Une des existences les plus scandaleuses du XVIIIè siècle (nous y reviendrons...), ce que rien ne laisse deviner dans cette notice biographique.
Claudine de Tencin |
Madame de TENCIN, soeur du
cardinal et archevêque de Lyon, naquit à Grenoble en 1681. Ses parents la
contraignirent à se faire religieuse au couvent de Montfleury, près de
Grenoble. Après cinq ans de profession, elle protesta contre ses voeux et
obtint de passer comme chanoinesse au chapitre de Neuville, près de Lyon. Ayant
ensuite quitté Neuville, elle vint à Paris, ou les agréments de son esprit et
de sa figure lui firent des amis puissants et nombreux. Fontenelle surtout prit
à son sort un intérêt très vif et sollicita auprès du pape un rescrit qui la
dégageât de tout lien religieux. Le rescrit fut accordé ; mais comme on apprit
en cour de Rome qu’il avait été obtenu sur un exposé de faits peu exact, il ne
fut point lancé. Madame de Tencin n’en fut pas moins rendue entièrement au
monde.
Elle commença par s’occuper beaucoup de l’avancement de
son frère, et elle parvint à lui procurer une fortune rapide et brillante. On
assure que ses complaisances pour le régent et le cardinal Dubois y
contribuèrent puissamment. Son frère étant un des chefs du parti des
constitutionnaires, elle mit tant d’ardeur à soutenir la bulle Unigenitus que le gouvernement, dans la
crainte que ses discours n’enflammassent davantage des haines déjà trop
allumées, lui donna l’ordre de se retirer pour quelque temps à Orléans. Ainsi
que son frère, elle se mêla beaucoup du fameux système de Law, et les
opérations de ce financier, qui renversèrent tant de fortunes, ne nuisirent
point à celle de madame de Tencin. Mêlant toujours la galanterie à l’intrigue,
elle eut du chevalier Destouches-Canon un enfant qui fut le célèbre d’Alembert
(1717). Cet enfant, exposé sur les marches de la petite église de St-Jean le
Rond, dont le nom devint un des siens, fut recueilli par une pauvre vitrière,
qui lui donna tous les soins de la plus tendre mère. On a prétendu que madame
de Tencin avait voulu le reconnaître lorsque ses talents lui eurent acquis de
la réputation, et qu’il avait repoussé cette marque tardive et suspecte d’amour
maternel en disant: « Je ne connais qu’une mère, c’est la vitrière. » Cette
anecdote est fausse. D’Alembert ne fut jamais dans le cas de dire le mot qu’on
lui prêté. Un autre amant de madame de Tencin, Lafresnaye, conseiller au grand
conseil, se tua chez elle d’un coup de pistolet. Ce suicide ayant les
apparences d’un assassinat, elle fut conduite au Châtelet, puis à la Bastille
(22 avril 1726), et bientôt après, mise en liberté.
La seconde moitié de sa vie fut aussi tranquille, aussi
régulière que la première avait été inconsidérée et orageuse.
Elle se plut dès lors à rassembler chez elle l’élite des savants et des gens de
lettres. Elle appelait cette réunion sa ménagerie
ou ses bêtes, et tous les ans,
aux étrennes, elle donnait à chacun de ceux qui la composaient deux aunes de
velours pour se faire une culotte. Les coryphées de cette société étaient
Fontenelle et Montesquieu. Lorsque ce dernier fit paraître son Esprit des lois, elle en prit un grand
nombre d’exemplaires, qu’elle distribua entre ses amis, et elle donna ainsi la
première impulsion au succès de cet immortel ouvrage. Benoît XIV eut toujours
de l’amitié pour elle. N’étant encore que le cardinal Lambertini, il
entretenait avec madame de Tencin une correspondance assez suivie, et dès qu’il
fut pape, il lui envoya son portrait.
Elle mourut à Paris le 4 décembre 1749,
âgée de 68 ans.
Son caractère ne fut pas moins attaqué que sa conduite.
On vantait sa douceur devant l’abbé Trublet : « Oui, dit-il, si elle avait
intérêt de vous empoisonner, elle choisirait le poison le plus doux. » Duclos,
qui l’avait beaucoup connue, la loue de son désintéressement. Duclos parle
aussi très avantageusement de son esprit : « On ne pouvait, dit-il, en avoir
davantage, et elle avait toujours celui de la personne à qui elle avait
affaire. » Elle mit plus que de l’esprit dans ses romans : elle y mit de la sensibilité
et du talent. Le Comte de Comminges
est son chef-d’oeuvre. Laharpe, après avoir payé un juste tribut d’admiration
au roman de la Princesse de Clèves de
madame de la Fayette, dit : « Il n’a été donné qu’à une autre femme de peindre,
un siècle après, avec un succès égal, l’amour luttant contre les obstacles et
la vertu. Le Comte de Comminges peut
être regardé comme le pendant de la
Princesse de Clèves. » Le Siège de
Calais est moins régulier; mais la lecture en est peut-être plus attachante
encore. On croit qu’il fut fait par gageure et pour prouver qu’un roman pouvait
commencer exactement par où beaucoup d’autres finissent. Les Malheurs de l’amour offrent cet intérêt tendre et douloureux
que le titre promet. Les Anecdotes de la
cour et du règne d’Édouard II, roi d’Angleterre, autre roman de madame de
Tencin, laissé imparfait par elle, à été achevé par madame Élie de Beaumont,
l’auteur des Lettres du marquis de
Roselle.
On a prétendu que d’Argental et de Pont-de-Veyle,
neveux de madame de Tencin, avaient beaucoup contribué aux ouvrages de leur
tante, si même ils ne les avaient pas composés en entier. On cite le témoignage
d’une dame, la plus ancienne amie de d’Argental, que celui-ci surprit un jour
fondant en larmes à la lecture du Comte
de Comminges, et à qui il avoua qu’il était l’auteur de ce roman, mais
qu’il l’avait donné à sa tante pour ne pas blesser les convenances de son état.
Enfin on assure avoir trouvé dans les papiers de d’Argental plusieurs pages du
roman intitulé les Anecdotes de la cour et du règne d’Édouard II, lesquelles
sont écrites de sa main et chargées de ratures. Les ouvrages de madame de
Tencin ont été souvent imprimés. Ils ont été réunis à ceux de madame de la
Fayette en 1786.
(à suivre ici)
(à suivre ici)
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