jeudi 11 novembre 2010

Starobinski et Rousseau (1)

De tous les ouvrages consacrés à Rousseau, c'est peut-être "la transparence et l'obstacle", pourtant publié il y a près de cinquante ans, qui me semble le plus perspicace sur le compte du philosophe genevois.

Dans son chapitre intitulé "la solitude", Starobinski pose la problématique suivante :
" ...l'on se demandera si toute la théorie historique de Rousseau n'est pas une construction destinée à justifier un choix personnel. S'agit-il pour lui de vivre selon ses principes ? Tout au contraire, n'a-t-il pas forgé des principes et des explications historiques à seule fin d'excuser et de légitimer son étrange vie, sa timidité, sa maladresse, son humeur inégale, cette Thérèse si fruste avec qui il s'est mis en ménage ? (...) Au moment où il s'en prend aux vices de la société, il n'a personne à ses côtés et ne veut avoir aucun allié. Il se rend d'autant plus solitaire qu'il élève une protestation plus générale. (D'aucuns diront : il se veut solitaire, ce qui l'oblige à élever la protestation la plus générale."

Vous l'aurez constaté, Starobinski se contente de proposer deux hypothèses, et il laisse le soin au lecteur de choisir celle qui lui semble la plus vraisemblable. Mais qu'on ne s'y trompe pas : notre regard sur Rousseau sera entièrement déterminé par ce choix :
- S'est-il coupé du monde (après 1756) pour mettre son existence en accord avec les idées émises dans ses deux Discours ( celui sur les sciences et les arts, celui sur l'inégalité) ?
- Au contraire, a-t-il construit ces théories pour justifier sa singularité et son besoin de vivre retiré ?

Evidemment, durant près de vingt ans, Rousseau n'a cessé de clamer son authenticité. Cette obsession de paraître vrai aux yeux de ses contemporains (ou auprès des générations suivantes ?) atteint son point d'orgue dans les ouvrages autobiographiques ( Confessions, Rousseau juge de Jean-Jacques).
Au contraire, ses ennemis ont constamment prétendu que Rousseau jouait un rôle dont il s'était rendu prisonnier : celui du misanthrope, de l'ermite méprisant ses contemporains et la société de son temps.

Deux hypothèses tout aussi fascinantes l'une que l'autre.

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