A certaines heures, il devient essentiel de lire Rousseau. Ci-dessous, quelques passages du Contrat Social.
CHAPITRE IV.
De la Démocratie.
A prendre le terme
dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand
nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le
peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et
l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que
la forme de l’administration change.
En effet, je crois
pouvoir poser en principes que quand les fonctions du Gouvernement sont
partagées entre plusieurs tribunaux, les moins nombreux acquièrent tôt ou tard
la plus grande autorité ; ne fut-ce qu’à cause de la facilité d’expédier
les affaires, qui les y amène naturellement.
D’ailleurs que de
choses difficiles à réunir ne suppose pas ce Gouvernement ? Premièrement,
un Etat très petit où le peuple soit facile à rassembler et où chaque
citoyen puisse aisément connaître tous les autres : secondement, une
grande simplicité de mœurs qui prévienne la multitude d’affaires et les discussions
épineuses : Ensuite beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les
fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l’autorité : Enfin peu ou point de luxe ; car, ou le luxe est
l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois
le riche et le pauvre, l’un par la possession l’autre par la
convoitise ; il vend la patrie à la mollesse à la vanité ; il ôte à
l’Etat tous ses Citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion.
(…)
CHAPITRE XV.
Des Députés ou Représentants.
Sitôt que le service public cesse d’être la
principale affaire des Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur
bourse que de leur personne, l’Etat est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher
au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il
aller au Conseil ? ils nomment des Députés et restent chez eux. A force
de paresse et d’argent ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des réprésentants pour la vendre.
C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est
la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels
en argent. On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez
de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave ; il est inconnu dans la Cité.
Dans un Etat vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien
avec de l’argent : Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils
payeraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées
communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les
taxes.
Mieux l’Etat est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les
privées dans l’esprit des Citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires
privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus
considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans
les soins particuliers. Dans une cité bien conduite chacun vole aux
assemblées ; sous un mauvais Gouvernement nul n’aime à faire un pas pour
s’y rendre ; parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on
prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins
domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les
mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat, que m’importe ? on doit compter que
l’Etat est perdu.
L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé,
l’immensité des Etats, les conquêtes, l’abus du Gouvernement ont fait imaginer
la voie des Députés ou Représentants du peuple dans les assemblées de la Nation.
C’est ce qu’en certains pays on ose appeler le Tiers-Etat. Ainsi l’intérêt
particulier de deux ordres est mis au premier et second rang, l’intérêt
public n’est qu’au troisième.
La Souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne
peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté
générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou
elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont
donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses
commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que
le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi.
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