mardi 30 août 2016

Madame de Tencin, la scandaleuse (3)


 
La mort de son amant le cardinal Dubois, puis celle du Régent fin 1723, vont réduire la sphère d'influence que s'est patiemment construite Madame de Tencin.
Le fait divers qui va précipiter sa chute intervient en 1726. Je laisse le soin aux chroniqueurs de l'époque d'en rapporter les détails.
(les passages en gras sont de mon fait)
 
Mme de Tencin
 
MARAIS (avocat au Parlement de Paris) AU PRÉSIDENT BOUHIER (magistrat au Parlement de Bourgogne).

12 avril 1726.
Voici une belle affaire qui va encore vous dire ce que c’est que l’homme. Un M. de Lafrenaye, conseiller au grand conseil, qui avait eu des affaires d’amour et d’intérêt avec Mme Tencin, va chez elle samedi dernier ; ils eurent quelque discussion, il passe dans un cabinet pour écrire une lettre, et là il se met sur un canapé et se donne un bon coup de pistolet, avec quatre balles dans le coeur, dont il meurt sur-le-champ. Le canapé en frémit, non hos servatum munus in usus, la dame en gémit. On avertit le premier parent et le procureur général du grand conseil, qui le font enterrer la nuit en secret, et le lendemain chacun coule l’histoire à sa manière, et il y en a cent. Le grand conseil met un scellé sur les effets; le Châtelet contre-scelle; conflit de juridiction (a priori, les cas criminels relevaient de la juridiction du Châtelet ; mais la Fresnaye faisant partie du Grand Conseil, il pouvait être jugé par ses pairs) ; mais en voici bien d’une autre. Le mort avait déposé avant de mourir son testament à M. de Sacy, avocat au conseil, avec un autre papier cacheté, et la suscription du testament porte qu’il sera ouvert en présence de ses créanciers. On les assemble. On croyait aller trouver un arrangement pour ses affaires, savez-vous ce qu’on trouve ? Un mémoire affreux contre Mme Tencin, où il dit que c’est un monstre qu’on doit chasser de l’État, que si jamais il meurt ce sera elle qui le tuera, parce qu’elle l’en a souvent menacé, qu’elle doit encore tuer un autre homme, qu’il nomme, qu’il l’a vue coucher avec M. de Fontenelle et avec un M. d’Argental, son neveu; qu’elle est capable de toutes sortes de mauvaises actions, qu’il en avertit M. le Duc (le Duc de Bourbon, qui était alors le 1er des ministres), qu’il ne lui doit rien, quoiqu’elle ait un billet de 50,000 fr. de lui (Mme de Tencin et son frère, archevêque d'Embrun, lui avaient confié la tâche de placer cette somme) et le reste. Sur cela et sur d’autres indices, Mme de Tencin a été décrétée, prise de corps, arrêtée et menée au Châtelet à onze heures du soir, avant-hier; le corps du défunt exhumé de l’église Saint-Roch et porté au Châtelet où il doit lui être confronté, et on fait actuellement le procès au cadavre.
Le second paquet n’est point encore ouvert; s’il ressemble au premier, ce sera un beau codicille.
Combien de réflexions ne peut-on pas faire sur tout ceci et quel démon d’homme qui va se tuer chez cette femme pour faire croire qu’elle l’a tué, et qui la déshonore dans un écrit qu’il sait bien qu’il sera public. Le pauvre Fontenelle n’avait-il pas bien affaire d’être mêlé là-dedans, il en a de toutes les façons, et que dites-vous du neveu qui couche avec la tante. (Charles-Augustin de Ferriol, comte d’Argental, fils de la soeur aînée de Mme de Tencin)
M. l’archevêque d’Embrun, sacré de la main du Pape, donnera l’absolution nécessaire. On dit qu’il est fort en peine, car il a peut-être aussi son paquet dans le second paquet; je me hâte de vous écrire cette belle aventure qui est l’entretien de tout Paris. Ce M. de Lafresnaye a été avocat au conseil, banquier en cour de Rome, puis conseiller au grand conseil. Mme de Grosley était avec Mme de Tencin, et un grand vicaire d’Embrun, que l’on dit qui est un mauvais prêtre, et il y a des gens qui prétendent qu’il a été tué d’un pistolet dont il voulait tuer la dame. Tout cela s’éclaircira.
 

MARAIS AU PRÉSIDENT BOUHIER.

14 avril 1726.
Voici ce que l’on sait de plus de ce qui est arrivé dans l’affaire de Mme Tencin. Le vendredi, 5, à six heures du soir, M. de Lafresnaye alla chez M. de Sacy (avocat au Grand Conseil, comme précisé plus haut), et lui déposa son testament et un autre paquet non souscrit; il pria M. de Sacy de déposer son testament à un notaire, aussitôt après sa mort. Le même jour, il alla chez Mme Tencin, lui demanda mainlevée d’une opposition qu’elle avait faite au titre de sa charge et montra un pistolet pour se tuer, et s’en retourna chez lui; on le renvoya chercher pour le détourner de ses idées noires, il ne voulut point revenir, et le lendemain (donc le 6 avril)il revint à onze heures du matin; il y avait bien du monde chez Mme Tencin (notamment sa soeur, Mme de Grolée, les abbés Veyret et Gaillande), parla comme un désespéré et montra encore le pistolet, puis il demanda à écrire une lettre comme je vous l’ai dit. L’abbé Michel le suivit dans le cabinet et le laissa, puis il se tua. 
(Marais omet de préciser que M. de Tencin, l'archevêque qui habitait dans le même quartier, a immédiatement accouru sur place)
Le grand conseil appelé (par l'archevêque) fit information comme d’un homme mort subitement (les commissaires du Grand Conseil concluent effectivement au suicide), il fut enterré avec force chaux vive à Saint-Roch. M. de Sacy fut bien surpris d’apprendre qu’il fallait sitôt faire l’usage du dépôt de la veille, il déposa le testament à un notaire qui le porta à M. le lieutenant civil, et de là il passa au greffe criminel, parce que le Châtelet informait de sa part. M. de Sacy fut entendu dans l’information du grand conseil, et il lui remit le paquet séparé, après avoir dit ce qu’il avait fait du testament, et voilà pourquoi ce paquet est au grand conseil. Je vous ai dit ce que contenait le testament, je ne sais rien de l’autre paquet, sinon que l’on dit que ce sont lettres de la dame où elle lui parle d’actions mauvaises et même de tuer quelqu’un, mais ce n’est qu’un bruit.
Le corps a été exhumé, mais il n’a pu être transporté; on a cependant pu voir la place du coup, sur quoi il y a bien des raisonnements pour savoir s’il s’est tué ou si on l’a tué, à peu près même dans cette affaire où je travaillai, il y a un an, pour cette femme accusée d’avoir tué son mari, et qui fut veuve, et innocente en même temps.
Le Châtelet a décrété la dame de prise de corps; elle a été prise le 10 au soir et menée au grand Châtelet (les magistrats du Châtelet avaient donc repris l'enquête expédiée par les membres du Grand Conseil); interrogée le lendemain pendant deux heures, elle avait une grosse fièvre, elle a donné une requête pour être élargie sous telle garde qu’on voudrait, attendu son mal; on lui refuse et ordonne qu’elle sera visitée par les médecins du Châtelet. Cependant elle faisait une batterie du côté de la cour, et le soir à minuit, le 11, on l’enleva en vertu d’une lettre de cachet, et elle fut mise à la Bastille où elle est. J’appris hier que le conflit a été jugé et l’affaire remise au Châtelet. ( En date du 11 avril, voici ce qu'écrit Maurepas au Lieutenant criminel Le Roi qui a été informé que Mme Tencin qui a été arrêtée en vertu du décret que vous avez décerné contre elle, est actuellement d’une santé si altérée qu’elle pourrait difficilement soutenir l’air des prisons du Châtelet, a ordonné qu’elle en fût transférée à la Bastille, mais l’intention de S. M. n’étant pas que cette translation arrête le cours de vos procédures, j’écris par son ordre au gouverneur de la Bastille, de vous la faire voir autant que l’instruction du procès que vous avez commencée le réquerrera. 
En somme, s'il fait conduite Madame de Tencin à la Bastille, il autorise néanmoins le Châtelet à poursuivre son enquête)

Les discours de Paris sont infinis, mais voilà un homme pis qu’un diable, c’est à lui qu’on vola, il y a quelques années, une grande quantité d’actions chez un agent de change; depuis ce temps-là il n’a pas été bien tranquille, il accusa un certain chevalier d’industrie, à qui il fallut encore donner des dommages et intérêts, il est fils d’un Lafresnaye, subdélégué de l’intendant d’Alençon; il avait six pieds et plus de haut et pouvait servir les dames. 
 
l'archevêque d'Embrun, frère de Madame de Tencin
  
LE PRÉSIDENT BOUHIER A MARAIS.

Dijon, 15 avril 1726.
Rien n’est plus extraordinaire que ce que vous me marquez de la mort de M. de Lafresnaye. Paris est le théâtre des singularités de toute espèce, et l’on ne voit rien de pareil dans nos provinces ; il est fâcheux pour Mme de Tencin qu’elle se trouve mêlée en cette tragique aventure, mais je crois que tout son crime est de s’être trouvée en liaison avec un fou, car il s’est déclaré tel par son beau testament, c’est tout ce que l’on peut en conclure de cette pièce sur laquelle je ne crois pas la dame plus coupable de sa mort que de galanterie corporelle avec Fontenelle. Pour ce qui est du neveu, c’est une autre affaire, et il n’y aurait rien de si surprenant dans un siècle comme celui-ci; j’ai grande impatience de savoir ce que contiendra le second paquet cacheté du défunt, et je m’étonne qu’on ne l’ait pas ouvert tout de suite. 

MAUREPAS (en charge de la Maison du Roi) A M. DE LAUNAY (gouverneur de la Bastille).

16 avril 1726.
Mme de Tencin n’étant à la Bastille que pour le procès qui se fait au Châtelet, vous pouvez la laisser parler à M. l’archevêque d’Embrun (son frère) et suivre d’ailleurs tout ce que M. le procureur du Roi, au Châtelet, vous marquera à son égard. Vous aurez cependant à continuer de me donner de ses nouvelles et à m’informer de tout ce qui se passera par rapport à elle. 


LE PRÉSIDENT BOUHIER A M. MARAIS.

Dijon, 19 avril 1726.
Ce que vous me marquez de l’affaire de Mme de Tencin donne furieusement à penser, si elle est innocente, elle est bien à plaindre, mais toujours est-elle coupable d’avoir quitté son couvent sans raison ni prétexte. Je sais que madame sa mère, qui était une très honnête femme, en est morte de douleur. Je sais que Mme de Feriol, sa soeur, qui a beaucoup de mérite et que je connais fort, ne l’a vue qu’avec chagrin prendre le parti qu’elle a pris. J’ai ouï dire aussi qu’elle n’était pas encore bien relevée de ses voeux; que serait-ce si à toutes les horreurs dont sa vie est pleine il fallait ajouter encore celles dont Lafresnaye l’a accusée, et si elle était forcée de dire: « Je me vois tout ensemble inceste et parricide. » Mais il faut attendre l’événement, il n’y a guère d’apparence qu’elle ait fait mourir le défunt, dont toutes les actions me paraissent d’un fou et d’un désespéré, mais il me paraît que le grand conseil a fait un pas de clerc par la procédure qu’il a suivie, car il ne pouvait prendre connaissance du fait qu’en supposant que le défunt s’était tué lui-même, il fallait donc dresser des procès-verbaux de l’état du cadavre, le faire visiter, etc., entendre des témoins, afin que le fait fut constaté, mais de le faire inhumer sans cela et sans les autres procédures qui se font contre la mémoire d’un mort; c’est marquer seulement que l’on a voulu assoupir une affaire. 

MAUREPAS A M. DE LAUNAY.

27 avril 1726.
Vous pouvez permettre à Mme de Tencin de voir M. Dauguy, M. de Fontenelle, M. de la Motte, M. Falconnet, M. l’abbé Desmichels et M. l’abbé d’Hugues, etc.
 
MARAIS AU PRÉSIDENT BOUHIER.

15 mai 1726
Mme de Tencin est fort malade à la Bastille. La mort mettra peut-être ordre à cette affaire et elle fera bien. On continue toujours l’instruction. Elle aimait tant les modernes qu’on assure que Lamotte (le poète Houdar de la Motte soutenait que les modernes étaient supérieurs aux anciens.) couchait avec elle et qu’un valet de chambre surprit le bonhomme qui n’ayant pas la légèreté d’un ancien, se trouva fort embarrassé dans sa retraite.


GAZETIN DE LA POLICE.

8 juin 1726.
Le 3, le conseil du Roi jugea la compétence de l’affaire de M. de la Fresnaye, et la renvoya au grand conseil pour juger le fond sur l’instruction faite par le Châtelet. Mme de Tencin se trouve par les informations parfaitement innocente tant du meurtre que des affaires d’intérêt dont elle paraissait chargée par le testament du défunt. (Avec l'aide de ses amis Jésuites, le frère de Mme de Tencin avait enfin obtenu que le Grand Conseil prenne en charge l'instruction...)

MAUREPAS A M. DE LAUNAY.

16 juin 1726.
Je vous adresse la lettre du Roi qui vous fera connaître que l’intention de S. M. est que vous fassiez mettre en liberté Mme de Tencin, lorsque son procès sera jugé. Vous permettrez aussi à M. le juge et au commissaire du grand conseil chargés de l’instruction de ce procès, de voir la dame pour achever ce qui reste de procédures à faire, dont vous me donnerez avis. 

MAUREPAS A TENCIN, ARCHEVÊQUE D’EMBRUN.

16 juin 1726.
J’adresse à M. de Launay l’ordre pour la liberté de madame votre soeur, lorsque son procès sera jugé, et je lui écris en même temps de permettre aux officiers du grand conseil qui sont chargés d’en achever l’instruction, de la voir à cet effet (en somme, l'issue du procès ne faisait plus guère de doute...

MARAIS AU PRÉSIDENT BOUHIER.

12 juillet 1726.
Mme de Tencin est jugée, la mémoire du défunt est condamnée, son nom rayé des registres du grand conseil, ses biens confisqués, son prétendu testament brûlé et la dame avec d’autres accusés de sa famille, déchargée de l’accusation, permis de publier et afficher l’arrêt; et il est au coin de toutes les rues. (voir arrêt ci-dessous)



  

dimanche 28 août 2016

Madame de Tencin, la scandaleuse (2)



L'écrivain François Céséra disait de la Régence : « voilà donc ce qui dirige la France. L’idée de la Révolution était venue avec Louis XIV, elle se fortifie avec le régent »
Pour sévère qu'il paraisse, ce jugement résulte d'un constat édifiant, celui d'une totale dissolution des moeurs sous le règne de Philippe d'Orléans entre 1715 et 1723.
A lire les satires de l'époque, toujours révélatrices d'une part de vérité, on prend conscience des accusations terribles qui pesaient alors sur le régent et ses proches, en particulier le Cardinal Dubois et Madame de Tencin. 

 Dans cette ode écrite par Lagrange-Chancel, Philippe d'Orléans est non seulement accusé de relation incestueuse avec sa fille la duchesse de Berry, mais également de tentative de régicide sur la personne du futur Louis XV...
la duchesse de Berry, fille du Régent
 C'est au milieu de ce fumier que Madame de Tencin s'est épanouie. Si le futur Cardinal Dubois fut son amant en titre, elle accorda également ses faveurs à tout ceux qui pouvaient servir ses intérêts, et surtout à ceux-là, devrais-je préciser.
Ainsi, Duclos nous raconte qu'elle eut avec le régent une intrigue qui ne dura pas ; elle se pressa un peu trop d'aller à ses fins, et dégoûta le prince, qui ne la prit qu'en passade, et dit qu'il n'aimait pas les p... qui parlent d'affaires entre deux
draps. Elle tomba du maître au valet , et le crédit qu'elle prit sur l'abbé Dubois, la consola. Ce n'était pas son coup d'essai...
Une "belle et scélérate chanoinesse", comme la qualifia Diderot, qui lui reprochait d'avoir abandonné son enfant (son plus proche ami, le futur d'Alembert) sur les marches de la chapelle de Saint-Jean-le-Rond. 
Pourquoi cette courtisane se serait-elle embarrassée d'un enfant ? Elle avait tant à faire ! Et notamment à organiser les divertissements royaux. Pour le coup, donnons la parole au Maréchal de Richelieu, qui fut témoin des turpitudes du trio évoqué mentionné ci-dessous  :
"Plus le régent approchait de cette indifférence ultérieure pour les plaisirs que la nature a voulu être la peine de la débauche, plus le cardinal (Dubois), ingénieux dans l'art des ressources, en imaginait de nouveaux, capables de l'occuper. 
La cour de ce prince, dans ce temps-là, allait tenir ses orgies au château de Saint-Cloud plutôt que dans tout autre lieu ; car on commençait à craindre le précepteur Fleury, qui prenait de l'empire sur le jeune roi, et qui avait des principes trop contraires à ces scènes lubriques. Il était d'ailleurs plus décent de s'éloigner du roi et de la capitale. On s'assemblait donc à Saint-Cloud, d'où l'on chassait tous les valets. Là se trouvaient des femmes publiques, conduites de nuit et les yeux bandés, pour qu'elles ignorassent où elles étaient ; le régent, ses femmes et les roués (comprendre : les proches du Régent, dignes d'être roués), qui ne voulaient pas être connus, se couvraient de masques ; mais on lui dit une fois qu'il n'y avait que le régent et le cardinal Dubois capables d'imaginer de pareils divertissements. 
La carrière d'un roué, Hogarth
D'autres fois on choisissait les plus beaux jeunes gens, de l'un et de l'autre sexes, qui dansaient à l'Opéra, pour répéter les ballets que le ton aisé de la société, pendant la Régence, avait rendus si lascifs, et que ces jeunes gens exécutaient dans cet état primitif où étaient les hommes avant qu'ils connussent les vêtements. Ces orgies, que le régent, Dubois et ses roués appelaient les fêtes d'Adam, furent répétées une douzaine de fois, car le prince parut s'en dégoûter. Le cardinal occupait ainsi le duc d'Orléans. La majorité approchait, et, pourvu qu'il pût l'atteindre et jouir alors de son crédit, son plan était formé : il voulait éloigner le régent.

Aux fêtes d'Adam succédèrent bientôt des orgies d'un nouveau genre ; obligée de les décrire, la plume tremble et se refuse à laisser aux âges futurs la description de ces infamies. On les racontera cependant, puisque la réticence est un vice dans l'histoire et que la candeur est une de ses qualités, et on ajoutera que madame de Tencin, ingénieuse dans l'art des ressources, connaissant les causes et les degrés de la vieillesse anticipée du régent et le besoin surtout de l'occuper, pour conserver à Dubois son influence, imagina de nouveaux plaisirs. Elle était le conseil du cardinal; elle gouvernait sa maison, où elle représentait avec beaucoup de grâces, étroitement liée avec son frère, à qui tous les moyens étaient bons pour parvenir ; elle donnait sans cesse à Dubois des avis nouveaux et lui montrait toutes sortes d'expédients pour maintenir son pouvoir et pour écarter les personnages dangereux. Quand le régent ne voulut donc plus de répétition de danses, elle suggéra au cardinal de proposer les fêtes et les divertissements des Flagellants. 
Le lendemain, chaque roué fut pourvu d'une douzaine de fouets pour le divertissement. La société des roués se demanda ce qu'on devait y faire, et on fut instruit d'avance du nombre des acteurs qui seraient de la partie ; car chacun se montrait son fouet, comme l'indice de la fête prochaine, en s'essayant sur les mains l'effet des coups de ces instruments. Épargnons, épargnons les détails, puisque nous n'avons pu cacher l'anecdote.Toute la cour des roués se flagella dans une nuit profonde. Faisons encore mieux connaître le régent. 
Les suites de l'orgie, Fragonard
Ce prince, du sein de ses désordres, laissait paraître des remords. Que dira l'histoire (dit-il un jour au cardinal Dubois, qui le raconta à madame de Tencin, de qui le maréchal de Richelieu tenait ces étranges anecdotes) ? Elle représentera les orgies de ma régence comme ces fêtes que nous connaissons tous de la cour des mignons de Henri III. Nos fêtes ténébreuses seront mises au grand jour; la postérité en connaitra les détails, et les artistes les graveront. Mais il ajouta que, si cela arrivait, on verrait au moins que tout se passait à l'instigation d'un cardinal. 
Dubois avait ordonné à madame de Tencin de composer la chronique scandaleuse du genre humain. Elle existe encore cette histoire manuscrite, composée par madame de Tencin à l'usage de Dubois et du régent, et ce que les Romains, ce que les Grecs, ce que les cours d'Italie avaient imaginé de plus voluptueux ou de plus infâme, on l'exécuta ou on en fit des essais. On mit en action Messaline et Cléopâtre ; on joua Ninon, dont la mémoire était bien plus récente; on fit sortir des tombeaux les débauchés de l'antiquité la plus reculée. 
Jamais les orgies ne commençaient que tout le monde ne fût dans cet état de joie que donne le vin de Champagne. On ne parlait d'agir que tout le monde ne fût gris et bien repu, et lorsque la compagnie arrivait à ce moment-là, lorsque les verres sautaient en l'air, lorsque les propos joyeux, les chansons bachiques, les liqueurs, le récit surtout des anecdotes scandaleuses qui sortaient, avec des commentaires, de la bouche des femmes, avaient mis tous les sens dans un état d'éveil, alors commençaient les répétitions. Le régent, pendant ce temps-là, se retirait dans un coin avec quelques-uns, d'où il applaudissait à ce que se permettait cette étrange compagnie. Des femmes de tout état, mais sans distinction de rang, y étaient reçues, et la génération actuelle serait bien surprise d'y trouver des mères ou des aïeules, car la plupart en ont demandé pardon à Dieu le reste de leur vie. Les plus libertines étaient recherchées du régent ; elles étaient incitées, animées par l'infâme cardinal, qui leur donnait des bijoux, de l'argent, des places et du papier, du temps de Law. Madame de Tencin et Dubois s'occupaient ensemble du succès de ces assemblées, qui amusaient le régent et disposaient des affaires du gouvernement, et on touchait à la majorité, époque qu'il avait fixée pour perdre le régent. 
(à suivre ici)

 

vendredi 26 août 2016

Madame de Tencin, la scandaleuse (1)

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Une des existences les plus scandaleuses du XVIIIè siècle (nous y reviendrons...), ce que rien ne laisse deviner dans cette notice biographique.


Claudine de Tencin


Madame de TENCIN, soeur du cardinal et archevêque de Lyon, naquit à Grenoble en 1681. Ses parents la contraignirent à se faire religieuse au couvent de Montfleury, près de Grenoble. Après cinq ans de profession, elle protesta contre ses voeux et obtint de passer comme chanoinesse au chapitre de Neuville, près de Lyon. Ayant ensuite quitté Neuville, elle vint à Paris, ou les agréments de son esprit et de sa figure lui firent des amis puissants et nombreux. Fontenelle surtout prit à son sort un intérêt très vif et sollicita auprès du pape un rescrit qui la dégageât de tout lien religieux. Le rescrit fut accordé ; mais comme on apprit en cour de Rome qu’il avait été obtenu sur un exposé de faits peu exact, il ne fut point lancé. Madame de Tencin n’en fut pas moins rendue entièrement au monde. 

Elle commença par s’occuper beaucoup de l’avancement de son frère, et elle parvint à lui procurer une fortune rapide et brillante. On assure que ses complaisances pour le régent et le cardinal Dubois y contribuèrent puissamment. Son frère étant un des chefs du parti des constitutionnaires, elle mit tant d’ardeur à soutenir la bulle Unigenitus que le gouvernement, dans la crainte que ses discours n’enflammassent davantage des haines déjà trop allumées, lui donna l’ordre de se retirer pour quelque temps à Orléans. Ainsi que son frère, elle se mêla beaucoup du fameux système de Law, et les opérations de ce financier, qui renversèrent tant de fortunes, ne nuisirent point à celle de madame de Tencin. Mêlant toujours la galanterie à l’intrigue, elle eut du chevalier Destouches-Canon un enfant qui fut le célèbre d’Alembert (1717). Cet enfant, exposé sur les marches de la petite église de St-Jean le Rond, dont le nom devint un des siens, fut recueilli par une pauvre vitrière, qui lui donna tous les soins de la plus tendre mère. On a prétendu que madame de Tencin avait voulu le reconnaître lorsque ses talents lui eurent acquis de la réputation, et qu’il avait repoussé cette marque tardive et suspecte d’amour maternel en disant: « Je ne connais qu’une mère, c’est la vitrière. » Cette anecdote est fausse. D’Alembert ne fut jamais dans le cas de dire le mot qu’on lui prêté. Un autre amant de madame de Tencin, Lafresnaye, conseiller au grand conseil, se tua chez elle d’un coup de pistolet. Ce suicide ayant les apparences d’un assassinat, elle fut conduite au Châtelet, puis à la Bastille (22 avril 1726), et bientôt après, mise en liberté. 


La seconde moitié de sa vie fut aussi tranquille, aussi régulière que la première avait été inconsidérée et orageuse. Elle se plut dès lors à rassembler chez elle l’élite des savants et des gens de lettres. Elle appelait cette réunion sa ménagerie ou ses bêtes, et tous les ans, aux étrennes, elle donnait à chacun de ceux qui la composaient deux aunes de velours pour se faire une culotte. Les coryphées de cette société étaient Fontenelle et Montesquieu. Lorsque ce dernier fit paraître son Esprit des lois, elle en prit un grand nombre d’exemplaires, qu’elle distribua entre ses amis, et elle donna ainsi la première impulsion au succès de cet immortel ouvrage. Benoît XIV eut toujours de l’amitié pour elle. N’étant encore que le cardinal Lambertini, il entretenait avec madame de Tencin une correspondance assez suivie, et dès qu’il fut pape, il lui envoya son portrait. 
Elle mourut à Paris le 4 décembre 1749, âgée de 68 ans.
 
le cardinal Dubois, premier des ministres et amant de Mme de Tencin

Son caractère ne fut pas moins attaqué que sa conduite. On vantait sa douceur devant l’abbé Trublet : « Oui, dit-il, si elle avait intérêt de vous empoisonner, elle choisirait le poison le plus doux. » Duclos, qui l’avait beaucoup connue, la loue de son désintéressement. Duclos parle aussi très avantageusement de son esprit : « On ne pouvait, dit-il, en avoir davantage, et elle avait toujours celui de la personne à qui elle avait affaire. » Elle mit plus que de l’esprit dans ses romans : elle y mit de la sensibilité et du talent. Le Comte de Comminges est son chef-d’oeuvre. Laharpe, après avoir payé un juste tribut d’admiration au roman de la Princesse de Clèves de madame de la Fayette, dit : « Il n’a été donné qu’à une autre femme de peindre, un siècle après, avec un succès égal, l’amour luttant contre les obstacles et la vertu. Le Comte de Comminges peut être regardé comme le pendant de la Princesse de Clèves. » Le Siège de Calais est moins régulier; mais la lecture en est peut-être plus attachante encore. On croit qu’il fut fait par gageure et pour prouver qu’un roman pouvait commencer exactement par où beaucoup d’autres finissent. Les Malheurs de l’amour offrent cet intérêt tendre et douloureux que le titre promet. Les Anecdotes de la cour et du règne d’Édouard II, roi d’Angleterre, autre roman de madame de Tencin, laissé imparfait par elle, à été achevé par madame Élie de Beaumont, l’auteur des Lettres du marquis de Roselle.

On a prétendu que d’Argental et de Pont-de-Veyle, neveux de madame de Tencin, avaient beaucoup contribué aux ouvrages de leur tante, si même ils ne les avaient pas composés en entier. On cite le témoignage d’une dame, la plus ancienne amie de d’Argental, que celui-ci surprit un jour fondant en larmes à la lecture du Comte de Comminges, et à qui il avoua qu’il était l’auteur de ce roman, mais qu’il l’avait donné à sa tante pour ne pas blesser les convenances de son état. Enfin on assure avoir trouvé dans les papiers de d’Argental plusieurs pages du roman intitulé les Anecdotes de la cour et du règne d’Édouard II, lesquelles sont écrites de sa main et chargées de ratures. Les ouvrages de madame de Tencin ont été souvent imprimés. Ils ont été réunis à ceux de madame de la Fayette en 1786.

(à suivre ici)

mercredi 24 août 2016

La Mettrie chassé de France


Né en 1709, Julien Offray de La Mettrie était médecin des Gardes-Françaises lorsqu'il publia (en 1745) son Histoire Naturelle de l'âme, traité dans lequel il prétend que l'âme n'est que l'organisation complexe de la matière.
Les premières lignes de son ouvrage laissent déjà imaginer l'insolence de son propos :

On ne sera donc pas surpris de lire sous la plume du même auteur que " Nous ne connaissons dans les corps que la matière, et nous n'observons la faculté de sentir que dans ces corps: sur quel fondement donc établir un être idéal désavoué par toutes nos connaissances ?"
 
La Mettrie


 Comme souvent au cours de ce siècle qui vit leur autorité menacée par ce que Kant nommait les Lumières, ce fut un homme d'église (en l'occurrence le père Dupré, jésuite enseignant à Louis-le-Grand) qui dénonça l'effronté à la police.

LE PÈRE DUPRÉ A MARVILLE (Lieutenant de police).

J’avais été chargé par M. l’ancien évêque de Mirepoix de lui fournir quelques éclaircissements sur un livre très impie qui paraît depuis peu. Il voulait savoir le titre de l’ouvrage, le nom de l’auteur et de l’imprimeur et tout cela pour vous le communiquer hier, à Versailles. Je n’ai pu le satisfaire, parce que je n’ai pas été instruit assez à temps (...) Voici le titre du livre: Histoire naturelle de l’âme, traduite de l’anglais de M. Cochard, par feu M. H. de l’Académie des sciences. Ce sont là des personnages supposés, le véritable auteur du livre est M. Métrie, médecin du régiment des gardes, qui a répandu dans tout Paris à pleine bouche et sans aucun ménagement, les périlleuses maximes répandues dans son livre sur la matérialité et mortalité de l’âme, sur l’éternité du monde et sur l’athéisme dont il fait hautement profession, et qui pour cela fut sévèrement repris par feu M. de Grammont, avant son départ pour la campagne où il vient de périr. Le livre est imprimé chez David, mais comme il y a deux imprimeurs de ce nom, je ne sais pas lequel des deux est le coupable. David l’a imprimé sous la condition de donner la moitié des exemplaires à l’auteur, et cette moitié a été remise chez Durand, à l’image de Saint-Lambert, pour y être vendue au profit de l’auteur. L’ouvrage avait été dédié à M. de Maupertuis, qui avait fait ôter l’épître dédicatoire, qui ne se trouve que dans deux ou trois exemplaires. Le même M. de Maupertuis a fait mettre un carton pour faire disparaître un endroit, où il était loué comme pensant de la même manière que l’auteur sur le sujet de son livre. Les libraires sont encore timides à le débiter, et M. Astruc écrit qu’il n’en a encore paru que 45 ou 46 qui ont été distribués pour présents, et il a eu le sien d’un homme qui en avait reçu trois exemplaires. Cependant je sais certainement qu’il y a des colporteurs qui en ont vendu en Sorbonne. Voilà toute ma science.

Au collège, I5 juin 1745.
 

Apostille de Marville à Duval. — Tâcher de m’avoir deux exemplaires de ce livre, et de savoir chez lequel David il a été imprimé. L’envoyer à M. Deon pour l’examiner promptement, ensuite en parler à M. de Mirepoix, et après répondre au père Dupré.  
Constater par le procès-verbal la quantité d’exemplaires que l’on saisira et celle dont l’édition était comptée et à qui les exemplaires ont été vendus, et observer préalablement le commissaire de dresser procès-verbal de la saisie et de recevoir les diverses déclarations de David et Durand, libraires, pour constater la quantité d’exemplaires dont l’édition a été composée, celle qui en reste actuellement sous la saisie, les noms des personnes à qui il a vendu ou livré les exemplaires qui peuvent y manquer. n
Fait ce 26 juin 1745.

***

TAPIN (exempt) A MARVILLE.

28 juin 1745.
J’ai l’honneur de vous informer qu’en exécution de vos ordres, je me suis transporté avec M. le commissaire de Rochebrune, au collège des Chollets, à l’effet d’y faire enlever l’édition de l’Histoire naturelle de l’âme, que j’ai fait conduire au château de la Bastille. J’en ai tiré trois exemplaires en présence de M. Anquetil, que j’ai envoyés chez le relieur pour les faire brocher; aussitôt que je les aurai eus, j’aurai l’honneur de vous les remettre. 
 
***
 
DE ROCHEBRUNE (commissaire) A MARVILLE.

28 juin 1745.
J’ai l’honneur de vous envoyer l’expédition du procès-verbal dressé le 26 du présent mois, dans le magasin de David et Durand, au sujet de la saisie que j’ai faite du livre intitulé Histoire naturelle de l’âme, suivant vos ordres. J’ai pris leur déclaration qui contient le nombre des exemplaires qui ont été tirés; ceux qui ont été donnés ou envoyés en Hollande et en Suisse, et ceux enfin qui ont été représentés, saisis et portés à la Bastille en présence de Tapin. 
 
***
  
 Ainsi fut réglé le sort de La Mettrie, coupable aux yeux de la justice de "raisonnements scandaleux, contraires à la religion et aux bonnes moeurs." (voir ci-dessous)
 L'arrêt du 7 juillet 1746 précise que l'ouvrage "frappe les fondements de toute religion et de toute vertu", et le condamne au bûcher.
 


 Dans la foulée, La Mettrie perdit son poste de médecin et fut contraint de quitter le royaume. Réfugié en Hollande, il vint peu après grossir (en 1748) les rangs des intellectuels recueillis à Potsdam par Frédéric II.
Sautant sur l'occasion, Voltaire railla de la sorte la décision prise à Versailles : "un roi gouverné par un jésuite eût pu proscrire La Mettrie et sa mémoire, un roi qui n'était gouverné que par la raison, sépara le philosophe de l'impie, et laissant à Dieu le soin de punir l'impiété, protégea et loua le mérite".
 
 
 

lundi 22 août 2016

Robert-François Damiens le régicide


le visage empreint de douceur ?

ou la bête brute ?


qualifié de "plus abominable des hommes sur terre"

ou de "monstre"




les quelques secondes qui suivent l'attentat

comparé à Ravaillac



place de Grêve

samedi 20 août 2016

Richard Flamein - Voltaire au Panthéon

      

Comment le personnage de Voltaire est-il né ?
L'historien Richard Flamein évoque ici un moment-clé, en 1791, lorsque le penseur des Lumières fut panthéonisé.

entrée de Voltaire au Panthéon
 

jeudi 18 août 2016

Les prêtres au bordel (2)

 (pour lire l'article précédent, c'est ici)


Comment expliquer cet acharnement contre les clercs débauchés ?

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Pour le comprendre, revenons quelques années en arrière, plus précisément en 1713, lorsque dans sa célèbre bulle Unigenitus le Pape Clément XI condamne sévèrement 101 propositions jansénistes sur la grâce et la lecture de l'Ecriture Sainte. Si de nombreux évêques se montrent alors favorables à ce décret, les milieux parlementaires (sous influence janséniste) vont refuser de l'appliquer. 

Pour affirmer son autorité (après 1746), l'Archevêque de Paris Christophe de Beaumont impose alors aux fidèles de présenter un billet de confession signé par un directeur de conscience favorable à la bulle. Ceux qui refusent sont menacés d'être privés des derniers sacrements, et partant, d'une inhumation en terre chrétienne. On imagine l'immense tollé que cette ordonnance a provoqué dans les milieux jansénistes !

Des lors, la guerre devient totale entre ultramontains (favorables à la bulle) et jansénistes. Donnant raison aux uns et autres selon les circonstances, exilant un jour les parlementaires et le lendemain certains prélats (dont C. de Beaumont), Louis XV n'a jamais su se dépêtrer de cette crise qui paralysait les affaires du royaume. Sans doute lui manquait-il la force de caractère de son arrière-grand-père...

*** 

Dans ce contexte particulièrement tendu, plusieurs hypothèses sont à envisager :

- l'une d'entre elles serait que l'Archevêque ait été lui-même à l'initiative de cette "chasse aux abbés" (on trouve cette formule dans le Tableau de Paris de Mercier). 




En effet, on peut imaginer que le prélat se soit montré particulièrement attentif aux moeurs des aspirants à des places ou dignités dont il avait directement ou indirectement la charge. Ainsi, qu'auraient dit ses adversaires jansénistes s'ils avaient eu vent des polissonneries de François de Clugny, aumônier du roi, futur évêque de Riez (en 1772), arrêté quelques années plus tôt "rue du chantre, chez la femme Fouquet, avec la nommée Henriette, qu'il a vue charnellement jusqu'à parfait copulation" ? Dans le combat à mort qu'il menait contre les magistrats jansénistes, l'Archevêque ne pouvait de toute évidence pas s'encombrer d'alliés aussi embarrassants... 
 
l'archevêque C. de Beaumont
Cette lettre de Christophe de Beaumont adressée au lieutenant de police nous éclaire sur les bénéfices qu'il pouvait tirer de cette chasse aux débauchés :
"l'on m'a fait un portrait si fort désavantageux d'un prêtre interdit qui demeure sur la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonneret que je ne puis m'empêcher de vous le dénoncer... On assure qu'il y a plusieurs lettres d'exil pour cause de jansénisme, mais on peut dire que c'est un grand hypocrite puisque sous le voile du rigorisme, il vit en commerce depuis 14 ans avec la demoiselle Budet à qui il a fait plusieurs enfants..."
Comme on le constate, la stratégie de l'archevêque était non seulement défensive (car destinée à protéger les siens), mais également offensive (afin de discréditer l'ennemi janséniste).

- Si cette première hypothèse est plausible, on se gardera pourtant d'affirmer que la surveillance des gens d'église s'est faite au service exclusif de la hiérarchie ecclésiastique. 
En coulisses, d'autres acteurs ont très bien pu oeuvrer, dont la Pompadour, qui a conservé durant toute la période 1747-1757 un lien privilégié avec le lieutenant de police Berryer.
L'historienne Erica-Marie Benabou confirme d'ailleurs que les arrestations de clercs ont quasiment cessé après la mort de la marquise en 1764.
Régulièrement menacée par la coterie des dévots (réunie autour de la reine et du Dauphin), la favorite avait tout intérêt à assurer ses arrières en se constituant des dossiers contre ses adversaires. Comme le souligne l'historien R. Muchembled, "ces récits crus peuvent mettre du baume au coeur du souverain et de Mme de Pompadour, écartés des sacrements par les rigoristes, alors que beaucoup d'ecclésiastiques ne s'appliquent pas les exigences que l'Eglise leur impose. Ils leur fournissent aussi un puissant levier pour influencer ceux qui les trouvent peu vertueux".

Quoi qu'il en soit, la police de Berryer agissait évidemment sur ordre, et dans ce jeu de dupes, les archives nous apprennent que les plus hauts prélats du royaume étaient eux aussi surveillés ! 
Prenons pour exemple l'anecdote savoureuse rapportée ci-dessous par une pourvoyeuse à l'inspecteur Marais :