Le peuple a le cœur gros. L’orage
s’amoncelle. Quoique en mai, il faisait un vent sec, froid, du Nord.
Chose très grave en révolution.
Sur le bruit que Berrier est allé à Versailles, la foule va au Cours l’y
attendre. Plusieurs, moins patients, se mettent à dire : « A Versailles ! » —
D’autres : « Brûlons Versailles ! » Cela chauffait très fort.
La peur était grande à la Cour.
D’abord, on n’en avait rien dit. Puis, on avait dit : « Ce n’est rien. » Et
là-dessus la Pompadour était venue voir sa fille à Paris, dîner chez un ami.
Tout pâle, il lui dit : « Mais, madame ! ne dînez pas ici. Vous allez être mise
en pièces. » Elle fuit, elle vole, rentre jaune à Versailles.
Tous sont pénétrés de terreur.
Le 23 mai, ce fut bien pis. Ayant
toute la Maison du roi, une armée, on tremblait. On mit des gardes au pont de
Sèvres et au défilé de Meudon. On eût dit que déjà la Bastille était prise, ou
que les affamés du 6 octobre étaient en marche. Versailles est confondu. Les
femmes se suspendent au roi, l’enlacent. Il ne faut pas qu’il fasse le voyage
de Compiègne. Qu’il reste avec ses gardes, bien entouré de sa Maison armée.
Elles obtiennent que l’on n’ira pas.
Puis on change d’avis. On prend
le parti pitoyable d’y aller furtivement. Le soir, il couche à La Muette, puis
avant le jour, rasant Paris sans y entrer, il fait son échappée qui a l’air
d’une fuite. Il disait aigrement : « Qu’ai -je besoin de voir un peuple qui
m’appelle Hérode ? » A Paris, on disait : « Est-ce mépris ? C’est peur. » Donc,
tout s’envenima, et ce fut un divorce. Madame Adélaïde, « haute comme les monts
», blessée dans son orgueil, son amour pour son père, fut ulcérée à mort. Et
elle ne pardonna jamais.
Ce nocturne passage du roi le
long des murs, on en assura la mémoire par un large chemin. Beau monument du
règne. C’est le chemin de la Révolte.
La route de la révolte. Après 1750, Louis XV renonça aux entrées royales |
On put juger de l’état violent où se trouvait le peuple par le mépris qu’il fit
des affiches du Parlement, les injures qu’il lui adressa. Dans son irritation
la foule s’en prend à tout le monde, poursuit comme mouchard, comme enleveur,
le premier passant. Rien pourtant ne calma autant que la justice du Parlement
sur quelques misérables, un archer qui vendait, revendait des enfants. La foule
s’amusa de voir fouetter de rue en rue des enleveuses infâmes. Elle eut plaisir
à voir étrangler et brûler deux petits Henri III, je veux dire deux garçons qui
trop naïvement avaient singé Versailles et les jeunes seigneurs si mollement
punis (en 1724). Dure leçon pour les mœurs de Cour (6 juillet). Mais en môme
temps le Parlement, pour relever l’autorité, consoler la police, fit pendre trois
pauvres diables qui légitimement, justement, avaient résisté.
On eut beau faire. L’autorité
était blessée, à n’en point relever. Elle-même s’avilit, se contredit, se
démentit. D’une part, Berrier vint déclarer au Parlement qu’il n’y avait eu nul
enlèvement. D’autre part, les archers, craignant l’enquête et la potence,
vinrent montrer les ordres de Berrier pour qu’on fît les enlèvements, ordres
royaux qui venaient de Versailles, de d’Argenson cadet, ministre de Paris.
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