Maintenant qu'on entre dans la phase de publication (sortie du roman prévue fin janvier aux Editions Télémaque), je relis d'un oeil différent certains passages de "la Comédie des Masques" et du "Masque de Diogène".
Et pour ne rien vous cacher, il m'arrive de rire de moi-même, tant le besoin d'être vrai (ou de le paraître...) m'a poussé à certaines extrémités que je n'ose qualifier ici...
Prenons l'incipit du roman :
Allongés dans la barque, les deux hommes restèrent un long moment silencieux.
L'embarcation dérivait lentement, portée par un faible courant qui la ramenait insensiblement vers le château. On distingua bientôt une rumeur lointaine, rendue indécise par le clapotis de l'eau.
Dérangé dans sa rêverie, Rousseau ouvrit les yeux et se redressa à demi.
- Le bal a commencé sans vous, mon ami.
Francueil eut un geste las et maugréa :
- Bah ! Ne sommes-nous pas mieux ici, à canoter sur cette paisible rivière ?
Rousseau ne répondit pas. Au détour d'un bosquet, malgré l'obscurité, les contours majestueux de Chenonceaux commençaient à se dessiner dans le ciel nocturne. Surplombant les eaux du Cher dans le prolongement du principal corps de bâtiment, la salle de réception s'étendait entre les deux rives. Comme il faisait chaud, on avait ouvert toutes les fenêtres en grand, et Jean-Jacques crut reconnaître les accords d'une contredanse.
Vous la visualisez, cette scène ? Rousseau et son ami Francueil, allongés dans une barque, se laissent paisiblement emporter par le courant jusqu'au château de Chenonceaux. Ils vont ensuite entrer dans les cuisines par une porte située dans l'un des piliers qui soutiennent l'édifice.
Reconnaissons tout d'abord que l'image de ce Jean-Jacques passif, presque à la dérive, me semblait correspondre à la situation de mon personnage avant 1749. Mais à peine avais-je commencé à écrire que les premières questions s'imposèrent à moi. En voici un échantillon (non exhaustif) : mais quel est le sens du courant par rapport au bâtiment ? est-il donc possible que la barque dérive seule jusqu'au château ? et cette ouverture dans le pilier, existe-t-elle ? mène-t-elle réellement aux cuisines ? à quoi ressemble la salle de bal qui surplombe le Cher ?...
Ridicule, j'en conviens. Hormis quelques lecteurs particulièrement érudits, qui traquent les erreurs les plus imperceptibles (jusqu'à en oublier, parfois, le plaisir de la lecture), personne ne prend garde à des détails aussi insignifiants. Et pourtant, j'avais beau tenter de me raisonner, ces interrogations demeuraient, sournoisement tapies au fond de moi, alors même que j'entamais l'écriture de la scène.
Vous l'aurez compris, il m'a fallu me rendre sur place, visiter les lieux, les photographier sous toutes les coutures, et recueillir des piles entières de documentation. Et là, enfin, j'avais l'impression de dominer mon sujet !
Dès lors, le pli était pris : Ermenonville, Montmorency, Fontainebleau... A chaque étape, il fallait que je me rende sur place pour obtenir des réponses... Pour l'anecdote, je garde le souvenir ému de ce guide du château de Fontainebleau auquel j'ai demandé : "au XVIIIème, la cour d'honneur était-elle déjà pavée ?". S'il lit ces quelques lignes, qu'il me pardonne de l'avoir bombardé de questions, ce jour-là.
Dernier aveu : à ce jour, aucun lecteur ne m'a jamais repris sur l'un de ces détails censés restituer la réalité d'une époque. On m'a interrogé sur Rousseau, sur les personnages féminins, sur les Encyclopédistes, mais jamais sur la terre battue du château de Fontainebleau...
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