mardi 26 avril 2011

Les Confessions (7) : le vol des pommes

Au risque de me répéter, je crois que l'un des grands drames personnels de Rousseau réside dans l'interminable combat qu'il a mené pour sembler authentique aux yeux de ses contemporains. Rien de plus insupportable à ses yeux que ce soupçon de duplicité qui pèse sur lui depuis 1750. Le Rousseau qu'il devient alors est-il vrai ou bien Jean-Jacques joue-t-il un rôle destiné à le distinguer ?
Jean-Jacques et son maître
Les Confessions illustrent cette volonté de rendre authentique le personnage Rousseau. En montrant l'enfant qu'il était, le Genevois met en scène son parcours personnel afin d'en prouver la cohérence et la vérité. Ainsi, dans le livre 1er, l'épisode de la "chasse aux pommes" mérite qu'on s'y arrête quelques instants. 
Rappelons les faits : Jean-Jacques se trouve alors en apprentissage chez son maître Ducommun. Ce dernier le maltraite tant que l'adolescent devient menteur et bientôt voleur. Un jour, tenté par quelques pommes rangées au fond d'une dépense, il se met en tête de les voler à l'aide d'une broche confectionnée à la hâte. Alors qu'il parvient à ses fins, son maître entre dans la pièce et découvre le larcin. Cet épisode héroï-comique a été maintes fois commenté et on ne s'attardera pas ici sur les qualités narratives de l'extrait. Mais dans les premiers livres de Confessions, chaque récit est suivi ( parfois précédé) d'un long commentaire où apparaissent les intentions véritables du philosophe. Lisons une fois encore ce que nous dit Rousseau :
"La convoitise et l'impuissance mènent toujours là. Voilà pourquoi tous les laquais sont fripons, et pourquoi tous les laquais doivent l'être ; mais dans un état égal et tranquille, où tout ce qu'ils voient est à leur portée, ces derniers perdent en grandissant cet honteux penchant." Et plus loin : "Je jugeais que me battre comme fripon, c'était m'autoriser à l'être."
En somme, cet épisode confirme ce qu'avance le philosophe dans son Discours sur l'Inégalité, puis dans l'Emile et le Contrat Social. L'inégalité des conditions est effectivement source de tous les maux. D'ailleurs, même son expérience personnelle le prouve ! 

On ne saurait donc le soupçonner d'avoir conçu un système de pensée auquel il ne croit pas, ni d'avoir cherché à se singulariser en prenant le contrepied des auteurs de son temps...
A bien y regarder, pourtant, l'authenticité de ce souvenir semble douteuse, surtout lorsqu'on compare le récit de Rousseau à celui que fait Saint-Augustin dans ses Confessions. Il ne s'agit plus là d'un vol de pommes, mais d'un vol de poires !
Saint-Augustin
"Il y avait dans le voisinage de notre vigne un poirier chargé de fruits qui n'avaient rien de tentant, ni la beauté ni la saveur. En pleine nuit (selon notre exécrable habitude nous avions prolongé jusque-là nos jeux sur les places), nous nous en allâmes, une bande de mauvais garçons, secouer cet arbre et en emporter les fruits. Nous en fîmes un énorme butin, non pour nous en régaler, mais pour les jeter aux porcs. Sans doute nous en mangeâmes un peu, mais notre seul plaisir fut d'avoir commis un acte défendu.
Voilà mon coeur, ô Dieu, voilà mon coeur dont vous avez eu pitié au fond de l'abîme. Qu'il vous dise maintenant, ce coeur que voilà, ce qu'il cherchait dans cet abîme, pour faire le mal sans raison, sans autre raison de le faire que sa malice même. Malice honteuse, et je l'ai aimée ; j'ai aimé ma propre perte ; j'ai aimé ma chute ; non l'objet qui me faisait choir, mais ma chute même, je l'ai aimée. Ô laideur de l'âme qui abandonnait votre soutien pour sa ruine, et ne convoitait dans l'infamie que l'infamie elle-même
."
Témoignage surprenant, surtout quand on se souvient que Saint-Augustin est l'un des auteurs préférés de Rousseau...

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