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jeudi 19 décembre 2019

La démocratie, vue par Rousseau


A certaines heures, il devient essentiel de lire Rousseau. Ci-dessous, quelques passages du Contrat Social

 



CHAPITRE IV.
De la Démocratie.


A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change.
En effet, je crois pouvoir poser en principes que quand les fonctions du Gouvernement sont partagées entre plusieurs tribunaux, les moins nombreux acquièrent tôt ou tard la plus grande autorité ; ne fut-ce qu’à cause de la facilité d’expédier les affaires, qui les y amène naturellement.
D’ailleurs que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce Gouvernement ? Premièrement, un Etat très petit où le peuple soit facile à rassembler et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres : secondement, une grande simplicité de mœurs qui prévienne la multitude d’affaires et les discussions épineuses : Ensuite beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l’autorité : Enfin peu ou point de luxe ; car, ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse à la vanité ; il ôte à l’Etat tous ses Citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion. (…)



CHAPITRE XV.
Des Députés ou Représentants.

Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’Etat est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au Conseil ? ils nomment des Députés et restent chez eux. A force de paresse et d’argent ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des réprésentants pour la vendre.
C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave ; il est inconnu dans la Cité. Dans un Etat vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent : Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils payeraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.
Mieux l’Etat est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées dans l’esprit des Citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées ; sous un mauvais Gouvernement nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre ; parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat, que m’importe ? on doit compter que l’Etat est perdu.
L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des Etats, les conquêtes, l’abus du Gouvernement ont fait imaginer la voie des Députés ou Représentants du peuple dans les assemblées de la Nation. C’est ce qu’en certains pays on ose appeler le Tiers-Etat. Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et second rang, l’intérêt public n’est qu’au troisième.
La Souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. 

mardi 21 septembre 2010

Rousseau, le subversif...

Si les révolutionnaires ont fait de Rousseau et de son Contrat Social l'une de leurs figures de proue, il faut bien reconnaître que cet ouvrage a causé peu de bruit lors de sa sortie en 1762. Ce n'est d'ailleurs pas cet essai que la Sorbonne et le Parlement vont condamner puis brûler en place publique, mais l'Emile, son ouvrage sur l'éducation.
Que dit Rousseau dans le Contrat Social ? Il proclame que le peuple est souverain, et que cette souveraineté est l'exercice de la volonté générale. Celle-ci n'est pas la somme des volontés particulières, guidées par des intérêts personnels, mais elle est dictée par l'intérêt général (ce qui implique l'existence de citoyens avertis et responsables).
Bon... Rien de bien nouveau dans tout cela. D'autres soutiennent cette même thèse, et depuis bien longtemps: le Hollandais Grotius, l'Anglais Hobbes, et même certains théologiens protestants tels que Jurieu...
Non, le caractère subversif du Contrat Social apparaît dans l'affirmation suivante : "A l'instant qu'un peuple se donne des représentants, il n'est plus libre." En somme, la souveraineté de ce peuple est inaliénable, elle ne peut se transmettre à personne : ni à Dieu, ni à un roi, ni à un parlement, ni à des soviets (pour faire référence à une actualité plus récente), ni à qui que ce soit.
Tous les démocrates se prétendant héritiers de Rousseau sont donc condamnés à le trahir. Car dans les faits, le peuple n'est jamais souverain, il délègue ses pouvoirs.
Aux yeux de Rousseau, c'est le pouvoir législatif qui doit échoir au peuple. Mais qui doit faire les lois, puisque, si "le peuple veut toujours le bien... il ne le voit pas toujours"? Là, Rousseau se livre à une pirouette en faisant appel à l'être d'exception, celui qui rédigera des lois conformes à la volonté générale.
Quant aux gouvernements, s'ils sont nécessaires, c'est uniquement pour appliquer ces mêmes lois, c'est-à-dire pour assumer le pouvoir exécutif.
Rousseau envisage ensuite les différents types de gouvernement : aristocratie, monarchie, démocratie... Et il conclut en prétendant qu'aucun n'est idéal, et qu'il faut choisir celui qui fera prospérer le peuple...
Au passage, il égratigne évidemment la transmission héréditaire du pouvoir et souligne que toute forme de gouvernement tend à dégénérer...
En somme, si les révolutionnaires se réclament de Rousseau, c'est à tort puisqu'il était hostile à toute forme de démocratie représentative. D'ailleurs, même si on lui a souvent fait dire le contraire, il s'opposait également à toute idée de sédition, ce qui laisse imaginer quel aurait été son regard sur les événements de la fin du siècle...