mercredi 23 décembre 2015

Correspondance Littéraire : la mort de Rousseau

Périodique manuscrit destiné à l'aristocratie étrangère, la Correspondance Littéraire servit notamment à diffuser les thèses soutenues par le clan des encyclopédistes. 
Voici comment fut racontée la mort de Jean-Jacques Rousseau, le traître à la cause, au mois de juillet 1778
Jean-Jacques et Thérèse, à Ermenonville

La mort de J.-J. Rousseau.

L’opinion généralement établie sur la nature de la mort de J.-J. Rousseau n’a pas été détruite par une lettre que nous aurons l’honneur de vous envoyer sur cet événement, et qui est d’un médecin de Paris, M. Le Bègue de Presle, son ami. On persiste à croire que notre philosophe s’est empoisonné lui-même. Ce que nous savons de très bonne part, c’est qu’il avait eu pendant son séjour en Angleterre, et depuis, des accès de mélancolie très fréquents et accompagnés de convulsions extraordinaires; que, dans cet état, il fut plusieurs fois sur le point de se tuer. L’embarras de sa position, devenue plus fâcheuse qu’elle ne l’avait jamais été, l’inquiétude que lui causait la publication prétendue de ses Mémoires, soit qu’ils lui eussent été dérobés, soit qu’il les eût livrés lui-même, soit qu’il ne fût qu’effrayé des bruits répandus à ce sujet, l’abandon où l’avait réduit son humeur sauvage, tout cela avait altéré sensiblement sa tête. Cette âme naturellement susceptible et défiante, victime d’une persécution peu cruelle à la vérité, mais du moins fort étrange, aigrie par des malheurs qui furent peut-être son propre ouvrage, mais qui n’en étaient pas moins réels, tourmentée par une imagination qui exagérait toutes ses affections comme tous ses principes, plus tourmentée peut-être encore par les tracasseries d’une femme qui, pour demeurer seule maîtresse de son esprit, avait éloigné de lui ses meilleurs amis en les lui rendant suspects; cette âme, à la fois trop forte et trop faible pour porter tranquillement le fardeau de la vie, voyait sans cesse autour d’elle des abîmes et des fantômes attachés à lui nuire. Il n’y a pas loin sans doute de cette disposition d’esprit à la folie, et l’on ne peut guère appeler autrement la persuasion où il était depuis longtemps, et dont il était plus frappé encore depuis quelques mois, que toutes les puissances de l’Europe avaient les yeux sur lui et lui faisaient l’honneur de le regarder comme un monstre fort dangereux et qu’il fallait tâcher d’étouffer. Il s’était mis dans la tête qu’il y avait une ligue très puissante formée contre lui; et les chefs de cette ligue à Paris étaient, selon lui, par un assez bizarre assemblage, M. le duc de Choiseul, M. le docteur Tronchin, M. de Grimm et M. d’Alembert. (...) S'il croyait avoir à se plaindre de tous les souverains et de tous les ministres de l'Europe, il était encore plus mal avec les philosophes, et les prêtres étaient peut-être en dernier lieu ceux dont il attendait le moins de haine. Il était fermement convaincu qu'on avait cherché à soulever la populace de Paris contre lui. Il ne sortait guère de sa maison sans croire rencontrer des gens apostés pour épier ses démarches et pour saisir le moment de le faire lapider. Il soupçonnait l'univers entier et jusqu'aux Savoyards du coin, prétendant que pour l'humilier ils lui refusaient les services qu'ils offrent à tout le monde, Tous ces traits nous ont été rapportés par un homme tendrement attaché à M. Rousseau, et pénétré de l'état où il le voyait sans aucune espérance de le guérir. Sur tout objet étranger à la manie dont nous venons de parler, son esprit conserva jusqu'à la fin toute sa force et toute son énergie. (...)
le tombeau d'Ermenonville

samedi 19 décembre 2015

Correspondance Littéraire de Grimm : la mort de La Barre


Périodique manuscrit destiné à l'aristocratie étrangère, la Correspondance Littéraire servit notamment à diffuser les thèses soutenues par le clan des encyclopédistes. 
Voici comment Grimm relate l'affaire La Barre en juillet 1766, soit quelques jours après l'exécution du jeune homme.
 
Melchior Grimm
Procès du chevalier de La Barre.

On s’occupe beaucoup à Paris de l’effroyable aventure qui vient d’arriver à Abbeville, dont on n’a entendu parler que confusément, et qui aurait rempli toute l’Europe d’indignation et de pitié si les âmes cruelles qui ont été les auteurs de cette tragédie n’avaient forcé les avocats de l’innocence et de l’humanité au silence par leurs menaces. L’extrait d’une lettre d’Abbeville, joint à ces feuilles, vous mettra au fait des principales circonstances. On prétend que ce qu’on dit du sieur Belval n’est pas exactement vrai; mais il est constant que des animosités particulières ont dicté la sentence d’Abbeville, et l’on assure que des motifs de la même trempe l’ont fait confirmer par un arrêt du Parlement, qu’il faut conserver comme le monument d’une cruauté horrible au milieu d’un siècle qui se vante de sa philosophie et de ses lumières.
 
la stèle de La Barre, symbole de laïcité, vandalisée en 2013 (par des proches de CIVITAS ?)
La nuit du 8 au 9 août 1765, un crucifix de bois, placé sur un pont, à Abbeville, est mutilé à coups de sabre ou de couteau de chasse. Un peuple superstitieux et aveugle s’en fait un sujet de scandale. L’évêque d’Amiens, un des plus fanatiques d’entre les évêques de France, se transporte avec son clergé en procession sur les lieux, pour expier ce prétendu crime par une foule de cérémonies superstitieuses. On publie des monitoires pour en découvrir l’auteur. Cet usage de troubler par des monitoires les consciences timorées, d’allumer les imaginations faibles en enjoignant, sous peine de damnation éternelle, de venir à révélation de faits qui n’intéressent pas personnellement le déposant; cet usage, dis-je, est un des plus funestes abus de la jurisprudence criminelle en France. Plus de cent vingt fanatiques ou têtes troublées déposent. Aucun ne peut dénoncer l’auteur de la mutilation, qui sans doute n’avait pas appelé des témoins à son expédition; mais tous rapportent des ouï-dire, des bruits vagues, qui chargent la principale jeunesse de la ville de propos impies, de prétendues profanations, de quelques indécences qui pouvaient mériter tout au plus l’animadversion paternelle. La justice d’Abbeville instruit le procès de ces jeunes étourdis. Il n’est plus question de ce crucifix mutilé, mais on juge les prétendus crimes révélés au moyen des monitoires. Il est aisé de se figurer la consternation d’une petite ville, où cinq enfants des principales familles, tous mineurs, se trouvent impliqués dans une procédure criminelle. Leurs parents les avaient fait évader; mais la même animosité qui leur avait suscité cette mauvaise affaire dénonça leur fuite. On courut après eux, et des cinq l’on en prit deux, savoir le jeune chevalier de La Barre, et un enfant de dix-sept ans appelé Moisnel. La sentence rendue à Abbeville, le 28 février dernier, condamne Gaillard d’Étallonde à faire amende honorable, à avoir la langue et le poing coupés, et à être brûlé vif. Cet infortuné s’était heureusement sauvé en Angleterre avec deux de ses complices. Jean-François Le Fèvre, chevalier de La Barre, est condamné, par la même sentence, à faire amende honorable, à avoir la langue coupée, ensuite la tête tranchée et son corps réduit en cendres. On sursit, par cette sentence, au jugement des trois autres accusés, dont l’un, Charles-François Moisnel, était en prison avec le chevalier de La Barre. Les sentences criminelles ont besoin d’être confirmées par un arrêt du Parlement dans le ressort duquel on les rend. L’affaire d’Abbeville est portée au Parlement de Paris. Ici, ces jeunes malheureux, en se défendant par des mémoires imprimés, pouvaient espérer d’exciter la commisération publique; mais M. Le Fèvre d’Ormesson, président à mortier, bon criminaliste, dont le chevalier de La Barre était proche parent, s’étant fait montrer toute la procédure d’Abbeville, jugea qu’elle ne serait point confirmée par le Parlement, et empêcha qu’on défendît publiquement son parent et les autres accusés. Il espérait que ces enfants, renvoyés de l’accusation sans éclat, lui sauraient gré un jour d’avoir prévenu la trop grande publicité de cette affaire malheureuse. La sécurité de ce magistrat leur a été funeste; on peut poser en fait que le moindre mémoire, distribué à temps en leur faveur, aurait excité un cri si général que jamais le Parlement n’aurait osé confirmer la sentence d’Abbeville. Un arrêt du 4 juin passé l’a confirmée; et, après beaucoup de sollicitations inutiles pour obtenir grâce du roi, le chevalier de La Barre a été exécuté à Abbeville le 1er juillet. Il est mort avec un courage et avec une tranquillité sans exemple. L’arrêt le déclare atteint et convaincu d’avoir passé à vingt-cinq pas devant la procession du saint Sacrement sans ôter son chapeau et sans se mettre à genoux; d’avoir proféré des blasphèmes contre Dieu, la sainte Eucharistie, la sainte Vierge, les saints et les saintes mentionnés au procès; d’avoir chanté deux chansons impies; d’avoir rendu des marques de respect et d’adoration à des livres impurs et infâmes; d’avoir profané le signe de la croix et les bénédictions en usage dans l’Église. Voilà ce qui a fait trancher la tête à un enfant imprudent et mal élevé, au milieu de la France et du XVIIIe siècle; dans les pays d’inquisition, ces crimes auraient été punis par un mois de prison, suivi d’une réprimande. (...)
 
l'exécution eut le 1er juillet 1766

mardi 15 décembre 2015

Le Grand-Saint-Antoine et la peste dans Marseille – Marion Sigaut racont...

  

Une très amusante coïncidence... Marion Sigaut consacre sa dernière intervention à ce funeste épisode de l'histoire de Marseille.
Il y a trois semaines (ici-même), j'évoquais la figure bien connue de Mgr de Belsunce, héros de la terrible peste qui décima la ville en 1720.
Mgr de Belsunce

mercredi 9 décembre 2015

En quête de vérité - Marion Sigaut

   

Dans ses affabulations sur ce qu'elle nomme Les Lumières, Marion Sigaut reprend à son compte une très ancienne thèse, soutenue dès 1758 par le janséniste Abraham Chaumeix (on s'amusera du paradoxe !), et plus tard par l'abbé Barruel (1797-99) : celle d'un prétendu complot fomenté par les philosophes pour abattre l'autel et le trône.
Dans son réquisitoire, il n'est évidemment jamais question de l'hétérogénéité de ce mouvement intellectuel ni des dissensions qui n'ont cessé de le traverser.
Plutôt que d'insister, rappelons la définition qu'en donnait l'auteur Pierre Lepape dans son très bon Diderot (flammarion, 1991) :
"Ce n'est pas une conspiration, ce n'est même pas un parti au sens moderne du terme, mais c'est une manière de front commun implicite qui traverse, plus ou moins aisément, les classes sociales d'origine, les conditions, les spécialités, les talents et même les croyances religieuses. Ces hommes de lettres, plébéiens, bourgeois ou nobles, érudits ou techniciens, savants ou écrivains, chrétiens, déistes ou athées, se sentent engagés ensemble dans un combat qui les définit comme un groupe social nouveau caractérisé par son libre usage du savoir et par sa revendication d'une totale liberté d'expression. On pourrait parler d'une communauté dispersée dont Voltaire serait à la fois le prédicateur et le régent, d'Alembert l'organisateur, d'Holbach le trésorier, Rousseau le prieur mystique, et Diderot l'intarissable frère prêcheur."
un dîner de philosophes
 
 
 

samedi 5 décembre 2015

La Révolution, mouvement populaire : par Florence Gauthier

L'historienne Florence Gauthier remet parfaitement en perspective les événements de 1789. Elle rappelle notamment quelques vérités trop souvent éludées par les anti-républicains qui font feu de tout bois sur le net :
-ce qu'ont été les Etats Généraux dans l'histoire de France
-que les députés furent les fidei commis du peuple français
-que la Révolution, et notamment la Grande Peur qui parcourut le monde paysan durant l'été, fut également un mouvement populaire...
   

Florence Gauthier


mardi 1 décembre 2015

La Révolution vue par nos élèves


La révolution vue par nos lycéens :
(à partir d’un échantillon de 176 copies de lycéens interrogés, sans aucune préparation préalable sur la consigne suivante : « Raconte la Révolution française » en un temps limité de 25 minutes.)

par Laurence De Cock, professeure en lycée à Paris et Université Paris-Diderot




 La périodisation de l’événement

Dans quasiment l’intégralité des copies, la Révolution commence en 1789 et s’achève en 1789. Il arrive même qu’elle débute puis s’achève le 14 juillet 1789. C’est  la seule date qui apparaît systématiquement. L’année 1790 est inexistante. 1791 est citée une fois, 1792 9 fois ; 1793 3 fois, 1805 une fois, et 1815 une fois. La fétichisation de l’année 1789 est évidente. Raconter la Révolution française, c’est raconter 1789. Pour autant, la révolution n’est pas sans dénouement. Sans systématiquement situer l’intrigue dans le temps, la fuite de Varennes constitue un autre marqueur narratif important. Il arrive d’ailleurs que cette fuite devienne ce qui a provoqué 1789. Le roi ayant trahi, il est normal que le peuple se révolte. Varennes est l’élément dramatique par excellence. Il faut une cause immédiate au soulèvement. La trahison du roi renvoie à une scénarisation quasi fonctionnelle comme dans le récit ci-dessous d’un élève de 1ère :

    Le peuple est contre le Roi et décide de se soulever. Il y a eu la grande peur car des paysans avaient mis le feu à des châteaux de Bourgeois. Ils ont peur des représailles. Au travers du serment du jeu de paume, ils promettent de ne pas abandonner. De plus, le Roi emprisonne des résistants à la prison de la Bastille. Le Roi veut quitter le château avec Marie-Antoinette vers l’Autriche mais est reconnu et ramené à Versailles. Il ne doit plus sortir du château. Le peuple se sent trahi. Ils partent à la Bastille le 14 juillet 1789 et libèrent les prisonniers. Puis le roi et la reine sont décapités.

 
la trahison du roi aura marqué les esprits

 Les causes

Très peu de copies ne traitent pas des causes. La question du 
« pourquoi » est inhérente au raisonnement historique. Pour la plupart, les causes ne sont pas « intellectuelles » mais bien liées à des facteurs économiques et sociaux. Les philosophes des Lumières ne sont évoqués que 4 fois comme causes. Les élèves notent les impôts, les inégalités, et les injustices. Les causes sont aussi politiques, notamment le poids de la « monarchie absolue de droit divin ». Le terme de privilège est assez rare (10 fois) ; les élèves parlent d’« avantages ». Cette propension à minorer le rôle des idées est significative d’un raisonnement qui cherche à capter les raisons immédiatement perceptibles parce qu’en résonance avec un environnement familier (de la société, de la famille). L’élève va chercher dans son stock de savoirs sociaux des facteurs explicatifs avec lesquels il a une  proximité intuitive  comme en témoigne cet élève de Seconde qui mobilise un vocabulaire contemporain (chômage) ou approximatif et dramatique (famine, pendaison).

Suite à plusieurs régimes désastreux et le mécontentement du peuple face au chômage et la famine, le peuple décide de s’emparer de la Bastille le 14 juillet 1789 et de libérer les prisonniers. Le roi Louis XIV à cette époque s’enfuit avec la famille royale mais il est vite dénoncer et arrêté par les paysans. Peu de temps après ils furent tous pendus. Cette tragédie est à l’origine de la souffrance du peuple. En effet les nobles et les bourgeois ne sont pas concernés. Avant les débuts violents de cette révolution, ils se sont exilés dans les pays où règne la monarchie afin d’aider le roi a retrouver son trône car ils y voient en même temps leur propre intérêt.



Les protagonistes

Leur nombre est également très réduit. On distingue deux types d’acteurs : individuels et collectifs. Le nom le plus fréquent est celui de Louis XVI (113 fois) mais on trouve aussi parmi les individus révolutionnaires : Napoléon (12 fois), Robespierre (10 fois), Danton (2), Desmoulin (1) et une seule femme : Marie-Antoinette (20 fois). La révolution est donc une affaire d’hommes. Mais la révolution est un geste surtout collectif. Elle est le fait du peuple, de la population, des Français, des Parisiens, du Tiers-État, et ses sans-culottes (27 seulement). Les révolutionnaires ne sont pas divisés. Le terme de Girondins n’apparaît qu’une fois pour qualifier l’ensemble des révolutionnaires. Pas une seule mention de la scission entre Montagnards et Girondins, encore moins de la guerre civile et des contre-révolutionnaires. L’écriture reste irénique et consensuelle.



Les événements

Outre la prise de la Bastille quasiment systématique, la mort de Louis XVI (non datée) arrive en seconde position (45 fois). Le serment du jeu de Paume suit (30 fois). Les élèves le décrivent en détail avec la dramaturgie d’un acte théâtral. S’en suit la fuite de Varennes (29) détaillée de manière « anecdotique », c’est-à-dire dépolitisée, comme le moment où tout bascule. La DDHC – parfois uniquement sous forme d’acronyme – (25 fois); l’abolition des privilèges (5 fois) ; La Terreur qui n’est mentionnée que 10 fois ; la marche des femmes (1 fois). Il arrive là encore que le montage ne corresponde pas exactement à la réalité historique comme chez cet élève de Terminale :

    Suite à une volonté de changement de régime politique, le roi, Louis XVI et ses partisans feront régner ce que l’on appellera la “Terreur”, c’est à dire la peur d’être guillotiné sous peine de tel ou tel délit, La délation est alors d’actualité et les morts s’accumulent accentuant, les tensions au sein de la France. Sous la direction des philosophes aux idées nouvelles et révolutionnaires, les “sans- culottes” représentant le Tiers- État, visent à changer de régime et oublier la monarchie. Des symboles forts tels que la Marseillaise, le chant révolutionnaire des Français, devenu hymne national, sont créés afin de donner confiance et force aux révolutionnaires. Le 14 juillet 1789, la Bastille sera prise par les révolutionnaires et le roi Louis XVI sera guillotiné […].

L’échelle de l’événement est la France, et plus encore Paris. Il y a très peu d’autres États impliqués dans les récits d’élèves. L’Autriche et la Prusse apparaissent respectivement trois et deux fois.

 
la prise de la Bastille, événement symbolique

Qualifications et conséquences de l’événement

La violence apparaît de manière assez fréquente. On la devine dans l’usage du vocabulaire : « guillotiné », « décapité », 
« sanglant », « confrontation », etc., comme chez l’élève de Première ci-dessous :

    Pour finir, la révolution fut sanglante, il y eut énormément de blessés et de morts. Mais le résultat était bien là : le roi Louis XVI fut destitué de tout pouvoir et la France ne vivait plus sous la gouverne d’un tyran.

Pour autant, la Révolution n’est pas toujours une rupture, elle est parfois un simple « changement », un « mouvement », un « tournant », marquant un « mécontentement », avec des 
« incidents » et de la « rébellion ». Ce sont des qualificatifs minorés.

C’est surtout l’événement qui sert à valider le modèle républicain et le modèle démocratique. Si nous sommes dans la république des droits de l’homme, c’est grâce à la Révolution française comme l’indique cet élève de Première :

    […] Cette révolution est donc l’élément majeur du changement du 18e siècle car c’est le peuple qui a combattu pour un monde plus juste. La révolution française a donc abolie les privilèges, il y a eu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le suffrage universel masculin.



Bilan de l’enquête

Le récit scolaire de la Révolution française relève du récit de fondation à partir d’un événement inaugurant et clôturant : l’année 1789. La quasi absence d’événements révolutionnaires (contrairement aux prescriptions) montre le caractère fossilisé et patrimonialisé de l’année 1789 qui condense l’ensemble de la révolution. La Révolution française n’a donc pas d’épaisseur historique, elle est déshistoricisée. Certains moments-clés de l’historiographie sont passés sous silence. C’est le cas notamment de la Terreur qui avait pourtant le potentiel tragique typique de la narration scolaire.
 
la Terreur n'existe pas...
La mise en intrigue de la révolution est naïve et diffère peu du récit lavissien. La tentative d’élargir les échelles, de faire des causalités intellectuelles ou de conceptualiser est plutôt un échec. La capacité « raconter » empêche la mise en forme narrative de la complexité. Le récit continue de fonctionner sur le modèle traditionnel : impulsion, héros, antihéros, dénouement, chute.

La Révolution française est déconflictualisée, on saisit mal les enjeux du soulèvement, les demandes politiques des révolutionnaires et les divisions entre acteurs. Le rapport au politique est ici consensuel. Le révolutionnaire est une catégorie typique de l’histoire scolaire qui classe les acteurs selon des typologies considérées comme facilitant l’appropriation. Ces catégorisations empêchent d’aborder la complexité des acteurs et des actes et ainsi, les élèves, cherchant à remobiliser des connaissances dans le cadre scolaire, opèrent une catégorisation par proximité intuitive, c’est-à-dire que l’intelligibilité de l’événement opère un détour par le sens commun. Il se produit une socialisation du savoir historique, forme d’apprivoisement des connaissances historiques qui transitent par l’immédiateté de l’expérience personnelle des élèves, à savoir leurs représentations sociales. Cette manière d’imbriquer des savoirs « déjà là » (savoirs sociaux) et des « savoirs reçus dans et par l’école » (savoirs scolaires, contenus d’enseignement) produit du raisonnement historique, d’où des analogies et des anachronismes, comme celui-ci :

    Lors de la révolution française, le signe dominant est la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 qui est maintenant la fête nationale. C’est un grand massacre et en s’attaquant à la Bastille, ils s’attaquent à l’armée française. (1ère)

Ou encore :

    De plus, le Roi emprisonne des résistants à la prison de la Bastille. (1ère)

Ce phénomène de mise en conformité entre le sens commun et les savoirs historiques est sans doute accentué, dans notre cas, par la forte présence sociale de la Révolution française (commémorations, symboles républicains, fictions, etc.).

On peut pour terminer s’interroger sur cette conscience historique bricolée du moment révolutionnaire. La focalisation sur le politique, dans son sens le plus restrictif, centré autour de la conquête de nouveaux droits (de l’homme), introduit peut-être une vision excessivement moralisante du fait politique et complique la réflexion sur la nature révolutionnaire de l’événement, notamment dans ses usages assumés de la violence.

Quelques élèves tentent pourtant de mobiliser leurs connaissances historiques pour comprendre le contemporain. C’est le cas du premier exemple ci-dessous (Terminale) où l’usage de la première personne et le caractère pamphlétaire de l’écrit témoignent d’une confusion passé/présent :

    Nous sommes en juillet 1789, tout exactement le 14. Nous sommes à la Bastille. Nous prenons celle-ci. Nous nous battons. Nous souhaitons libérer notre pays de l’emprise du mal : la monarchie absolue de droit divin. On en a marre que la monarchie nous contrôle. Ce symbole ne sera plus le symbole de l’État mais le nôtre. Même s’il n’y avait que trois ou quatre prisonniers, on voulait les libérer pour arrêter cette calomnie ; tout le monde criait, se battait. C’était le début de la Révolution Française. La bataille fut rude, on a combattu toutes ces inégalités. Stop à la société d’ordres et au clergé qui ont tous les droits.
 
l'Ancien Régime, c'est "le mal"... (image extraite d'un manuel d'histoire)
Mais aussi de ce dernier texte qui tente une projection analogique vers les révolutions arabes :

    […] Le 14 juillet 1789, le peuple a pris la Bastille. C’était la fin de la monarchie absolue. Louis XVI et sa famille ont été emprisonnés jusqu’à leur décapitation. Le 26 août 1789, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont été écrit pour donner l’égalité pour tout le monde. Les Français sont égaux. Après cet épisode, la France a connu plusieurs régimes jusqu’à l’installation réelle d’une démocratie. On peut comparer relier la révolution française à ce qui se passe dans le monde arabe. [14] (Terminale)

L’École aurait sans doute un rôle à jouer pour interroger autrement ce moment révolutionnaire que comme la matrice d’un « toujours déjà là ». Il s’agirait d’en faire un laboratoire d’observation des inventions politiques, sociales, économiques et humaines ; d’en accepter les tâtonnements, les heurts, les violences, les détours et les surprises. Cela suppose une démarche scolaire totalement novatrice. On commencerait par varier constamment les focales : monde urbain/rural ; Paris/province ; métropoles/colonies ; par jouer avec les temporalités : l’élasticité, les pesanteurs, les accélérations, les usages mémoriels, puis par accepter une véritable perspective genrée de la Révolution qui ne se réduise pas à une simple double page désormais obligatoire dans les manuels sur « les femmes dans la Révolution », comme si les actes de ces dernières pouvaient se penser sans ceux des hommes.

L’enjeu consiste donc à tenter de vivifier le sujet. Les élèves s’animent lorsque sont bousculées leurs représentations et qu’est restituée une historicité à l’événement qu’empêche toute téléologie ; Quels sont les possibles du moment ? Qu’est-ce qui a eu lieu ? Qu’est-ce qui aurait pu avoir lieu ?

La Révolution française permet d’interroger autrement les concepts – liste non exhaustive – de violence, justice/injustice, universel, rapports de domination, redistribution des richesses, démocratie, ou même de guerre. Elle aide à sortir des catégories usuelles d’entendement de « valeurs » surdéterminées par un présent au nom duquel on instrumentalise le passé. C’est pourquoi il ne serait sans doute pas inutile de revisiter la matrice originelle de son inscription scolaire.