lundi 1 novembre 2010

Quelques vérités, un peu de mauvaise foi...

Lorsque je me suis immergé dans les textes du XVIIIème et dans les innombrables études qui sont consacrées au siècle des Lumières, je n'avais aucun a priori, aucune certitude, juste quelques intuitions. De cette période, je ne connaissais que les principaux auteurs, ou plutôt ce qu'on en enseigne dans nos écoles : sur le devant de la scène, le quatuor Diderot-Voltaire-d'Alembert-Rousseau, évidemment ; et dans les coulisses, les Encyclopédistes mineurs : Jaucourt, d'Holbach, Grimm et les autres...
J'ai d'ailleurs longtemps pensé que l'homme devait s'effacer derrière l'auteur, que seule compte l'oeuvre, et que toutes les investigations de la critique dite biographique ne présentent finalement que peu d'intérêt pour appréhender le texte littéraire.
Aujourd'hui, je sais que j'étais dans l'erreur.
Prenons un exemple, peut-être le plus marquant pour cette période qui va de 1750 jusqu'à la 1ère Révolution de 1789 : celui de l'indépendance de l'auteur vis-à-vis des grands de ce monde. Tous les Encyclopédistes la revendiquent dans les 1ères années, et il est vrai que d'Alembert, Diderot et Rousseau se nourriront souvent de pain noir. Et qu'on comprenne bien de quoi il s'agit : les philosophes des Lumières prétendent tout simplement rompre avec les pratiques de mécénat du siècle précédent et imposer un statut nouveau à l'intellectuel, chargé d'éclairer le monde sans subir aucune pression de la part des puissants et des gouvernants.

Envisageons maintenant les mêmes hommes vingt ans plus tard, soit au début des années 1770.

Je passerai rapidement sur l'immense fortune amassée par Voltaire à la fin de sa vie. Précisons cependant que la plupart de ses revenus provenaient de l'approvisionnement des armées, dans lequel le patriarche de Ferney avait investi son argent. On glose également sur ses nombreuses insolences vis-à-vis du pouvoir, sur cet esprit frondeur qui le caractérise. Ce qu'on connaît moins, ce sont ces lettres pitoyables écrites entre 1753 et 1754, dans lesquelles Voltaire implore ses correspondants d'intervenir auprès des puissants afin qu'il puisse revenir à Paris et mettre fin à sa disgrâce.
Passons à d'Alembert, qui a fait partie de l'Académie Française, des Académies de sciences de Paris, de Londres, de Berlin, de la Société Royale de Londres, de l'Institut de Bologne etc... Quant aux multiples pensions qui lui furent allouées, la plus célèbre demeure celle du grand Frédéric II de Prusse.
Finissons avec Diderot, dont la méfiance vis-à-vis des grands a pourtant duré plus longtemps, jusqu'en 1765, date à laquelle Catherine II de Russie lui achète sa bibliothèque personnelle pour 15000 livres plus une pension annuelle de 1000 livres. Elle lui versera bientôt 50 annuités d'avance, soit 50000 livres ! La fortune de l'Encyclopédiste est faite.

Il y a quelque chose de gênant dans cet embourgeoisement des philosophes du XVIIIème. C'est tout d'abord qu'il contredit leur promesse passée ; et surtout, il les place en situation de dépendance vis-à-vis des grands de ce monde. Passe encore que Diderot se soit couché devant le lieutenant de police Berryer en 1749, acceptant de ne plus rien publier qui puisse affecter l'autorité royale ou religieuse (promesse qu'il tiendra d'ailleurs). Mais, connaissant leur situation matérielle, on comprend mieux la mansuétude dont ils font preuve à l'égard de ce régime (voyez les épitres dédicatoires au début des ouvrages). Au mieux, ils plaident en faveur d'une monarchie parlementaire, au pire ils se contentent de dénoncer certaines pratiques abusives telles que la torture. L'ennemi à abattre, c'est avant tout l'Eglise, rappelons-le. Mais quel aurait été le comportement des Encyclopédistes si les jésuites ou les jansénistes les avaient tirés de la misère en leur offrant des biens pour passer dans leur camp ? Dans les années 1750-1760, de nombreux plumitifs ont accepté ce triste marché...

Et au risque de me répéter, le seul qui soit resté pauvre tout au long de son existence, c'est une fois encore Rousseau...

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