Jusqu'à ce jour, je me suis contenté d'évoquer les hommes, et notamment ce que l'histoire a oublié d'eux. Je n'ai jamais apprécié ces versions simplifiées et caricaturales de notre passé, en l'occurrence du XVIIIème siècle, qui font de Voltaire un "grand" homme parce qu'il a défendu Calas, et de Rousseau un monstre parce qu'il a abandonné ses enfants. Tous les philosophes ont eu leur coup d'éclat, leur fait d'armes, mais chacun d'eux présente également ses zones d'ombre et ses bassesses. Prenons l'exemple de d'Alembert, qui prend sous son aile les jeunes hommes de lettres, les aide à s'intégrer dans la vie mondaine, leur enseigne que seule compte l'indépendance à l'égard des grands de ce monde, alors que dans le même temps, ce même d'Alembert entre dans toutes les Académies d'Europe et accumule les pensions et autres sinécures...
Mais oublions un temps les hommes, et parlons, si vous le voulez bien, des auteurs, toutes ces grandes figures tutélaires des Lumières...
Que reste-t-il de Voltaire, aujourd'hui ? Que connaît-on encore de l'auteur ? Je vous imagine en train de raviver vos lointains souvenirs d'école, et par la force des choses, le titre qui vous vient à l'esprit est nécessairement Candide, peut-être son conte le plus célèbre. D'autres, déjà moins nombreux, citeront Zadig ou même Micromegas. Ces récits, reconnaissons-le, sont des bijoux de fantaisie, d'audace et d'impertinence. Mais mis à part ces quelques contes, qu'a-t-on conservé de Voltaire dans notre mémoire collective ? Quasiment rien... Quand on songe qu'il qualifiait ces récits de "coïonneries" ou encore "d'excréments de la littérature" ( lettre à d'Alembert, mars 1771), on comprend qu'il ne comptait guère sur eux pour asseoir sa réputation littéraire. Non, le Voltaire des Lumières, c'est avant tout le dramaturge ou le poète, l'auteur d'Alzire, de Brutus, d'Irène, de Jules César, de l'Orphelin de Chine ; celui de la Henriade et du Temple du goût... Oui, la grandeur de Voltaire au XVIIIème s'est forgée dans l'écriture de ces pièces versifiées, aujourd'hui illisibles et totalement oubliées du grand public. D'ailleurs, jamais il n'aurait accepté la paternité des quelques dizaines de contes qu'on lui attribue aujourd'hui, ceux-ci étant le plus souvent publiés sous un faux nom ou de manière anonyme. Pensez donc ! Le plus grand auteur du siècle se complaire dans des "niaiseries" de bas étage !
Passons rapidement sur d'Alembert. Hormis son Mémoire sur le calcul intégral, un traité de dynamique et un autre sur le mouvement des fluides, le géomètre a compilé ses oeuvres dans cinq tomes intitulés Mélanges, que même les académiciens qui siégeaient à ses côtés n'ont jamais lus ! Quant aux compétences du mathématicien, si elles sont réelles, il est amusant de constater que ses confrères le considéraient avant tout comme un homme de lettres, et non comme un scientifique !
Achevons avec Diderot, celui que j'ai surnommé le Protée du XVIIIème siècle. Car qui est Diderot ? Un romancier, auteur de Jacques le Fataliste ? Un dramaturge, avec Le Fils Naturel, un essayiste ( Pensées philosophiques), l'auteur d'oeuvres inclassables telles que le Supplément au voyage de Bougainville, le Neveu de Rameau ? En fait, l'Encyclopédiste est totalement inclassable, reconnaissons-le, et son talent littéraire est indiscutable. Pourtant, je demeure persuadé qu'il n'a pas écrit l'Oeuvre à la hauteur de ses immenses qualités. Et surtout, un reproche, presque une tache qui souille le parcours de cet homme de combat : il a reculé devant Berryer en 1749, en acceptant de ne plus rien publier qui porte atteinte aux institutions religieuses ou politiques. Et cette promesse, il l'a tenue quasiment jusqu'à la fin de son existence, puisqu'il ne fera paraître ses ouvrages les plus polémiques qu'après 1778, lorsque ses alliés philosophes auront intégré les sphères politiques.
Reste l'Encyclopédie, à laquelle tous ont apporté leur contribution. Il me faudra peut-être en reparler un jour...
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