mercredi 22 août 2018

Marion Sigaut à propos des Lumières

Dans cet extrait d'entretien consacré à ce qu'elle nomme "la pensée des Lumières" (oui, il existait déjà une pensée unique au XVIIIè !), l'historienne Marion Sigaut se réfère à deux articles de l'Encyclopédie, à savoir "Mendiant" et "Dimanche", que j'ai relayés sur ce même blog il y a quelques années de cela. 
(voir ici et )



Une lecture plus attentive lui aurait sans doute permis de nuancer un commentaire quelque peu fallacieux, voire de le compléter. Précisons au préalable qu'elle intervient ici sur Radio Maria, dont elle cherche visiblement à flatter le public comme le montre cette très étrange définition de l'humanisme proposée en début d'entretien : "L'humanisme peut se résumer au débat sur la Grâce... Les anti-humanistes vont être ceux qui vont dire : non, tous les hommes n'ont pas la Grâce ; il y a ceux qui l'ont et ceux qui ne l'ont pas" (sic !)
 

-Mais revenons aux deux articles mentionnés plus haut, à commencer par "mendiant", dont Marion Sigaut relève la définition liminaire (qu'elle attribue à Diderot, alors que Jaucourt en est l'auteur ) :
"MENDIANT (Econom. politiq.) : gueux ou vagabond de profession, qui demande l'aumône par oisiveté et par fainéantise, au lieu de gagner sa vie par le travail."
Avant d'apporter le commentaire qui suit : "Ah bon, un mendiant c'est pas quelqu'un qui a été frappé par le malheur ?"
Si elle avait lu les lignes qui suivent, elle aurait rapporté les précisions données par Jaucourt :
"Les législateurs des nations ont toujours eu soin de publier des lois pour prévenir l'indigence, et pour exercer les devoirs de l'humanité envers ceux qui se trouveraient malheureusement affligés par des embrasements, par des inondations, par la stérilité, ou par les ravages de la guerre"
Jaucourt répond donc positivement à la question rhétorique de notre historienne : oui, il existe bien une mendicité liée au malheur humain et personne ne conteste "les devoirs de l'humanité" rendus par les gouvernants à ces indigents.
C'est donc une autre mendicité qui intéresse l'encyclopédiste, mais également l'ensemble des pouvoirs publics tout au long du siècle : celle qui hante les rues des villes, les coins des rues, souvent en bande, et qui crée ce qu'on appellerait aujourd'hui la petite délinquance. L'enfermement ? Les prisons sont déjà pleines à craquer. La déportation  vers les colonies ? L'expérience était déjà projetée par feu Louis le XIVè...
Car dans cette 2nde moitié du XVIIIè, la question s'avère des plus épineuses. Traditionnellement confiée à des établissements charitables, l'action publique se trouve en effet confrontée à un problème grandissant que relève Alan Forrest dans son excellent ouvrage "La Révolution et les pauvres".
"la perte progressive de la piété...la réduction des aumônes dans les églises paroissiales, la disparition des donations et des legs charitables, tout conspire à rendre la base traditionnelle de l'assistance de plus en plus aléatoire"
La solution des "maisons de travail" proposée par Jaucourt dans ce même article sera mise en oeuvre par le Comité de mendicité après 1790. Elle aboutira à un désastre financier.

-Dans l'article "Dimanche" (que Marion Sigaut attribue une nouvelle fois à Diderot alors qu'il est l'oeuvre de Faiguet de Villeneuve !!!), l'encyclopédiste propose la suppression d'un certain nombre de jours chômés (à Paris, on en comptait une trentaine par an en plus des 52 journées du dimanche !), voire d'inciter les paysans à retourner aux champs la dimanche après-midi.
Et Marion Sigaut de s'indigner en ricanant : "c'est ça, l'humanisme des Lumières !" (par opposition aux humanistes chrétiens, ceux qui bénéficient de la Grâce divine - rappelons-le...)
Hélas pour notre férue d'Histoire, une fois encore, son raisonnement ne résiste guère à une analyse sérieuse des faits.
Car si elle avait approfondi le sujet, peut-être aurait-elle découvert qu'il existait alors un certain consensus sur la question ? Ainsi, à relire les nombreux mandements d'évêques (voire ci-dessous celui d'Auch, celui d'Auxerre) consacrés à cette même question, on apprend avec stupeur que les autorités religieuses préconisaient des mesures quasi identiques à celles des encyclopédistes !



Pour lutter contre la pauvreté et la délinquance, humanistes et anti-humanistes (touchés par la Grâce ou non !) s'entendent donc sur une même politique : 
il faut réhabiliter la valeur travail !

Un jugement qui vaut pour tout le monde, même pour les historien(ne)s...



NB : 
ci-dessous, l'extrait d'un entretien accordé récemment par Mme Sigaut à la revue "Nous sommes partout"


mardi 21 août 2018

Michel Onfray et les ultras des Lumières


S’il arrive souvent à Michel Onfray de se montrer excessif voire agaçant (on se souvient notamment de ses propos sur Rousseau), son ouvrage consacré aux « ultras des Lumières » a constitué une de mes gourmandises de l’été.



Il m’a permis au passage de redécouvrir le baron d’Holbach, qu’Onfray qualifie de « héraut de l’athéologie » et en particulier son « Histoire critique de Jésus-Christ » (dont je n’avais jamais entendu parler…), une formidable « machine de guerre antichrétienne ». 
Et reconnaissons qu’à côté de lui, même les audaces anticléricales d’un Voltaire nous apparaissent soudain bien tièdes !
Rien, absolument rien, n’échappe au feu nourri déclenché par le fermier général, qui vise pêle-mêle les différents épisodes de la vie de Jésus-Christ tels qu’ils sont rapportés dans les Evangiles.
Holbach, par Carmontelle

Prenons l’exemple de l’Annonciation, que d’Holbach analyse avec une ironie féroce :

« Un Ange entre chez Marie, dont l’Epoux était absent. Il la salue, c’est-à-dire, lui fait un compliment dans la langue du pays, qui traduit suivant le génie de la nôtre signifie : Bonjour, ma chère Marie ! Je vous trouve adorable : que d’attraits ! Que de grâces ! Vous êtes de toutes les femmes la plus belle, à mes yeux. Vos charmes vous sont garants de ma sincérité. Couronnez donc mes feux. Ne craignez point les suites de votre complaisance ; votre époux est un sot, à qui par des visions et des songes on peut faire croire ce qu’on voudra. Le bonhomme regardera votre grossesse comme l’effet d’un miracle du Très-Haut ; il adoptera votre Enfant avec joie ; et tout ira le mieux du monde. Marie, rassurée par ces mots, et peu accoutumée à recevoir de pareils compliments de son Epoux, lui répondit : Eh bien, je me rends. Je compte sur votre adresse et sur votre parole : disposez de moi tout comme il vous plaira.
Rien n’est donc plus facile que de dégager le récit de Saint Luc du merveilleux, qui pourrait embarrasser. L’événement de la grossesse de Marie rentre dans l’ordre naturel, et si l’on met un jeune homme à la place d’un Ange, le passage de l’Evangéliste n’aura plus rien d’incroyable  . En effet bien des gens ont dit que l’Ange Gabriel n’était autre qu’un Amant, qui profitant de l’absence de Joseph trouva le secret de déclarer et de satisfaire sa passion.
Nous ne nous arrêterons point à former des conjectures sur le nom véritable et sur la qualité de l’Amant de Marie. Les Juifs, dont le témoignage doit paraître suspect en cette occasion, assurent, comme nous le dirons par la suite, que cet Amant favorisé fut un Soldat ; (les militaires eurent toujours des droits sur les cœurs des belles) ils ajoutent que de son commerce avec la femme de Joseph naquit le Messie des Chrétiens : que l’Epoux mécontent quitta sa femme infidèle pour se retirer à Babylone, et que Jésus, avec sa mère, passa en Egypte, où il apprit le métier de Magicien, qu’il vint par la suite exercer dans la Judée. »