jeudi 18 août 2016

Les prêtres au bordel (2)

 (pour lire l'article précédent, c'est ici)


Comment expliquer cet acharnement contre les clercs débauchés ?

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Pour le comprendre, revenons quelques années en arrière, plus précisément en 1713, lorsque dans sa célèbre bulle Unigenitus le Pape Clément XI condamne sévèrement 101 propositions jansénistes sur la grâce et la lecture de l'Ecriture Sainte. Si de nombreux évêques se montrent alors favorables à ce décret, les milieux parlementaires (sous influence janséniste) vont refuser de l'appliquer. 

Pour affirmer son autorité (après 1746), l'Archevêque de Paris Christophe de Beaumont impose alors aux fidèles de présenter un billet de confession signé par un directeur de conscience favorable à la bulle. Ceux qui refusent sont menacés d'être privés des derniers sacrements, et partant, d'une inhumation en terre chrétienne. On imagine l'immense tollé que cette ordonnance a provoqué dans les milieux jansénistes !

Des lors, la guerre devient totale entre ultramontains (favorables à la bulle) et jansénistes. Donnant raison aux uns et autres selon les circonstances, exilant un jour les parlementaires et le lendemain certains prélats (dont C. de Beaumont), Louis XV n'a jamais su se dépêtrer de cette crise qui paralysait les affaires du royaume. Sans doute lui manquait-il la force de caractère de son arrière-grand-père...

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Dans ce contexte particulièrement tendu, plusieurs hypothèses sont à envisager :

- l'une d'entre elles serait que l'Archevêque ait été lui-même à l'initiative de cette "chasse aux abbés" (on trouve cette formule dans le Tableau de Paris de Mercier). 




En effet, on peut imaginer que le prélat se soit montré particulièrement attentif aux moeurs des aspirants à des places ou dignités dont il avait directement ou indirectement la charge. Ainsi, qu'auraient dit ses adversaires jansénistes s'ils avaient eu vent des polissonneries de François de Clugny, aumônier du roi, futur évêque de Riez (en 1772), arrêté quelques années plus tôt "rue du chantre, chez la femme Fouquet, avec la nommée Henriette, qu'il a vue charnellement jusqu'à parfait copulation" ? Dans le combat à mort qu'il menait contre les magistrats jansénistes, l'Archevêque ne pouvait de toute évidence pas s'encombrer d'alliés aussi embarrassants... 
 
l'archevêque C. de Beaumont
Cette lettre de Christophe de Beaumont adressée au lieutenant de police nous éclaire sur les bénéfices qu'il pouvait tirer de cette chasse aux débauchés :
"l'on m'a fait un portrait si fort désavantageux d'un prêtre interdit qui demeure sur la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonneret que je ne puis m'empêcher de vous le dénoncer... On assure qu'il y a plusieurs lettres d'exil pour cause de jansénisme, mais on peut dire que c'est un grand hypocrite puisque sous le voile du rigorisme, il vit en commerce depuis 14 ans avec la demoiselle Budet à qui il a fait plusieurs enfants..."
Comme on le constate, la stratégie de l'archevêque était non seulement défensive (car destinée à protéger les siens), mais également offensive (afin de discréditer l'ennemi janséniste).

- Si cette première hypothèse est plausible, on se gardera pourtant d'affirmer que la surveillance des gens d'église s'est faite au service exclusif de la hiérarchie ecclésiastique. 
En coulisses, d'autres acteurs ont très bien pu oeuvrer, dont la Pompadour, qui a conservé durant toute la période 1747-1757 un lien privilégié avec le lieutenant de police Berryer.
L'historienne Erica-Marie Benabou confirme d'ailleurs que les arrestations de clercs ont quasiment cessé après la mort de la marquise en 1764.
Régulièrement menacée par la coterie des dévots (réunie autour de la reine et du Dauphin), la favorite avait tout intérêt à assurer ses arrières en se constituant des dossiers contre ses adversaires. Comme le souligne l'historien R. Muchembled, "ces récits crus peuvent mettre du baume au coeur du souverain et de Mme de Pompadour, écartés des sacrements par les rigoristes, alors que beaucoup d'ecclésiastiques ne s'appliquent pas les exigences que l'Eglise leur impose. Ils leur fournissent aussi un puissant levier pour influencer ceux qui les trouvent peu vertueux".

Quoi qu'il en soit, la police de Berryer agissait évidemment sur ordre, et dans ce jeu de dupes, les archives nous apprennent que les plus hauts prélats du royaume étaient eux aussi surveillés ! 
Prenons pour exemple l'anecdote savoureuse rapportée ci-dessous par une pourvoyeuse à l'inspecteur Marais :
 

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