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mardi 18 juin 2019

Antisémite ? Voltaire essuie les crachats des Anti-Lumières

Né dans le dernier quart du XVIIIè siècle, le courant des Anti-Lumières a produit quelques penseurs honorables, dont Joseph de Maistre ou encore l'Irlandais Edmund Burke.
L'une de leurs antiennes, enracinée depuis plus de deux siècles, est la détestation de Voltaire : sa vie, son oeuvre, ses combats, rien ne trouve grâce à leurs yeux, et 250 ans après la mort du patriarche de Ferney, il s'en trouve encore pour l'agonir d'injures et cracher leur bile sur sa tombe.
Pourquoi lui et pas les autres, me direz-vous ? 
La réponse est assez évidente, elle tient dans cette exhortation adressée par Voltaire à son ami d'Alembert en 1760 : "Serait-il possible que cinq ou six hommes de mérite (entendez : les Encyclopédistes) qui s’entendront ne réussissent pas après les exemples que nous avons de douze faquins (entendez : les apôtres) qui ont réussi ?"
La mise à mal de l'Infâme, la voilà cette grande victoire qu'ils ne lui ont jamais pardonnée. D'abord ce combat mené pendant près de trente années contre, pêle-mêle, les dignitaires jésuites, les convulsionnaires jansénistes, l'Inquisition, les superstitions, les vérités soi-disant révélées et plus généralement les dogmes chrétiens. Et puis ces cris de joie poussés après chacun de ses triomphes, comme au jour de la réhabilitation de Calas : "c'est pourtant la philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourra-t-elle écraser toutes les têtes de l'hydre du fanatisme ?" (lettre à d'Argental en 1765).

*** 

Parmi les crachats lancés au visage du philosophe, on trouve quasi systématiquement cette accusation d'antisémitisme (ou parfois, de manière plus sensée, d'antijudaïsme), déjà esquissée sur un mode mineur par l'Abbé Guenée en 1769 (voir ci-dessous)


Sous l'Occupation, Voltaire sera même instrumentalisé par les collaborationnistes afin de légitimer la politique anti-juive initiée par l'occupant. Prenons l'exemple du dénommé Henri Labroue, ancien député de gauche, auteur de "Voltaire antijuif", vaste compilation de citations sorties de leur contexte pour servir les desseins de l'écrivailleur. Ce dernier en sera largement récompensé par les autorités en place qui lui confieront une "chaire d'histoire du judaïsme" à la Sorbonne. Notons qu'au cours de la leçon inaugurale, le 15 décembre 1942, le néo-professeur assena un tel chapelet d'inepties (les juifs constituent "une sous-race métissée par les races arménoïde et araboïde") que le cours s'acheva dans le chahut général aux cris de "bandit" ou encore "canaille".
Evidemment, la presse collaborationniste donna une tout autre version de l'événement (voir ci-dessous).





Plus récemment, l'historien du droit Xavier Martin, très apprécié des milieux chrétiens, a lui aussi cousu son patchwork de citations pour mettre en évidence les innombrables défauts de Voltaire (voir ici), réduit au rang de méchant homme, menteur, homosexuel, sataniste, et même d'inspirateur du nazisme... n'en jetons plus, la cour déborde d'immondices !
Petit florilège....





On ne saurait passer sous silence les travaux (certes plus modestes) de Marion Sigaut, proche d'Alain Soral et des catholiques traditionalistes qui l'emploient pour effectuer leurs basses oeuvres antirépublicaines.
Aux attaques des précédents, elle ajoute sa touche personnelle avec (notamment) une relecture ébouriffante des affaires Calas et Damiens (voir ici).

Toujours du côté d'Alain Soral, les éditions Kontre Kulture annoncent la parution d'un énième "Voltaire antisémite" (écrit par un certain Félix Niesche), ouvrage dont on peut craindre le pire à en croire la 4è de couverture (voir ci-dessous) qui débute par cette phrase :
"S'en était fait de l'idylle entre François-Marie Arouet et moi..."




A force de les agacer, le facétieux Voltaire leur fait perdre jusqu'à leur latin...

O.M


jeudi 30 mai 2019

Voltaire vu par... Roger-Pol Droit


Dans cet article paru en 2012 dans le magazine Le Point, l’écrivain et journaliste ROGER-POL DROIT sacrifie à la mode de son temps : déboulonner Voltaire
 
Roger-Pol Droit


La face cachée de Voltaire



Rousseau a 300 ans, toutes ses dents et les faveurs du jour. De toutes parts, cette année, ses vertus sont célébrées. Il est vrai qu’il a tout pour plaire : écologiste avant l’heure, humanitaire avant la lettre, indigné avant tout le monde.  (...)



Celui qui s’efface, qu’on lit moins, qui semble presque tomber dans l’oubli, c’est Voltaire. Il a ce qu’il faut pour déplaire : il aime l’argent, la gloire, le progrès, la raison. Il se méfie du peuple, que nous croyons infaillible, et lutte sans relâche contre un clergé qui, à présent, a disparu. Personne ne s’inquiète plus des pouvoirs de l’Église, à part deux ou trois attardés qui se croient encore au XIXe siècle.



Pourtant, avant toute chose, il faut souligner la grandeur de Voltaire. Elle est réelle, et son courage n’est pas une fable. S’il repose au Panthéon depuis 1791, ce n’est ni par hasard ni par erreur. Il est bien le premier – avant Zola, Sartre, Aron et tant d’autres – qui inventa la figure moderne de l’intellectuel, conscience libre au service des idéaux de justice, de tolérance et de liberté. Avant lui, aucun homme d’idées et de plume n’avait jamais fait rapporter une décision de justice contraire à la dignité et à l’humanité. L’affaire Calas, l’affaire Sirven, celle du chevalier de La Barre furent pour le philosophe de grandes batailles, de belles victoires. Voltaire a pris des risques, il a consacré à ces hautes luttes du temps et des forces, sans en attendre aucun profit. Quand il se lance dans ces combats, l’écrivain a passé la soixantaine, il a fait fortune, assis sa notoriété dans toute l’Europe. Il ne se bat pas pour sa gloire, mais pour des principes universels.


Les préjugés oubliés



Tout le monde connaît cette face claire. Elle a fait de Voltaire une icône, une gloire de la France, une idole du peuple, une référence fondatrice de la Révolution française et de l’esprit républicain. Il y a pourtant une autre face, bien moins connue, déconcertante, où le même homme paraît d’abord ouvertement raciste. Ainsi, dans l' "Essai sur les moeurs et l’esprit des nations" (1756), il est vraiment très loin d’affirmer l’unité du genre humain : « Il n’est permis qu’à un aveugle, écrit Voltaire,de douter que les Blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Chinois, les Américains ne soient des races entièrement différentes. » On le découvre aussi, au fil des pages, misogyne, homophobe, antijuif, islamophobe… L’inventaire de ces textes oubliés surprend, puis inquiète, finalement interpelle. Ce super-héros serait-il un super-salaud ? L’homme des Lumières, un ami des ténèbres ? Devrait-on décrocher son tableau d’adversaire résolu des fanatismes et de prince de la tolérance pour le remplacer par un autre, celui d’un homme obtus, truffé de préjugés, de mépris et de haines ?



Il faut d’abord s’informer, lire de près, quitte à se frotter parfois les yeux, pour prendre la mesure de ce Voltaire méconnu, antipathique, souvent abject. Pour le dénicher, il faut un peu de patience et quelques recherches. Ce n’est pas que ces textes soient marginaux – le pire ne se cache pas dans des fonds de tiroir, dans des opuscules inconnus. On le trouve, au contraire, dans des oeuvres centrales, incontestables et célèbres, comme le « Dictionnaire philosophique », de 1764. Mais les versions actuelles sont prudemment expurgées ! Essayez donc de trouver dans nos librairies les articles « Femme » ou « Juif » – le plus long de tous dans l’édition originale -, ils ont disparu. En allant les lire, on en apprend de belles.


Sexiste ordinaire



On prend d’abord l’amant de Mme du Châtelet en flagrant délit de misogynie pure et dure. Que dit en effet de la femme l’édifiant article du « Dictionnaire philosophique » ? « En général, elle est bien moins forte que l’homme, moins grande, moins capable de longs travaux ; son sang est aqueux, sa chair moins compacte, ses cheveux plus longs, ses membres plus arrondis, les bras moins musculeux, la bouche plus petite, les fesses plus relevées, les hanches plus écartées, le ventre plus large. Ces caractères distinguent les femmes dans toute la terre, chez toutes les espèces, depuis la Laponie jusqu’à la côte de Guinée, en Amérique comme à la Chine. » Lectrices et lecteurs d’aujourd’hui ne sont pas au bout de leurs surprises. Ce même article explique combien les femmes, plus faibles, sont aussi plus douces et il disserte complaisamment de la polygamie en faisant dire à un Allemand de la part d’un vizir : « Tu changes de vins, souffre que je change de femmes. Que chacun laisse vivre les autres à la mode de leur pays. »

( ndlr : Regard anachronique de R.P Droit. On pourrait trouver de tels propos chez Diderot ou encore Rousseau. Voltaire, quant à lui, a souvent pris la défense d'Emilie du Chatelet)

Sexiste ordinaire, Voltaire se révèle aussi homophobe virulent. Face aux amours entre hommes, il ne semble plus vouloir laisser vivre chacun selon ses moeurs. L’homosexualité masculine est pour lui un « sujet honteux et dégoûtant », un « attentat infâme contre la nature », une « abomination dégoûtante », une « turpitude » (article « Amour socratique » du « Dictionnaire philosophique »). Il tente même d’en disculper les Grecs et minimise la place des relations sexuelles entre hommes dans l’Antiquité. Pareil acharnement est d’autant plus curieux qu’il est difficile de l’imputer au climat de l’époque : les élites du XVIIIe siècle sont de moins en moins sévères à ce propos, et Frédéric II de Prusse, que Voltaire a conseillé et fréquenté assidûment, revendiquait sans vergogne son homosexualité. La plupart des philosophes des Lumières sont d’ailleurs plus que tolérants envers les partenaires de même sexe. Au contraire, Voltaire n’a cessé de juger ces moeurs contre nature, dangereuses, infâmes. Encore un point qu’on ne souligne presque jamais.
(ndlr : R.P Droit ne sait visiblement rien du sort réservé à Diot et Lenoir...)


La haine des juifs



Pas plus qu’on ne s’attarde, généralement, à mettre l’accent sur la haine que Voltaire attise envers les juifs. Il parle d’eux abondamment, et de manière récurrente, comme du « plus abominable peuple de la terre », et cela tout au long des mêmes années glorieuses où il défend Calas et la tolérance. C’est d’ailleurs à l’article « Tolérance » du « Dictionnaire philosophique » qu’il est sans doute le plus ouvertement ignoble : « C’est à regret que je parle des juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre. »



Ces écrits ne sont certes pas inconnus. Léon Poliakov les a rappelés, en 1968, dans son « Histoire de l’antisémitisme », et Pierre-André Taguieff dans « La judéophobie des Modernes » (Odile Jacob, 2008). Malgré tout, ce sont des textes qu’on esquive en omettant de les éditer ou bien, quand ils sont disponibles, en évitant de les lire. On y voit pourtant Voltaire accuser le peuple juif de tous les vices, lui faisant porter la responsabilité des persécutions qu’il endure, lui attribuant tour à tour lois absurdes, ignorance crasse, cupidité sans frein, misanthropie farouche.



Voltaire, antisémite ? Voilà qui ne fait guère de doute, à condition de ne pas tomber dans le piège de l’anachronisme. Antijuif au point d’être salement injurieux, méprisant et injuste, Voltaire ignore bien évidemment l’antisémitisme de persécution raciale, qui apparaîtra une centaine d’années après sa mort avec les doctrines biologisantes inventées par l’Allemagne du XIXe siècle. Malgré tout, la proximité entre ses attaques et l’antisémitisme moderne est suffisante pour que des hommes de Vichy, en 1942, aient pu considérer les textes de Voltaire comme une aubaine, au point de les utiliser comme instrument de propagande dans la France allemande.
l'ouvrage de X Martin aligne les mêmes poncifs


Mahomet, « tyran criminel »



Du côté de l’islam, enfin, la situation est d’abord aussi catastrophique. Dans sa pièce « Le fanatisme ou Mahomet », rédigée en 1736, jouée à Lille puis à Paris en 1741 et 1742, Voltaire juge le Prophète en des termes qui sont, eux aussi, d’une extrême violence. Au fil des dialogues, Mahomet est appelé « monstre », « imposteur », « barbare », « Arabe insolent », « brigand », « traître », « fourbe », « cruel »- avec pour finir le verdict sans appel de cet alexandrin : « Et de tous les tyrans c’est le plus criminel. » Voilà qui suffit largement pour ranger notre icône des Lumières dans la catégorie des islamophobes – au prix, là encore, d’un anachronisme, puisque le mot est de notre époque, non de la sienne. Il n’empêche que, si n’importe quel intellectuel d’aujourd’hui publiait le quart de ces injures, il aurait à ses basques non seulement des pétitions indignées, mais peut-être, quelque fatwa aidant, des assassins à ses trousses. Ce n’est pas un hasard si les représentations de cette pièce, en 2005, ont suscité protestations et menaces.



On aurait tort, toutefois, de s’en tenir là. Car Voltaire s’adoucira. Plus tard, notamment dans l' "Essai sur les moeurs et l’esprit des nations", de 1756, il change ses jugements, au point de devenir élogieux envers le monde musulman, de voir en l’islam une religion sage et austère, d’insister sur ses aspects philosophiques et tolérants. On ne saura oublier que c’est sans doute moins l’islam qui l’intéresse que l’usage qu’il peut en faire contre le catholicisme. Certains expliquent ainsi la plupart des violences voltairiennes ; ne pensant qu’à "écraser l’infâme" (le fanatisme, incarné par l’Église et le clergé), le philosophe ferait feu de tout bois. S’il attaque tant les juifs, ce serait parce que le christianisme se réclame de la Bible, s’il dénonce la violence de Mahomet, c’est en visant celle des chrétiens, s’il loue la tolérance musulmane, c’est pour mieux dénoncer la religion chrétienne, "la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde", écrit-il à Frédéric II de Prusse en 1767.



Partiellement juste, cette explication par l’antichristianisme ne justifie pas tout. Parcourir tant de pages où le héros de la tolérance se révèle haineux et méprisant laisse un goût amer et des interrogations ouvertes. Pour s’en sortir, on ne dispose que d’hypothèses. On peut notamment essayer d’en appeler à l' "air du temps" : tous ces préjugés qui nous embarrassent, ces jugements péjoratifs et offensants sur les femmes, les homosexuels, les juifs, les musulmans… ne seraient qu’inévitables, et donc excusables, séquelles des temps anciens.

Marion Sigaut a fait la synthèse de tous ces ragots


« À l’époque », dira-t-on, pareils énoncés n’avaient pas le même sens ni la même portée qu’aujourd’hui. Habituelle et facile, cette réponse s’en tire à bon compte et ne va pas loin. Certes, on ne peut nier que les sensibilités évoluent, mais il est également bien facile de trouver, parmi les contemporains de Voltaire, des penseurs qui combattaient pour l’égalité des sexes, la liberté des moeurs, la dignité des juifs et celle des musulmans. Vingt ans avant la naissance de Voltaire, par exemple, François Poulain de la Barre publiait « De l’égalité des deux sexes » (1673), l’un des premiers grands classiques du féminisme, "où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés". En 1714, le philosophe irlandais John Toland, libre-penseur, publiait un texte délibérément « philosémite », « Reasons for Naturalizing the Jews in Great Britain and Ireland ». Eux et quelques autres contrevenaient donc à cet « air du temps » supposé tout-puissant, et l’on eût aimé compter Voltaire en leur compagnie. Ce n’est pas le cas.



Dès lors, certains seront tentés de le brûler. Aux indulgents, qui dissolvent ses propos infâmes dans les habitudes de l’époque, succèdent les teigneux à courte vue, qui aiment par-dessus tout cracher sur les idoles et déboulonner les statues. Si le philosophe de Ferney n’est plus tout entier admirable, diront-ils, qu’on le jette tout entier, qu’on l’oublie à jamais ! Au lieu du Panthéon, les poubelles de l’Histoire. Voilà encore une esquive, elle aussi bien simpliste. Car la difficulté, la seule intéressante, est d’affronter la coexistence de ces deux faces : ici tolérance, raison, Lumières, là mépris, calomnies, exclusions.



Sans prétendre détenir « la » solution, il est possible de proposer une dernière hypothèse. Ce qu’incarne Voltaire, dans ses contrastes et ses contradictions, il se pourrait bien que ce soit tout simplement… la France, dans ce qu’elle a simultanément de grand et d’ignoble. Il faudrait alors envisager que la France soit à la fois universelle et xénophobe, tolérante et excluante, égalitaire et bornée. Sans doute est-ce là une éventualité peu agréable à entendre, et encore moins à creuser. Pourtant, nos récentes campagnes électorales semblent avoir confirmé cette image paradoxale. La plupart du temps, nous nous employons assidûment à l’éviter, préférant ne penser qu’une seule face de la France. Le miroir que nous tend Voltaire, avec son tain parsemé de vilaines taches noires, est peut-être là pour nous rappeler la situation compliquée de la pensée française. Cette situation resterait en fait, pour l’essentiel, à penser. Si c’est le cas, est-il si étonnant qu’on ne lise plus vraiment Voltaire ?
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mercredi 30 mai 2018

Xavier Martin et Voltaire


Au fond, Voltaire possède une qualité rare, celle de faire enrager les bigots. Ces derniers en sont alors réduits aux pires extrémités...
Dans cette interview donnée à TV Libertés (observez Anne Brassié, au bord de l'apoplexie !), l'universitaire Xavier Martin prend un plaisir évident à cracher son venin sur le patriarche de Ferney. Un grand moment de télé !

(Concernant l'ouvrage Voltaire méconnu, voir ici ce qu'on en disait.)

samedi 11 juin 2016

Xavier Martin : Voltaire Méconnu (4)


Combien furent-ils, au XVIIIème siècle, à croiser le fer avec Voltaire dans le seul espoir de se faire un nom ? On en connaît de talentueux (Rousseau) qui lancèrent leur carrière par un défi adressé au mentor des Lumières (songez à sa Lettre sur la Providence en 1756, puis au célèbre "je ne vous aime point, monsieur... je vous hais, enfin" en 1760).
D'autres, comme le journaliste Fréron, doivent leur renommée au combat qu'ils menèrent contre le prince des poètes. 
Les derniers, d'obscurs gratte-papier en quête de gloire (et le plus souvent d'une sinécure...), sont retombés dans un anonymat dont ils n'auraient jamais dû sortir. 
Tous ont du moins un point en commun : Voltaire a répondu à leur déclaration de guerre. 
Et tous, sans exception, ont été écrasés...
Le Franc de Pompignan fut de ceux-là : on sait ce qu'il advint de lui. Et reconnaissons avec le biographe Jean Orieux que dans ces moments-là, "nous le (Voltaire) voyons répondre à ses bas adversaires avec des armes aussi viles que les leurs." 
Mais cela, nous le savons déjà...

 ***

Dans son pamphlet, l'universitaire Xavier Martin évoque le sort d'un autre de ces fiers-à-bras, le dénommé Laurent Angliviel de La Beaumelle. Comme on en a déjà longuement parlé ici , on ne rappellera pas les interminables tribulations du conflit qui a opposé les deux hommes. 
La Beaumelle

Penchons-nous plutôt sur la manière dont Xavier Martin nous expose les faits.
En premier lieu, il nous présente La Beaumelle comme un jeune écrivain "talentueux" p.47 dont "les productions avaient l'indécence de lui ( à Voltaire ) faire ombrage"p.43. D'emblée, l'essayiste insinue que le philosophe se serait acharné par jalousie, afin de faire taire un auteur jugé trop brillant. Or, il n'en est rien. Qu'a écrit La Beaumelle en 1751, au moment où il arrive à Berlin ? Mes Pensées ou Qu'en dira-t-on ? , un ouvrage de réflexions "qui ne firent penser personne" selon Jean Orieux. On y trouve néanmoins le jugement qui suit : "Qu'on parcoure l'histoire ancienne et moderne , on ne trouvera point d'exemple de prince qui ait donné sept mille écus de pension à un homme de lettres , à titre d'homme de lettres. Il y a eu de plus grands poètes que Voltaire; il n'y en eut jamais de si bien récompensé, parce que le goût ne met jamais de bornes à ses récompenses. Le roi de Prusse comble de bienfaits les hommes à talents, précisément par les mêmes raisons qui engagent un petit prince d'Allemagne à combler de bienfaits un bouffon ou un nain".  
Passe encore que La Beaumelle ait été impertinent. Mais qu'il ose ensuite demander audience à l'homme qu'il venait d'injurier, ce même homme dont il sollicitait le concours, deux ans plus tôt, pour créer une collection d'ouvrages classiques à Copenhague ! Une telle audace pourrait être mise sur le compte de l'inconscience. J'y vois pour ma part la provocation parfaitement réfléchie d'un boutefeu désireux d'en découdre avec le prince des poètes. Lorsque Xavier Martin prétend que Voltaire s'est "obstiné à le poursuivre obstinément (sic...) de sa vindicte", il omet d'ailleurs de rapporter les menaces de La Beaumelle ("je le poignarderai en publiant ses crimes dont j'ai une liste assez exacte", lettre à Mme Denis en 1753).
Pour entrer dans la lumière, il lui fallait approcher du soleil Voltaire. Ses démêlés avec le poète distrayaient le public ? Eh bien, La Beaumelle allait lui en donner pour son argent !

D'abord dans Le Siècle de Louis XIV par M. de Voltaire […] nouvelle édition augmentée d'un très grand nombre de remarques, par M. de La B*** (publié sans privilège en 1753), puis dans le Commentaire sur La Henriade  (1775).
Dans ces deux rééditions, La Beaumelle s'autorise à donner des leçons de style et de grammaire au prince des poètes. Jugez-en plutôt :


 Et là, quelques autres commentaires tout aussi essentiels :
 
La suite sera à l'avenant :  
- Réponse au Supplément du Siècle de Louis XIV ( en 1754)
- Lettres de M. de La Beaumelle à M. de Voltaire (en 1763)

Voilà pour l'écrivain qualifié de "talentueux" par Xavier Martin...  

Le véritable tort de Voltaire est d'avoir donné prise à un aussi insignifiant détracteur. Car comme l'explique fort sobrement Jean Orieux : s'"il a pu pour un instant ressembler à un La Beaumelle (...) les La Beaumelle ne ressemblent jamais à un Voltaire."
 

mercredi 8 juin 2016

Xavier Martin : Voltaire Méconnu (3)




Après Fréron, après Barruel, et plus récemment Marion Sigaut (qu'on a souvent malmenée...), Xavier Martin est le dernier en date d'une interminable liste de cancaniers hostiles au patriarche de Ferney. La tâche est devenue malaisée, reconnaissons-le, car en près de 250 ans, ses adversaires ont eu toute latitude pour déverser des tombereaux d'immondices sur la dépouille de Voltaire. 
Et ils ne s'en sont jamais privés !
A lire Xavier Martin, Voltaire est pourtant, "un auteur que l'on protège" (p.269). Et d'insister à plusieurs reprises : "Voltaire, étrangement, est un auteur protégé" (p.228) ; "on nous le dissimule, du moins le plus possible" (p.57) ; "la gravité du cas demeure peu diffusée" (p.276) ; "tout se passe comme si Voltaire était bizarrement un auteur protégé"( p.60).
A mettre l'eau à la bouche de son lecteur, on se dit que l'essayiste finira par étancher notre soif, qu'il nous livrera les responsables de cet infâme complot destiné à protéger le mentor des Lumières. Au terme des 330 pages du brulot, force est de reconnaître que notre espoir est déçu... Il nous reste à procéder par élimination: puisque Xavier Martin enseigne en faculté, puisque son avis sur le XVIIIème fait autorité, on ne saurait du moins suspecter l'université et ses mandarins d'être coupables d'une telle malfaisance.
Mais alors qui ? La question demeurera sans réponse...

*** 
Xavier Martin

"Tout est dit et l'on vient trop tard" aurait dit La Bruyère. Mais Xavier Martin n'est pas La Bruyère... Confronté à l'impossibilité de faire du neuf avec du connu et du ressassé, il va avancer tout et n'importe quoi : passe encore qu'il traite Voltaire de fou, de méchant homme et de menteur etc... (tout cela se justifie aisément), mais que penser des allusions à son homosexualité (p.141-142) ou encore aux pratiques satanistes (p.174) ? Et que dire de cette supposée parenté intellectuelle entre le poète et... Hitler ? (p.179)
Décidément, certains auteurs osent tout : c'est même à cela qu'on les reconnaît...

***

Aux yeux des nostalgiques de l'ancien régime, Voltaire est le symbole même de l'Anti-France. Pour le discréditer, rien de mieux que de prouver sa haine à l'égard de tout ce qui touche à son pays : "Mépris de Paris", dit Xavier Martin (p.32), avant de parler d'une "haine envers cette ville". Aux yeux de Voltaire, "les Français sont"  d'ailleurs tout aussi "méprisables"...
L'essayiste multiplie les citations, les allusions, les témoignages pour étayer sa thèse.
Et de fait, Voltaire vécut loin de Paris pendant près de 28 ans !  
Sauf que durant ces 28 années, il vécut animé d'une seule obsession : y retourner ! (rappelons qu'il n'y fut autorisé qu'en 1778)
Voyons par exemple ce qu'il écrivait à ses correspondants en 1754 :
 "Je ne pouvais deviner qu’en revenant en France, sur la parole de Mme de Pompadour, sur celle de M. d’Argenson, j’y serais exilé"(...)
 "Me voilà exilé pour jamais de Paris, pour un livre qui n’est pas certainement le mien dans l’état où il paraît, pour un livre que j’ai réprouvé et condamné si hautement" (plainte à d'Argental)
  
"j’ai pris la liberté de vous supplier de détromper Mme de Pompadour, quand l’occasion se présenterait, et de vouloir bien détruire d’un mot de votre bouche la mauvaise foi et la calomnie, que je ne peux plus supporter." (plainte à Malesherbes)

"Votre suffrage, si vous avez le temps de le donner, sera la plus chère récompense de mes pénibles travaux" (plainte au comte d'Argenson)

"J’attends encore de la générosité de votre âme que vous ne voudrez pas remplir mes derniers jours d’amertume.
Je vous conjure de vous souvenir que j’avais perdu mes emplois pour avoir l’honneur d’être auprès de vous, et que je ne le regrette pas; que je vous ai donné mon temps et mes soins pendant trois ans; que je renonçai à tout pour vous, et que je n’ai jamais manqué à votre personne.
(...) Je vous en conjure par le véritable respect que j’ai pour vous, daignez vous rendre à votre caractère encore plus qu’à la prière d’un homme qui n’a jamais aimé en vous que vous-même, et qui n’est malheureux que parce qu’il vous a assez aimé pour vous sacrifier sa patrie. Je n’ai besoin de rien sur la terre que de votre bonté. Croyez que la postérité, dont vous ambitionnez et dont vous méritez tant les suffrages, ne vous saura pas mauvais gré d’une action d’humanité et de justice.
En vérité, si vous voulez faire réflexion à la manière dont j’ai été si longtemps attaché à votre personne, vous verrez qu’il est bien étrange que ce soit vous qui fassiez mon malheur." (plainte à Frédéric, roi de Prusse, dont il espérait qu'il intervienne en sa faveur)

Sont-ce là les mots d'un homme qui a tourné le dos à son pays ? Ou bien Xavier Martin a-t-il sciemment omis tout ce qui nuisait à sa démonstration ?

(à suivre ici)