mardi 11 juillet 2017

Voltaire et son char de guerre...

Où le lecteur découvrira avec stupeur que l'auteur de Candide, le pourfendeur de la guerre et de ses acteurs, fut également l'inventeur d'un char de guerre destiné à exterminer "force Prussiens"...
Voici ce qu'écrivait Voltaire au début de la guerre de 7 ans.

AU DUC DE RICHELIEU,  novembre 56

(NDLR : Pendant la guerre de 7 ans, le duc de Richelieu prit le commandement de l'armée du Hanovre)

Je ne suis pas du métier, mais je crois qu’il y a une arme, une machine bien plus sûre, bien plus redoutable; elle faisait autrefois gagner sûrement des batailles. J’ai dit mon secret à un officier (au marquis de Florian, voir ci-dessous), ne croyant pas lui dire une chose impor­tante, et n’imaginant pas qu’il pût sortir de ma tête un avis dont on pût faire usage dans ce beau métier de détruire l’espèce humaine. Il a pris la chose sérieusement. Il m’a demandé un modèle; il l’a porté à M. d’Argenson (secrétaire d'état à la guerre). On l’exécute à présent en petit ; ce sera un fort joli engin. On le montrera au roi. Si cela réussit, il y aura de quoi étouffer de rire que ce soit moi qui sois l’auteur de cette machine destructive. Je voudrais que vous com­mandassiez l’armée, et que vous tuassiez force Prussiens avec mon petit secret.

pièce d'artillerie
 

 

A M. LE MARQUIS DE FLORIAN, mai 1756

(NDLR : Philippe-Antoine de Claris de Florian naquit à Sauve, en Languedoc, le 8 novembre 1707. Il était retiré du service depuis quelques années, lorsque, le 7 mai 1762, il épousa la nièce de Voltaire, Marie-Élisabeth Mignot, veuve de Nicolas-Joseph de Dompierre de Fontaine)

Mon cher surintendant des chars de Cyrus, j’ai oublié de vous dire qu’un petit coffre sur le char, avec une demi-douzaine de doubles grenades, ferait un ornement fort convenable. J’ai honte, moi barbouilleur pacifique, de songer à des machines de des­truction; mais c’est pour défendre les honnêtes gens qui tirent mal, contre les méchants qui tirent trop bien. On verra malheu­reusement, et trop tard, qu’il n’y a pas d’autre ressource.


A M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU 
Aux Délices, 18 juin 1757.
Portrait par Jean-Marc Nattier. Musée Calouste-Gulbenkian, Lisbonne.
le duc de Richelieu, héros de Fontenoy

Il est bien vrai que mon cher d’Argental, le grand amateur du tripot, devait montrer à mon héros certain histrionage; mais vrai­ment, monseigneur, vous avez d’autres troupes à gouverner que celle de Paris, et ce n’est pas le temps de vous parier de niaiseries. (…)
 Donnez-vous le plaisir, je vous en prie, de vous faire rendre compte par Florian de la machine dont je lui ai confié le des­sin. Il l’a exécutée; il est convaincu qu’avec six cents hommes et six cents chevaux on détruirait en plaine une armée de dix mille hommes.
Je lui dis mon secret au voyage qu’il fit aux Délices l’année passée. Il en parla à M. d’Argenson, qui fit sur-le-champ exécuter le modèle. Si cette invention est utile, comme je le crois, à qui peut-on la confier qu’à vous? Un homme à routine, un homme à vieux préjugés, accoutumé à la tiraillerie et au train ordinaire, n’est pas notre fait. Il nous faut un homme d’imagination et de génie, et le voilà tout trouvé. Je sais très bien que ce n’est pas à moi de me mêler de la manière la plus commode de tuer des hommes. Je me confesse ridicule; mais enfin (…) pourquoi un barbouilleur de papier comme moi ne pourrait-il pas rendre quelque petit service in­cognito? Je m’imagine que Florian vous a déjà communiqué cette nouvelle cuisine. J’en ai parlé à un excellent officier qui se meurt, et qui ne sera pas par conséquent à portée d’en faire usage. Il ne doute pas du succès; il dit qu’il n’y a que cinquante canons, tirés bien juste, qui puissent empêcher l’effet de ma petite drôlerie, et qu’on n’a pas toujours cinquante canons à la fois sous sa main dans une bataille.
Enfin j’ai dans la tête que cent mille Romains et cent mille Prussiens ne résisteraient pas. Le malheur est que ma machine n’est bonne que pour une campagne, et que le secret connu de­vient inutile; mais quel plaisir de renverser à coup sûr ce qu’on rencontre dans une campagne! Sérieusement, je crois que c’est la seule ressource contre les Vandales victorieux. Essayez, pour voir, seulement deux de ces machines contre un bataillon ou un escadron. J’engage ma vie qu’ils ne tiendront pas. Le papier me manque; ne vous moquez point de moi; ne voyez que mon tendre respect et mon zèle pour votre gloire, et non mon outrecuidance, et que mon héros pardonne à ma folie.

 A M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU
Aux Délices, 19 juillet 1757.

Mon héros, c’est à vous à juger des engins meurtriers, et ce n’est pas à moi d’en parler. Je n’avais proposé ma petite drôlerie que pour les endroits où la cavalerie peut avoir ses coudées franches, et j’imaginais que partout où un escadron peut aller de front, de petits chars peuvent aller aussi. Mais puisque le vain­queur de Mahon renvoie ma machine aux anciens rois d’Assyrie, il n’y a qu’à la mettre avec la colonne de Folard dans les archives de Babylone (…). Si vous passiez par Francfort, Mme Denis vous supplierait très instamment d’avoir la bonté de lui faire envoyer les quatre oreilles de deux coquins, l’un nommé Freytag, résident sans gages du roi de Prusse à Francfort, et qui n’a jamais eu d’autres gages que ce qu’il nous a volé; l’autre est un fripon de marchand, conseiller du roi de Prusse. Tous deux eurent l’impudence d’arrêter la veuve d’un officier du roi, voyageant avec un passe-port du roi. Ces deux scélérats lui firent mettre des baïonnettes dans le ventre, et fouillèrent dans ses poches. Quatre oreilles, en vérité, ne sont pas trop pour leurs mérites.

A M. LE COMTE D’ARGENTAL. 
Aux Délices, 19 novembre 1757

Je serais bien fâché, mon divin ange, de donner des spectacles nouveaux à votre bonne ville de Paris, dans un temps où vous ne devez être occupé qu’à réparer vos malheurs et votre humiliation; il faut qu’on ait fait ou d’étranges fautes, ou que les Français soient des lévriers qui se soient battus contre des loups. Luc ( C'est ainsi que Voltaire surnomme Frédéric de Prusse) n’avait pas vingt-cinq mille hommes, encore étaient-ils harassés de marches et de contre-marches. Il se croyait perdu sans ressource, il y a un mois; et si bien, si complètement perdu qu’il me l’avait écrit; et c’est dans ces circonstances qu’il détruit une armée de cinquante mille hommes. Quelle honte pour notre nation! Elle n’osera plus se montrer dans les pays étrangers. Ce serait là le temps de les quitter si malheureusement je n’avais fait des établissements fort chers, que je ne peux plus aban­donner. (…)
le roi Frédéric II de Prusse
Si Mme de Pompadour avait encore la lettre que je lui écrivis quand le roi de Prusse m’enquinauda à Berlin, elle y verrait que je lui disais qu’il viendrait un temps où l’on ne serait pas fâché d’avoir des Français dans cette cour. On pourrait encore se sou­venir que j’y fus envoyé en 1743, et que je rendis un assez grand service; mais M. Amelot, par qui l’affaire avait passé, ayant été renvoyé immédiatement après, je n’eus aucune récompense. Enfin je vois beaucoup de raisons d’être bien traité, et aucune d’être exilé de ma patrie: cela n’est fait que pour des coupables, et je ne le suis en rien. (NDLR : en dépit de son exil qui dura 28 ans, Voltaire conserva toujours l'espoir de trouver grâce auprès du Roi de France. Il s'imagina même ambassadeur de la Cour auprès de Frédéric...)




samedi 8 juillet 2017

L'injustice faite aux femmes (2)

L'Ancien Droit est essentiellement coutumier. L'influence du droit romain, celles du droit canonique et des ordonnances royales, n'ont jamais mis fin aux disparités régionales.  
L'ordonnance criminelle en vigueur tout au long du XVIIIè siècle date de 1670. Elle décide de la procédure à suivre par tout tribunal, mais néglige de définir et hiérarchiser les délits, laissant cette tâche au pouvoir discrétionnaire des seuls juges.
Dans son Traité de la Justice Criminelle (1771), le juriste Daniel Jousse se livre à un très impressionnant compte-rendu des usages et pratique en vigueur dans les tribunaux français du XVIIIè siècle.

***
Voyons comment étaient traitées les affaires d'avortement, et quel sort on réservait aux femmes convaincues de ce crime.
 
et l'infanticide ...
Notons tout d'abord que sous l'Ancien Régime, un foetus était considéré comme "animé" quarante jours après la conception.


Jousse se réfère ensuite au droit canon : la religion chrétienne considère l'avortement comme un "homicide"qui doit être puni de "mort".


La lex carolina dont il est question ci-dessous réglait la procédure criminelle en Allemagne. On notera au passage le sort cruel réservé aux femmes violées. Préserver son "honneur" ne pouvait constituer une excuse valable aux yeux de la loi...



Toutefois, comme le note le juriste M. de Vouglans en 1780 : "Ces crimes, quoique très fréquents, ne sont point poursuivis ni punis publiquement parmi nous, à cause de la difficulté qu’il y a d’en convaincre les coupables, la grossesse des femmes pouvant n’être d'apparente, et son interruption provenir de différents accidents aussi bien que de la Nature."

mercredi 5 juillet 2017

L'injustice faite aux femmes (1)

L'Ancien Droit est essentiellement coutumier. L'influence du droit romain, celles du droit canonique et des ordonnances royales, n'ont jamais mis fin aux disparités régionales.  
L'ordonnance criminelle en vigueur tout au long du XVIIIè siècle date de 1670. Elle décide de la procédure à suivre par tout tribunal, mais néglige de définir et hiérarchiser les délits, laissant cette tâche au pouvoir discrétionnaire des seuls juges.
Dans son Traité de la Justice Criminelle (1771), le juriste Daniel Jousse se livre à un très impressionnant compte-rendu des usages et pratique en vigueur dans les tribunaux français du XVIIIè siècle.
 ***
Voyons comment étaient traitées les affaires d'adultère, et quel sort on réservait aux femmes convaincues de ce crime.

Dans un premier temps, Jousse définit la notion d'adultère.



Puis, il fait état du vide juridique dans le domaine.


Avant d'évoquer la jurisprudence à l'égard de la femme adultère :

Puis celle contre les maris adultères. Deux poids, deux mesures... Rappelons que Louise d'Epinay obtint cette séparation de biens. En l'occurrence, son époux avait effectivement provoqué bien des scandales.
Précisons au passage que les protestantes bénéficiaient d'un régime d'exception. Enfermées dans un hôpital, elles étaient condamnées à servir "à perpétuité" les pauvres.

***
Un cas édifiant pour finir : celui des femmes adultères contre leur gré...

samedi 1 juillet 2017

L'armée sous Louis XV (2)

Lucien Mouillard, né en 1842 et mort en 1912, est un historien français, spécialisé notamment dans l'histoire militaire.
Je reproduis ci-dessous quelques extraits de son excellent ouvrage "Régiments sous Louis XV".
Vous l'aurez compris, on travaille déjà sur la documentation du prochain roman...  




L'infanterie était sous la direction de trois directeurs généraux, assistés de huit inspecteurs qui rendaient compte au roi. Dans le système en usage avant 1762, nous avons vu que toute la charge administrative était supportée par les capitaines surveillés par les commissaires des guerres. La fonction des inspecteurs se bornait donc il constater l'aptitude de ces officiers. C'est au moment de l'inspection générale que les colonels, pour mériter un rapport favorable à leur régiment, venaient en aide volontairement, à leurs capitaines trop pauvres pour maintenir leur compagnie comme l'exigeaient les ordonnances.
(...)
Armement (de 1720 à 1753).
Le soldat d'infanterie recevait de son capitaine, en 1740, un fusil haut de 4 pieds 10 pouces 10 lignes, monté sur bois de noyer, du calibre de 18 balles à la livre, qui lançait le projectile à 80 toises maximum. La charge de poudre était de 2 gros (8 grammes). En 1738, M. de Belidor fit adopter la cartouche d'infanterie que l'on fabriquait à l'intérieur des corps.
Le fusil donné par le roi au capitaine était armé de sa baïonnette, qui avait 18 pouces (49 cent.) de longueur. En outre, le soldat portait une épée longue de 26 pouces, à 2 tranchants, de médiocre qualité, suspendue au ceinturon par un pendant garni de 2 fourreaux.
Le cartouche ou demi-giberne était une boîte longue percée de 19 trous, recouverte d'une patte en cuir rouge ou noir et portée par une bandoulière en buffle d'un demi-pouce de large. En dessous de cette boîte à cartouche était attaché le fourniment, c'est-à-dire, une poire à poudre en bois recouverte de cuir bouilli et servant à amorcer le fusil et à conserver la provision de poudre. Quelques régiments faisaient usage d'une petite giberne portée sur le ceinturon et placée sur le ventre ; c'était ce qu'on appelait (être armé à la Corse). En outre, dans chaque compagnie le capitaine possédait dix outils propres à remuer la terre, 3 pelles, 3 pioches, 2 serpes, 2 haches, portés à tour de rôle par les 36 fusiliers qui portaient aussi 3 marmites en fer, 5 bidons, 5 gamelles, 5 tentes de toile avec leurs traverses, fourches, etc., un manteau d'armes et le pain pour 4 jours.
L'armement des grenadiers était le même, sauf que, au lieu d'épée, ils portaient le sabre d'abatis de 31 pouces de lame qui était de bonne qualité. Au lieu de la demi-giberne, ils faisaient usage d'une poche en cuir de vache souple appelée grenadière, parce que c'est dedans qu'ils mettaient autrefois les grenades qu'ils lançaient à la main. Outre leur sabre, ils portaient aussi une petite hachette à marteau qu'ils attachaient à une patte de la grenadière, comme on le voit dans l'image ci-contre qui représente les grenadiers du régiment Royal-Comtois en marche auprès du port d'Antibes (tableau peint, par J. Vernet en 1755), les outils à remuer la terre étaient remplacés dans leur compagnie par 10 grosses haches de charpentier. (...)

Habillement et équipement.

Tous les régiments d'infanterie française étaient uniformément vêtus d'un grand habit de drap gris blanc. Le major recevait l'étoffe nécessaire et le capitaine faisait confectionner les habits par le tailleur de la compagnie. Chaque régiment se distinguait par la façon de l'habit, de la manche, de la poche, autant que par la garniture et la couleur des parements. Il n'y avait donc qu'une uniformité relative entre les divers régiments.
Le roi accordait une aune 1/4 de drap Lodève et 1/8 d'aune de drap de couleur pour les parements, 4 aunes 2/3 de serge d'Aumale pour les doublures. La veste et la culotte exigeaient 2 aunes 2/3 de tricot ou 3 aunes 3/4 de cadix agnane gris blanc suivant l'usage du corps. La veste croisait sur la poitrine et généralement avait 2 rangs de boutons. On donnait aussi des caleçons de toile pour tenir lieu de doublure à la culotte.
Le justaucorps ou grand habit croisait par derrière, avec 2 gros plis sur le côté. Il devait être taillé de telle sorte que les pans tombaient à un pouce de terre, l'homme étant à genoux ; mais à l'user, le drap s'allongeait toujours. La manche, taillée en botte, était garnie d'un haut parement fort large qui pouvait se rabattre sur les mains.
La veste était de 9 pouces plus courte que l'habit. Chaque soldat devait recevoir une paire de guêtres en toile pour l'été, en laine pour l'hiver.
Le havresac en usage était une double poche de toile renfermant un autre sac de peau ou de toile dans lequel le soldat abritait 2 chemises, 1 mouchoir, 1 cravate, une culotte, une paire de souliers, une paire de guêtres et le trousseau de toilette. Dans les bivacs, ce grand bissac ou sac à 2 poches servait à s'étendre à terre. Quelques capitaines le faisaient passer à l'huile de lin chaude, pour le rendre imperméable.
Le chapeau en feutre de laine pesait 9 ou 10 onces. Il était bordé d'un galon métallique jaune ou blanc selon la couleur des boutons de l'habit. La cravate de crépon noir, faisait deux fois le tour du cou et emprisonnait le col de l'habit. Les sergents portaient le même uniforme en drap plus fort et plus beau ; on leur accordait 3 aunes 3/4 de drap de Romorantin gris blanc pour le vêtement complet, 1/4 d'aune en drap de couleur pour le parement, 5 aunes 1/2 de serge d'Aumale pour doublures

Variations de l'effectif de l'infanterie française 
(de 1740 à 1775).
Avant la réforme de 1763, la compagnie d'infanterie sur pied de guerre se composait de 2 officiers, 2 sergents, 3 caporaux, 3 anspessades (ndlr : aide-caporal), 1 tambour et 31 fusiliers.
La compagnie de grenadiers comptait en plus 5 grenadiers et 1 sous-lieutenant. En temps de paix, la compagnie de fusiliers n'avait que 30 hommes, celle des grenadiers devait toujours être complète à 45 hommes. Un bataillon, unité tactique réunissait 17 compagnies dont 16 de fusiliers. Le nombre des grenadiers n'était donc que 1/17 du nombre des hommes d'un bataillon. On comprend que leur troupe fût vraiment d'élite, sans trop nuire à la consistance des autres compagnies.
L'effectif d'un bataillon en ligne était de 685 hommes. Le lieutenant-colonel commandait le premier ou l'unique bataillon. Le plus ancien capitaine était commandant du 2e bataillon. Si le colonel était le roi, ou un prince, il y avait un colonel lieutenant qui commandait le régiment à sa place.
Il existait, en 1740, 98 régiments français