à titre de Savant,
De n’avoir d’autre emploi que celui d’intrigant,
De receler un fourbe, et d’être ici pour cause ;
Mais enfin, tôt ou tard, j’éclaircirai la chose.

Damis
Quel motif as-tu donc pour en juger si mal ?

Marton
Ou je me trompe fort, ou c’est votre Rival
Qui pour servir ses feux ici s’impatronise.

Damis
Quel homme est-ce ?

Marton
Un fripon affectant la franchise,
Et pourtant, m’a-t-on dit, natif de Pézenas,
Titré du nom pompeux de Monsieur Carondas,
Reconnu pour Savant, du moins sur sa parole,
Tout hérissé de Grec et de termes d’Ecole
Plaçant à tout propos ce bizarre jargon,
Et nous citant sans cesse Homère ou Lycophron.

Damis, riant.
Ha, ha, ha, ha, ha, ha.

Marton
Je peins d’après nature.

Damis
Ce Monsieur Carondas est de mauvais augure ;
Mais avec ton secours et celui de Crispin…

Marton
Quoi ! Crispin est ici ?

Damis
Vraiment oui. Mon dessein
Etait de vous unir ; tu le sais, et j’espère
Que tu me serviras de ton mieux.

Marton
Laissez faire.
Crispin est fort adroit ; j’en tirerai parti,

Damis
Je compte sur tes soins.

Marton
Oh ! Monsieur, comptez-y.
Je déclare la guerre à la Philosophie.

Damis
Je te devrai, Marton, le bonheur de ma vie.
Mais… ne puis-je un moment ?…

Marton
Ah ! je vous vois venir.
Tenez, Monsieur ; l’Amour a sû vous prévenir :
On vient ; c’est Rosalie. (...)