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lundi 22 juin 2015

A propos de la dissidence

A l'inverse des grands mouvements dissidents (chinois, soviétique et autres) du passé, l'actuelle dissidence française vit au grand jour, en toute liberté, et en se servant du média devenu dominant (le net) pour exposer ses vues.
Si les situations diffèrent, la rhétorique n'a quant à elle guère changé : on se dit toujours frappé par la censure, victime d'un affreux complot médiatique qui vous bâillonne, on se voudrait persécuté, on rêve d'être arrêté ( une courte peine de prison : le Graal de nos pseudo-dissidents !) voire agressé... 
souvenez-vous...

Bien sûr, on se prétend détenteur d'une vérité, de LA vérité !

Bien sûr, le SYSTEME (notez l'idée d'organisation, de concertation) veut vous empêcher de la révéler...

En période de crise (économique, sociale, morale, politique...), bon nombre de déclassés, d'oubliés et de malheureux viennent grossir les rangs de cette dissidence 2.0, en quête d'un discours idéologique et culturel qui alimente leur ressentiment. Il existe donc un marché de la dissidence, plutôt florissant d'ailleurs, dont les ramifications s'étendent sur le net, et qui propose une vision simpliste, souvent binaire (entendez : le bien et le mal), de notre monde.
On y trouve toutes sortes d'acteurs, des convaincus, des négationnistes, des brillants, des illuminés, des opportunistes, souvent anti-républicains et anti-laïcards, et qui s'inscrivent dans ce schéma manichéen pour réécrire notre histoire.
Marion Sigaut
L'intervention de Marion Sigaut (merci à M.T de me l'avoir signalée) illustre parfaitement ce propos. Evoquant l'affaire Voltaire-de Rohan (voir ici à partir de la 7è minute), l'historienne parle de la "vengeance" qu'aurait réclamée le poète après avoir subi la bastonnade. "Un prêté pour un rendu", avance-t-elle pour justifier le comportement de l'"homme de guerre" (sur ce dernier point aussi, il y aurait à redire) qu'était de Rohan. "Il n'avait qu'à présenter des excuses" conclut benoîtement la pasionaria des anti-Lumières...
Guy-Auguste de Rohan
Etrange lecture de l'histoire... On ne reviendra pas sur le déroulement de la querelle (on l'a déjà fait ici), ni sur les inexactitudes de ce compte rendu. Pour le coup, on se contentera de rappeler à l'historienne-dissidente que Voltaire n'a jamais exigé de "vengeance" de qui que ce soit, mais simplement qu'on lui rende justice. Cette justice qui, soixante ans plus tard, allait imposer à tous les Rohan du royaume que les citoyens seraient désormais "libres et égaux en droits". Car si ce jour-là le poète n'a pu faire valoir ses droits, c'est qu'en 1726, la parole d'un roturier ne pesait rien face à celle d'un aristocrate. Les ricanements de Marion Sigaut donnent à croire qu'elle cautionne cet état de fait. On ne s'en étonnera pas...
Dans sa grille de lecture, Voltaire sera toujours du côté du mal, et les Rohan du côté du bien. Toujours...
L'histoire de France réduite au noir et blanc, à une lecture binaire qui en gomme toutes les aspérités...
Non, décidément, jamais Marion Sigaut ne se hasardera dans les nuances de gris.

dimanche 3 mai 2015

L'affaire Voltaire-De Rohan (3)

 
Guy-Auguste de Rohan

A en croire l'abbé Duvernet, qui rapporte l'épisode dans la vie de Voltaire, le poète se serait empressé de retrouver le chevalier de Rohan dans la loge de Mlle Lecouvreur et il aurait alors tenu ce discours grandiloquent :
"Monsieur, si quelque affaire d'intérêt ne vous a point fait oublier l'outrage dont j'ai à me plaindre, j'espère que vous m'en ferez raison."
Un rendez-vous aurait même été pris pour le lendemain matin à la porte Saint-Antoine. Bon... Peu nous importe, au fond, que Voltaire se soit vraiment rêvé en spadassin intrépide !
En fait, seule nous intéresse la réaction du sieur de Rohan, et elle est accablante : à la sortie du théâtre, le courageux militaire (une "plante dégénérée" disait de lui Duvernet) se rue chez son oncle le cardinal, et pour prévenir tout risque, on ressort des cartons une épigramme (la première venue, qui n'était d'ailleurs pas de Voltaire !) raillant la Marquise de Prie, alors maîtresse du régent.

Io, sans avoir l'air de feindre,
D'Argus sut tromper tous les yeux.
Nous n'en avons qu'un seul à craindre,
Pourquoi ne nous pas rendre heureux ?

Les lecteurs peu avisés auront sans doute oublié que le premier ministre était borgne... Les autres comprendront la réaction du Régent qui donne aussitôt l'ordre de mener Voltaire à la Bastille.
Au passage, on notera la présence de ces 65 louis d'or dans les poches du poète, preuve s'il en fallait que Voltaire s'apprêtait à fuir après avoir commis son attentat...
Fort de son bon droit, ce dernier proteste aussitôt auprès du ministre du département de Paris :
"Je remontre très humblement que j'ai été assassiné par le brave chevalier de Rohan, assisté de six coupes-jarrets, derrière lesquels il était hardiment posté. J'ai toujours cherché depuis ce temps à réparer, non mon honneur, mais le sien, ce qui était trop difficile (...)"
Il n'est d'ailleurs pas le seul à s'émouvoir de l'injustice qu'on lui fait subir. Dans ses mémoires, le duc de Villars note à juste titre que dans cette triste affaire, la loi a été bafouée :
La mauvaise conscience du ministre est telle qu'il écrit dans la foulée au gouverneur de la Bastille :
"Le sieur de Voltaire est d'un génie à avoir besoin de ménagements. S.A.R a trouvé bon que j'écrivisse que l'intention du roi est que vous lui procuriez toutes les douceurs et la liberté de la Bastille qui ne seront point contraires à la sécurité de sa détention."
La "liberté de la Bastille"... L'admirable formule que voilà ! Le gouverneur s'exécute docilement et ouvre immédiatement les portes de la prison au ballet des visiteurs. 
Le 1er mai 1726, nouvelle lettre du lieutenant-général de police Hérault :
 Le ridicule de la situation est devenu tel qu'on décide dans la foulée de libérer Voltaire. Cet élargissement est néanmoins accompagné d'une condition : le poète doit s'engager à s'éloigner de cinquante lieues. Le 2 mai, il quitte Paris pour Calais,  accompagné d'un exempt chargé de sa surveillance. Il embarque pour l'Angleterre quelques jours plus tard, vraisemblablement le 9 mai.
Cet épisode de la détention de Voltaire a souvent fait rire ses détracteurs. Songez par exemple aux toutes récentes rodomontades de  Marion Sigaut. Sans doute ont-ils raison. Pourtant, quand on repense aux combats qu'il a menés par la suite, aux Calas et aux La Barre qu'il a défendus envers et contre tous, on ne peut s'empêcher de se ressouvenir de cette cicatrice laissée par une blessure d'amour-propre... 

Ancien homme politique, Josselin de Rohan est le 14è duc de Rohan

lundi 27 avril 2015

L'affaire Voltaire-De Rohan (2)

 
Guy-Auguste de Rohan
Quelques jours plus tard (sans doute fin janvier puisque dès le 1er février, le magistrat Bouhier rapporte l'incident à Marais), alors qu'il dîne chez son ami le duc de Sully, Voltaire est appelé dans la rue, où l'attend un messager. Il descend. Deux voitures fermées stationnent devant la porte de l'hôtel. Le poète monte sur le marchepied de la première et se retrouve aussitôt pris au collet par plusieurs hommes de main qui lui assènent dans la foulée une sévère bastonnade.
Confortablement assis dans l'autre voiture, Rohan commande la manoeuvre de ses séides : "Ne frappez pas sur la tête, il peut en sortir quelque chose de bon." C'est du moins ainsi que d'Argenson mentionne l'agression dans son Journal


Version confirmée par Marais dans son propre Journal. (février 1726)
 
Plus humilié que meurtri, Voltaire remonte en toute hâte chez son ami Sully et lui demande de l'accompagner chez le commissaire afin de déposer une plainte. Sully refuse. Et autour de lui, personne n'ose prendre le parti du poète. "Ce fut comme un effondrement à l'intérieur de lui-même", explique fort justement le biographe Jean Orieux. En ce jour de janvier 1726, Voltaire comprend le caractère factice et illusoire de cette fusion mondaine des élites sociales et intellectuelles. Dans ce moment décisif, l'esprit de corps a pris le pas sur l'amitié, et Voltaire est brutalement ramené à son rôle d'amuseur de salon. Il aura beau demander justice, personne ne la lui rendra. L'abbé de Caumartin, évêque de Blois et parent de Sully, aura ce mot tristement révélateur :"Nous serions bien malheureux si les poètes n'avaient pas d'épaules". Le prince de Conti ricane lui aussi de la mésaventure : "Voilà des coups de bâton mal donnés, mais bien reçus". Voltaire s'adresse au duc d'Orléans : "Monseigneur, je vous demande justice !". "Mais on vous l'a déjà faite !" rétorque le prince, hilare.
A peine acceptera-t-on de réprimander discrètement les brutes du chevalier de Rohan (voir archive de la Bastille ci-dessous)

" Qu'il y ait eu intervention ou non" explique Orieux, "le résultat était le même : c'était l'échec certain. Personne, même pas le ministre, ne voulait se mettre les Rohan à dos. Ils étaient nombreux, et puissants. Partout : dans l'Eglise, dans l'armée, à la Cour - et solidaires".
Conscient de son impuissance, Voltaire prend sa décision : il vengera son honneur sur le champ, les armes à la main ! Le chevalier se terre à Versailles, dans la résidence de son cousin le cardinal. Pendant ce temps, Voltaire s'initie au maniement de l'épée, ignorant qu'on l'a discrètement placé sous surveillance, comme le montre ce rapport de police :
 " le sieur de Voltaire médite d’insulter incessamment et avec éclat M. le chevalier de Rohan. Il a changé plusieurs fois, depuis six semaines, de demeure et de quartier. On a avis qu’il est actuellement chez un nommé Leynault, maître en fait d’armes, rue Saint-Martin, où il vit en très mauvaise compagnie. On prétend qu’il est en relation avec des soldats aux gardes, que plusieurs bretteurs fréquentent chez lui; mais quoi qu’il en soit de ces faits, il est toujours constant qu’il a de très mauvais desseins, et il est sûr qu’il a fait venir de province un de ses parents qui doit l’accompagner dans le combat. Ce parent est homme plus modéré que M. de Voltaire, et voudrait bien le calmer; mais il ne lui est pas possible d’en venir à bout. Il est plus irrité et plus furieux que jamais dans sa conduite et dans ses discours
Mais voilà que le chevalier s'apprête à revenir à Paris !
 (à suivre ici)

samedi 25 avril 2015

L'affaire Voltaire-De Rohan (1)

Un soir qu'il soupait en compagnie du marquis de Livry, qui était l'amant de sa femme, le dramaturge et acteur Dancourt s'avisa de plaisanter le maître d'hôtel du roi. Echauffé par ses boutades, ce dernier lui répondit  sans rire :
"Je t'avertis que, si d'ici à la fin du souper, tu as plus d'esprit que moi, je te donnerai cent coups de bâton."
S'avisant de son état, le brave auteur choisit de ravaler sa fierté et de se taire... 
Voltaire aurait dû le prendre pour exemple, quelques années plus tard, quand il croisa malencontreusement le chemin du chevalier de Rohan....
Qui était donc ce Guy-Auguste de Rohan-Chabot ? Rien moins que le fils de Louis le Rohan-Chabot, 3è duc de Rohan et pair de France, soit l'enfant d'une des familles les plus illustres du Royaume.  
Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis, telle était alors la devise de cette dynastie...
Guy-Auguste de Rohan
blason des Rohan
Voltaire devait savoir cela. Hélas pour lui, il n'en avait que faire...
Qu'était-il donc en 1726 ? Selon le poète Houdar de La Motte, "le digne successeur de Racine et de Corneille". Son Oedipe, représentée en 1718, méritait-elle tant de louanges ? Sans doute pas. Toujours est-il qu'elles lui ont été prodiguées et que l'homme en a tout naturellement retiré gloire et fierté. A force de fréquenter les Richelieu, les Sully, les Villars et les Conti, le fils de notaire entra bientôt dans la familiarité des grands du Royaume. Aussi riche que certains de ses amis (il avait, rappelons-le, un sens avisé des affaires...), plus talentueux que tous ceux qu'il côtoyait, l'imprudent se laissa bientôt éblouir par cette "fiction égalitaire"(j'emprunte l'expression à l'essayiste Antoine Lilti ). Sauf qu'il était né Arouet, et si sa valeur littéraire lui donnait une réputation, il lui manquait un nom pour devenir respectable.
Gardons cette réalité en mémoire pour mieux comprendre sa querelle avec le chevalier de Rohan.
le "grand" Voltaire en 1725

A en croire le Journal de Mathieu Marais (lettre du 6 février 1726), l'affaire les opposant débute à la fin de l'année 1725 : "Le chevalier le trouve à l'Opéra et lui dit : Mons de Voltaire, Mons Arouet, comment vous appelez-vous ?". L'autre réplique un peu vivement, plaisantant sur l'adjonction des deux noms Rohan et Chabot, et pour ce soir du moins, l'affaire s'en tient là.
Quelques jours plus tard, nouvelle rencontre entre les deux hommes, cette fois dans la loge de la comédienne Adrienne Lecouvreur. Vexé des attentions que lui accorde l'actrice, le chevalier apostrophe une seconde fois Voltaire, lui demandant comment le nommer :
"Voltaire ! répond l'impertinent. Je commence mon nom et vous finissez le vôtre !" Le mot d'esprit est passé par tant de bouches qu'il a sans doute été déformé. Peu importe. On le retrouvera bien plus tard dans la Rome Sauvée, où le dramaturge fait dire par Cicéron à Catilina :
 Mon nom commence en moi : de votre honneur jaloux, 
Tremblez que votre nom finisse dans vous...
Voltaire a toujours eu l'art de ces saillies. De son vivant, elles couraient de salon en salon, et le Tout-Paris s'en amusait.
Pourtant, en ce soir de janvier, Voltaire aurait dû s'abstenir d'humilier un grand en public.  Car le grand, lui, préparait déjà sa vengeance...
(à suivre ici