vendredi 14 novembre 2014

L'Encyclopédie (3)



(lire le 1er article)
(lire le 2ème article)

Le succès du 1er tome, paru au début de l'été 1751, va entraîner une vive réaction de la part des Jésuites. Entre octobre 1751 et mars 1752, le père Berthier accuse à plusieurs reprises les maîtres d'oeuvre de l'Encyclopédie d'avoir plagié certains articles du Dictionnaire de Trévoux, publié depuis 1704 par les Jésuites : " on se sert souvent du dictionnaire de Trévoux… il serait à propos de citer ses sources " (oct. 51) ; " ...cet article est fort imité, qu’il est même copié en grande partie..." (déc. 51). En réponse à l'article AIUS LOCUTIUS, dans lequel Diderot réclamait un assouplissement de la censure, notamment pour les articles écrits "dans une langue savante"(comprenez : en latin), Berthier objecte que cette liberté "serait trop grande pour toute société où l'on respecte la Religion."Avant d'ajouter : " en matière de christianisme, la docilité du peuple et la soumission des simples sont des qualités générales qui conviennent à tous, à chacun, dans tous les temps et dans toutes les circonstances ". Et de conclure : "cet article aurait eu besoin d'une censure juridique.
Si dans leur gazette, les Jésuites gardent un ton mesuré, il n'en est pas de même dans les libelles et autres pamphlets qu'ils font pleuvoir sur le clan des encyclopédistes. Pour n'en citer qu'un exemple, découvrons ci-contre la gravure placée en exergue des Réflexions d'un franciscain, petit ouvrage (paru début 1752) qui s'en prend violemment à Diderot.  
On y voit le bras de Saint-François flageller un philosophe, pendant que le commentaire précise : Vous aussi, vous devez craindre la corde de Saint-François. 
La violence du ton est d'autant plus surprenante que, quelques mois plus tôt, Berthier et ses comparses se montraient encore enthousiastes à l'égard du projet encyclopédique. Qu'a-t-il pu se passer entretemps ? Nul besoin d'être grand clerc pour le deviner. Il suffira de rappeler qu'au moment de la sortie du 1er tome, Diderot et d'Alembert avaient déjà réuni 2000 souscriptions. Comment les Jésuites auraient-ils pu accepter un triomphe qui les reléguait brutalement au rang de simples faire-valoir ? L'analyse que propose le marquis d'Argenson dès janvier 1752 me semble une nouvelle fois frappée au coin du bon sens : 
"...les jésuites veulent détruire cet ouvrage...Voilà donc que les jésuites, pour satisfaire leur ambition et pour avancer leur tyrannie, vont se servir d'un beau et noble prétexte d'accuser d'irréligion tout ce qui leur sera contraire ... Il est clair que ce grand dictionnaire va être incessamment supprimé, et je prédis que, les libraires se plaignant de leur ruine, on en donnera le privilège aux jésuites qui se mettront en leur lieu et place, continueront ce livre autant en mauvais et en plat qu'il était en bon; ils obligeront leurs protégés de l'acheter, et voilà comme ces bons pères ne veulent plus souffrir qu'on fasse de livres sans eux."(in Journal du marquis d'Argenson). 
Rien ne prouve que les Jésuites aient conçu un tel projet, mais début 1752, plusieurs témoignages (notamment celui de Melchior Grimm) viennent conforter cette hypothèse. Au demeurant, la Compagnie de Jésus peut compter sur quelques alliés d'envergure : ainsi, Mgr de Beaumont, archevêque de Paris (et proche des Jésuites), ne cache pas son hostilité à l'égard des nouveaux philosophes ; Jean-François Boyer, ancien évêque de Mirepoix et précepteur du Dauphin est pour sa part considéré comme le chef du parti dévot... Et leur influence politique en fait des ennemis redoutables. D'ailleurs, le clan des Encyclopédistes ne va pas tarder à s'en rendre compte...
 
l'abbé de Prades (1720-1782)


Avec l'affaire de l'abbé de Prades,  l'Encyclopédie va subir une première attaque en règle de la part des Jésuites et des Jansénistes réunis. En novembre 1751, ce jeune théologien soutient  devant les docteurs de la Sorbonne sa thèse de fin d'études. Les huit membres du jury lui accordent leur approbation, et voilà l'abbé promu docteur sans que personne ne trouve à y redire. Pourtant, quelques jours plus tard, deux autres théologiens de la Sorbonne font part de leur indignation auprès des Jésuites. De Prades aurait non seulement remis en cause les miracles de Jésus-Christ, mais il aurait également prétendu que le peuple chinois était présent sur terre bien avant le Déluge !
Aussitôt, Jansénistes et Philosophes sautent sur l'occasion pour accabler de leurs sarcasmes la faculté de théologie. Les uns se moquent de ces querelles qu'ils jugent dépassées, les autres dénoncent le laxisme grandissant de la faculté. Alerté, le pouvoir royal ordonne de soumettre la thèse au Parlement, qui demande aussitôt à la Sorbonne de sévir. En janvier 1752, dix propositions soutenues par l'abbé sont déclarées hérétiques et contraires aux bonnes moeurs. 
De l'impiété de l'abbé de Prades à celle de ses amis Encyclopédistes, il n'y a qu'un pas que Jansénistes et Jésuites s'empressent de franchir pour s'en prendre au dictionnaire. Si le périodique jésuite continue de pointer du doigt ses insuffisances (erreurs, plagiat) et certaines des positions soutenues par les co-directeurs d'Alembert et Diderot, le journal janséniste évoque pour sa part une dangereuse entreprise de subversion.
Sous la pression, le pouvoir royal rend alors un arrêt (février 1752) qui interdit d'imprimer et de vendre de nouveaux exemplaires de l'Encyclopédie sous peine d'une amende de mille livres. L'abbé de Prades est quant à lui décrété de prise de corps. Il trouvera son salut dans la fuite en gagnant la Hollande, puis Berlin, où Frédéric II le nomme aussitôt lecteur.
A Paris, Diderot est effondré. Pendant ce temps, ses adversaires exultent...
(à suivre ici)
 

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