mercredi 7 janvier 2015

Article Fanatisme de l'Encyclopédie (A. Deleyre)


En ce jour sombre, rendons un modeste hommage aux victimes du fanatisme religieux, aux Sirven, La Barre, Calas, à tous les martyrs de ce que Deleyre (dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert) appelle pudiquement un "zèle aveugle et passionné qui... fait commettre des actions ridicules, injustes et cruelles."



FANATISME, s. m. (Philosophie.) c’est un zèle aveugle et passionné, qui naît des opinions superstitieuses, et fait commettre des actions ridicules, injustes, et cruelles ; non seulement sans honte et sans remords, mais encore avec une sorte de joie et de consolation. Le fanatisme n’est donc que la superstition mise en action.  

Imaginez une immense rotonde, un panthéon à mille autels ; et placé au milieu du dôme, figurez-vous un dévot de chaque secte éteinte ou subsistante, aux pieds de la divinité qu’il honore à sa façon, sous toutes les formes bizarres que l’imagination a pu créer. A droite, c’est un contemplatif étendu sur une natte, qui attend, le nombril en l’air, que la lumière céleste vienne investir son âme ; à gauche, c’est un énergumène prosterné qui frappe du front contre la terre, pour en faire sortir l’abondance : là, c’est un saltimbanque qui danse sur la tombe de celui qu’il invoque ; ici c’est un pénitent immobile et muet, comme la statue devant laquelle il s’humilie : l’un étale ce que la pudeur cache, parce que Dieu ne rougit pas de sa ressemblance ; l’autre voile jusqu’à son visage, comme si l’ouvrier avait horreur de son ouvrage : un autre tourne le dos au midi, parce que c’est-là le vent du démon ; un autre tend les bras vers l’orient, où Dieu montre sa face rayonnante : de jeunes filles en pleurs meurtrissent leur chair encore innocente, pour apaiser le démon de la concupiscence par des moyens capables de l’irriter ; d’autres dans une posture toute opposée, sollicitent les approches de la divinité : un jeune homme, pour amortir l’instrument de la virilité, y attache des anneaux de fer d’un poids proportionné à ses forces ; un autre arrête la tentation dès sa source, par une amputation tout à fait inhumaine, et suspend à l’autel les dépouilles de son sacrifice.
Voyez les tous sortir du temple, et pleins du dieu qui les agite, répandre la frayeur et l’illusion sur la face de la terre. Ils se partagent le monde, et bientôt le feu s’allume aux quatre extrémités ; les peuples écoutent, et les rois tremblent. Cet empire que l’enthousiasme d’un seul exerce sur la multitude qui le voit ou l’entend, la chaleur que les esprits rassemblés se communiquent ; tous ces mouvements tumultueux augmentés par le trouble de chaque particulier, rendent en peu de temps le vertige général. (…)


Il est affreux de voir comment cette opinion d’apaiser le ciel par le massacre, une fois introduite, s’est universellement répandue dans presque toutes les religions ; et combien on a multiplié les raisons de ce sacrifice, afin que personne ne pût échapper au couteau. Tantôt ce sont des ennemis qu’il faut immoler à Mars exterminateur : les Scythes égorgent à ses autels le centième de leurs prisonniers ; et par cet usage de la victoire, on peut juger de la justice de la guerre : aussi chez d’autres peuples ne la faisait-on que pour avoir de quoi fournir aux sacrifices ; de sorte qu’ayant d’abord été institués, ce semble, pour en expier les horreurs, ils servirent enfin à les justifier. (…)



Les sources particulières du fanatisme sont :
1°. Dans la nature des dogmes ; s’ils sont contraires à la raison, ils renversent le jugement, et soumettent tout à l’imagination, dont l’abus est le plus grand de tous les maux. Les Japonais, peuples des plus spirituels et des plus éclaires, se noient en l’honneur d’Amida leur dieu sauveur, parce que les absurdités dont leur religion est pleine leur ont troublé le cerveau. Les dogmes obscurs engendrent la multiplicité des explications, et par celles-ci la division des sectes. La vérité ne fait point de fanatiques. Elle est si claire, qu’elle ne souffre guère de contradictions ; si pénétrante, que les plus furieuses ne peuvent rien diminuer de sa jouissance. Comme elle existe avant nous, elle se maintient sans nous et malgré nous par son évidence. Il ne suffit donc pas de dire que l’erreur a ses martyrs ; car elle en a fait beaucoup plus que la vérité, puisque chaque secte et chaque école compte les siens.
2°. Dans l’atrocité de la morale. Des hommes pour qui la vie est un état de danger et de tourment continuel, doivent ambitionner la mort ou comme le terme, ou comme la récompense de leurs maux : mais quels ravages ne fera pas dans la société celui qui désire la mort, s’il joint aux motifs de la souffrir des raisons de la donner ? On peut donc appeler fanatiques, tous ces esprits outrés qui interprètent les maximes de la religion à la lettre, et qui suivent la lettre à la rigueur ; ces docteurs despotiques qui choisissent les systèmes les plus révoltants ; ces casuistes impitoyables qui désespèrent la nature, et qui, après vous avoir arraché l’œil et coupé la main, vous disent encore d’aimer parfaitement la chose qui vous tyrannise.
3°. Dans la confusion des devoirs. Quand des idées capricieuses sont devenues des préceptes, et que de légères omissions sont appelées de grands crimes, l’esprit qui succombe à la multiplicité de ses obligations, ne sait plus auxquelles donner la préférence (…)  
5°. Dans l’intolérance d’une religion à l’égard des autres, ou d’une secte entre plusieurs de la même religion, parce que toutes les mains s’arment contre l’ennemi commun. La neutralité même n’a plus lieu avec une puissance qui veut dominer ; et quiconque n’est pas pour elle, est contre elle. Or quel trouble ne doit-il pas en résulter ?  (…)


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