Périodique manuscrit destiné à l'aristocratie étrangère, la Correspondance Littéraire servit notamment à diffuser les thèses soutenues par le clan des encyclopédistes.
Voici comment fut racontée la mort de Jean-Jacques Rousseau, le traître à la cause, au mois de juillet 1778
Jean-Jacques et Thérèse, à Ermenonville |
La mort de J.-J. Rousseau.
L’opinion généralement établie sur
la nature de la mort de J.-J. Rousseau n’a pas été détruite
par une lettre que nous aurons l’honneur
de vous envoyer sur cet événement, et qui est d’un médecin
de Paris, M. Le Bègue de Presle, son ami. On persiste à croire que notre philosophe s’est empoisonné
lui-même. Ce que nous savons de très bonne part, c’est qu’il
avait eu pendant son séjour en Angleterre, et depuis, des accès
de mélancolie très fréquents et accompagnés
de convulsions extraordinaires; que, dans cet état, il fut plusieurs
fois sur le point de se tuer. L’embarras de sa position, devenue plus fâcheuse
qu’elle ne l’avait jamais été, l’inquiétude que lui
causait la publication prétendue de ses Mémoires, soit qu’ils
lui eussent été dérobés, soit qu’il les eût
livrés lui-même, soit qu’il ne fût qu’effrayé
des bruits répandus à ce sujet, l’abandon où l’avait
réduit son humeur sauvage, tout cela avait altéré
sensiblement sa tête. Cette âme naturellement susceptible et
défiante, victime d’une persécution peu cruelle à
la vérité, mais du moins fort étrange, aigrie par
des malheurs qui furent peut-être son propre ouvrage, mais qui n’en
étaient pas moins réels, tourmentée par une imagination
qui exagérait toutes ses affections comme tous ses principes, plus
tourmentée peut-être encore par les tracasseries d’une femme
qui, pour demeurer seule maîtresse de son esprit, avait éloigné
de lui ses meilleurs amis en les lui rendant suspects; cette âme,
à la fois trop forte et trop faible pour porter tranquillement le
fardeau de la vie, voyait sans cesse autour d’elle des abîmes et
des fantômes attachés à lui nuire. Il n’y a pas loin
sans doute de cette disposition d’esprit à la folie, et l’on ne
peut guère appeler autrement la persuasion où il était
depuis longtemps, et dont il était plus frappé encore depuis
quelques mois, que toutes les puissances de l’Europe avaient les yeux sur
lui et lui faisaient l’honneur de le regarder comme un monstre fort dangereux
et qu’il fallait tâcher d’étouffer. Il s’était mis
dans la tête qu’il y avait une ligue très puissante formée
contre lui; et les chefs de cette ligue à Paris étaient,
selon lui, par un assez bizarre assemblage, M. le duc de Choiseul, M. le
docteur Tronchin, M. de Grimm et M. d’Alembert. (...) S'il croyait avoir à se plaindre de tous les souverains et de tous les ministres de l'Europe, il était encore plus mal avec les philosophes, et les prêtres étaient
peut-être en dernier lieu ceux dont il attendait le moins de haine. Il
était fermement convaincu qu'on avait cherché à soulever la populace de
Paris contre lui. Il ne sortait guère de sa maison sans croire
rencontrer des gens apostés pour épier ses démarches et pour saisir le
moment de le faire lapider. Il soupçonnait l'univers entier et jusqu'aux
Savoyards du coin, prétendant que pour l'humilier ils lui refusaient
les services qu'ils offrent à tout le monde, Tous ces traits nous ont
été rapportés par un homme tendrement attaché à M. Rousseau, et pénétré
de l'état où il le voyait sans aucune espérance de le guérir. Sur tout
objet étranger à la manie dont nous venons de parler, son esprit
conserva jusqu'à la fin toute sa force et toute son énergie. (...)
le tombeau d'Ermenonville |
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