dimanche 28 août 2016

Madame de Tencin, la scandaleuse (2)



L'écrivain François Céséra disait de la Régence : « voilà donc ce qui dirige la France. L’idée de la Révolution était venue avec Louis XIV, elle se fortifie avec le régent »
Pour sévère qu'il paraisse, ce jugement résulte d'un constat édifiant, celui d'une totale dissolution des moeurs sous le règne de Philippe d'Orléans entre 1715 et 1723.
A lire les satires de l'époque, toujours révélatrices d'une part de vérité, on prend conscience des accusations terribles qui pesaient alors sur le régent et ses proches, en particulier le Cardinal Dubois et Madame de Tencin. 

 Dans cette ode écrite par Lagrange-Chancel, Philippe d'Orléans est non seulement accusé de relation incestueuse avec sa fille la duchesse de Berry, mais également de tentative de régicide sur la personne du futur Louis XV...
la duchesse de Berry, fille du Régent
 C'est au milieu de ce fumier que Madame de Tencin s'est épanouie. Si le futur Cardinal Dubois fut son amant en titre, elle accorda également ses faveurs à tout ceux qui pouvaient servir ses intérêts, et surtout à ceux-là, devrais-je préciser.
Ainsi, Duclos nous raconte qu'elle eut avec le régent une intrigue qui ne dura pas ; elle se pressa un peu trop d'aller à ses fins, et dégoûta le prince, qui ne la prit qu'en passade, et dit qu'il n'aimait pas les p... qui parlent d'affaires entre deux
draps. Elle tomba du maître au valet , et le crédit qu'elle prit sur l'abbé Dubois, la consola. Ce n'était pas son coup d'essai...
Une "belle et scélérate chanoinesse", comme la qualifia Diderot, qui lui reprochait d'avoir abandonné son enfant (son plus proche ami, le futur d'Alembert) sur les marches de la chapelle de Saint-Jean-le-Rond. 
Pourquoi cette courtisane se serait-elle embarrassée d'un enfant ? Elle avait tant à faire ! Et notamment à organiser les divertissements royaux. Pour le coup, donnons la parole au Maréchal de Richelieu, qui fut témoin des turpitudes du trio évoqué mentionné ci-dessous  :
"Plus le régent approchait de cette indifférence ultérieure pour les plaisirs que la nature a voulu être la peine de la débauche, plus le cardinal (Dubois), ingénieux dans l'art des ressources, en imaginait de nouveaux, capables de l'occuper. 
La cour de ce prince, dans ce temps-là, allait tenir ses orgies au château de Saint-Cloud plutôt que dans tout autre lieu ; car on commençait à craindre le précepteur Fleury, qui prenait de l'empire sur le jeune roi, et qui avait des principes trop contraires à ces scènes lubriques. Il était d'ailleurs plus décent de s'éloigner du roi et de la capitale. On s'assemblait donc à Saint-Cloud, d'où l'on chassait tous les valets. Là se trouvaient des femmes publiques, conduites de nuit et les yeux bandés, pour qu'elles ignorassent où elles étaient ; le régent, ses femmes et les roués (comprendre : les proches du Régent, dignes d'être roués), qui ne voulaient pas être connus, se couvraient de masques ; mais on lui dit une fois qu'il n'y avait que le régent et le cardinal Dubois capables d'imaginer de pareils divertissements. 
La carrière d'un roué, Hogarth
D'autres fois on choisissait les plus beaux jeunes gens, de l'un et de l'autre sexes, qui dansaient à l'Opéra, pour répéter les ballets que le ton aisé de la société, pendant la Régence, avait rendus si lascifs, et que ces jeunes gens exécutaient dans cet état primitif où étaient les hommes avant qu'ils connussent les vêtements. Ces orgies, que le régent, Dubois et ses roués appelaient les fêtes d'Adam, furent répétées une douzaine de fois, car le prince parut s'en dégoûter. Le cardinal occupait ainsi le duc d'Orléans. La majorité approchait, et, pourvu qu'il pût l'atteindre et jouir alors de son crédit, son plan était formé : il voulait éloigner le régent.

Aux fêtes d'Adam succédèrent bientôt des orgies d'un nouveau genre ; obligée de les décrire, la plume tremble et se refuse à laisser aux âges futurs la description de ces infamies. On les racontera cependant, puisque la réticence est un vice dans l'histoire et que la candeur est une de ses qualités, et on ajoutera que madame de Tencin, ingénieuse dans l'art des ressources, connaissant les causes et les degrés de la vieillesse anticipée du régent et le besoin surtout de l'occuper, pour conserver à Dubois son influence, imagina de nouveaux plaisirs. Elle était le conseil du cardinal; elle gouvernait sa maison, où elle représentait avec beaucoup de grâces, étroitement liée avec son frère, à qui tous les moyens étaient bons pour parvenir ; elle donnait sans cesse à Dubois des avis nouveaux et lui montrait toutes sortes d'expédients pour maintenir son pouvoir et pour écarter les personnages dangereux. Quand le régent ne voulut donc plus de répétition de danses, elle suggéra au cardinal de proposer les fêtes et les divertissements des Flagellants. 
Le lendemain, chaque roué fut pourvu d'une douzaine de fouets pour le divertissement. La société des roués se demanda ce qu'on devait y faire, et on fut instruit d'avance du nombre des acteurs qui seraient de la partie ; car chacun se montrait son fouet, comme l'indice de la fête prochaine, en s'essayant sur les mains l'effet des coups de ces instruments. Épargnons, épargnons les détails, puisque nous n'avons pu cacher l'anecdote.Toute la cour des roués se flagella dans une nuit profonde. Faisons encore mieux connaître le régent. 
Les suites de l'orgie, Fragonard
Ce prince, du sein de ses désordres, laissait paraître des remords. Que dira l'histoire (dit-il un jour au cardinal Dubois, qui le raconta à madame de Tencin, de qui le maréchal de Richelieu tenait ces étranges anecdotes) ? Elle représentera les orgies de ma régence comme ces fêtes que nous connaissons tous de la cour des mignons de Henri III. Nos fêtes ténébreuses seront mises au grand jour; la postérité en connaitra les détails, et les artistes les graveront. Mais il ajouta que, si cela arrivait, on verrait au moins que tout se passait à l'instigation d'un cardinal. 
Dubois avait ordonné à madame de Tencin de composer la chronique scandaleuse du genre humain. Elle existe encore cette histoire manuscrite, composée par madame de Tencin à l'usage de Dubois et du régent, et ce que les Romains, ce que les Grecs, ce que les cours d'Italie avaient imaginé de plus voluptueux ou de plus infâme, on l'exécuta ou on en fit des essais. On mit en action Messaline et Cléopâtre ; on joua Ninon, dont la mémoire était bien plus récente; on fit sortir des tombeaux les débauchés de l'antiquité la plus reculée. 
Jamais les orgies ne commençaient que tout le monde ne fût dans cet état de joie que donne le vin de Champagne. On ne parlait d'agir que tout le monde ne fût gris et bien repu, et lorsque la compagnie arrivait à ce moment-là, lorsque les verres sautaient en l'air, lorsque les propos joyeux, les chansons bachiques, les liqueurs, le récit surtout des anecdotes scandaleuses qui sortaient, avec des commentaires, de la bouche des femmes, avaient mis tous les sens dans un état d'éveil, alors commençaient les répétitions. Le régent, pendant ce temps-là, se retirait dans un coin avec quelques-uns, d'où il applaudissait à ce que se permettait cette étrange compagnie. Des femmes de tout état, mais sans distinction de rang, y étaient reçues, et la génération actuelle serait bien surprise d'y trouver des mères ou des aïeules, car la plupart en ont demandé pardon à Dieu le reste de leur vie. Les plus libertines étaient recherchées du régent ; elles étaient incitées, animées par l'infâme cardinal, qui leur donnait des bijoux, de l'argent, des places et du papier, du temps de Law. Madame de Tencin et Dubois s'occupaient ensemble du succès de ces assemblées, qui amusaient le régent et disposaient des affaires du gouvernement, et on touchait à la majorité, époque qu'il avait fixée pour perdre le régent. 
(à suivre ici)

 

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