mardi 31 août 2010

Difficultés


Au moment d'achever ce deuxième tome, évoquons quelques difficultés rencontrées au cours de cette longue période d'écriture.

Et tout d'abord l'écueil propre à tout roman dit "historique" : la tentation pour l'auteur de devenir didactique, de noyer son intrigue sous un déluge d'informations récoltées au cours de ses recherches. Combien de fois ai-je pesté à l'encontre de ces romanciers (souvent français, d'ailleurs) qui éprouvent le besoin de nous asséner ces interminables descriptions censées nous plonger dans l'ambiance de l'époque ! Pourtant, alors que je m'étais promis de ne pas tomber dans les mêmes excès, reconnaissons qu'au moment d'écrire, la tentation est souvent là... Prenons un exemple : j'ai dû lire une cinquantaine de pages (très ennuyeuses) sur le système d'éclairage à Paris au milieu du XVIIIème. Eh bien, dans ce deuxième tome, je n'en retiens qu'un détail, un bout de phrase : Au bas de l'immeuble, la rue était maintenant déserte, et comme la lune était pleine, le falot n'avait pas allumé les lanternes. Voilà... Les soirs de pleine lune, on n'allumait pas les lanternes afin de faire quelques économies (déjà !). Cinquante pages dont je ne retiens que ce bout de phrase. Et le reste, me direz-vous ? Pour ma part, je reste convaincu qu'il faut conserver ce qui sert l'intrigue, et laisser le reste de côté. Voilà pour la profession de foi...
(Un aveu, pourtant : dans ce deuxième volet, j'ai encore été plus tenté que dans La Comédie des Masques...)

Autre difficulté : je n'arrive pas à prendre de recul sur ce que j'écris. Comme je l'explique souvent, j'ai constamment le nez dans le guidon, et à tout instant, je risque la sortie de route. Certains points me semblant évidents, j'omets quelquefois d'apporter les précisions indispensables au lecteur. J'ai donc absolument besoin qu'on me relise, qu'on m'assure que le récit est cohérent, que je ne me perds pas dans des détails sans intérêt, que l'intrigue conserve son intérêt. Au passage, je tiens à remercier les quelques personnes qui m'entourent et qui ont accepté ce travail souvent fastidieux...

samedi 28 août 2010

Des enfants, vraiment ?

Dans les Confessions, Rousseau prétend avoir eu cinq enfants, qu'il aurait tous abandonnés aux Enfants-Trouvés entre 1746 et 1752. Cette version des faits est celle que retient l'histoire "officielle", celle qu'on trouve dans les manuels scolaires.
Là encore, je me contenterai de relever quelques détails troublants :

1- Sur ces 7 années, les registres de l'hospice ne mentionnent qu'un seul enfant nommé Rousseau, une certaine Marie-Françoise, admise le 21 novembre 1746 et morte en janvier 1747.
Rappelons au passage que la mère de Thérèse se prénommait Marie, et que son père se prénommait François.

2- En 1761, Mme de Luxembourg (chez qui loge JJ) dépêche son homme de confiance à l'hospice pour y retrouver la trace du premier enfant, dont les langes étaient marquées d'un chiffre. Après quelques mois de recherche, alors que Mme de Luxembourg lui annonce une découverte imminente, c'est Jean-Jacques lui-même qui écrit : "
le succès même de vos recherches ne pourrait plus me donner une satisfaction pure et sans inquiétude. Il est trop tard, il est trop tard ; ne vous opposez point à l’effet de vos premiers soins, mais je vous supplie de n’y en pas donner davantage..."

3- George Sand, petite fille de Dupin de Francueil, écrit : "Vingt fois j'ai entendu Mme Dupin dire à ceux qui accusaient Rousseau devant elle d'être un père dénaturé : oh ! pour cela, nous n'en savons rien, et Rousseau n'en savait rien lui-même. Une fois, elle dit en haussant les épaules : est-ce que Rousseau pouvait avoir des enfants ?"
Autre proche de Rousseau, Madame d'Houdetot ne le croyait pas le père de ses enfants. Au cours du XIXème siècle, puis au XXème, de nombreux médecins concluront eux aussi à l'impuissance du philosophe genevois.

A côté de l'histoire officielle, deux thèses continuent donc d'être alimentées : celle de l'impuissance de Jean-Jacques (Thérèse aurait eu les enfants avec d'autres hommes), celle d'enfants imaginés par Rousseau...
Dès lors, pourquoi donc aurait-il avoué ces abandons, quitte à s'attirer les reproches du public depuis plus de deux siècles ? Là encore, les hypothèses vont bon train. Et le romancier peut se permettre d'entrer en scène...

jeudi 26 août 2010

Thérèse Levasseur (1)


Quand on s'interroge sur Rousseau, on sous-estime souvent le rôle joué par Thérèse dans le parcours du philosophe genevois. Quel étrange assemblage d'ailleurs, puisque de l'aveu même de Rousseau, cette lingère savait à peine lire et écrire... Comment donc expliquer cette union qui dura près de 35 ans, entre le moment où Rousseau rentre de Venise en 1744 et ses dernières heures à Ermenonville en 1778 ?
Le portrait de Naudet nous la montre vieillie, le visage empâté, et on en déduit un peu hâtivement que son physique n'avait rien d'avantageux. En fait, personne ne sait à quoi ressemblait la lingère dans ses jeunes années, et notamment lorsque débute sa liaison avec Rousseau. Dans les Confessions, le philosophe se contente d'évoquer "un regard vif et doux" ainsi qu'un "maintien modeste". D'autres témoignages, moins connus, apportent néanmoins un début d'explication. En 1766, un jeune chevalier écossais nommé Boswell est chargé d'accompagner Thérèse en Angleterre où Rousseau vient de trouver refuge. Et depuis la découverte du Journal tenu par l'Ecossais, on connaît mieux les détails croustillants de ce périple. En effet, si le peu scrupuleux Boswell entreprend de séduire la lingère, celle-ci fait apparemment peu de difficultés pour se laisser convaincre. Mais ce jeune Dom Juan va connaître une cruelle déception puisque Thérèse laisse entendre qu'il manque d'habileté dans le domaine et elle se propose aussitôt de le faire progresser ! Et nuit après nuit, d'étape en étape, Boswell va devoir endurer les leçons de la lingère, si bien que notre conquérant déconfit est plus que soulagé lorsque le voyage s'achève enfin.
Notons pour finir qu'une descendante du gentilhomme préféra déchirer les quelques pages du Journal où Boswell avait consigné le souvenir de sa mésaventure. On comprend mieux pourquoi...
Thérèse bénéficiait d'autres "talents" mieux connus que les exégètes ont souvent mis en avant pour expliquer cette étrange liaison entre deux êtres qui n'avaient rien en commun.
Tout d'abord ses talents de cuisinière, dont parle Bernardin de St Pierre. Et surtout, ce rôle de soignante qu'elle a tenu durant près de trente ans auprès du grand homme.
Quant aux enfants qu'elle a (aurait ?) eus avec Rousseau, il nous faudra y revenir plus longuement dans un prochain article...

mardi 17 août 2010

La rupture avec les philosophes (2)


C'est Benoît Mély ( "JJ Rousseau, un intellectuel en rupture") qui le premier a su mettre des mots sur mes intuitions. Selon lui, la rupture de Rousseau avec les philosophes est avant tout liée à des raisons d'ordre social. Une fois encore, observons les faits et notamment l'évolution sociale de ces hommes sur une vingtaine d'années ( entre 1750 et 1770). Au moment de leur rencontre, Diderot, Rousseau, d'Alembert, Grimm et les autres font partie de ces intellectuels nouveaux, issus d'un milieu pauvre, et animés d'une volonté farouche de s'imposer dans le monde des idées. Les déclarations d'intentions le prouvent, ils clament haut et fort leur volonté de réformer les institutions, et leur anticléricalisme va de pair avec une passion commune pour les sciences. Ils raillent alors ouvertement la cohorte d'intellectuels (souvent des religieux ) soumis au pouvoir royal par le biais des pensions, charges et autres sinécures, sur un modèle proche de celui du XVIIème siècle. Ces hommes-là dépendant des institutions royales, comment pourraient-ils acquérir une indépendance de pensée. Voilà ce qui unit les futurs Encyclopédistes, et qui leur permet bien des audaces puisqu'ils n'ont de comptes à rendre à personne.
Faisons maintenant un bond dans le temps, et voyons la situation de ces mêmes écrivains quelques années plus tard : à la veille de sa mort, Voltaire touche des revenus annuels d'environ 200 000 livres ; les auteurs qui acceptent d'écrire dans les périodiques contrôlés par l'état ( le Mercure ou la Gazette de France) touchent entre 10 et 30000 livres par an ; si Diderot a résisté plus longtemps à ces sirènes, il accepte pourtant la fortune que lui offre Catherine de Russie en 1766 ; dans ses dernières années, il est à la tête d'un capital d'environ 450 000 livres...
Voyons Rousseau : au début de sa carrière, alors qu'il est secrétaire de Madame Dupin, il touche 1200 livres par an. En 1752, il refuse la pension offerte par Louis XV pour le Devin du Village. Cette décision lui vaut d'ailleurs un coup de sang de son ami Diderot, qui ne comprend déjà plus une telle attitude... Pire encore, Rousseau choisit de vivre alors de son métier de copiste de musique (à 6 sous la page !) et il renonce ostensiblement (trop ?) à toute tentation de parasitisme. Il ne s'en tient pas là, puisqu'il entreprend alors de dénoncer dans ses écrits l'embourgeoisement de ses amis, prétendant qu' "ils se font un jeu de tromper les hommes sans autre loi que leur intérêt, sans autre dieu que leur réputation ; prompts à décrier les chefs qui ne les traitent pas à leur gré, plus prompts à louer l'iniquité qui les paie... J'ai compris qu'ils n'osent ou ne veulent dire que ce qui convient à ceux qui commandent, et que payés par le fort pour prêcher le faible, ils ne savent parler au dernier que de ses devoirs, et à l'autre que de ses droits... Pourquoi serais-je complice de ces gens-là ?"
Comment ses anciens amis auraient-ils pu lui pardonner de tels propos, eux qui continuaient de s'imaginer en censeurs du pouvoir, ou même en réformateurs des institutions ? En vérité, ils n'avaient-ils pas intérêt à ce que ce système perdure ?
Osons un parallèle pour finir : l'attitude de Rousseau à l'époque, ce serait celle d'un journaliste actuel qui reprocherait à l'ensemble de la presse d'opinion d'être tacitement aux ordres du pouvoir. Parallèle qui vaut ce qu'il vaut, évidemment...

lundi 16 août 2010

La rupture avec les philosophes (1)


Examinons d'abord les faits. Pendant près de 10 ans, Rousseau fréquente assidûment le groupe des futurs Encyclopédistes, mais aussi les principaux salons parisiens. Diderot, d'Alembert et Grimm forment le groupe des amis proches que Jean-Jacques voit quotidiennement, soit au Procope, soit au café de la Régence. Avant 1750, Jean-Jacques n'est rien, sinon l'un de ces nombreux parasites attachés à une grande maison parisienne (celle de Madame Dupin), où son emploi de secrétaire lui rapporte un millier de livres l'an. Ses tentatives artistiques se sont toutes soldées par des échecs, et dans certaines de ses lettres, il semble presque résigné à quitter cette ville qui ne lui a pas offert la reconnaissance dont il rêvait.
C'est après 1755 qu'il va progressivement rompre avec tous ses anciens amis. Même si certains indices auguraient déjà de cette rupture, c'est son installation à Montmorency et les événements de l'Ermitage (1756/1757) qui vont achever de la consommer. Dans "la Comédie des Masques", j'ai évidemment braqué les projecteurs sur cet épisode tant commenté par les exégètes.
Car la question reste d'actualité : quelles ont été les raisons véritables de cette brouille qui va liguer l'ensemble du groupe philosophique contre Rousseau ? Contentons-nous d'en rapporter quelques-unes, largement étayées par des essayistes comme Trousson ou Guillemin. Le retour à la religion, tout d'abord, que certains Encyclopédistes auraient perçu comme une véritable déclaration de guerre contre leur cause ; son éloignement de Paris ensuite, que d'aucuns imputaient à Thérèse, dont l'influence sur Rousseau semblait particulièrement néfaste ; son personnage de cynique enfin, perçu par beaucoup comme une pose destinée à le valoriser au détriment de ses anciens amis.
Achevons avec les faits : au cours des années 1760, l'opinion publique parisienne est convaincue que Rousseau est devenu fou, atteint d'un délire de persécution qui lui fait imaginer un complot destiné à lui nuire. Il finira sa vie dans l'anonymat le plus total, complètement discrédité, et ce n'est qu'au moment de la Révolution qu'il revient au devant de la scène par le biais de ses ouvrages. Aujourd'hui encore, Rousseau est généralement perçu comme un paranoïaque plus ou moins pervers, connu avant tout pour avoir abandonné ses cinq enfants à l'assistance.
Si j'ai entrepris cette trilogie, c'est évidemment parce que je ne partage pas ces vérités couramment admises. Mais il me faudra y revenir...

vendredi 6 août 2010

Louise d'Epinay (2)


Mariée jeune, Louise connaît bien vite des désillusions dans sa vie conjugale. Non content de multiplier des dettes de jeu, son époux accumule également les conquêtes féminines, profitant au passage de son statut de fermier général pour vaincre les réticences de certaines jeunes femmes. A Louise, il prétexte que ces rencontres ne comptent pas, qu'elle seule mérite sa considération. Un soir de beuverie, pourtant, il rentre avec l'un de ses amis et lui propose de partager son épouse...
C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Louise obtient la séparation de biens, et ouvre ses bras à Francueil, l'un de ses nombreux prétendants. Les premiers temps ressemblent à une lune de miel. Un enfant naît. La belle société adopte une attitude bienveillante envers cette femme qui manifeste un attachement touchant à son amant. Tout bascule après 1753, lorsqu'elle découvre que Francueil fréquente M. d'Epinay et qu'il leur arrive certaines nuits de partager leurs conquêtes féminines. Les hommes s'accommoderaient volontiers de cette situation, mais pas Louise. Nouvelle rupture, donc, qui devrait condamner Louise à la solitude puisque s'il est permis aux hommes de multiplier les infidélités, les femmes, elles, doivent demeurer fidèles à leur amant au risque de perdre définitivement leur réputation. Louise en a conscience, et pourtant, elle se lie à Grimm, l'ami de Rousseau. Et s'il faut reconnaître un mérite à cet homme (nous y reviendrons), c'est celui d'être resté jusqu'à la fin de sa vie aux côtés de Louise.