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mercredi 10 avril 2019

Rousseau vu par Jean Starobinski (2)






C'est avec Jean Starobinski que je suis arrivé à Jean-Jacques. Et notamment certains chapitres de La Transparence et l'Obstacle (je songe à "la solitude" et "les malentendus") qui ont constitué un précieux fil rouge dans cette quête.
Pour preuve cette réflexion, aussi concise que brillante :
"Se cacher sans écrire, ce serait disparaître. Ecrire sans se cacher, ce serait renoncer à se proclamer différent. Jean-Jacques ne s'exprimera que s'il écrit et se cache"

(voir la première partie de l'entretien)

mardi 12 mars 2019

Rousseau vu par Jean Starobinski (1)


C'est avec Jean Starobinski que je suis arrivé à Jean-Jacques. Certains chapitres de La Transparence et l'Obstacle (je songe à "la solitude" et "les malentendus") ont constitué un précieux fil rouge dans cette quête.

 Et notamment la question suivante :
 
" ...l'on se demandera si toute la théorie historique de Rousseau n'est pas une construction destinée à justifier un choix personnel. S'agit-il pour lui de vivre selon ses principes ? Tout au contraire, n'a-t-il pas forgé des principes et des explications historiques à seule fin d'excuser et de légitimer son étrange vie, sa timidité, sa maladresse, son humeur inégale, cette Thérèse si fruste avec qui il s'est mis en ménage ? (...) Au moment où il s'en prend aux vices de la société, il n'a personne à ses côtés et ne veut avoir aucun allié. Il se rend d'autant plus solitaire qu'il élève une protestation plus générale. (D'aucuns diront : il se veut solitaire, ce qui l'oblige à élever la protestation la plus générale."

jeudi 20 septembre 2012

Starobinski et Rousseau (2)

Dans la revue Europe datée de novembre 1961, parlant de Rousseau, Jean Starobinski écrivait ceci
"Quand, au moment de sa réforme, Rousseau utilise le succès littéraire pour afficher ostensiblement son indépendance et sa pauvreté, son but n'est pas seulement d'attirer l'attention sur sa personne. Cette démonstration de vertu à la manière stoïcienne (ou cynique) revendique une signification et une portée générales. L'individu Rousseau, en se singularisant au vu de tous, cherche à donner une leçon de morale universelle.(...) Tandis que Jean-Jacques offre l'exemple de la véritable norme, toute grandeur, toute supériorité matérielle se voit contrainte de se connaître elle-même sous une forme accusatrice : l'opulence et le pouvoir qui en découle sont usurpation. Cet homme célèbre qui ne veut pas être autre chose que copiste rend sensible ce que la richesse a d'abusif et d'injustifié. Il proclame l'alliance permanente, le lien nécessaire de l'infériorité sociale et de la supériorité morale."

Jean Starobinski
Développée plus longuement dans l'excellent essai intitulé "La transparence et l'obstacle", cette réflexion permet de comprendre le parcours du Genevois entre son premier succès littéraire (le Discours sur les Sciences et les Arts en 1750) jusqu'à la fin de son existence en 1778. 
Oui, Rousseau a voulu afficher "ostensiblement sa pauvreté", en déposant notamment la montre et l'épée (les atours incontournables du mondain), puis  en renonçant à son "faux emploi" de secrétaire auprès de Madame Dupin pour devenir copiste de musique à quelques sous la page.
Oui, il a ainsi donné une leçon de "vertu" et d'"indépendance" aux hommes de lettres de son temps. Certains s'étonnent encore que ni Diderot ni d'Alembert ne se soient offusqués de tels propos. Pourquoi l'auraient-ils fait, alors qu'en tant qu'Encyclopédistes, leur cri de ralliement était alors "liberté, vérité, pauvreté"? Au moment du premier discours, la diatribe de Rousseau ne leur était vraisemblablement pas destinée ! Elle visait essentiellement les plumitifs de second ordre, journalistes et autres écrivaillons prêts à toutes les infamies pour obtenir une place dans une gazette sous contrôle royal. Aux yeux de Rousseau, si la richesse de l'intellectuel est suspecte, c'est qu'elle correspond toujours à un renoncement. La "supériorité morale" (donc la liberté de protester contre le puissant) va toujours de pair avec "l'infériorité sociale" (puisque l'intellectuel est souvent à la solde du puissant).
Pour d'Alembert et Diderot, la parole de Rousseau ne deviendra "accusatrice" qu'à partir des années 1760, lorsqu'ils auront à leur tour renoncé à leurs anciens idéaux. Quémandant les honneurs, s'agenouillant devant les monarques (Catherine II, Frédéric II), acceptant les compromissions qu'ils dénonçaient autrefois, ils se rapprochent peu à peu des cercles de pouvoir et se métamorphosent bientôt en ce que le XXè siècle appellera des intellectuels bourgeois
Un tel rappel n'est pas innocent : il permet du moins de poser un regard plus avisé sur notre propre intelligentsia. 
Sur ceux que le pouvoir a cooptés et qui paradent constamment sur le devant de la scène, mais également sur les autres, les dissidents, condamnés aux coulisses même quand ils clament la vérité.

jeudi 11 novembre 2010

Starobinski et Rousseau (1)

De tous les ouvrages consacrés à Rousseau, c'est peut-être "la transparence et l'obstacle", pourtant publié il y a près de cinquante ans, qui me semble le plus perspicace sur le compte du philosophe genevois.

Dans son chapitre intitulé "la solitude", Starobinski pose la problématique suivante :
" ...l'on se demandera si toute la théorie historique de Rousseau n'est pas une construction destinée à justifier un choix personnel. S'agit-il pour lui de vivre selon ses principes ? Tout au contraire, n'a-t-il pas forgé des principes et des explications historiques à seule fin d'excuser et de légitimer son étrange vie, sa timidité, sa maladresse, son humeur inégale, cette Thérèse si fruste avec qui il s'est mis en ménage ? (...) Au moment où il s'en prend aux vices de la société, il n'a personne à ses côtés et ne veut avoir aucun allié. Il se rend d'autant plus solitaire qu'il élève une protestation plus générale. (D'aucuns diront : il se veut solitaire, ce qui l'oblige à élever la protestation la plus générale."

Vous l'aurez constaté, Starobinski se contente de proposer deux hypothèses, et il laisse le soin au lecteur de choisir celle qui lui semble la plus vraisemblable. Mais qu'on ne s'y trompe pas : notre regard sur Rousseau sera entièrement déterminé par ce choix :
- S'est-il coupé du monde (après 1756) pour mettre son existence en accord avec les idées émises dans ses deux Discours ( celui sur les sciences et les arts, celui sur l'inégalité) ?
- Au contraire, a-t-il construit ces théories pour justifier sa singularité et son besoin de vivre retiré ?

Evidemment, durant près de vingt ans, Rousseau n'a cessé de clamer son authenticité. Cette obsession de paraître vrai aux yeux de ses contemporains (ou auprès des générations suivantes ?) atteint son point d'orgue dans les ouvrages autobiographiques ( Confessions, Rousseau juge de Jean-Jacques).
Au contraire, ses ennemis ont constamment prétendu que Rousseau jouait un rôle dont il s'était rendu prisonnier : celui du misanthrope, de l'ermite méprisant ses contemporains et la société de son temps.

Deux hypothèses tout aussi fascinantes l'une que l'autre.