Au cours de ma revue de presse hebdomadaire, j'ai découvert ce petit bijou signé Marion Sigaut. Souvent brocardée dans nos pages, l'historienne du net nous propose aujourd'hui une relecture pour le moins surprenante des événements révolutionnaires.
Histoire de nous tendre le bâton, sans doute...
Il était tentant, pour les Français
pétris de culture républicaine que nous sommes, de faire le parallèle
entre l’actuel soulèvement des Gilets jaunes et la Révolution française.
Ça n’a pas manqué, et on entend
régulièrement comparer Macron avec Louis XVI, la classe politique avec
la noblesse, et ce système en décomposition avec l’Ancien régime.
J’aimerais remettre les pendules à l’heure.
Oui le peuple français avait faim à la veille de la Révolution française.
Mais la raison n’est pas que la
« noblesse et le clergé » s’en seraient mis plein les poches au
détriment du peuple, comme on l’entend souvent.
Et les foules désespérées qui faisaient
le coup de poing avec des forces de l’ordre complètement dépassées ne
réclamaient pas la fin de l’Ancien régime, mais son sauvetage.
Et l’interdiction du nouveau.
***
(ndlr : L'historienne devrait faire l'effort de se pencher sur les doléances exprimées par le 1/3 pendant la période pré-révolutionnaire. Elle constaterait qu'on y réclame au contraire du nouveau. Jugez-en plutôt...
Cahier de doléances de Valençay (Indre) " Les habitants se plaignent
d’être surchargés de taille, capitation et autres impôts (...) Pour remplacer tous ces impôts supprimés, le gouvernement
établirait un impôt unique,en nature ou en argent, en y faisant contribuer les
ecclésiastiques et les nobles qui doivent être assujettis comme le
Tiers-Etat…"
Assemblée du bourg de Chérances : On demande la suppression
entière de la gabelle, vrai fléau de l’Etat, la vente libre du tabac, la
suppression des traites dans l’intérieur du royaume, la chasse libre à tout propriétaire,
n’étant pas juste que les moissons soient ravagées pour flatter l’ostentation
des nobles et ruiner le laboureur, l’amortissement des rentes dues au seigneur
Cahier de Parent (Auvergne) : " Les capitations, les vingtièmes et
tant d’autres impôts par leur accroissement rapide sont devenus autant de
fléaux pour les habitants des campagnes...
Cahier de La Chapelle Craonnaise : "Les députés solliciteront... l’abolition
de la gabelle… des tailles, capitations, vingtièmes, aides et autres droits.
Que pour remplacer ces impôts et droits, il soit établi… une capitation
personnelle, une taxe foncière et une d’exploitation, qui frapperont
indistinctement les citoyens des trois ordres".)
***
Toujours les rois de France avaient
assuré que le pain du peuple serait accessible à tous au meilleur prix,
et là était la raison d’être de la royauté.
Le roi était le père nourricier, et son
autorité envoyait sur les marchés une police dont la fonction consistait
à protéger le peuple contre les appétits des marchands.
Pointilleuse, respectée, dotée de
pouvoirs réels, la police des grains assurait une sorte de service
public de l’alimentation et ne laissait les marchands faire leurs achats
qu’une fois que la population locale, toute la population locale,
s’était servie.
En cas de disette, quand pour des
raisons politiques (guerre) ou climatiques, le grain manquait, son prix
était fixé par la négociation entre les autorités locales et les
marchands.
On appelait cette négociation la taxation (ou fixation du taux).
Le peuple faisait confiance au roi pour
le protéger de la rapacité des profiteurs, et Henri IV avait fait de
l’exportation de blé, en cas de disette, un crime de lèse-majesté, donc
passible de la peine de mort : le pain du peuple était sacré au nom du
bien commun.
Un jour sont arrivées les Lumières, qui ont prétendu remplacer le bien commun par la recherche du profit.
Des gens sans scrupule ont poussé le roi
à s’endetter jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, puis l’ont convaincu
que, pour qu’il puisse rembourser la dette, il fallait qu’il libéralise
le commerce des subsistances.
***
( ndlr :"Des gens sans scrupules" ? Mais de qui parle-t-on ici ? Des physiocrates, peut-être ? Et qu'ont-ils à voir avec la dette ? Ne faudrait-il pas plutôt s'interroger sur le désastre causé par la guerre de 7 ans ?)
***
Laisser circuler les blés sans les
tracasseries de la police des grains, laisser la loi de l’offre et de la
demande en fixer le prix, laisser faire, laisser passer.
Louis XV décida de tenter l’expérience
en 1763, mais devant les violences et les cris de la population indignée
devant la hausse des prix, il choisit de reculer et de revenir à
l’ancien système.
A son avènement au trône en 1774, le
jeune Louis XVI fut convaincu par les arguments du brillant Jacques
Turgot qui lui présenta tous les avantages qu’il aurait à libéraliser le
commerce des subsistances.
Intimidé, désireux de bien faire et
manquant totalement d’expérience, Louis XVI laissa Turgot vider les
greniers et laisser les marchands rafler les grains à la place des
consommateurs, sous les applaudissements nourris de Voltaire qui voyait
enfin se réaliser ses rêves.
Ça fut un soulèvement : comme un seul
homme (et femmes en tête) et aux cris de « taxation ! taxation ! » la
population partit récupérer son grain et le distribua au « bon prix »,
celui qui ne lèse personne et permet à tout le monde de vivre.
Si les gigantesques manifestations de
Gilets jaunes réclamant un carburant abordable ressemblent à quelque
chose, c’est bien à ces foules de la Guerre des farines.
Dans les deux cas, le peuple exige d’être entendu et refuse de payer pour une dette qui n’est pas la sienne.
En 1776 encore, le roi entendit son peuple et revint à l’ancien système, celui de la police des grains : il renvoya Turgot.
Or la dette continuait d’augmenter, encore et encore.
***
(ndlr : Elle "continuait d'augmenter" ? Voilà qui est surprenant ! Peut-être faudrait-il s'interroger sur la désastreuse campagne guerrière menée en Amérique ? Quant au renvoi de Turgot, il fut réclamé non par le peuple, mais par ceux dont sa politique heurtait les intérêts : songez par exemple que le brave homme s'était mis en tête de diminuer les pensions versées aux courtisans !)
***
Quand elle a été telle que l’Etat
risquait de ne plus pouvoir payer ses fonctionnaires, quand furent
épuisés tous les expédients habituels le roi, acculé, accepta, une
ultime fois, de libéraliser le commerce des subsistances.
Puis il fut contraint de réunir les
Etats-généraux, assemblée chargée de répartir l’impôt et d’apporter au
roi les doléances des peuples.
Les libéraux avaient le vent en poupe,
et avaient obtenu, en même temps que la libre-circulation des
subsistances, un contrat de libre-échange entre la France et
l’Angleterre qui inonda le marché français de produits à bas prix
fabriqués par des enfants et des ouvriers réduits à la misère.
La hausse du prix du pain se doubla d’un
chômage abominable, et les six mois qui précédèrent la prise de la
Bastille furent faits d’émeutes de chômeurs et de familles exigeant le
retour du système protecteur qui avait eu cours jusque-là et non son
abolition.
Le peuple ne contestait pas l’ancien régime, mais le nouveau, celui du capitalisme appliqué à sa substance.
Chauffées par les loges maçonniques
déterminées à renverser toutes les protections du peuple et les entraves
au profit, les députés aux Etats-généraux s’autoproclamèrent assemblée
constituante et inscrivirent dans le marbre l’économie de marché que le
peuple rejetait de toutes ses forces.
C’est ça la Révolution.
Le roi ne pouvait plus rien puisqu’il était renversé : il n’allait plus gêner les profiteurs enfin au pouvoir.
Ceux qui ont pris sa place et l’ont tué
sont ceux qui ont imposé au peuple français la barbarie économique qui a
cours encore aujourd’hui.
C’est la bourgeoisie qui a voulu, fait
et gagné la Révolution française pour imposer un régime que le peuple
français ne voulait pas.
On le lui a imposé par la terreur et les
massacres. Il a subi la pauvreté, la prolétarisation, la barbarie
économique et la perte de toute sa tradition.
Si Macron ressemble à quelqu’un, ce n’est certainement pas au roi que le peuple chérissait et considérait comme son père.
***
(ndlr : Ce père chéri du peuple, voilà comment on le célébra après sa mort :
Te voilà donc, pauvre Louis
Dans un cercueil à Saint-Denis !
C’est là que la grandeur expire.
Depuis longtemps, s’il faut le dire,
Inhabile à donner la loi,
Tu portais le vain nom de Roi,
Sous la tutelle et sous l’empire
Des tyrans qui régnaient pour toi.
Dans un cercueil à Saint-Denis !
C’est là que la grandeur expire.
Depuis longtemps, s’il faut le dire,
Inhabile à donner la loi,
Tu portais le vain nom de Roi,
Sous la tutelle et sous l’empire
Des tyrans qui régnaient pour toi.
Etrange oraison funèbre, a fortiori quand elle est adressée à un père chéri...)
***
Macron n’est que le dernier en date des
successeurs de ceux qui l’ont assassiné pour imposer le règne de
l’argent-roi contre le bien commun.
Marion Sigaut, le 7 décembre 2018
***
Concernant cette question de l'argent-roi, je vous laisse avec une seconde salve de doléances exprimées par le 1/3 en 1789
"Monsieur" était en fait le futur Louis XVIII, frère du roi... |
Soulangis, ce sont mes voisins berrichons |
A Draguignan, on savait se montrer lyrique |
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