Anne Hidalgo dévoilant une plaque en mémoire de Bruno Lenoir et Jean Diot, exécutés en 1750 en raison de leur homosexualité |
Voir l'intervention de Marion Sigaut sur le même sujet :
http://www.dailymotion.com/video/x296m36_marion-sigaut-en-direct-la-repression-de-l-homosexualite-sous-l-ancien-regime-un-mythe_school#from=embediframe
Au cours de cette intervention, Marion Sigaut propose une relecture surprenante du procès fait à deux homosexuels (les dénommés Lenoir et Diot) exécutés en juillet 1750 pour "crime de sodomie". Rappelons tout d'abord les faits établis par le procès-verbal du commissaire : "L'an 1750 le 4 janvier 11 heures et demie du soir par devant nous
Jacques François Charpentier conseiller du Roi, commissaire au Châtelet à
Paris, en notre hôtel est comparu Julien Dauguisy, sergent du guet [...] lequel
a dit que passant rue Montorgueil entre la rue St Sauveur et la rue
Beaurepaire, il a vu deux particuliers en posture indécente et d'une manière
répréhensible, l'un desquels lui a paru ivre. Il les a arrêtés tant sur ce qui
lui a paru de leur indécence que sur la déclaration que lui a faite un
particulier passant, qui a dit les avoir vu commettre des crimes que la
bienséance ne permet point d'exprimer par écrit ; pour quoi il les a conduits
par devant nous, et a signé en notre minute."
Placés en détention, les deux prévenus sont jugés et condamnés à être brûlés vifs (voir arrêt du 5 juin ci-dessous) :
"... condamnés à être conduits dans un tombereau à la place de Grève, et là y être brûlés vifs avec leur procès, leurs cendres ensuite jetées au vent, leurs biens acquis et confisqués au Roi ou à qui il appartiendra, sur chacun d'eux préalablement pris la somme de 200 livres d'amende envers le Roi, au cas que confiscation n'ait pas lieu au profit de sa Majesté. (...)
Arrêté que Bruno Lenoir et Jean Diot seront secrètement étranglés
avant de sentir le feu"."... condamnés à être conduits dans un tombereau à la place de Grève, et là y être brûlés vifs avec leur procès, leurs cendres ensuite jetées au vent, leurs biens acquis et confisqués au Roi ou à qui il appartiendra, sur chacun d'eux préalablement pris la somme de 200 livres d'amende envers le Roi, au cas que confiscation n'ait pas lieu au profit de sa Majesté. (...)
Dans son Traité de la Justice Criminelle (1771), Daniel Jousse nous apprend comment la justice du XVIIIè était censée châtier le crime d'homosexualité :
"La Sodomie est de toutes les
impudicités la plus abominable, et qui de tout temps a été punie de la peine la
plus sévère (…)
Suivant l'ancien Droit de France,
on se contentait de châtrer ceux qui étaient convaincus de sodomie. (…)
Aujourd'hui la peine de ce crime
est de condamner à être brûlés vifs, tous ceux qui font coupables de ce crime
(…) il y a plufieurs exemples de comdamnations de cette espèce. Quelquefois on
condamne simplement les coupables à la mort, et ensuite à être brûlés ; ce qui
dépend des circonstances. (…)
Et cette peine a pareillement
lieu à l'égard de ceux qui en usent ainsi à l'égard de leurs propres femmes. (…) Mais la femme qui est ainsi connue
par son mari, ne doit pas être punie de la peine de mort ; à moins qu'il
ne soit prouvé qu'elle a donné à cette action un entier et libre consentement."
Il est néanmoins exact, comme le souligne Marion Sigaut, que les tribunaux du XVIIIème n'appliquaient quasiment jamais de telles sentences et qu'ils se contentaient en général de peines d'enfermement.
Dans ce cas, pourquoi avoir fait exécuter les deux hommes, se demande l'historienne ? Elle établit alors un lien entre cette affaire Diot/Lenoir et l'exécution un mois plus tard (en août 1750) de trois émeutiers nommés Lebeau, Charvat et Urbain. Selon elle, ces trois hommes n'étaient coupables de rien, sinon d'avoir fait la "chasse aux voleurs d'enfants" qui sévissaient alors dans les rues de Paris. A en croire Marion Sigaut, les rapts ("sous couvert de la police et du Parlement") auraient impliqué les plus hauts dignitaires du royaume...
A quelles fins ? Pour alimenter un réseau pédocriminel, ce que prétend l'historienne ? L'hypothèse semble peu vraisemblable. On connait en effet les ordres écrits du lieutenant de police Berryer qui promettait à ses hommes 12 livres par jeune "vagabond" ou "libertin" arrêté. Si certains enfants étaient relâchés dans la foulée après paiement d'amende par les parents, d'autres ont définitivement disparu, vraisemblablement partis peupler le Nouveau Monde...
Pour sauver la face, le pouvoir était quoi qu'il en soit contraint de nier ces arrestations d'enfants. Il ne pouvait donc que condamner les trois émeutiers parisiens pour valider l'idée qu'il s'agissait de "faux bruits"... "destitués de tout fondement" (voir arrêt du Parlement ci-dessous). "Ne pas les exécuter", conclut Marion Sigaut, "c'était reconnaître qu'on avait enlevé les enfants sur ordre". Jusque-là, l'hypothèse se tient...
Mais quel rapport avec les deux sodomites exécutés un mois plus tôt, me direz-vous ? Eh bien, explique posément l'historienne, "comment pouvait-on dans le même temps faire grâce à deux sodomites pris en flagrant délit ?"... "En fait, Diot et Lenoir ont été exécutés" (en juillet 1750, rappelons-le) "pour que Lebeau, Charvat et Urbain puissent l'être" (en août 1750...). "Vous imaginez le scandale que ça aurait été ? On libère deux sodomites pris en flagrant délit et on exécute trois jeunes gens qui ont fait la chasse aux enleveurs d'enfants". En somme, les pauvres Diot et Lenoir, arrêtés en janvier, n'auraient pas été condamnés pour leur homosexualité mais pour légitimer la mise à mort des malheureux Lebeau, Charvat et Urbain quelques mois plus tard...
La prescience, le cynisme et le machiavélisme de la justice d'Ancien Régime étaient décidément sans limites... !
Note :
Extrait des Registres du Parlement.
Ce jour les Gens du Roi sont entrés, et ont dit à la Cour que
les Officiers de Police du Châtelet étaient au Parquet des Huissiers,
qui demandaient d'être entendus au sujet de ce qui était arrivé depuis
quelques jours dans cette Ville et Faubourgs de Paris , pendant les
vacations de la Cour : sur quoi la Cour ayant ordonné qu'ils entraient ,
le Lieutenant - Général de Police, et les autres Officiers font
entrés, et s'étant placés derrière le Bureau , en la manière
accoutumée , le Lieutenant-Général de Police a dit:
Que l'attention qu'il doit
à la tranquillité publique dont il est chargé fous les ordres de la
Cour, l'oblige à venir lui rendre compte: que les gens mal intentionnés , et dans la vue de troubler le repos des Citoyens, ont affecté de
répandre de faux bruits capables de l'altérer, en disant qu'il y avait
des personnes chargées d'enlever des enfants.
Que ces bruits , quoique
destitués de tout fondement , n'y ayant eu aucune Ordonnance de Police
rendue , ni aucuns ordres particuliers donnés, qui puissent servir de
fondement, ont tellement pris créance que Samedi 16 de
ce mois, ils ont servi de prétexte pour exciter vers la rue des
Nonandieres une émotion violente , dans laquelle il y a eu plusieurs
personnes considérablement maltraitées par la populace. (...) La Cour a ordonné qu'à la Requête du Procureur - Général du
Roi, il sera informé par-devant Me. Aimé Jean-Jacques Severt, Conseiller
en la Cour , tant des émotions populaires et assemblées qui ont été
faites dans cette Ville et Faubourgs de Paris, que contre ceux qui
auraient répandu les faux bruits d'ordres donnés pour enlever des
enfants, et auraient occasionné
par-là les différentes émotions qui font arrivées ; qu'il sera
pareillement informé contre ceux qui se trouveraient coupables de faits
d'enlèvements d'enfants , si aucuns y a, et cependant fait lad. Cour
très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de
quelque état, qualité et condition qu'elles soient, de s'attrouper ni
s'assembler, fous quelque prétexte que ce soit, dans. les rues et
places publiques de cette Ville et Faubourgs de Paris , à peine d'être
poursuivis extraordinairement, comme perturbateurs du repos public et
punis suivant la rigueur des Ordonnances; ordonne en conséquence que les
informations , si aucunes ont été faites, seront apportées au Greffe de
la Cour; ordonne en outre que le présent Arrêt sera lu , publié et
affiché par-tout où il appartiendra...
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