samedi 25 février 2017

Etre femme du monde au XVIIIè : illusions et désillusions (3)

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ETRE UNE MERE



En devenant mères, Louise Dupin, Louise d’Epinay et Emilie du Châtelet rempliront toutes la fonction qui leur est assignée : donner naissance à un garçon et perpétuer le nom de la famille.


Le rapport des parents aux enfants, même celui de la mère avec l'être qu'elle vient de mettre au monde, n’a pourtant rien à voir avec ce qu’il est devenu aujourd'hui.

Dans les 1ères années, on a évidemment recours à une nourrice. Ainsi, la famille Lalive (les beaux-parents de Louise d'Epinay) envoie l'enfant à plus de dix lieues de Paris. Le moyen idéal pour éloigner la jeune femme de son petit garçon... 
visite à la nourrice, par Fragonard

Plus tard, on s’adjoint les services d’une gouvernante ou d’un précepteur. Ils auront la charge d'éduquer l'enfant et de lui donner sa première instruction. 
Les garçons entreront ensuite au collège, les filles au couvent, en attendant d’être mariés à leur tour.
***
Personne n'attend de ces mères qu'elles prennent soin de leurs enfants.
Ainsi, lorsque Louise soumet à son époux l'idée d'allaiter son premier né, Denis lui répond : « Que voilà bien une des folles idées qui passent quelquefois dans la tête de ma pauvre femme ! Vous, nourrir votre enfant ? J’en ai pensé mourir de rire. Quand bien même vous seriez assez forte pour cela, croyez-vous que je consentisse à un semblable ridicule ? » 
Dans l'esprit du financier, allaiter l'enfant serait un acte ridicule et surtout indigne d’une femme du monde. Dans ces familles, l’enfant est perçu comme une gêne, surtout dans ses jeunes années, d'où ces mesures d'éloignement.
Le témoignage de Louise d’Epinay est une nouvelle fois éclairant : « Hélas ! Tout ce que j’aurais désiré au monde, puisqu’il n’y avait pas de place pour lui dans la maison (rappelons que les Lalive possédaient un hôtel particulier à Paris et un château à la campagne...), aurait été de l’avoir assez près de Paris pour y aller tous les jours ; mais ma mère et mon beau-père, qui ont tout arrangé, ont choisi une nourrice qui demeure à près de dix lieues. Je dois aller demain le voir avec ma mère. Mon mari, qui ne l’a point encore vu, ce cher enfant, n’y peut pas venir »
Denis d'Epinay
 
 Ce désintérêt à l’égard de l’enfant peut également toucher la mère.
Le jour de la mort de son garçon (en 1734), Emilie du Châtelet écrit à son amant Maupertuis: « Mon fils est mort cette nuit…Si vous voulez venir me consoler, vous me trouverez seule. J’ai fait défendre ma porte, mais je sens qu’il n’y a point de temps où je ne trouve un plaisir extrême à vous voir »

Et dans une autre lettre : « j’ai perdu le plus jeune de mes fils. J’en ai été plus fâchée que je ne l’aurais cru et j’ai senti que les sentiments de la nature existaient en nous sans que nous nous en doutassions »

 Ses enfants seront tous pris en charge et instruits par des précepteurs, celui de Louise Dupin sera quant à lui mis en pension chez un précepteur savant à Paris.
 
 ***

 Si l’instruction est semble-t-il assurée, l’éducation est quant à elle souvent négligée.
 Chargé un temps de du petit Dupin, Rousseau renonce avec ce commentaire concernant sa mère : « elle ne voulait pas qu’il fût contrarié »
Comme une mauvaise graine ne saurait donner un bon arbre, ces garçons tourneront mal : l'un comme l'autre s'adonneront aux jeux d'argent et accumuleront les dettes. Louise d’Epinay et Louise Dupin solliciteront elles-mêmes une lettre de cachet pour les faire enfermer en prison. Cette dernière ira jusqu’à exiler son fils unique à l’Ile Maurice. Il y mourra en 1767.

(à suivre ici)



mercredi 22 février 2017

Etre femme du monde au XVIIIè : illusions et désillusions (2)

--> ETRE UNE EPOUSE :


Si l'âge moyen du mariage en France est alors de 25 ans,
Louise Dupin (16 ans), Louise d’Epinay et Emilie du Châtelet (19 ans) et Marie du Deffand (22 ans) appartiennent à des milieux sociaux (notamment celui de la finance) qui unissent leurs enfants par intérêt (s'attacher des noms ou des fortunes), et souvent à un âge plus précoce.
Hormis Louise d’Epinay (tombée amoureuse de son cousin Denis), aucune des jeunes femmes citées ci-dessus n’a choisi son mari. Toutes ont néanmoins semblé heureuses de se marier. 
Comment expliquer ce paradoxe ?  
 
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Pour elles, le mariage offre une perspective alléchante, celle d'entrer dans le monde, donc de découvrir une vie sociale longuement fantasmée, émaillée de sorties et de divertissements.

Ainsi de Marie du Deffand qui épouse un lointain cousin bourguignon (dont elle ignorait tout jusqu'alors !) avant de revenir à Paris, d'être introduite à Sceaux et de devenir brièvement la maîtresse du régent ! Sa vie amoureuse plus que tumultueuse lui vaudra un jour ce jugement peu amène : « elle prend un amant comme on prend un vêtement, parce qu’il faut en avoir un, et le quitte le lendemain, pour le seul plaisir de s’en donner un autre »

Et que dire de Louise d’Epinay ? Le lendemain de son mariage, son mari Denis lui offre du rouge à joues, symbole de son entrée dans ce monde qui lui fait encore peur. La jeune femme disposera très vite de son carrosse et de ses chevaux, ainsi que d'un quart de loge à l'Opéra.


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Dans ce monde, la fidélité ne saurait être exigée d'aucun des deux conjoints. Pour un peu, elle serait même considérée comme ridicule.  Hormis Louise Dupin (et encore manque-t-on d'informations sur son compte), aucune de nos épousées ne sera fidèle à son époux. Du moment qu'elles respectent la bienséance en évitant le scandale public, les jeunes femmes peuvent donc prendre un amant. Ainsi, Grimm pourra s'installer à demeure sous le toit familial (au chateau de la Chevrette) sans que quiconque trouve à y redire. Voltaire vivra lui à Cirey auprès de sa maîtresse Emilie du Châtelet.

Les époux ne sont évidemment pas en reste. Quelques mois après son mariage, Denis Lalive d'Epinay multiplie déjà les conquêtes amoureuses.
le château de la Chevrette : dans l'aile droite, les appartements de Grimm


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Certaines de ces jeunes femmes doivent néanmoins assumer un rôle social auprès de leurs époux. Qu'ils se nomment Claude Dupin ou Denis d'Epinay, ces derniers cherchent généralement à asseoir leur réputation et à donner à leur nom l'honorabilité qui leur manque. Pour ce faire, les familles de financiers miment les conduites aristocratiques, les uns achetant d'immenses châteaux à la campagne, les autres se payant des orchestres ou encore des tableaux de valeur

Chenonceau, demeure estivale des Dupin

L'objectif est encore d'attirer chez soi une "bonne compagnie" ou une "bonne société".
Recevoir un écrivain renommé ou un peintre est facteur de prestige et de considération sociale. On entretient ces artistes, on s’attache leur présence, parfois l’exclusivité de leur présence, en les pensionnant .

Mme du Deffand a pour elle d’Alembert, mais elle est surtout la principale interlocutrice de Voltaire. Pour connaître les dernières nouvelles de Ferney, rien ne vaut une soirée dans le salon du couvent Saint-Dominique !

Le rôle de l’épouse est également de recevoir les visites, de présider aux soupers, et pourquoi pas d’avoir un ou deux jours marqués par semaine.
Louise Dupin reçoit le vendredi et on croise chez elle toute l'aristocratie parisienne, mais également des ministres et des ambassadeurs étrangers. En jouant ce rôle d'hôtesse, elle contribue à dorer le blason de la famille Dupin.
Au début de son mariage, Louise d’Epinay écrit : « nous aurons deux soupers et un dîner par semaine…. Ensuite nous aurons un concert public par semaine, c'est-à-dire où tous les gens de notre connaissance pourront venir et 2 autres jours où nous aurons seulement quelques musiciens pour nous amuser à porte fermée »

Mme du Deffand reçoit tous les jours au plus tôt à 17 heures ; après le souper, on lit, on parle, on joue aux jeux d’argent ; elle s’endort rarement avant l’aube : « je me couche à une heure ou deux, je ne dors point. J’attends les 7 heures avec impatience ; mon invalide arrive, je veux dormir, et il me lit quelquefois 4 heures avant que le sommeil arrive…je m’endors à onze heures ou midi…je ne me lève qu’à cinq ou six heures »


***

L’espace dévolu à ces épouses (notamment les deux Louise) n’est pas véritablement domestique (on ne leur demande pas de s’occuper du foyer) ; il n’est pas non plus public (c’est avant tout la place de l’homme) ; il est entre les deux.

(à suivre ici)


lundi 20 février 2017

Etre femme du monde au XVIIIè : illusions et désillusions (1)

D’Alembert, Diderot, Montesquieu, Rousseau, Voltaire… Du XVIIIème siècle, l’histoire littéraire a retenu le nom de quelques personnages emblématiques, généralement associés au mouvement des Lumières, et célébrés depuis la chute de l’Ancien Régime comme les inspirateurs de la société moderne. Le lecteur attentif aura remarqué qu’aucune femme ne figure dans ce panthéon des grands hommes.
Des salonnières les plus célèbres de l’époque, parmi lesquelles Claudine de Tencin, Marie-Thérèse Geoffrin, Marie du Deffand ou encore Julie de Lespinasse, qui ont accueilli chez elles les plus illustres esprits de leur temps, on ne trouve quasiment nulle trace dans notre patrimoine littéraire. Spectatrices au quotidien de l’effervescence intellectuelle qui caractérisait les réceptions mondaines, elles se sont toujours contentées d’applaudir au génie de leurs hôtes sans jamais s’avancer sur le devant de la scène pour jouer leur propre partition.


Le parcours de Louise d'Epinay, que j'évoque dans mon dernier roman, est révélateur de cette injustice faite aux femmes. Essayons de comprendre pourquoi.




ETRE JEUNE FILLE DE LA BELLE SOCIETE
 
Des 150 écoles parisiennes ouvertes aux jeunes filles dans les années 1750, il convient de distinguer les externats payants qui dépendent de Notre-Dame, les écoles de charité destinées aux enfants pauvres et les communautés religieuses (parfois gratuites, elles aussi) dont les pensionnats réunissent l'essentiel de l'élite parisienne.
A en croire ses pseudo-mémoires, Louise d’Epinay a passé 2 années au couvent (sans doute entre 1737 et 1739), apparemment dans une institution caritative.
Marie du Deffand est elle aussi demeurée pensionnaire au couvent de la Madeleine du Traisnel, établissement fort renommé à Paris. Emilie du Châtelet a quant à elle bénéficié d'une instruction à domicile, au 4ème étage de l'hôtel particulier où résidait sa famille.

Dans leur salon, ses parents reçoivent alors ce que Paris fait de plus brillant : et notamment Fontenelle, avec qui la jeune femme parle d’astronomie et de physique. Contrairement aux filles instruites dans les institutions traditionnelles, Emilie apprend les langues, notamment l’anglais, l’italien, un peu d’espagnol, et surtout le latin ; avec Maupertuis, elle aura plus tard un maître capable de former son esprit et de l'initier à la complexité scientifique. Mais les autres ? Celles qui connaissent une scolarité plus classique ?
Pour elles, l’instruction religieuse et la formation à la piété constituent évidemment la priorité.

On peut ainsi lire dans le règlement de la communauté de Sainte-Anne (paroisse de St-Roch) : « Il ne faut pas exiger d'elles plus que Dieu leur a donné et qu'elles peuvent faire, si on ne peut pas tirer d'avantage il suffit qu'elles croient ce qui est nécessaire et qu'elles soient de bonnes mœurs »
Pour toutes les classes de filles, même celles tenues par des maitresses laïques, il faut avant tout apprendre à connaître et à obéir à Dieu. On apprend les prières, le catéchisme, les grands textes sacrés, et on assiste à la messe quotidienne.
L’instruction de base est partout la même, à savoir lire, écrire, et compter.
Selon l’origine sociale des écolières, le contenu peut cependant varier. Ainsi, dans les écoles payantes, qui comptent bon nombre de filles de marchands, on privilégie souvent le calcul.
Les écoles caritatives de Notre-Dame initient plutôt les jeunes filles aux travaux d’aiguille, à la couture, à la broderie, à la dentelle... Après deux ou trois années de formation, elles deviendront ouvrières dans l’industrie textile parisienne.
Les couvents, qui hébergent les enfants des meilleures famille, proposent moins de travaux d'aiguille (les domestiques y pourvoiront). En contrepartie, elles développent les pratiques de sociabilité indispensables pour entrer dans le monde. Ainsi, il n'est pas rare que des maîtres extérieurs entrent au couvent pour y donner des cours individualisés d'histoire et de géographie. La musique (harpe, clavecin), le chant, la danse, le dessin, la déclamation sont d'autres pratiques que la jeune fille doit acquérir. L’agrément l’emporte toujours sur les sciences, et nulle part on n’enseigne de langue étrangère.
Comme on le devine, cette instruction ne vise en aucun cas la formation intellectuelle de l'élève.
Pour l’Eglise, la jeune fille est évidemment une cible prioritaire, d'abord parce qu'elle est enfant, et surtout parce qu'elle deviendra mère.


Dans le Mémoire instructif pour faire connaitre l’utilité des écoles charitables, on lit :
«Le défaut d'éducation et d'instruction des jeunes filles a toujours été et est en effet la source de la plupart des dérèglements qu'on voit avec douleur au milieu du christianisme»
Pour restaurer son pouvoir sur les consciences, l'Eglise fait de la future mère l'instrument chargé de propager la bonne parole...

 
Emilie du Châtelet



Devenues adultes, les femmes les plus brillantes porteront un regard amer sur leurs jeunes années.
Marie du Deffand écrira un jour à Voltaire : « Vous ne savez point (…) quel est l’état de ceux qui pensent, qui réfléchissent, qui ont quelque activité, et qui sont en même temps sans talent… »
En écho, Louise d’Epinay confirme : « du temps de notre enfance, ce n’était pas l’usage de rien apprendre aux filles : on leur enseignait les devoirs de la religion…on leur donnait un fort bon maître à danser, un fort mauvais maître de musique et tout au plus un médiocre maître de dessin…Voilà à quoi se réduisaient les études soignées. Surtout on ne vous parlait jamais raison »




 A part Emilie du Châtelet, toutes ces femmes auront le sentiment d’une enfance sacrifiée, d’une éducation ratée et surtout, la conscience d'une injustice faite aux femmes...

(à suivre ici

samedi 18 février 2017

Dom Bougre, le portier des chartreux (5)

Dom Bougre, portier des Chartreux est un roman libertin distribué sous le manteau dès 1741.

On l'attribue à l'avocat Jean-Charles Gervaise de Latouche.

A la fin du roman, le père Saturnin retrouve Suzon, sa bien-aimée.



Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait disparu. J’avais oublié mes chagrins, l’univers entier, dans les bras de Suzon, — Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle ; où trouveras-tu une fille plus tendre ? où trouverais-je un amant plus passionné ? Je lui jurais de vivre toujours avec elle ; je le lui jurais, hélas ! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L’orage grondait sur nos têtes, le charme de l’illusion le dérobait à nos yeux. — Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée sauvez-vous, fuyez par l’escalier dérobé ! Surpris, nous voulûmes nous lever : il n’était plus temps ; un archer féroce entrait au moment où nous nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras : il l’en arrache malgré mes efforts, il l’entraîne. Cette vue me rend furieux ; la rage me prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m’élance sur l’archer. Arrête, malheureux Saturnin ! Il n’est plus temps, le coup est porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je me défends, je succombe, je suis pris. On me lie ; à peine me laisse-t-on la liberté de prendre la moitié de mes habits. — Adieu, Suzon, m’écriai-je en lui tendant les bras ; adieu, ma chère sœur, adieu ! On me traînait inhumainement sur l’escalier ; la douleur que me causaient les coups des marches sur lesquelles ma tête frappait me fit bientôt perdre connaissance.



Dois-je finir ici le récit de mes malheurs ? Ah ! lecteur, si votre cœur est sensible, suspendez votre curiosité, contentez-vous de me plaindre mais quoi ! le sentiment de ma douleur prévaudra-t-il toujours sur celui de ma félicité ? N’ai-je pas assez versé de pleurs ? Je touche au port et je regrette encore les dangers du naufrage. Lisez, et vous allez voir les tristes suites du libertinage, heureux si vous ne le payez pas plus cher que moi.
Je ne revins de ma faiblesse que pour me voir dans un misérable lit, au milieu d’un hôpital. Je demandai où j’étais. A Bicêtre, me dit-on. A Bicêtre ! m’écriai-je ; ciel ! à Bicêtre ! La douleur me pétrifia, la fièvre me saisit, je n’en revins que pour tomber dans une maladie plus cruelle, la vérole ! Je reçus sans murmurer ce nouveau châtiment du ciel. Suzon, me dis-je, je ne me plaindrais pas de mon sort, si tu ne souffrais pas le même malheur.
Mon mal devint insensiblement si violent que, pour le chasser, on eut recours aux plus violents remèdes : on m’annonça qu’il fallait me résoudre à subir une petite opération. Il faut vous épargner ce spectacle de douleur. Que puis-je vous dire ? Je tombai dans une faiblesse que l’on prit pour le dernier moment de ma vie. Que ne l’était-il ? J’aurais été trop heureux ! La douleur qui avait causé mon évanouissement m’en retira. Je portai la main où je sentais la douleur la plus vive. Ah ! je ne suis plus un homme ! Je poussai un cri qui fut entendu jusqu’aux extrémités de la maison. Mais bientôt revenant à moi-même, et, tel que Job sur son fumier, pénétré de douleur et soumis aux ordres du ciel, je m’écriai dans l’amertume de mon cœur : Deus dederat, Deus abstulit.
Je ne souhaitais plus que la mort. J’avais perdu le pouvoir de jouir de la vie ; l’anéantissement était le but de tous mes désirs ; j’aurais voulu me cacher éternellement ce que j’avais été, je ne pouvais penser sans horreur à ce que j’étais. Le voilà donc, disais-je au fond de mon cœur, le voilà, cet infortuné père Saturnin, cet homme si chéri des femmes, il n’est plus ; un coup cruel vient de lui enlever la meilleure partie de lui-même ; j’étais un héros, et je ne suis plus qu’un… Meurs, malheureux, meurs ; peux-tu survivre cette perte ? Tu n’es plus qu’un eunuque !
La mort fut sourde à mes cris ; ma santé revint, je me rétablis ; mais ma débilité fit juger qu’on ne tirerait pas de moi les services qu’on en avait attendus et auxquels on m’avait destiné ; on me déclara que j’étais libre. — Je suis libre, répondis-je au supérieur qui me l’annonçait ; hélas ! à quoi va me servir cette liberté que vous me donnez ? Dans l’état cruel où je suis, c’est le présent le plus funeste que vous puissiez me faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d’une jeune personne que l’on doit avoir amenée ici le même jour que moi ? — Il est plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement ; elle est morte dans les remèdes. — Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier coup ; Suzon est morte ! Ah ciel ? et je vis encore ! J’aurais dans le moment terminé mes jours si l’on n’avait arrêté l’effet de mon désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l’on me mit dans le chemin de profiter de la permission que l’on venait de me donner, c’est-à-dire à la porte.
Je restai un moment anéanti ; mes yeux seuls, en répandant un torrent de larmes, témoignaient que je vivais encore ; j’étais au dernier degré du désespoir et de la rage. Couvert d’un malheureux habit, ayant à peine de quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m’abandonnai dans les bras de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j’aperçus les murs des Chartreux ; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un trait de lumière. Heureux mortels ! m’écriai-je, qui vivez dans cette retraite à l’abri des fureurs et des revers de la fortune, vos cœurs purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien. L’idée de leur félicité m’inspira le désir de la partager. J’allai me jeter aux pieds du supérieur ; je lui contai mes infortunes. O mon fils, me dit-il en m’embrassant avec bonté, louez Dieu : il vous réservait ce port après tant de naufrages. Vivez-y, et vivez-y heureux, s’il est possible.
Je restai pendant quelque temps sans emploi, mais bientôt on m’en donna. Je montai par degrés au poste de portier, et c’est sous ce titre qu’on m’a connu.
C’est ici que mon cœur se fortifie dans la haine qu’il a conçue pour le monde ; j’y attends la mort sans la craindre ni la désirer, et je prétends que, quand elle m’aura tiré du nombre des vivants, on grave en lettres d’or sur mon tombeau :
Hic situs est dom Saturnin, Fututus, Futuit.


FIN

mercredi 15 février 2017

Dom Bougre, le portier des chartreux (4)

Dom Bougre, portier des Chartreux est un roman libertin distribué sous le manteau dès 1741.

On l'attribue à l'avocat Jean-Charles Gervaise de Latouche.

Au début du 2nd tome, le narrateur découvre les surprenantes réalités de la vie monacale.


La nièce du père Casimir était brune, vive et petite. Si elle perdait au premier coup d’œil. l’examen la vengeait ; ménageant avec adresse sa gorge, qui n’était plus absolument belle, elle en tirait le meilleur parti. Ses yeux petits, mais noirs, promenaient sur vous ses regards enjoués conduits par la coquetterie la plus raffinée. Elle enchantait par la vivacité et le sel de ses polissonneries. En un mot, c’était tout ce qu’on pouvait souhaiter de plus charmant pour attraper le jour, sans s’apercevoir qu’on a passé la nuit.
Aussitôt que je me vis placé à côté de cette aimable fille, je sentis renouveler ces mouvements confus que j’avais autrefois éprouvés quand le hasard m’avait fait découvrir Toinette et le père Polycarpe. La longue privation du plaisir m’avait formé pour ainsi dire une seconde nature, susceptible d’impressions aussi vives et aussi piquantes ; je recommençai à vivre, parce que je crus que j’allais revivre pour le plaisir. Je regardais ma voisine, dont l’air riant et docile me faisait connaître que mes désirs ne languiraient qu’autant de temps que j’aurais la simplicité de ne pas les expliquer. Je sentis bien que ce n’était pas l’envie de faire la vestale qui la faisait trouver au milieu d’une bande de moines ; mais le bonheur qu’elle semblait m’offrir me paraissait si grand, que j’avais peine à le concevoir ; j’étais tremblant, et, dans la crainte qu’elle m’échappât, à peine aurais-je pu former le dessein de le demander. J’avais la main sur sa cuisse, que je pressais contre la mienne ; je sentis qu’elle me la prenait et la passait par l’ouverture de son jupon ; je connus son dessein, je portai bientôt le doigt où elle le désirait. Le toucher d’un endroit qui m’était interdit depuis longtemps me causa un frémissement de joie qui fut aperçu de la bande, qui me cria : Courage, père Saturnin, vous y voilà. Peut-être me serais-je déconcerté de cette exclamation, si Marianne (c’était le nom de notre déesse) ne m’eût sur-le-champ donné un baiser et déboutonné ma culotte d’une main, tandis qu’elle passait l’autre bras autour de mon cou, et, empoignant mon vit : Ah ! pères, s’écria-t-elle en le leur montrant, en avez-vous de cette beauté-là ? Il se fit un brouhaha d’admiration, et chacun la félicita sur son bonheur prochain. Elle en était enchantée. Alors le père Casimir, imposant silence à la troupe, m’adressa la parole. 


— Père Saturnin, me dit-il, disposez de Marianne ; vous la voyez, dispensez-moi de faire son éloge. Elle est accomplie, elle va vous donner tous les plaisirs imaginables ; mais ces plaisirs sont à une condition. — Quelle est-elle, cette condition ? lui répondis-je ; faut-il vous donner mon sang ? — Non. — Quoi donc ? — Votre cul. — Mon cul ? eh ! que diable en feriez-vous ? — Oh ! c’est mon affaire, répondit-il. L’envie de baiser Marianne fit que je n’insistai pas. Je me mis en devoir de l’enconner, et mon bougre de m’enculer. Un banc nous servit de siège : je m’étendis sur elle, le père sur moi. Quoique Casimir me déchirât le cul, le plaisir que je goûtais avec sa nièce faisait diversion à la douleur. Nous nageâmes bientôt dans les délices. Si quelquefois le plaisir m’arrêtait au milieu du travail, Casimir, réveillant ma valeur, m’animait à faire aussi bien que lui. Ainsi poussé et poussant, les coups de l’oncle allaient retentir dans le con de la nièce, qui, tantôt mourant et ressuscitant, surprenait l’assemblée. Il y avait longtemps déjà que nous avions laissé derrière nous le père Casimir, qui, surpris de l’opiniâtreté du combat, joignit son admiration à celle de la compagnie, qui en attendait l’issue. J’étais surpris que Marianne me tînt tête, à moi qui croyais avoir rassemblé dans ce moment toutes les forces acquises pendant un si long temps. Elle était enragée de ma valeur, elle qui avait désarçonné les plus vigoureux, le foutre et le sang ruisselaient. Déjà nous avions déchargé quatre fois, quand Marianne, fermant l’œil, baissant la tête, attendait sans mouvement que, par une cinquième décharge, je lui donnasse le coup de grâce ; elle le reçut, et, après l’avoir savouré pendant quelques minutes, s’échappa de mes mains et me dit qu’elle se rendait. Fier de ma victoire, je lui versai une rasade, j’en pris autant, et nous scellâmes dans le vin notre réconciliation.

Ce combat fini, chacun se mit à sa place, et Casimir entama l’éloge de la bougrerie. Possédant à fond cette matière, il s’en acquitta bien, il passa en revue tous les bougres célèbres : il y trouva des philosophes, des papes, des empereurs, des cardinaux.
(à suivre ici)

vendredi 10 février 2017

Dom Bougre, le portier des chartreux (3)

 Dom Bougre, portier des Chartreux est un roman libertin distribué sous le manteau dès 1741.
On l'attribue à l'avocat Jean-Charles Gervaise de Latouche.

Fils illégitime d'un père Célestin, le narrateur a été recueilli par un jardinier nommé Ambroise et par son épouse Toinette. 
Un jour, il rejoint Mme Dinville, marraine de sa soeur Suzon, dans un labyrinthe.




Mme Dinville gagna un petit bosquet dont la fraîcheur nous promettait une promenade charmante, si nous y restions. Je le lui dis. — Soit, me répondit-elle, en cherchant à pénétrer dans mes yeux si je n’étais pas au fait du motif de sa promenade. Elle n’y vit rien. Je ne m’attendais pas au bonheur qui m’était préparé. Elle me serrait affectueusement ; et, penchant sa tête près de mon épaule, approchait son visage si près du mien que j’aurais été un sot si je n’y eusse pris un baiser, on me laissa faire, je réitérai ; même facilité, j’ouvris les yeux. Oh ! pour le coup, dis-je, c’est une affaire faite ; nous n’aurons pas ici d’importuns. Ayant pénétré ma pensée, nous nous engageâmes dans un labyrinthe dont l’obscurité nous dérobait aux yeux des plus clairvoyants. Elle s’assit à l’abri d’une charmille ; j’en fis autant, et me mis à côté d’elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je crus que l’heure du berger allait sonner, et déjà je préparais l’aiguille, quand tout à coup elle s’endormit. Je crus d’abord que ce n’était qu’un assoupissement qu’il me serait facile de dissiper ; mais voyant qu’il augmentait, je me désespérais d’un sommeil qui me devenait suspect. Encore, disais-je, si elle avait satisfait mes désirs, je lui pardonnerais ! Mais s’endormir au moment du triomphe, je ne pouvais m’en consoler. Je l’examinais avec douleur : elle avait les mêmes habits que la veille ; sa gorge était découverte, elle y avait mis son éventail, qui, suivant les mouvements du sein, se soulevait assez pour m’en laisser voir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs je voulais la réveiller : mais je craignais de l’indisposer et de perdre l’espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai à la démangeaison de porter la main sur sa gorge. Elle dort trop pour se réveiller, disais-je. Quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle me grondera, voilà tout ! Essayons. Je portai une main tremblante sur un téton, tandis que je regardais son visage, prêt à finir au moindre signe qu’elle ferait ; elle n’en fit pas, je continuai. Ma main ne frisait pour ainsi dire que la superficie de son sein, comme une hirondelle qui rase l’eau en y trempant ses ailes. Bientôt j’ôtai l’éventail, je pris un baiser ; rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture, et mes yeux, animés par la vue des tétons, voulurent descendre plus bas. Je mis la tête aux pieds de la dame, et, le visage contre terre, je cherchai à pénétrer dans le pays de l’amour ; mais je ne vis rien. Ses jambes croisées et sa cuisse droite collée sur sa gauche mettaient mes regards en défaut. Ne pouvant voir, je voulus toucher. Je coulai la main sur la cuisse et j’avançai jusqu’au pied du mont. Déjà je touchais à l’entrée de la grotte, et je croyais y borner mes désirs. Parvenu à ce point, je ne m’en trouvai que plus malheureux. J’aurais voulu rendre mes yeux participants des plaisirs de ma main ; je la retirai, et je me mis à ma place pour examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Il n’était point altéré ; le sommeil semblait avoir versé sur elle ses pavots les plus assoupissants. J’entrevoyais cependant un œil dont le clignotement m’inquiétait. Je m’en défiais, et si dans l’instant il se fût fermé, peut-être me serais-je contenté de ce que j’avais fait ; mais l’immobilité de cet œil suspect me rendit la confiance. Je retournai à mon poste inférieur, et commençai à lever doucement le jupon. Elle fit un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai précipitamment, et, le cœur saisi de frayeur, je me remis à ma place sans oser la regarder ; mais cette contrainte ne fut pas longue ; mes yeux retournèrent sur elle ; je reconnus avec plaisir que le mouvement qu’elle avait fait ne venait pas de son réveil, et je remerciai la fortune de mon heureuse situation. Ses jambes étaient décroisées, son genou droit élevé, et le jupon tombé sur son ventre, et je vis ses cuisses, ses jambes, sa motte, son con ! Ce spectacle me charma. Un bas, proprement tiré, noué, sur le genou, avec une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah ! des cuisses dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes, un con d’un rouge de carmin entouré de petits poils plus noirs que le jais, et d’où sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux ! J’y mis le doigt, je le chatouillai un peu ; le mouvement qu’elle avait fait ayant écarté ses jambes, j’y portai aussitôt la bouche en tâchant d’y enfoncer la langue. Je bandais d’une extrême force. Ah ! les comparaisons l’exprimeraient mal ! Rien ne put alors m’arrêter : crainte, respect, tout disparut. En proie aux désirs les plus violents, j’aurais foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. J’enconnai Mme Dinville sans m’appuyer sur elle, crainte de la réveiller. Appuyé sur mes deux mains, je ne la touchais qu’avec mon vit ; un mouvement doux et réglé me faisait avaler à longs traits le plaisir : je n’en prenais que la fleur.

Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collai de temps à autre ma bouche sur la sienne ; La précaution que j’avais prise de m’appuyer sur mes mains ne tint pas contre mon ravissement. Plus d’attention, je me laissai tomber sur elle ; il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre chose que la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me rendit l’usage de mes yeux, que le commencement m’avait ôté ; elle me rendit le sentiment que j’avais perdu : je ne le recouvrai que pour avoir des transports de Mme Dinvillc que je n’étais plus en état de partager. Elle venait de croiser les mains sur mes fesses,et, élevant le derrière, qu’elle remuait avec vivacité, m’attirait sur elle de toute sa force. J’étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un reste de feu que le sien commençait à rallumer. — Cher ami, me dit-elle à demi-voix, pousse encore un peu, ah ! ne me laisse pas en chemin. Je me remis au travail avec une ardeur qui surpassa la sienne, car, à peine eus-je donné cinq ou six coups, qu’elle perdit connaissance. Plus animé que jamais, je doublai le pas, et. tombant sans mouvement dans ses bras, nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements.
Revenus de notre extase, quand je me retirai, ce ne fut pas sans confusion. Je baissais la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m’examinait. J’étais sur mon séant ; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur l’herbe, et porta l’autre main à mon vit : elle se mit à le baiser. — Que veux-tu donc faire, grand innocent ? me dit-elle ; as-tu peur de me montrer un vit dont tu te sers si bien ? Te cachai-je quelque chose, moi ? Tiens, vois mes tétons, baise-les ; mets cette main-là dans mon sein, bon ; et celle ci, porte-la à mon con, à merveille ! Ah ! fripon, que tu me fais de plaisir ! Animé par ses caresses, j’y répondais avec ardeur ; mon doigt s’acquittait bien de sa fonction : elle roulait des yeux passionnés et soupirait beaucoup ; ma cuisse droite était passée dans les siennes ; elle la serrait avec tant de plaisir que, se laissant tomber sur moi, elle m’en donna des preuves parlantes. Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l’embrasser, à la serrer dans mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J’avais toujours le doigt dans son con ; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes que le plaisir même. Est-il possible d’imaginer quelque chose de plus délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à toutes les postures que notre lubricité peut inventer ? On se perd, on s’abîme, on s’anéantit dans l’examen d’un joli con, on voudrait n’être qu’un vit pour pouvoir s’y engloutir.
(à suivre ici)

mercredi 8 février 2017

Dom Bougre, le portier des chartreux (2)

Dom Bougre, portier des Chartreux est un roman libertin distribué sous le manteau dès 1741.
On l'attribue à l'avocat Jean-Charles Gervaise de Latouche.
Fils illégitime d'un père Célestin, le narrateur a été recueilli par un jardinier nommé Ambroise et par son épouse Toinette. Un jour, en compagnie de sa soeur Suzon, il surprend Toinette se faisant trousser par le père Polycarpe.



Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et s’était approchée de moi. J’étais si fort occupé que je ne m’en étais pas aperçu. — Laisse-moi donc voir aussi ! me dit-elle en me repoussant un peu. Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et me tins à côté d’elle pour examiner sur son visage les impressions qu’y produirait le spectacle qu’elle allait voir. Je m’aperçus d’abord qu’elle rougissait ; mais je présumai trop de son penchant à l’amour pour craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j’en espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l’exemple opérait, je commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu’une résistance médiocre ; elle se contentait de me repousser seulement la main, sans l’empêcher de monter jusqu’aux cuisses, qu’elle serrait étroitement. Ce n’était qu’aux transports des combattants que j’étais redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement. J’aurais calculé le nombre de coups que donnaient ou recevaient la père et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée, faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. 

Suzon m’abandonna tout, sans pousser plus loin sa résistance ; elle écartait les jambes pour laisser à ma main la facilité de se contenter. J’en profitai, et portant le doigt à l’endroit sensible, à peine pouvait-il y entrer. Sentant que l’ennemi s’était emparé de la place, elle tressaillit, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre mouvement de mon doigt. — Je te tiens, Suzon ! lui dis je alors ; et levant son jupon par derrière, je vis, ah ! je vis le plus beau, le plus blanc, le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qu’il soit possible d’imaginer. Non, aucun de ceux à qui j’ai fait le plus de fête, aucun n’a jamais approché du cul de ma Suzon. Fesses divines dont l’aimable coloris l’emportait sur celui du visage ; fesses adorables, sur lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous rendis pas alors l’hommage qui vous était dû ; oui, vous, méritiez d’être adorées ; vous méritiez l’encens le plus pur ; mais vous aviez un voisin trop redoutable. Je n’avais pas encore le goût assez épuré pour connaître votre véritable valeur : je le croyais seul digne de ma passion. Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé ! Oui, je conserverai toujours votre mémoire ! Je vous ai élevé dans mon cœur un autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement ! J’étais à genoux devant cet adorable petit cul, l’embrassais, le serrais, l’entr’ouvrais, m’extasiais ; 
mais Suzon avait mille autres beautés qui piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, fixai mes regards avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par l’amour. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient demander une main qui fixât leur mouvement. J’y portais la mienne, je les pressais. Suzon se laissait aller à mes transports. Rien ne pouvait l’arracher au spectacle qui l’attachait. J’en étais charmé ; mais son attention était bien longue pour mon impatience. Je brûlais d’un feu qui ne pouvait s’éteindre que par la jouissance. J’aurais voulu voir Suzon toute nue, pour me rassasier de la vue d’un corps dont je baisais, dont je maniais de si charmantes parties. Cette vue était capable de satisfaire mes désirs. Mais bientôt j’éprouvai le contraire en déshabillant Suzon, sans qu’elle s’y opposât. Nu de mon côté, je cherchais les moyens d’assouvir ma passion, je n’avais pas assez de force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les plus vives de l’amour étaient mille fois au-dessus de ce que je sentais. Je tâchais de le lui mettre, mais l’attitude était gênante : il fallait le mettre par derrière. Elle écartait les jambes, les fesses, mais l’entrée était si petite, que je n’en pouvais venir à bout. J’y mettais le doigt et l’en retirais couvert d’une liqueur amoureuse. La même cause produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d’y occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu’on me donnait. — Suzon, dis-je, enragé de l’obstacle que son opiniâtre attention apportait à mon bonheur, laisse-les ; viens, ma chère Suzon, nous pouvons avoir autant de plaisir qu’eux. Elle tourna les yeux sur moi ; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras, je la porte sur mon lit, je l’y renverse ; elle écarte les cuisses, mes yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à s’épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je tâchai de les lui donner ; je m’y prenais fort mal : trop bas, trop haut, me consumant en efforts inutiles. Elle me le mit. Ah ! Que je sentais alors qu’il était dans le véritable chemin ! Une douleur, que je ne comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs, m’arrêta d’abord. Suzon en ressentit une pareille ; mais nous ne nous rebutâmes pas. Suzon tâchait d’élargir le passage ; je m’efforçais, elle me secondait. Déjà j’avais fait la moitié de ma course. Suzon roulait sur moi des yeux mourants ; son visage était enflammé, ne respirait que par intervalles, et me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais dans un torrent de délices ; j’en espérais encore de plus grandes, je me hâtais de les goûter. O ciel ! des moments si doux devaient-ils. être troublés par le plus cruel des malheurs ! Je poussais avec ardeur ; mon lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous trahit : il n était que de sangle ; la cheville manqua, il tomba et fit un bruit affreux. Cette chute m’eût été favorable, puisqu’elle m’avait fait entrer jusqu’où je pouvais aller, quoique avec une extrême douleur pour tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris. Effrayée, elle voulait s’arracher de mes bras ; furieux d’amour et de désespoir, je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me coûta cher.

Toinette, avertie par le bruit, accourut, ouvrit et nous vit. Quel spectacle pour une mère ! une fille, un fils ! La surprise la rendit immobile ; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus puissant que ses efforts, elle ne pouvait avancer. Elle nous regardait avec des yeux enflammés par la lubricité ; ouvrant la bouche pour parler, la voix expirait sur ses lèvres.
Suzon était tombée en faiblesse ; ses yeux tendres se fermaient, sans avoir ni le courage, ni la force de se retirer. Je regardais alternativement Toinette et Suzon, l’une avec rage, l’autre avec douleur. Enhardi par l’immobilité où l’étonnement semblait retenir Toinette, je voulus en profiter, je poussai ; Suzon donna alors un signe de vie, jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra en donnant un coup de cul, Suzon goûtait le souverain plaisir ; elle déchargeait : ses ravissements me faisaient plaisir ; j’allais les partager. Toinette s’élança au moment où je sentais les approches du plaisir ; elle m’arracha des bras de ma chère Suzon. Pourquoi n’avais-je pas assez de force pour me venger ? Le désespoir me l’ôta sans doute, puisque je restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse.
Le père Polycarpe, aussi curieux que Toinette, accourut dans cet intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu’elle à la vue du spectacle qui s’offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le dos, se passant un bras sur les yeux et portant la main de l’autre à l’endroit coupable, comme si une telle posture eût pu dérober ses charmes aux regards du moine lascif. Il les porta d’abord sur elle. Les miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette l’étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m’avait fait débander. J’avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je sentais qu’elle m’entraînait doucement hors de la chambre. J’étais troublé, ne sachant ce que je faisais. Nu comme j’étais, je la suivis sans y penser, et cela se fit sans bruit.
Toinette me mena dans sa chambre et en ferma la porte aux verrous. La crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir : je cherchai quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette. N’en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnut le motif de ma frayeur et tâcha de me rassurer. — Non, Saturnin, me dit-elle ; non, mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyais pas sincère et je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m’en tirer ; voyant qu’elle tendait les bras pour m’attraper, je me reculais : mais j’eus beau faire, elle me prit, par où, par le vit ! Il n’y eut plus moyen de m’en défendre. Je sortis ou plutôt elle m’attira, car elle n’avait pas lâché prise.
La confusion de paraître in naturalibus ne m’empêcha pas d’être surpris de trouver Toinette toute nue, elle qui, un moment avant, s’était offerte à mes yeux dans un état presque décent. Mon vit reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa force et de sa roideur. Avouerai-je mon faible ? En la voyant, je ne pensai plus à Suzon : Toinette seule m’occupait. Bandant toujours fort, et mes craintes subordonnées à la passion, j’étais bien en peine. Toinette me serrait le vit, et moi je regardais son con. Que fait ma ribaude ? elle se couche sur le lit et m’entraîne avec elle. — Viens donc, petit couillon,, mets-le-moi, là, bon ! Je ne me fis pas prier davantage, et, ne trouvant pas de grandes difficultés, je le lui enfonçai jusqu’aux gardes. Déjà disposé par le prélude que j’avais fait avec Suzon, je sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les prémices de ma virilité… C’est ainsi que, pour mon premier coup d’essai, je fis cocu mon père putatif ; mais qu’importe ?
(à suivre ici)