On avait déjà consacré quelques billets à l'ouvrage de Jean-Clément Martin (voir ici).
Si on n'ignore plus rien des auteurs des Lumières, il nous reste tout à apprendre sur les hommes : sur leurs passions, leur courage et leur générosité, mais également sur leurs ambitions, leurs haines et leurs noirceurs. Ecrit au gré de mes humeurs, ce blog raconte mon amour du XVIIIè siècle.
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mercredi 20 décembre 2017
vendredi 27 janvier 2017
Robespierre, la fabrication d'un monstre, par JC Martin (3)
Professeur d'histoire-géographie,
Anne-Marie Coustou pose un regard particulièrement critique sur
l'ouvrage de Jean-Clément Martin.
Voici quelques extraits de sa recension.
Voici quelques extraits de sa recension.
Un révolutionnaire qui justifie les massacres
La propension de Robespierre à justifier les massacres commis par le
peuple avait déjà été évoquée à propos des violences liées à la prise de
la Bastille (p. 82). On les retrouve sous forme d’interrogations à
propos des massacres de Septembre 1792. Après avoir cité à nouveau Manon
Roland qui accuse Robespierre de les avoir « permis » par la radicalité
de ses propos et après avoir affirmé que Robespierre les « justifie »,
l’auteur s’interroge : « La marche de la Révolution impose-t-elle de ne
pas s’intéresser à la trivialité des actes qui la favorisent ? Est-ce la
définition restrictive du « peuple » qui interdit toute compassion avec
les « traîtres » ? Le silence sur les exactions commises et le refus de
dénoncer ces actes barbares et de les considérer comme un acte de
justice est un choix dont la portée ne peut être éludée. » (p. 171-172.)
Ainsi, Martin interprète la célèbre formule de Robespierre « Citoyens !
Vouliez vous la Révolution sans la révolution ? » comme une
justification des massacres commis par le peuple destinée à « figer les
positions » à ce sujet. D’ailleurs l’auteur assimile les massacres
d’août (donc les violences consécutives aux tirs des gardes suisses
contre les insurgés des Tuileries le 10 août) à ceux de septembre. Il
déplore donc que, par sa faute, le débat sur ces massacres n’ait pas été
ouvert et affirme que « le jugement à porter sur ces tueries demeure en
suspens », car, selon lui, « la naissance de la république demeure
associée à cette tragédie » (p. 181). Nous retrouvons là sans surprise
les thèses de Furet sur le « dérapage » de la Révolution à partir de
septembre 1792, et même d’août pour Martin, dérapage porteur de
violences dont il convient de faire le procès à la Révolution.
En réalité, Robespierre ne « justifie » pas les massacres, il les
déplore comme tous les hommes politiques contemporains, mais il refuse
les manœuvres qui consistent, en prenant prétexte des violences
ponctuelles commises par certains groupes, à justifier la nécessité de
la répression contre les sans-culottes et le recours à des décrets
limitant la liberté du peuple, ce qui équivaudrait à une
contre-révolution. A propos des massacres, saluons la parution d’un
ouvrage qui va à l’encontre des idées reçues, celui de Micah Alpaugh qui montre que la violence, dans les manifestations politiques du
peuple de Paris, a été beaucoup plus l’exception que la règle et que le
peuple a toujours privilégié les méthodes pacifiques d’intervention dans
la vie politique chaque fois que cela était possible. Ouvrage salutaire
qui vient mettre en porte-à-faux tous les tenants de la violence du
peuple déchaîné.
Grande mutation et abandon des principes
Cependant, pour J.-C. Martin, « c’est manifestement cette expérience
qui, non seulement modifie les sensibilités des contemporains, mais
change aussi les positions de Robespierre. » (p. 170) C’est ainsi qu’il
interprète la prise de position de Robespierre en faveur de la mort du
roi de manière étrange « au nom d’une nécessité quasi-eugénique visant à
débarrasser la terre d’un monstre » (p. 114), comme un « changement de
logique » (p. 188) et, en quelque sorte comme une « mutation » par
rapport au principe qu’il a toujours défendu du refus de la peine de
mort. En effet, l’auteur s’interroge : « Pense-t-il encore que
l’exécution capitale ne doit pas figurer dans le code pénal, donc que sa
position en janvier 1793 n’a été que ponctuelle, liée à la circonstance
exceptionnelle du procès de Louis XVI ? Rien n’est moins sûr. » (p.
189). Et l’auteur d’énumérer toute une série d’exemples où, à partir du
printemps 1793, Robespierre se prononce pour la peine de mort dans les
cas d’attentat contre « la sûreté générale de l’État ».
En premier lieu, il convient d’abord de préciser que Robespierre ne
parle pas d’attentats contre la « sûreté de l’Etat ». Il justifie la
peine de mort dans les cas de complots contre-révolutionnaires, donc des
attentats contre la liberté du peuple, ce qui est fort différent de
l’acception actuelle du terme de « sûreté de l’Etat ». Le 3 décembre
1792, après avoir déploré que l’Assemblée constituante a refusé sa
proposition d’abolir la peine de mort, il confirme ses convictions et
explique ainsi l’exception qu’il fait pour le roi : « Pour moi,
j’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n’ai pour Louis
ni amour ni haine : je ne hais que ses forfaits. J’ai demandé
l’abolition de la peine de mort à l’assemblée que vous nommez encore
constituante, et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la
raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais si vous ne
vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux,
dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par
quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du
plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la
peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer ? Oui, la peine
de mort en général est un crime, et par cette raison seule que, d’après
les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée
que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du
corps social….Un roi détrôné au sein d’une révolution…, un roi dont le
nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée ; ni la
prison ni l’exil ne peut rendre son existence indifférente au bonheur
public ; et cette cruelle exception aux lois ordinaires… ne peut être
imputée qu’à la nature de ses crimes (18). »
Ensuite, pour apprécier correctement ce présumé « changement de
logique », il convient de rappeler le contexte qui amena l’Incorruptible
à prendre de telles positions, apparemment contradictoires avec celles
défendues auparavant. Rappelons qu’en mars 1793 la France dut faire face
à de multiples dangers : la débâcle des armées françaises suite à la
guerre de conquête impulsée par les Girondins, la menace d’invasion
imminente du territoire de la République par les armées coalisées de
tous les monarques européens, le soulèvement de la Vendée contre la
République et la guerre civile fédéraliste allumée dans les départements
par la Gironde. Face à cette situation de grand péril, les vrais
défenseurs du peuple avaient-ils un autre choix pour sauver les acquis
de la Révolution que d’adopter des mesures exceptionnelles ? Les
principes indispensables en temps de paix pouvaient-ils s’appliquer
intégralement ? Les changements relevés chez Robespierre à propos de la
peine de mort ne peuvent s’appréhender qu’en tenant compte de cette
situation nouvelle. En d’autres termes, ce n’est pas Robespierre qui a
changé, c’est le contexte.
Comme il ne tient pas compte de ce contexte nouveau, J.-C. Martin en déduit logiquement que « la position que Robespierre adopte dorénavant sur la peine de mort semble répondre à cette mutation. Accepter de payer le prix du sang permet de s’appuyer sur la force vive des sans-culottes… » (p. 190). (...)
Comme il ne tient pas compte de ce contexte nouveau, J.-C. Martin en déduit logiquement que « la position que Robespierre adopte dorénavant sur la peine de mort semble répondre à cette mutation. Accepter de payer le prix du sang permet de s’appuyer sur la force vive des sans-culottes… » (p. 190). (...)
L’Incorruptible corrompu ?
J.-C. Martin suggère d’ailleurs que cet « abandon des principes » ne
concernerait pas seulement la question de la peine de mort. Même sa
probité légendaire serait également sujette à caution. Lorsque le
Journal Les Révolutions de Paris accuse Robespierre d’être « un traître
fréquentant la maison de la princesse de Lamballe, où il aurait trouvé
l’argent pour lancer son propre journal » (le Défenseur de la
Constitution), Martin estime que « la question reste posée, personne
n’ayant, semble-t-il, expliqué comment Robespierre a pu ainsi abandonner
un poste de magistrat pour une situation de folliculaire, soumis à une
opinion et à un éditeur,… » (p. 159). Rappelons, pour éclaircir ce
prétendu mystère, que, d’une part, le Défenseur de la Constitution »
était financé par souscription, et que, d’autre part, le train de vie de
Robespierre était très sobre car il considérait le luxe et le confort
comme très accessoires. (...)
« Accéder au pouvoir » pour « purger la société »
A propos de la journée du 10 août, dans laquelle Robespierre est
pourtant supposé n’avoir joué aucun rôle, et des massacres de septembre,
qu’il est censé avoir favorisés par la radicalité de ses propos, Martin
tire la conclusion suivante : « Cette série de coups de force est-elle
le prix à payer pour accéder au pouvoir et purger la Révolution de ses
membres égoïstes et corrompus ? Sans doute » (p. 172). L’image du
doctrinaire utopiste aspirant au pouvoir pour y installer un régime
totalitaire se dessine. Ce thème de la « dérive totalitaire » de la
Révolution en général, et de Robespierre en particulier, se précise dans
le chapitre intitulé « L’idole abattue ». Dans ce chapitre, l’auteur
développe des thèses très ambiguës. Le ton est donné dès
l’introduction : « Après le 5 avril, tous les Conventionnels peuvent
légitimement craindre de connaître le même sort » (que Danton) (p. 269).
« Or, non seulement Robespierre a joué un rôle de premier plan dans
cette opération, mais il semble bien vouloir continuer de mettre
l’Assemblée au pas » (p. 269). Même s’il reconnaît, ainsi que
l’historiographie en a maintenant fait la démonstration, que cette
légende d’un Robespierre sanguinaire, obsédé par le pouvoir et désireux
d’éliminer tous ses adversaires, a été forgée par ses ennemis, les
Thermidoriens, dès avant sa mort, et qu’elle a été divulguée dans
l’opinion pour le discréditer, l’auteur ne s’interdit pas pour autant de
glisser quelques insinuations tendant à faire penser que cette volonté
de s’emparer du pouvoir qui lui est prêtée ne serait pas totalement
dénuée de fondement. Ainsi, à propos de la fête de l’Être suprême,
affirme-t-il que les députés « craignent que Robespierre ne se
transforme en grand prêtre ou en grand inquisiteur, disposant d’un
pouvoir sans limites sur l’opinion et de troupes à sa solde » (p. 275)
car le cérémonial a « isolé radicalement les spectateurs et figurants
des pontifes, et pire, du pontife unique ». Martin se pose donc la
question de savoir si Robespierre « était conscient de ce qu’il a
organisé autour de sa personne » (p. 277), faisant ainsi une allusion
tacite au culte de la personnalité développé dans les régimes
totalitaires.
On sait pourtant que ce fantasme du « grand pontife » a été créé de
toutes pièces par les Thermidoriens, qui n’ont rien négligé pour
accréditer cette idée. Ces craintes supposées des députés ne sont donc
que des fantasmes, très utiles pour instiller la crainte dans l’esprit
des conventionnels hésitants et pour discréditer Robespierre dans
l’opinion. (...)
![]() |
Robespierre |
Au total, cette biographie, qui se présente comme un cheminement pas à
pas dans la vie de Robespierre accompagnée d’une confrontation
sélective et étriquée avec d’autres personnages ayant vécu les mêmes
événements, offre des analyses parfois intéressantes mais difficilement
compréhensibles pour le lecteur, en particulier pour le lecteur non
averti, dans la mesure où le récit donne à voir un parcours dépourvu de
toute logique intrinsèque et qui s’insère dans une histoire dont la
trame n’est pas présentée, si ce n’est de manière anecdotique dans
certains passages. Aucun fil conducteur ne permet donc d’appréhender le
raisonnement politique de l’Incorruptible puisque ces prises de position
sont présentées la plupart du temps comme relevant de tactiques
politiciennes fluctuantes. On a du mal à comprendre à quel type de
lecteur cet ouvrage s’adresse. Il apparaît comme trop touffu pour un
lecteur néophyte qui se perdrait dans les méandres du cheminement en
apparence incohérent de Robespierre sans connaître les idées maîtresses
de sa pensée ni le contexte global qui a déterminé ses prises de
position, puisque seul le micro-contexte du moment est parfois évoqué.
Mais il semble d’un intérêt limité pour les historiens qui connaissent
déjà ce contexte et qui n’y trouvent aucun élément nouveau susceptible
d’enrichir la personnalité du révolutionnaire, d’autant plus que
l’absence de notes montre clairement que l’auteur a renoncé à faire
œuvre d’historien. Le seul auditoire visé par Martin semble en réalité
être celui des « fanatiques » supposés de Robespierre qu’il présume
ignorants des hésitations, des erreurs et des faiblesses de
l’Incorruptible, et qu’il prétend déniaiser. D’où l’impression dominante
qui ressort de cette biographie d’un Robespierre plutôt falot, suiviste
et indécis, cultivant les « postures », privilégiant la tactique aux
principes, mais préoccupé avant tout par son accession au pouvoir afin
d’instaurer un régime d’intolérance pour purger la société de ses
éléments impurs.
vendredi 20 janvier 2017
Robespierre, la fabrication d'un monstre, par JC Martin (2)
Professeur d'histoire-géographie,
Anne-Marie Coustou pose un regard particulièrement critique sur
l'ouvrage de Jean-Clément Martin.
Voici quelques extraits de sa recension.
Voici quelques extraits de sa recension.
Un révolutionnaire qui s’inscrit dans un courant « archaïque »
L’auteur mobilise évidemment cet autre lieu commun selon lequel
Robespierre serait fondamentalement passéiste, ce qui annihilerait toute
la dimension apparemment « moderne » de ses positions politiques. A
propos du combat qu’il mène pour l’extension du droit de vote aux
citoyens passifs, Martin affirme ainsi (p. 101) que «… la « modernité »
des revendications démocratiques qu’il défend bute alors sur des
sentiments qu’il faut bien qualifier d’« archaïques », puisqu’ancrés
dans un horizon communautaire, nostalgique d’un âge d’or. » Cette
« nostalgie d’un âge d’or » auquel il faudrait retourner n’est pas chez
Robespierre. On la retrouvera en revanche dans les écrits de ceux qui
depuis deux siècles se recopient pour donner corps à cette idée (14).
L’affrontement avec les Girondins : une querelle d’ego
Dans le chapitre sur la guerre, JC Martin reprend à son compte une expression d’Hervé Leuwers (Robespierre,
Fayard, 2014, p. 204 et 205) concernant le combat idéologique qui
oppose Robespierre aux brissotins au sujet de la guerre durant l’hiver
1791-92 et au printemps 1792. Selon Martin, ce combat se réduirait en
fin de compte à une « querelle des ego » : « C’est plus sûrement la
marque que la querelle des ego (Hervé Leuwers) est bel et bien
enclenchée et qu’elle ne se finira qu’avec la victoire d’un des
protagonistes. » (p 147).
En réalité, la formulation d’Hervé Leuwers sur cette question est
nettement plus nuancée, puisque, selon lui, la virulence des échanges
s’explique "d'abord dans l'enjeu du débat qui, pour Robespierre, est la
paix, la liberté et l'issue de la Révolution". Et, même s’il affirme
qu'il ne faut pas d'emblée écarter "ces témoignages qui supposent une
querelle d'ego", il en conclut que "dans le duel, c'est aussi
l'autorité morale de ces deux premiers rôles qui est en jeu".
Est-il besoin de préciser que l’ego est un concept qui relève de la
psychologie, et réduire un affrontement historique entre deux
conceptions de la société à une « querelle des ego » est une
interprétation qui sacrifie à un certain courant historique ambiant,
même si JC Martin s’en défend. Il qualifie les altercations verbales
entre les Girondins et Robespierre de « vanités opposées, d’orgueils
rivaux » (p 157), ignorant les divergences idéologiques fondamentales
qui les opposent. Cette analyse, basée sur une approche psychologisante,
occulte les enjeux politiques du moment sur le sens qu’il faut donner à
la guerre, une fois que celle-ci est déclarée, le processus devenant
alors irréversible. Cette interprétation détachée des enjeux politiques
ignore les motivations financières, économiques et politiques des
Girondins, motivations que les historiens Georges Michon et Marc Belissa a pourtant parfaitement mises en lumière.
Un chef de clan qui « règle ses comptes » et justifie les « coups d’État »
C’est ainsi que, tout naturellement, en ignorant les enjeux
politiques qui se jouent derrière l’affrontement entre Girondins et
Montagnards, l’auteur en arrive à la conclusion qu’à partir de septembre
1792, Robespierre devient un « chef de clan » (p. 172). C’est également
lui qui « donne le ton » pour la lutte des factions après la mort du
roi car « La convention sort divisée plus que jamais de cette exécution
qui a bien établi une frontière de sang infranchissable entre partisans
et opposants de la Révolution, mais aussi, plus subtilement, entre les
factions révolutionnaires entre elles. Et Robespierre a donné le ton. »
(p. 187)
Est-ce aussi l’ignorance des enjeux politiques qui fait déraper le
vocabulaire utilisé par l’auteur qui qualifie de « coup d’État » (p.
208, puis p. 213) l’action du peuple de Paris lorsqu’il destitue les
députés girondins infidèles, le 2 juin 1793 ? Cela semble probable
puisqu’à la page suivante Martin parle des « départements demeurés
loyalistes » à propos des départements où les Girondins sont puissants
et organisent la lutte fédéraliste contre Paris. Or un coup d’État, au
sens propre, est une prise du pouvoir illégale par une personne ou un
groupe qui exerce des fonctions à l’intérieur de l’appareil étatique.
L’action du peuple de Paris le 2 juin n’avait pas pour fonction de
prendre le pouvoir, mais bien de destituer de leur fonction des
représentants indignes qui avaient trahi le peuple, afin d’obliger la
convention à remplir sa mission au service du peuple, conformément aux
principes de la démocratie et du droit naturel. C’est probablement
cette ignorance des principes du droit naturel qui amène l’auteur à
présenter de manière étrange les propositions que fait Robespierre le
10 mai 1793 sur la future constitution (p. 203). Celui-ci prononce un
long discours dans lequel il pose les bases d’un fonctionnement
démocratique de la vie politique en proposant quelques règles de bon
sens permettant le contrôle des élus par le peuple, contrôle permanent
que J.-C. Martin interprète de la manière suivante : «… son idéal d’une
démocratie quasi directe le conduit à surveiller de façon obsessionnelle
les fonctionnaires (entendez les élus) ». Et à propos de la
révocabilité des élus par leurs mandataires, Martin écrit que
Robespierre « propose que le peuple puisse révoquer ses mandants quand
bon lui semble ! » (p. 203), le point d’exclamation étant destiné à
mettre en relief l’incongruité de la proposition. En réalité,
Robespierre ne propose bien évidemment pas que le peuple puisse révoquer
ses élus à tort et à travers selon sa fantaisie, mais seulement lorsque
ceux-ci trahissent ses intérêts vitaux.
Est-ce le même choix délibéré d’ignorer les enjeux politiques qui amène
l’auteur à qualifier les conflits politiques dans lesquels Robespierre
intervient en 1793 de « querelles » ou de « règlements de compte » qui
seraient « le lot quotidien de sa vie » ? (p. 230). C’est ainsi que
Martin explique que ceux-ci « témoignent de combats autrement plus
importants et aussi plus confus, car les clivages ne sont pas clairement
politiques ou idéologiques mais combinent toutes les dimensions
possibles que les rivalités peuvent emprunter. » Le terme de
« règlements de comptes » est à nouveau utilisé à propos des différentes
ruptures antérieures à Thermidor (p. 307). C’est d’ailleurs cette même
interprétation des « rivalités » entre « clans » qui amène l’auteur à
qualifier de « coup d’État » l’arrestation des chefs cordeliers en mars
1794 (p. 261).
Quant à ses prises de position au Comité de Salut public, Martin les
interprète ainsi : Robespierre « s’interdit de mener une politique
lisible » et il « laisse à penser qu’il cherche à s’approprier le
pouvoir. » (p. 240). Cette même idée est développée plus loin : « sa
position repose sur un équilibre fragile entre concurrences
politiciennes, encadrement des émotions et administration d’un pays en
guerre » et cette position « laisse planer des doutes sur ses buts » (p.
241). (...)
Cette interprétation des positions de Robespierre entre effectivement dans la logique des choses si l’Incorruptible est devenu un « chef de clan » ainsi que le suppose Martin.
Cette interprétation des positions de Robespierre entre effectivement dans la logique des choses si l’Incorruptible est devenu un « chef de clan » ainsi que le suppose Martin.
Un révolutionnaire qui justifie les massacres
La propension de Robespierre à justifier les massacres commis par le
peuple avait déjà été évoquée à propos des violences liées à la prise de
la Bastille (p. 82). On les retrouve sous forme d’interrogations à
propos des massacres de Septembre 1792. Après avoir cité à nouveau Manon
Roland qui accuse Robespierre de les avoir « permis » par la radicalité
de ses propos et après avoir affirmé que Robespierre les « justifie »,
l’auteur s’interroge : « La marche de la Révolution impose-t-elle de ne
pas s’intéresser à la trivialité des actes qui la favorisent ? Est-ce la
définition restrictive du « peuple » qui interdit toute compassion avec
les « traîtres » ? Le silence sur les exactions commises et le refus de
dénoncer ces actes barbares et de les considérer comme un acte de
justice est un choix dont la portée ne peut être éludée. » (p. 171-172.)
Ainsi, Martin interprète la célèbre formule de Robespierre « Citoyens !
Vouliez vous la Révolution sans la révolution ? » comme une
justification des massacres commis par le peuple destinée à « figer les
positions » à ce sujet. D’ailleurs l’auteur assimile les massacres
d’août (donc les violences consécutives aux tirs des gardes suisses
contre les insurgés des Tuileries le 10 août) à ceux de septembre. Il
déplore donc que, par sa faute, le débat sur ces massacres n’ait pas été
ouvert et affirme que « le jugement à porter sur ces tueries demeure en
suspens », car, selon lui, « la naissance de la république demeure
associée à cette tragédie » (p. 181). Nous retrouvons là sans surprise
les thèses de Furet sur le « dérapage » de la Révolution à partir de
septembre 1792, et même d’août pour Martin, dérapage porteur de
violences dont il convient de faire le procès à la Révolution.
En réalité, Robespierre ne « justifie » pas les massacres, il les
déplore comme tous les hommes politiques contemporains, mais il refuse
les manœuvres qui consistent, en prenant prétexte des violences
ponctuelles commises par certains groupes, à justifier la nécessité de
la répression contre les sans-culottes et le recours à des décrets
limitant la liberté du peuple, ce qui équivaudrait à une
contre-révolution. A propos des massacres, saluons la parution d’un
ouvrage qui va à l’encontre des idées reçues, celui de Micah Alpaugh qui montre que la violence, dans les manifestations politiques du
peuple de Paris, a été beaucoup plus l’exception que la règle et que le
peuple a toujours privilégié les méthodes pacifiques d’intervention dans
la vie politique chaque fois que cela était possible. Ouvrage salutaire
qui vient mettre en porte-à-faux tous les tenants de la violence du
peuple déchaîné.
(à suivre ici)
vendredi 13 janvier 2017
Robespierre, la fabrication d'un monstre, par JC Martin (1)
Professeur d'histoire-géographie, Anne-Marie Coustou pose un regard particulièrement critique sur l'ouvrage de Jean-Clément Martin.
Voici quelques extraits de sa recension.
Voici quelques extraits de sa recension.
L’introduction qui s’ouvre sur l’épisode du
pseudo-masque de Robespierre que l’auteur qualifie de « quasi-comique »
nous en donne l’objet. L’on pourrait penser que l’aspect
« quasi-comique » résiderait dans ce montage cousu de fil blanc censé
révéler « la vraie tête » du révolutionnaire. Mais pour l’auteur, c’est
la réaction des défenseurs de l’Incorruptible qui est risible car «…
aujourd’hui comme hier, écrit-il, on peut débattre sans crainte de la
violence de Marat, de la vénalité de Danton ou de la frivolité de la
reine, alors que l’épiderme national demeure sensible dès qu’on l’évoque
(Robespierre) » (p. 1 et 2). Cette « crainte du débat » ne semble pas
très dissuasive au vu du nombre de biographies et articles dépréciatifs
parus sur l’Incorruptible. Par contre, cette « crainte » s’avère
révélatrice du propos de l’auteur dont l’objectif est de libérer la
parole sur Robespierre et, en quelque sorte, de déverrouiller le débat à
son sujet. Le propos du livre consiste donc « à expliquer pourquoi il
est le seul dans ce cas » alors qu’il est, selon Martin, un
révolutionnaire parmi tant d’autres, pas même franchement remarquable
par ses prises de position, ni même le plus attaché aux principes ou le
plus désintéressé.
![]() |
le visage de Robespierre ? |
A la
sempiternelle question de Marc Bloch «… dites-nous quel fut
Robespierre ? », Martin préfère substituer la suivante « Dites-nous
pourquoi il a été considéré comme un homme différent de ses
contemporains, doté d’une trajectoire unique, incomparable » (p. 10).
Toute la problématique est ici posée : Robespierre n’est pas différent
des autres révolutionnaires et il convient donc de le remettre à sa
juste place. La démarche de l’auteur consistera à s’efforcer de
banaliser l’Incorruptible en tant qu’acteur de la Révolution française,
afin de nier la part d’originalité dans son rôle et dans ses idées.
Quand Martin déclare «… il faut le considérer comme un « acteur » parmi
tous les autres, tâtonnant, échouant, militant ordinaire ou
porte-parole, tribun ou négociateur », nous ne pouvons qu’être d’accord
sur ce postulat d’une évidente banalité, les tâtonnements et les échecs
étant le lot commun de tout un chacun, personnages ordinaires ou
révolutionnaires célèbres. Qui a jamais prétendu que Robespierre, en
plus d’être incorruptible, était infaillible ? Reste à connaître la
méthode adoptée par M. Martin pour mettre en lumière cette banalité. (...)
Ces réserves sur
la méthode étant posées, quelle image de Robespierre ressort de la
lecture de cet ouvrage ? La sélection des « confrontations » et, encore
plus peut-être, les omissions sont forcément révélatrices des sympathies
de l’auteur. Elles mettent en lumière un Robespierre rarement à son
avantage, pendant que, parallèlement, d’autres personnages sont
valorisés. Prenons donc l’exemple de quelques-unes de ces
« confrontations » pour comprendre comment cette image de personnage
falot se construit.
![]() |
JC Clément |
Un révolutionnaire médiocre et suiviste
Martin décrit un Robespierre médiocre et suiviste dont la réputation
serait surfaite et usurpée : « Comme il le faisait dans ses plaidoiries
et ses discours, et comme il le fera ensuite, il reprend des idées
émises par d’autres et les met en forme – ce que Manon Roland lui
reprochera plus tard. » (p.102), omettant de préciser que Manon Roland a
donné de Robespierre des portraits très élogieux avant qu’il ne
commence à critiquer son mari devenu ministre de l’Intérieur.
Robespierre n’a, semble-t-il, toujours pas changé de méthode dans la
période où il préside avec ses collègues aux destinées de la France,
puisque Martin nous le décrit ainsi au Comité de Salut public
« Robespierre capte les propositions de ses collègues et les fait
siennes » (p. 273). Au moment de la loi de Prairial (10 juin 1794),
J.-C. Martin note que « Jusque-là, il a repris et synthétisé ce qui
avait déjà été proposé, voire expérimenté » (p.280). Démontrer cette
médiocrité de Robespierre semble en fin de compte l’axe central de
l’ouvrage, puisque J.-C. Martin conclut avec ces mots « En dotant
Robespierre et le jacobinisme d’une telle importance et d’une telle
autonomie, les Thermidoriens incitent à confondre l’histoire de la
Révolution avec l’action d’un homme, exaltent sa puissance, gomment ses
défaillances et font oublier la médiocrité de son rôle effectif. » (p.
328). S’il est médiocre et suiviste, d’autres révolutionnaires, par
contre, sont plus ardents et progressistes que lui. Analysons quelques
exemples de comparaisons désavantageuses pour l’Incorruptible.
Un froid défenseur des esclaves noirs
Ainsi, à propos du problème de l’esclavage, si Martin fait ressortir
que Robespierre n’était pas adhérent de la Société des Amis des Noirs
(p. 115), alors que d’autres comme Grégoire, Brissot ou Pétion
l’étaient, et qu’ils « déployaient une activité plus considérable que
lui sur ce sujet », cela est intéressant et nul ne songerait à lui
contester cette affirmation. Encore eut il été opportun de préciser que
cette société militait pour l’abolition de la traite des Noirs, et non
de l’esclavage, jugeant cette dernière insensée, et qu’elle envisageait
de remplacer la traite par « l’élevage » des esclaves. Nous aurions
également aimé lire sous sa plume des précisions sur la réaction dudit
Brissot après l’insurrection des esclaves noirs à Saint-Domingue en
1791. En effet, lorsque les esclaves se révoltèrent, Brissot et ses amis
Girondins les condamnèrent violemment et réclamèrent une répression
exemplaire, ce qui ne fut pas le cas de Robespierre, et dans la foulée
ils mirent la clé sous la porte de la Société des Amis des Noirs (1).
Martin interprète les faits de la manière suivante : « Robespierre ne
dira rien – alors que Brissot s’oppose au courant colonial de la droite
de l’Assemblée et acquiert sa notoriété. » (p. 142) Il y revient plus
loin : « En mars, Brissot avait pourtant réussi à faire accepter par
l’Assemblée, contre toute la droite, l’égalité des droits entre libres
de couleur et Blancs,… » (p. 161) En réalité, les propositions de
Brissot d’accorder l’égalité des droits aux libres de couleur, qui
aboutirent au décret du 4 avril 1792, étaient destinées à réarmer ces
derniers pour activer la répression contre les esclaves insurgés. Mais
l’application de ce décret échappa à cette manipulation et ouvrit un
tout autre processus.
Si nous poussons la comparaison entre Robespierre et la Gironde plus
loin, voici le texte de l’article 17 de la nouvelle constitution proposé
par Condorcet (et les Girondins) sur le droit de propriété : Le droit
de propriété consiste en ce que tout homme est le maître de disposer à
son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son
industrie ». Rappelons que les esclaves étaient assimilés à des
« biens ». Quant à Robespierre, il intervint le 24 avril 1793 pour
critiquer la Déclaration arrêtée par l’Assemblée girondine deux jours
plus tôt, qui était destinée à servir de préambule à la nouvelle
constitution. Il contesta notamment une constitution qui «… favorise
ceux qui veulent accroître indéfiniment leurs propriétés au détriment de
la propriété des autres, dont la plus précieuse est la propriété de
soi. ». C’est ainsi qu’il inspira la nouvelle Constitution, et notamment
les articles sur la propriété. Voici le texte de son projet et
notamment les articles III et IV que l’Incorruptible voulait faire
ajouter à la Déclaration des Droits : « III – Il (le droit de propriété)
ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence,
ni à la propriété de nos semblables. IV – Toute possession, tout trafic
qui viole ce principe est illicite et immoral. » Toute possession qui
attente à la liberté d’autrui est donc illicite. L’esclavage n’est-il
pas l’exemple le plus achevé de « possession qui attente à la liberté
d’autrui » ? Ce souci de limiter l’exercice de la propriété n’était pas
nouveau chez lui. Il n’a cessé de dénoncer les abus de la propriété,
notamment au sujet des spéculateurs qui affament le peuple. (...)
Enfin, J.-C. Martin conteste aussi à Robespierre sa célèbre phrase
« Périssent les colonies s’il devait vous en coûter votre bonheur, votre
gloire, votre liberté ». Cette formule (p. 115), prononcée lors des
débats des 12 et 13 mai 1791 autour des droits politiques à accorder ou
non aux « libres de couleur » dans les colonies et contre l’usage du mot
« esclave » dans un texte de loi, lui serait « prêtée » à tort. Elle
aurait « sans doute » été prononcée par Dupont de Nemours avant d’être
consacrée par Desmoulins. Rappelons que l’expression circule depuis que
Jaucourt l’a employée dans l’article « Traite des nègres » de
l’Encyclopédie. Par ailleurs il semble que les journaux de l’époque
n’aient pas remarqué que Dupont de Nemours et Desmoulins aient prononcé
cette formule avant Robespierre, puisque, lorsque la presse commente
cette séance, c’est bien à lui qu’elle attribue ces paroles pour les lui
reprocher. Ainsi Adrien Duquesnoy, rédacteur de l’Ami des Patriotes,
mais aussi député à l’Assemblée constituante, est très sévère dans son
journal envers Robespierre, qu’il trouve « exagéré ». Il écrit : «… je
serais loin de dire avec Mr Robespierre : Périssent nos colonies ! Car
je ne serais pas sans crainte qu’avec elles ne périssent nos richesses
et les forces nécessaires pour maintenir notre liberté » (3). Mais cela
n’empêche pas Martin d’insinuer que Robespierre ne s’est peut-être
rallié à l’abolition de l’esclavage que par tactique, dans un calcul
destiné à affaiblir l’Angleterre ! (p. 257)
Robespierre suiviste sur la question de la guerre
Dans le débat sur la guerre qui s’ouvre à l’automne 1791, J.-C.
Martin voit encore Robespierre recycler les idées d’autres
révolutionnaires. A propos de son opposition à la guerre, Martin se
contente de résumer deux des arguments de Robespierre dans une formule
elliptique puis de faire remarquer que ce sont les mêmes (arguments)
« que Billaud-Varenne répète pendant l’automne et l’hiver 1791-92 » et
conclut par la formule «… cela rappelle son aptitude à capter les idées
qui lui semblent bonnes… » (p. 145), confortant à nouveau le jugement de
suivisme émis par Manon Roland. En réalité, Robespierre ne se contente
pas de reprendre les idées de Billaud-Varenne. Ce qui l’amène à
comprendre que la guerre représente un grand danger pour la Révolution,
ce sont des faits (comme la nomination de Narbonne, un belliciste
notoire, au ministère de la guerre le 7 décembre) et des observations
personnelles sur le trop grand consensus qui existe entre le roi, la
cour, le ministère, La Fayette, et l’assemblée. Son premier argument est
donc la défiance vis-à-vis de l’exécutif, mais, par la suite, il affine
ses arguments qui sont nombreux et très bien développés, ainsi que les
historiens Albert Michon et Marc Belissa l’ont démontré (4).
On pourrait multiplier à l’infini les exemples qui montrent que cette
méthode « comparative » est certes séduisante au premier abord mais
qu’à l’usage elle s’avère trop souvent partielle et partiale.
L’anti-républicanisme de Robespierre : un vieux refrain remis au goût du jour
A propos de l’idée républicaine, suivant la même méthode qui consiste
à comparer les différents acteurs, J.-C. Martin oppose Condorcet,
Robert ou Brissot, comme faisant partie d’un « courant républicain » qui
« cherche à inventer de nouvelles relations politiques entre les
hommes, en s’inspirant du modèle américain » à un Robespierre qui, très
influencé par « la tradition philosophique française », resterait quant à
lui très « antirépublicain » (p. 111) et « refuse toute installation
d’une république » (p. 155). L’auteur recycle là un vieux discours
idéologique, qui prend sa source chez les Thermidoriens, selon lequel
Robespierre était républicain par opportunisme et voulait en fait être
roi, discours qu’Edgar Quinet, en particulier, a popularisé par la suite
(5).
Mais en quoi le fait de s’opposer au veto royal et de réclamer le suffrage universel comme le fait Robespierre – des positions qui pour Robert désignent le républicain – est-il antirépublicain ? Dans son rapport du 17 pluviôse an II, Robespierre résume ainsi sa conception du républicanisme : « l’essence de la république ou de la démocratie est l’égalité, il s’ensuit que l’amour de la patrie embrasse nécessairement l’amour de l’égalité ». On notera que Robespierre emploie indifféremment les termes « république » et « démocratie ». Quelques paragraphes avant cet extrait il précise que la démocratie est le synonyme de la république : « ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l’aristocratie n’est pas plus la république que la monarchie » (6). Il faisait bien-sûr allusion à l’aristocratie des riches prônée par les Girondins, notamment Brissot et Condorcet. C’est pourquoi on aurait aimé quelques précisions sur le républicanisme de Condorcet longtemps attaché au système censitaire et élitiste avant que ne tourne le vent en 1793. Mais, dès juillet 1792, quand le mouvement populaire, appuyé sur les sections de Paris et les fédérés de province, préparent l’insurrection du 10 août contre le roi, les Girondins renient même cette république élitiste et censitaire à laquelle certains d’entre eux aspiraient, pour soutenir la royauté et « l’ordre » contre ce qu’ils considèrent comme l’anarchie (7).
Mais en quoi le fait de s’opposer au veto royal et de réclamer le suffrage universel comme le fait Robespierre – des positions qui pour Robert désignent le républicain – est-il antirépublicain ? Dans son rapport du 17 pluviôse an II, Robespierre résume ainsi sa conception du républicanisme : « l’essence de la république ou de la démocratie est l’égalité, il s’ensuit que l’amour de la patrie embrasse nécessairement l’amour de l’égalité ». On notera que Robespierre emploie indifféremment les termes « république » et « démocratie ». Quelques paragraphes avant cet extrait il précise que la démocratie est le synonyme de la république : « ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l’aristocratie n’est pas plus la république que la monarchie » (6). Il faisait bien-sûr allusion à l’aristocratie des riches prônée par les Girondins, notamment Brissot et Condorcet. C’est pourquoi on aurait aimé quelques précisions sur le républicanisme de Condorcet longtemps attaché au système censitaire et élitiste avant que ne tourne le vent en 1793. Mais, dès juillet 1792, quand le mouvement populaire, appuyé sur les sections de Paris et les fédérés de province, préparent l’insurrection du 10 août contre le roi, les Girondins renient même cette république élitiste et censitaire à laquelle certains d’entre eux aspiraient, pour soutenir la royauté et « l’ordre » contre ce qu’ils considèrent comme l’anarchie (7).
Un révolutionnaire coupé du peuple et sans prise sur le cours de la Révolution
J.-C. Martin perpétue la tradition qui veut que Robespierre ait été
coupé du peuple et de ce fait sans prise sur les événements, sans
influence sur le cours de la Révolution. C’est ainsi qu’il affirme que
l’historiographie « le voit plutôt comme un révolutionnaire en chambre
condamné pour avoir perdu tout contact avec la réalité » (p. 294). A
défaut de préciser à quel courant historiographique il se réfère,
l’auteur nous révèle qu’il se reconnaît dans ce courant. Ainsi, à propos
de la préparation de la journée du 10 août 1792, lit-on sous sa plume
que « l’insurrection se prépare, portée par Marat, par Billaud-Varenne,
par Danton, et encore par le brasseur Santerre… » (p. 164), mais que
« Robespierre suit plus qu’il ne précède », qu’il « n’a repris la
proposition radicale de Danton et de Billaud-Varenne contre le roi et
l’Assemblée qu’avec une ou deux semaines de retard » (p. 166), soit le
29 juillet, et qu’à ce moment-là « la dénonciation est aisée et les
faits lui donnent facilement raison ». On lit encore que
« l’insurrection éclate sans que Robespierre y prenne part » (p. 165),
que celui-ci se contente de la « légitimer dans le dernier numéro de son
journal qui paraît le 20 août » (p. 166), soit avec dix jours de
retard ! Un peu plus loin, l’auteur affirme que « Danton a été présent
lors du 10 août » et qu’il y aurait eu un « partage des tâches » :
« Robespierre a légitimé l’insurrection (mais après coup seulement,
ndlr), que Marat a soutenue et que Danton continue d’organiser » (p.
168). Enfin, parce que Robespierre « endosse la responsabilité de toute
la révolution », J.-C. Martin en conclut qu’il « reste dans les marges »
mais « plus que sa place effective dans le processus révolutionnaire,
c’est bien son image qui est ainsi, de nouveau, confirmée. » (p.
181-182). Toute la suite de l’ouvrage conforte cette analyse d’un
personnage qui soigne son image mais reste en marge des événements.
A l’encontre de ces affirmations, citons Albert Mathiez. Celui-ci
note qu’en 1792, Robespierre a influencé clairement par ses discours la
ligne politique et le programme que s’est donné le mouvement populaire
(9). Ainsi, par exemple, dès le 11 juillet, lorsque la patrie fut
déclarée en danger par l’assemblée, il s’écria le soir même aux Jacobins
« En vain, nous faisons de bonnes lois, si le pouvoir exécutif ne les
fait pas exécuter, s’il les entrave par des vétos perfides, si les
administrateurs anonymes conspirent avec la Cour pour tuer la
Constitution par la Constitution… dans des circonstances aussi
critiques, les moyens ordinaires ne suffisent pas. Français,
sauvez-vous ! » De même, c’est lui qui, dès le 18 juillet, rédigea la
pétition réclamant la déchéance du roi que les fédérés présentèrent à
l’Assemblée. Enfin, c’est son discours du 29 juillet aux Jacobins qui
fixa le programme qu’adoptèrent les fédérés et les sectionnaires qui
montèrent à l’assaut des Tuileries le 10 août. Selon Mathiez, « C’est ce
puissant discours de Robespierre qui donna aux futurs insurgés le
programme qu’ils cherchaient ». Rappelons qu’il s’agissait d’un
programme en trois points : la déchéance du roi, l’élection d’une
convention (car Robespierre ne faisait pas plus confiance à l’Assemblée
législative, trop compromise, qu’au roi) et le suffrage universel (car
il soutenait depuis longtemps la suppression de la distinction entre
citoyens actifs et citoyens passifs). Rappelons également que
« l’état-major » de l’insurrection se réunissait chez les Duplay, dans
le logement de son ami Anthoine et que plusieurs amis de Robespierre en
faisaient partie, notamment Simon de Strasbourg et Lazowski. D’ailleurs,
les Girondins Isnard et Brissot ne s’y trompèrent pas, puisqu’ils
menacèrent de dénoncer Anthoine et Robespierre devant l’Assemblée pour
les faire envoyer devant la Haute Cour. Martin constate que Robespierre
est ensuite « délégué par sa section à la Commune insurrectionnelle »
sans se poser la question de savoir si les membres de sa section
l’auraient élu à cette responsabilité s’ils n’avaient eu pleinement
confiance en lui et s’il n’avait participé en rien aux événements.
Quant au rôle de Danton dans l’insurrection, Mathiez a démontré,
documents à l’appui, que « la légende a été créée par Danton lui-même
qui s’attribuera, au tribunal révolutionnaire, pour sauver sa tête, un
rôle qu’il n’a pas joué » et que ce rôle a été « élargi » plus tard par
Alphonse Aulard (10). Notons également que Pétion, loin d’avoir
« appuyé » les sectionnaires qui préparaient l’assaut des Tuileries,
comme le prétend Martin, a tenté par tous les moyens, en tant que maire
de Paris, de faire annuler ou échouer l’insurrection, et qu’il y est
parvenu par trois fois, avant le 10 août, ainsi que le démontre Mathiez
(11).
Un révolutionnaire qui ruine les tactiques nécessaires à la vie démocratique
J.-C. Martin cite très peu de jugements portés sur l’Incorruptible
par ses contemporains. En plus de celui de Manon Roland cité plus haut,
notons le suivant : « Ce petit homme à la folle vanité » (p. 99). Ce
« reproche » (sic) que lui adresse Charles de Lameth est repris à son
compte par Martin pour illustrer son propos selon lequel «… en invoquant
les grands principes, il ruine les tactiques nécessaires à la vie
démocratique ». Rappelons que Robespierre revendique toujours l’égalité
des droits, et notamment le suffrage universel. Ainsi, pour Martin, son
combat pour la démocratie apparaît quelque peu facile et démagogique :
« Il a beau jeu de mettre en lumière l’insuffisance des arguments de ses
adversaires, notamment à propos de l’extension du droit de vote, quand
la majorité de l’Assemblée cherche simplement les compromis nécessaires
pour stabiliser au plus vite les institutions. » (p. 100) Or, c’est
justement pour éviter de « stabiliser les institutions » dans un sens
contraire à la Déclaration des droits – c’est-à-dire à la clé de voûte
des institutions – que Robespierre « ruine les tactiques nécessaires à
la vie démocratique ».
(à suivre ici)
mardi 1 septembre 2015
mardi 3 février 2015
L'histoire de France enseignée à nos enfants (5)
J'entendais dernièrement une historienne (du moins se présente-t-elle ainsi...) vanter la qualité des manuels d'histoire de son enfance.
Vous trouverez ci-dessous quelques pages extraites de l'ouvrage Histoire de France, publié en 1949, et destiné aux élèves de cours élémentaire.
Je vous laisse apprécier la courte présentation qu'il propose de Robespierre, puis celle de Bonaparte.
Au regard de ses propos sur les derniers rois de l'Ancien Régime, l'auteur fait preuve de beaucoup de mansuétude à l'égard de Robespierre, qui "aime le peuple et voudrait le rendre heureux"
Bonaparte est quant à lui mis en scène dans un épisode glorieux (la prise du pont d'Arcole). On le voit menant la troupe, le drapeau tricolore à la main, sans se préoccuper des ennemis qui "l'arrosent (l'hyperbole est saisissante) de balles et de boulets"
mercredi 18 juin 2014
"Robespierre a été un grand dirigeant de la démocratie en acte" - Entretien avec Florence Gauthier
Mme Gauthier, vous avez consacré
une grande partie de vos recherches à Robespierre succédant à des noms
prestigieux d’historiens tels Albert Mathiez ou Georges Lefebvre . La préemption au nom du gouvernement des
manuscrits de Robespierre (…) supposait la réunion sous quinzaine des fonds
nécessaires à leur acquisition. C'est chose faite. Cela doit être un
soulagement ?
Florence Gauthier : Bien sûr,
c’est une excellente nouvelle et pour deux raisons. Que ces documents
manuscrits restent à la disposition du public et puissent être consultés et
étudiés est une très bonne chose. Il existe en France plusieurs institutions
comme les Archives Nationales ou la Bibliothèque Nationale, dont la fonction
est de conserver ce type de documents, uniques et fragiles, et de les mettre à
la disposition du public. La seconde raison : ces documents de Robespierre se
trouvaient dans les papiers des héritiers de la famille Lebas. On espère
toujours qu’il en existe d’autres qui réapparaîtront !
Pour Robespierre, on dispose de
la quasi totalité des textes qu’il a publié ou qui ont été publiés, de son
vivant. Mais il reste les manuscrits, dont la correspondance, qui sont des
documents très précieux et dont on ne connaît encore qu’un petit nombre. Mais,
on vient de le voir, plus de deux siècles après, des textes, dont on ignorait
l’existence, reviennent soudain au jour, c’est formidable ! Et il faut
remercier et inviter les héritiers, qui en possèdent, à les rendre au public.
Je rappelle un autre exemple
comparable ! En 1951, dans le contexte de l’après-guerre, les héritiers de la
famille Carnot ont déposé des manuscrits en leur possession à la Bibliothèque
Nationale. Parmi eux, un manuscrit de Saint-Just du plus grand intérêt,
intitulé De la nature, de l’état civile (sic), de la cité ou les règles de
l’indépendance, du gouvernement et qui a été publié dès 1951 par Albert Soboul,
puis par Alain Liénart en 1976. Vous voyez, il y a de grands moments dans
l’histoire des archives !
Dans votre livre Triomphe et mort
du droit naturel en Révolution 1789-1795-1802, un très long passage est
consacré à Robespierre. Ce dernier, selon vous, avait compris la contradiction
entre le pouvoir économique et la liberté politique. Cette problématique
n’est-elle pas d’actualité ?
Cela vous a frappé ! Et je pense
que les situations, toutes proportions gardées, sont comparables. Dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, une offensive du système capitaliste, ou, si
vous préférez, du système de « l’économie de marché » se préparait. Cette
histoire est racontée, en ce qui concerne la Grande Bretagne, qui était alors
la puissance européenne en état de la diriger, par Karl Polanyi et Edward
Palmer Thompson. Il s’agissait d’une offensive pour imposer le système en
Angleterre même d’une part et, d’autre part, pour diriger les nouvelles
conquêtes impérialistes en direction de l’Afrique et de l’Asie, ce qui sera
réalisé tout au long du XIXe siècle.
Polanyi et Thompson racontent
comment s’est opérée l’offensive du système capitaliste en Angleterre afin de
contrôler le marché des subsistances au niveau de la production céréalière et
de leur commercialisation. L’offensive était en train de fabriquer ce que l’on
appelle aujourd’hui l’arme alimentaire, qui nécessite de détruire tout le
système de protection économique, social, juridique et mental précédent, afin
de lui substituer un pouvoir qui s’impose par un moyen de contrainte, ici, la
hausse des prix des denrées de première nécessité. Ce pouvoir économique est
animé de l’esprit de profit qu’un peu plus tard, Karl Marx, qui était sensible
à ce changement d’esprit, a exprimé par la métaphore d’un monde brutalement
plongé « dans les eaux glacées du calcul égoïste ».
À la fin du XVIIIe siècle, la
France subit la même offensive portée par une nouvelle école d’économistes, les
physiocrates puis les turgotins, qui, depuis les années 1760, tentèrent des
réformes pour « libérer » la production et le commerce des subsistances des
formes de contrôle qui protégeaient la population des désastres de la
spéculation. Ces offensives réformatrices se sont traduites par l’apparition de
« troubles de subsistances » d’une ampleur inouïe : l’objectif des économistes
était de hausser les prix des subsistances sans que les salaires suivent ! le
résultat fut de causer des « disettes factices » et de désespérer les salariés
les plus faibles, qui avaient faim, dépérissaient et mouraient d’inanition. On
comprend que des révoltes populaires aient suivi.
![]() |
nomenclature des classes sociales imaginée par les physiocrates |
E.P. Thompson a montré en
Angleterre que ces révoltes populaires révélaient une conscience remarquable, qu’il
a appelée « l’économie morale de la foule », marquée par des mesures cohérentes
pour faire baisser les prix, en discutant avec les marchands et les autorités
locales. Il a encore attiré l’attention sur les capacités populaires à
concevoir des réponses d’ordre politique, économique et moral pour leur propre
vie et celle de la société tout entière.
En France, où la population
rurale représentait plus de 85%, les « émotions populaires » prirent une
ampleur considérable et conduisirent à une révolution pour répondre à cette
offensive des économistes, dans le but de l’interrompre et de construire une
autre perspective historique ! La convocation des États généraux en 1789 a
donné la parole au peuple : les cahiers de doléances et les élections des
députés ont préparé une révolution qui fut la réponse à cette offensive du
capitalisme.
![]() |
la Grande Peur |
Dès le mois de juillet, les
paysans proposent un nouveau contrat social fondé sur une réforme agraire qui
prévoit le partage de la seigneurie, forme dominante de la propriété du sol à
l’époque : une partie de la seigneurie au seigneur, une autre à la paysannerie.
Mais les seigneurs refusèrent et provoquèrent cinq ans de guerre civile.
Cependant, ils échouèrent et la Convention montagnarde réalisa cette grande
réforme agraire en 1793-1794, qui supprima la féodalité en faveur des paysans
et démantela le processus de concentration de la propriété des terres dans les
mains des gros propriétaires comme des gros producteurs en France. Cette
réforme agraire constitua un frein sérieux, pour environ un siècle, à
l’offensive du capitalisme agraire. La France est restée un pays de paysannerie
jusqu’aux débuts du XXe siècle, et le peuple vécut là moins mal que dans les
pays où l’exode rural ruinait, affamait, désespérait, déshumanisait ses victimes,
comme on peut le voir à une échelle aujourd’hui, qui est devenue celle de la
planète…
Dans les villes comme dans les
campagnes, la spéculation sur le prix des denrées de première nécessité a
permis à la démocratie communale d’organiser un système alternatif avec une
Commission générale des denrées de première nécessité en liaison avec les
greniers communaux, chargés de contrôler la fourniture des marchés publics et
l’équilibre entre les prix des denrées, les bénéfices du commerce et les
salaires populaires.
Le peuple mit en avant, parmi les
droits de l’humanité, celui qui lui paraissait le principal : le droit à
l’existence et aux moyens de la conserver ! Vaste programme… Et il le concevait
en liaison directe avec ses pratiques démocratiques d’assemblée générale
communale où tous les habitants, hommes, femmes et même enfants, venaient
délibérer et prendre des décisions : ce fut la commune, héritée des anciennes
pratiques populaires, qui devint la cellule de base de cette démocratie des
droits de l’homme qui a pu vivre de 1789 à 1795.
Ce que « l’économie morale de la
foule » en Angleterre et « l’économie politique populaire » en France ont
révélé, ne saurait être confondu avec ce qu’une interprétation camoufle en «
révolution bourgeoise », sans commettre un bien étrange contresens doublé d’un
non sens !
Quels furent les grands combats
menés par Robespierre ?
Lui, comme d’autres, comme Marat,
Billaud-Varenne, Louise de Kéralio, Saint-Just, Mailhe, Claire Lacombe,
Dufourny, Grégoire, Théroigne de Méricourt, Coupé et tant d’autres… étaient des
Amis du peuple et des amis des droits de l’humanité tout entière. Ils l’ont
montré en luttant contre les multiples formes d’aristocratie, qu’elle soit
politique, économique, colonialiste, esclavagiste ou conquérante en Europe !
Robespierre a pris la défense du
peuple dès la convocation des États généraux, qui a suscité des résistances
farouches des privilégiés. En effet, Louis XVI avait fait appel au conseil
élargi du roi qu’étaient ces États généraux, organisés depuis le XIVe siècle et
convoqués en cas de crise politique grave. Ce fut le cas en 1789 ! et Louis XVI
avait convoqué le Tiers-état formé de toute la population roturière (environ 26
millions de personnes), de la noblesse (350.000 individus) et du clergé (120.000
individus). La forme de suffrage était relativement démocratique : une voix par
chef de famille (homme ou femme). Or, les privilégiés refusaient ce suffrage et
le roi dut les contraindre de se soumettre à ce suffrage.
La Convocation des États généraux
fut une première expérience pour faire reconnaître les pratiques démocratiques
et la souveraineté populaire. Robespierre y a participé à Arras et s’est
retrouvé au premier rang, lors de ces batailles. Élu député, il a défendu avec
énergie les droits du peuple. Par exemple, l’offensive menée par les tenants
d’une « aristocratie de la richesse », comme le fit Siéyès, consistait à
imposer un suffrage réservé aux riches et à supprimer les assemblées
électorales communales pour les éloigner en les plaçant au niveau cantonal
(déjà !). Robespierre a lutté toute sa vie pour maintenir les pratiques
populaires communales, qui concevaient la démocratie comme la participation de
chaque habitant aux délibérations et prises de décision : les femmes comprises.
Il a défendu les droits économiques en reprenant le droit à l’existence comme
le premier des droits imprescriptibles de l’humanité :
« La première loi sociale est
donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ;
toutes les autres sont subordonnées à celle-là : la propriété n’a été instituée
ou garantie que pour la cimenter. » (discours à la Convention, déc. 1792)
![]() |
Robespierre |
Sa critique du droit de propriété
privée porte sur la nécessité de distinguer entre les produits de première
nécessité et ceux qui ne le sont pas. Il conçoit alors que le droit de
propriété ne peut être privé sur les premiers, mais a un caractère social et de
bien commun et doit demeurer sous le contrôle de la société :
« Les aliments nécessaires à
l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable
pour la conserver est une propriété commune à la société entière, il n’y a que
l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonnée à
l’industrie des commerçants. Toute spéculation mercantile que je fais aux
dépens de la vie de mon semblable n’est point un trafic, c’est un brigandage et
un fratricide. » ( ibidem)
Robespierre a encore mis en
lumière l’existence de deux formes d’économie politique, l’une « tyrannique »,
qui est celle des systèmes féodal ou capitaliste et colonialiste, fondée sur un
droit illimité de propriété privée, qui met la vie des gens en danger, l’autre
qu’il a appelée une « économie politique populaire » . Cette dernière est
fondée sur un droit de propriété limité et contrôlé par les lois, de telle
sorte « qu’il ne puisse préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à
l’existence, ni à la propriété de nos semblables », et qu’accompagnent des
droits sociaux précis :
« La société est obligée de
pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail,
soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de
travailler. Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire sont
une dette de celui qui possède le superflu : il appartient à la loi de
déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée » (24 avril 1793, projet de déclaration des droits de l'homme et du citoyen)), et non
abandonnée au hasard de la charité privée !
Je précise que « la propriété de
nos semblables » renvoie à la conception qu’avait Robespierre selon laquelle
tout droit est une propriété de chaque être humain, comme le droit à la vie, le
droit à son propre corps contre les différentes formes d’esclavage, la liberté,
l’exercice de ses facultés etc… sont des droits et des propriétés, qu’il
considère comme de droit naturel, par opposition au droit de propriété des
biens matériels qui n’est pas de droit naturel, mais dont l’exercice relève du
débat politique et de la loi.
Robespierre a ainsi lutté pour
fonder une république démocratique, dans laquelle la souveraineté populaire
n’était pas seulement écrite sur le papier de la Constitution, mais une
conscience et une pratique réelles. Avec Grégoire en particulier, il s’est
battu pour faire respecter la souveraineté des autres peuples, avec l’objectif
de construire une alliance de républiques démocratiques, dans le but d’empêcher
la France de continuer de mener une politique de puissance conquérante, mais
aussi de se protéger des offensives impérialistes éventuelles : c’est une
dimension de leur combat trop souvent négligée ! On retrouve les mêmes
préoccupations chez Thomas Paine, par exemple, sujet britannique, citoyen des
États-Unis d’Amérique au moment de leur guerre d’indépendance et député à la
Convention en France de 1792 à 1795. Ajoutons aussi chez Emmanuel Kant, qui a
théorisé son Projet de paix perpétuelle (1795) à la lumière du grand cycle
révolutionnaire qui s’est développé au tournant du XVIIIe siècle, et qui a eu
connaissance de la Révolution de Saint-Domingue/Haïti, première révolution
faite par des esclaves insurgés en Amérique.
Actuellement, Robespierre est vu
comme un tyran sanguinaire, père des totalitarismes. Que répondez-vous à ce
portrait largement répandu par certains médias et politiciens ? Comment
expliquer cette contradiction alors que pour Robespierre « Le peuple peut,
quand il lui plaît, changer son gouvernement, et révoquer ses mandataires » ?
C’est de bonne guerre pourrait-on
dire ! Robespierre est attaqué par des tenants du despotisme monarchique ou
aristocratique qui n’aiment décidément ni le peuple ni la démocratie et encore
moins les droits de l’humanité. Or, Robespierre a été un grand dirigeant de la
démocratie en acte, un des législateurs fondateurs d’une république des droits
de l’homme et du citoyen, qui construisait une souveraineté du peuple réelle
fondée sur le principe, que nous ne connaissons plus, de députés qui étaient
des commis du peuple, responsables devant les électeurs et qui pouvaient même
être destitués en cours de mandat, s’ils avaient perdu la confiance du peuple.
Nous ne connaissons plus cette pratique, qui appartient à une démocratie
respectueuse de la souveraineté populaire et dont la constitution sépare le
législatif, expression de la conscience sociale, de l’exécutif, chargé
d’exécuter strictement les lois et contrôlé lui-même par le législatif. Voici
ce qu’en disait Robespierre dans un discours à la Convention, le 10 mai 1793 :
« Je veux que les fonctionnaires
publics nommés par le peuple puissent être révoqués par lui, selon les formes
qui seront établies, sans autre motif que le droit imprescriptible qui lui
appartient de révoquer ses mandataires.
Il est naturel que le corps
chargé de faire les lois surveille ceux qui sont commis pour les faire exécuter
; les membres de l’agence exécutive seront donc tenus de rendre compte de leur
gestion au corps législatif. En cas de prévarication, il ne pourra pas les
punir, parce qu’il ne faut pas lui laisser ce moyen de s’emparer de la
puissance exécutive, mais il les accusera devant un tribunal populaire, dont
l’unique fonction sera de connaître les prévarications des fonctionnaires publics.
(…)
À l’expiration de leurs
fonctions, les membres de la législature et les agents de l’exécution, ou
ministres, pourront être déférés au jugement solennel de leurs commettants. Le
peuple prononcera seulement s’ils ont conservé ou perdu sa confiance. »
Si l’on compare avec notre
système actuel dans lequel la séparation des pouvoirs est inexistante, on
constate que la réalité du pouvoir se trouve concentrée dans la personne d’un
président élu au suffrage universel comme un monarque. Si son parti obtient la
majorité à la Chambre des députés, il n’y a plus de législatif séparé de
l’exécutif, mais un parti présidentiel qui pratique la confusion des pouvoirs :
l’exécutif ne peut guère être contrôlé par le législatif, dont ce devrait être
la fonction. Ajoutons à cela que le peuple, souverain sur le papier de la
Constitution, est de fait impuissant, puisqu’il ne dispose d’aucune institution
lui permettant de révoquer les élus en cours de mandat. Quant aux contrôles de
constitutionnalité, ils sont confiés à des comités et commissions dont les
membres sont nommés par le président lui-même… Il faut alors compter sur la
probité –la vertu ou l’amour des lois selon Montesquieu- mais force est de
constater que celle-ci n’est pas la chose du monde la mieux partagée par la
classe politique actuelle !
Enfin, pour reprendre cette
inquiétante affirmation formulée par François Furet, en 1979, selon laquelle la
Révolution française serait « la matrice des totalitarismes du XXe siècle »,
elle est à la fois inquiétante et fantaisiste. LES totalitarismes, au pluriel :
fascismes, nazisme, stalinisme ? cela fait beaucoup ! Et répondre à cette
énorme ignorance est difficile ici. J’ai déjà beaucoup écrit sur cette question
et je prie le lecteur de bien vouloir s’y reporter. Je renvoie aussi au livre
de Jean-Pierre FAYE, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, Idées
Gallimard, 1982, qui a réfuté cette étrange assertion avec sérieux et finesse.
Jean-Pierre Faye a aussi attiré
l’attention sur le rapprochement surprenant entre droits de l’homme et terreur,
qui est une énigme et qui date de la Révolution française. Il explore encore la
question de la répression au nom de la liberté :
« Comment se peut-il que le temps
de la Terreur, répression s’il en fut, est en même temps, et
contradictoirement, fondation des libertés antirépressives d’occident ? »
(...)
mercredi 11 juin 2014
Débaptiser la place Robespierre à Marseille ?
Débaptiser la place Robespierre à Marseille ?
Lettre ouverte à Guy Teissier, président de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole Comme le relate le journal La Marseillaise dans son édition du 5 mai 2014, Guy Tessier, maire UMP et président de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, entend faire aboutir le projet de débaptiser la place Robespierre dans le 9e arrondissement de Marseille. Nous avons décidé de rédiger une lettre ouverte pour expliquer notre opposition à ce projet.
Monsieur le maire,
Nous avons appris par la presse que vous envisagiez de débaptiser la Place Robespierre dans le 9e arrondissement de Marseille. Nous entendons réagir à cette nouvelle en vous faisant part de notre désapprobation et de notre volonté de faire largement savoir auprès de l’opinion les raisons de notre opposition à ce projet. Débaptiser l’un des rares noms de lieu dédiés à la mémoire de Robespierre dans les grandes villes françaises serait, à notre sens, un signal politique et mémoriel antirépublicain. Quoi qu’on puisse penser de l’action politique de Robespierre (et les interprétations divergentes sont nombreuses, comme nous avons montré dans notre ouvrage (1)), il n’en reste pas moins qu’il a été l’inventeur de la devise "Liberté Égalité Fraternité" qui figure au fronton des édifices publics, qu’il a été (avec bien d’autres évidemment) un combattant infatigable de la démocratie, qu’il a défendu la citoyenneté des pauvres, des juifs, des "hommes de couleur" (comme on disait alors) dans les colonies et qu’il n’a cessé d’être la cible des attaques des royalistes, des anti-républicains et des réactionnaires de toutes sortes depuis deux siècles. Les accusations de "dictature" ou de responsabilité personnelle dans ce que l’on a appelé après sa mort la "Terreur" ont été — depuis fort longtemps — ruinées par la critique historique. Robespierre n’a jamais été le dictateur sanglant et paranoïaque de l'imagerie contre-révolutionnaire, il a été, en revanche, l’un des partisans les plus résolus de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de la Première république, y compris dans le contexte difficile d'une guerre civile et extérieure.
Ajoutons qu’il a été, dès 1790-1791, le porte-parole des patriotes marseillais en butte aux attaques des autorités aristocratiques locales, qu’il a entretenu une correspondance politique suivie avec les révolutionnaires phocéens qui l’ont remercié à plusieurs reprises en lui demandant d’être leur défenseur (2) . Notre "cause est digne de vous, lui écrivent les officiers municipaux marseillais le 18 avril 1791, c'est celle du patriotisme luttant contre la calomnie". Robespierre est celui qui écrivait au maire de Marseille le 27 juillet 1790 : "ne doutez pas que je ne sois dévoué jusqu’à la mort à la cause de Marseille et à celle de la Constitution, à laquelle elle est liée". Il est celui qui dédia aux Marseillais son Adresse aux Français après la fuite du roi en juin 1791. Et vous voudriez que ce défenseur de la Révolution des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi de la ville de Marseille, disparaisse des noms de lieux et de places de la ville qui lui a décerné les plus grands éloges ?
En Provence, au-delà de la municipalité marseillaise, ce sont celles d'Avignon ou de Toulon — dont il devient citoyen d'honneur — qui lui ont rendu hommage. Le premier député des Bouches-du-Rhône, Charles-François Bouche, le considérait comme l’un des Constituants les plus patriotes. Il a, écrivait le député provençal, "l’âme grande, élevée, courageuse et patriote" et il désolera "ses ennemis, s’il en a", car sa conduite politique est sans tache. Celui qui a reçu de son vivant le surnom "d’Incorruptible" doit-il disparaître de la vue des Marseillais ? Ce serait un comble en ces temps de crise de la démocratie et de méfiance à l’égard de la vertu publique des élus de la République.
La place Robespierre ne doit pas être débaptisée.
La Révolution française ne doit pas disparaître de la mémoire marseillaise, nationale et universelle.
Nous faisons connaître cette lettre à nos collègues historiens et nous leur demandons de s’associer à notre démarche qui concerne aussi tout ceux qui ont à coeur de défendre la mémoire de la révolution.
Marc Belissa, maître de conférences en histoire (Université Paris Ouest Nanterre).
Yannick Bosc, maître de conférences en histoire (Université de Rouen).
(1) Robespierre. La fabrication d'un mythe, Paris, Ellipses, 2013.
(2) Voir l'article de Jacques Guilhaumou, "Robespierre, défenseur de Marseille en 1791", Révolution Française.net, juin 2006.
Premiers signataires :
Serge Bianchi (Professeur émérite, Université de Rennes II), Deborah Cohen (MCF histoire, Université d'Aix-Marseille), Alexis Corbière (professeur d'histoire, auteur de Robespierre Reviens !), Marc Deleplace (MCF histoire, Paris IV Sorbonne), Jean-Numa Ducange (MCF histoire, Université de Rouen), Florence Gauthier (MCF Histoire, Université Paris VII Denis Diderot), Jacques Guilhaumou (directeur de recherche émérite, CNRS-ENS Lyon), Anne Jollet (MCF histoire, Université de Poitiers), Mathilde Larrère (MCF histoire, Université de Marne-la-Vallée), Claude Mazauric (Professeur émérite, Université de Rouen), Guillaume Mazeau (MCF histoire, Université Paris I Panthéon Sorbonne), Christine Peyrard (Professeur, Université d'Aix-Marseille), Michel Vovelle (Professeur émérite, Aix-Marseille, Paris I, ancien directeur de l'Institut d'histoire de la Révolution française).
Monsieur le maire,
Nous avons appris par la presse que vous envisagiez de débaptiser la Place Robespierre dans le 9e arrondissement de Marseille. Nous entendons réagir à cette nouvelle en vous faisant part de notre désapprobation et de notre volonté de faire largement savoir auprès de l’opinion les raisons de notre opposition à ce projet. Débaptiser l’un des rares noms de lieu dédiés à la mémoire de Robespierre dans les grandes villes françaises serait, à notre sens, un signal politique et mémoriel antirépublicain. Quoi qu’on puisse penser de l’action politique de Robespierre (et les interprétations divergentes sont nombreuses, comme nous avons montré dans notre ouvrage (1)), il n’en reste pas moins qu’il a été l’inventeur de la devise "Liberté Égalité Fraternité" qui figure au fronton des édifices publics, qu’il a été (avec bien d’autres évidemment) un combattant infatigable de la démocratie, qu’il a défendu la citoyenneté des pauvres, des juifs, des "hommes de couleur" (comme on disait alors) dans les colonies et qu’il n’a cessé d’être la cible des attaques des royalistes, des anti-républicains et des réactionnaires de toutes sortes depuis deux siècles. Les accusations de "dictature" ou de responsabilité personnelle dans ce que l’on a appelé après sa mort la "Terreur" ont été — depuis fort longtemps — ruinées par la critique historique. Robespierre n’a jamais été le dictateur sanglant et paranoïaque de l'imagerie contre-révolutionnaire, il a été, en revanche, l’un des partisans les plus résolus de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de la Première république, y compris dans le contexte difficile d'une guerre civile et extérieure.
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Guy Teissier, député UMP des Bouches-du-Rhône |
Ajoutons qu’il a été, dès 1790-1791, le porte-parole des patriotes marseillais en butte aux attaques des autorités aristocratiques locales, qu’il a entretenu une correspondance politique suivie avec les révolutionnaires phocéens qui l’ont remercié à plusieurs reprises en lui demandant d’être leur défenseur (2) . Notre "cause est digne de vous, lui écrivent les officiers municipaux marseillais le 18 avril 1791, c'est celle du patriotisme luttant contre la calomnie". Robespierre est celui qui écrivait au maire de Marseille le 27 juillet 1790 : "ne doutez pas que je ne sois dévoué jusqu’à la mort à la cause de Marseille et à celle de la Constitution, à laquelle elle est liée". Il est celui qui dédia aux Marseillais son Adresse aux Français après la fuite du roi en juin 1791. Et vous voudriez que ce défenseur de la Révolution des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi de la ville de Marseille, disparaisse des noms de lieux et de places de la ville qui lui a décerné les plus grands éloges ?
En Provence, au-delà de la municipalité marseillaise, ce sont celles d'Avignon ou de Toulon — dont il devient citoyen d'honneur — qui lui ont rendu hommage. Le premier député des Bouches-du-Rhône, Charles-François Bouche, le considérait comme l’un des Constituants les plus patriotes. Il a, écrivait le député provençal, "l’âme grande, élevée, courageuse et patriote" et il désolera "ses ennemis, s’il en a", car sa conduite politique est sans tache. Celui qui a reçu de son vivant le surnom "d’Incorruptible" doit-il disparaître de la vue des Marseillais ? Ce serait un comble en ces temps de crise de la démocratie et de méfiance à l’égard de la vertu publique des élus de la République.
La place Robespierre ne doit pas être débaptisée.
La Révolution française ne doit pas disparaître de la mémoire marseillaise, nationale et universelle.
Nous faisons connaître cette lettre à nos collègues historiens et nous leur demandons de s’associer à notre démarche qui concerne aussi tout ceux qui ont à coeur de défendre la mémoire de la révolution.
Marc Belissa, maître de conférences en histoire (Université Paris Ouest Nanterre).
Yannick Bosc, maître de conférences en histoire (Université de Rouen).
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Marc Belissa |
(1) Robespierre. La fabrication d'un mythe, Paris, Ellipses, 2013.
(2) Voir l'article de Jacques Guilhaumou, "Robespierre, défenseur de Marseille en 1791", Révolution Française.net, juin 2006.
Premiers signataires :
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Yannick Bosc |
Serge Bianchi (Professeur émérite, Université de Rennes II), Deborah Cohen (MCF histoire, Université d'Aix-Marseille), Alexis Corbière (professeur d'histoire, auteur de Robespierre Reviens !), Marc Deleplace (MCF histoire, Paris IV Sorbonne), Jean-Numa Ducange (MCF histoire, Université de Rouen), Florence Gauthier (MCF Histoire, Université Paris VII Denis Diderot), Jacques Guilhaumou (directeur de recherche émérite, CNRS-ENS Lyon), Anne Jollet (MCF histoire, Université de Poitiers), Mathilde Larrère (MCF histoire, Université de Marne-la-Vallée), Claude Mazauric (Professeur émérite, Université de Rouen), Guillaume Mazeau (MCF histoire, Université Paris I Panthéon Sorbonne), Christine Peyrard (Professeur, Université d'Aix-Marseille), Michel Vovelle (Professeur émérite, Aix-Marseille, Paris I, ancien directeur de l'Institut d'histoire de la Révolution française).
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