dimanche 19 avril 2020

Enlèvements d'enfants à Paris (printemps 1750) : le récit de Michelet (2)


 
Jules Michelet


Le peuple a le cœur gros. L’orage s’amoncelle. Quoique en mai, il faisait un vent sec, froid, du Nord.

Chose très grave en révolution. Sur le bruit que Berrier est allé à Versailles, la foule va au Cours l’y attendre. Plusieurs, moins patients, se mettent à dire : « A Versailles ! » — D’autres : « Brûlons Versailles ! » Cela chauffait très fort.

La peur était grande à la Cour. D’abord, on n’en avait rien dit. Puis, on avait dit : « Ce n’est rien. » Et là-dessus la Pompadour était venue voir sa fille à Paris, dîner chez un ami. Tout pâle, il lui dit : « Mais, madame ! ne dînez pas ici. Vous allez être mise en pièces. » Elle fuit, elle vole, rentre jaune à Versailles.

Tous sont pénétrés de terreur.

Le 23 mai, ce fut bien pis. Ayant toute la Maison du roi, une armée, on tremblait. On mit des gardes au pont de Sèvres et au défilé de Meudon. On eût dit que déjà la Bastille était prise, ou que les affamés du 6 octobre étaient en marche. Versailles est confondu. Les femmes se suspendent au roi, l’enlacent. Il ne faut pas qu’il fasse le voyage de Compiègne. Qu’il reste avec ses gardes, bien entouré de sa Maison armée. Elles obtiennent que l’on n’ira pas.

Puis on change d’avis. On prend le parti pitoyable d’y aller furtivement. Le soir, il couche à La Muette, puis avant le jour, rasant Paris sans y entrer, il fait son échappée qui a l’air d’une fuite. Il disait aigrement : « Qu’ai -je besoin de voir un peuple qui m’appelle Hérode ? » A Paris, on disait : « Est-ce mépris ? C’est peur. » Donc, tout s’envenima, et ce fut un divorce. Madame Adélaïde, « haute comme les monts », blessée dans son orgueil, son amour pour son père, fut ulcérée à mort. Et elle ne pardonna jamais.

Ce nocturne passage du roi le long des murs, on en assura la mémoire par un large chemin. Beau monument du règne. C’est le chemin de la Révolte
La route de la révolte. Après 1750, Louis XV renonça aux entrées royales

On put juger de l’état violent où se trouvait le peuple par le mépris qu’il fit des affiches du Parlement, les injures qu’il lui adressa. Dans son irritation la foule s’en prend à tout le monde, poursuit comme mouchard, comme enleveur, le premier passant. Rien pourtant ne calma autant que la justice du Parlement sur quelques misérables, un archer qui vendait, revendait des enfants. La foule s’amusa de voir fouetter de rue en rue des enleveuses infâmes. Elle eut plaisir à voir étrangler et brûler deux petits Henri III, je veux dire deux garçons qui trop naïvement avaient singé Versailles et les jeunes seigneurs si mollement punis (en 1724). Dure leçon pour les mœurs de Cour (6 juillet). Mais en môme temps le Parlement, pour relever l’autorité, consoler la police, fit pendre trois pauvres diables qui légitimement, justement, avaient résisté.
On eut beau faire. L’autorité était blessée, à n’en point relever. Elle-même s’avilit, se contredit, se démentit. D’une part, Berrier vint déclarer au Parlement qu’il n’y avait eu nul enlèvement. D’autre part, les archers, craignant l’enquête et la potence, vinrent montrer les ordres de Berrier pour qu’on fît les enlèvements, ordres royaux qui venaient de Versailles, de d’Argenson cadet, ministre de Paris.

vendredi 17 avril 2020

Enlèvements d'enfants à Paris (printemps 1750) : le récit de Michelet (1)


 Dans le Tome XV d'Histoire de France, Jules Michelet évoque les disparitions d'enfants survenues à Paris au cours du mois de mai 1750.

(nous avions déjà consacré quelques billets à ce sujet : à découvrir ici)
 
Jules Michelet

Paris savait en général que le roi menait une vie déplorable. Le public arriéré en restait au temps éloigné, à ces vilains jeux d’écoliers, qui jadis par deux fois ont fait chasser les camarades. On disait : « C’est un Henri III. » D’autres aussi, par un pressentiment, trop précoce, mais non erroné, supposaient que déjà il avait commencé ces vols ou ces achats d’enfants qui n’eurent lieu que plus tard (1754-1764). On était d’autant plus disposé à le croire que des princes, seigneurs ou fermiers généraux, enlevaient, séquestraient réellement des enfants, des filles, des dames même captives (ex. Charolais, Clermont, Melun, etc.). Une fille, à Noël, s’échappa, effarée ; elle avait dix-sept ans, et on l’avait tenue dès l’enfance à l’état sauvage. Que souffraient ces victimes ? On le sut par de Sade (1754). Horrible histoire, certaine. Dans les razzias qu’on faisait d’enfants pour le Mississipi, l’imagination populaire s’exalta et reprit les vieilles histoires du Moyen-âge, de lèpre et de bains de sang. Les enleveurs étaient des exempts déguisés. Ce mystère faisait dire : « C’est lui, c’est cet Hérode, épuisé de débauche, qui est devenu ladre et qui veut se refaire par le sang innocent. » Il n’y a jamais eu dans les plus sombres jours de la Révolution, un jour où le cœur du peuple ait été si atteint. Dès novembre 1749, on avait vu des filles enlevées par la police, filles publiques d’abord, puis pauvres servantes sans place ou jeunes ouvrières, et enfin de petits enfants. On dit que les archers, pour chaque tête, avaient quinze écus. Ce métier progressa.
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Un archer qui avait volé un petit écolier, trouva plus lucratif, pour trente écus, de le rendre aux parents (février 1750). D’autres furent volés par des femmes, vendus à des gens riches. De là, de furieuses batteries. Au quartier Saint-Antoine, un enfant enlevé crie, on sort des boutiques, on poursuit les exempts. Les gens du port leur cassent bras et jambes. Dès lors tous les matins la foule est dans les rues.

Au 22 mai, quatre batailles. Rue de Cléry, un commissaire a sa maison dévastée, saccagée. A la Croix-Rouge, un cocher crie qu’on lui prend son enfant.

Les laquais qui portaient l’épée, dégainent. Avec le peuple, ils forcent la maison d’un rôtisseur chez qui un archer s’est sauvé. Deux hommes y furent tués dans les caves, tout brisé. Rien de pris. On rapporta au rôtisseur son argenterie le lendemain. Autre combat aux Quatre-Nations et au Palais. Et là le peuple tend les chaînes, veut faire des barricades, brûler le commissaire dans sa maison. Il tue plusieurs archers.
le lieutenant de police Berryer

Mais le combat terrible a lieu (23 mai) à Saint Roch. Là, on tire sur le peuple, et on est forcé pourtant de lui livrer un archer qu’il a pris en flagrant délit d’enlèvement. La foule traîne le corps à l’hôtel de Berryer, lieutenant de police, puis s’arrête, se laisse amuser. La cavalerie vient, charge, balaye la rue Saint-Honoré. 

(à suivre ici)

samedi 4 avril 2020

Marseille : La peste noire de 1720

  


Gageons que dans dix ans, les historiens pointeront du doigt les mêmes responsabilités dans la crise qui nous frappe aujourd'hui ...

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