Affichage des articles dont le libellé est Rousseau maladie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Rousseau maladie. Afficher tous les articles

samedi 9 juillet 2011

La folie de Rousseau (3)

"Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent..."
Dans l'incipit des Confessions, Rousseau ne se contente pas d'affirmer sa singularité. Il la revendique comme un droit lui permettant de s'établir dans l'anormalité et d'échapper ainsi au jugement des hommes. Rappelons-le, dans ce même incipit, il choisit de se tourner vers Dieu, le seul à avoir accès à sa conscience, alors que les hommes s'en tiennent aux apparences, toujours trompeuses.
Les écrits révélant la paranoïa et le délire de persécution 
(surtout les Dialogues et les Rêveries, écrits à la fin de sa vie) existent déjà en germe dans des textes de ses jeunes années. Rousseau s'est toujours senti incompris, mésestimé, calomnié comme l'attestent le récit du châtiment injuste de Bossey ou plus tard, sa querelle avec l'ambassadeur de France à Venise.
Rousseau se sent différent, autant par sa constitution que par sa personnalité. Sa maladie ("j'étais né presque mourant"), il en souffre dès sa naissance. Ces "goût(s) bizarre(s)...porté(s) jusqu'à la dépravation, jusqu'à la folie", il les explique par les expériences vécues dans son enfance : la mort de sa mère, la lecture (trop ?) précoce des romans, la fessée administrée par Mlle Lambercier, ses lectures dans la boutique de La Tribu...
Dans les premiers livres des Confessions, Rousseau entre dans les détails les plus intimes, peut-être pour convaincre les lecteurs de sa sincérité. En fait, deux accusations l'ont particulièrement marqué : dans le Sentiment des Citoyens, Voltaire le présente comme un débauché qui propage des maladies vénériennes, mais également comme un monstre ayant abandonné ses enfants et laissé mourir la mère de Thérèse. 
C'est à cette époque que naît chez Rousseau le sentiment d'être victime d'un complot universel. Conscient des forces qui s'agitent dans l'ombre pour lui nuire, mais incapable de les identifier, il en arrive bientôt à soupçonner tout le monde, même son entourage proche, même ses amis les plus fidèles. Dans les courriers des années 1765-1770, on le voit nommer tour à tour des persécuteurs différents, et de manière surprenante, il ne devinera jamais l'origine des coups. 
Comme on le constate, le clan des Encyclopédistes est finalement parvenu à ses fins, et à son retour à Paris (après 1770), le nom de Rousseau est totalement discrédité...

vendredi 1 juillet 2011

La folie de Rousseau (2)

Si l'on prend les Confessions au pied de la lettre, Rousseau devient effectivement un cas clinique particulièrement intéressant. 
Avec Mme Basile à Turin
A Turin, dès son adolescence, on le découvre à la fois exhibitionniste et fétichiste. Il reconnait également son goût pour l'onanisme. Sa maladie de vessie (il est rétentionniste) a vraisemblablement suscité chez lui un priapisme incontrôlé, donc une irritabilité sexuelle extrême. C'est du moins ce qu'avancent certains cliniciens.
Du côté des psychiatres et des psychanalystes, le bilan est tout aussi inquiétant : Laforgue évoque l'homosexualité latente du Genevois, d'autres font le lien entre l'hypocondrie de Rousseau et le délire de persécution dont il est atteint dans les dernières années de son existence.
Bref, le dossier médical est épais, et l'histoire a retenu la thèse de la folie de l'homme, sans se préoccuper de l'origine des pièces à conviction. Car en dehors des déclarations du patient lui-même, on ne dispose évidemment de rien de tangible.  
Bien sûr, d'autres témoignages de ses contemporains abondent dans ce même sens. " Il n'y a absolument qu'une voix aujourd'hui pour dire que c'est un fou", se réjouit d'Alembert. "On le regarde comme un fou ou comme un monstre" ne cesse de répéter Voltaire. Mais ces témoignages proviennent toujours du même camp, celui des encyclopédistes, qui après 1765, s'appliquent à discréditer Rousseau pour rendre ses écrits inoffensifs. Quand on connait les intentions de ces hommes, peut-on encore prêter foi à leurs propos ?
Bernardin de Saint-Pierre
Au cours des dernières années de son existence, Rousseau continue de recevoir des visites dans son petit appartement de la rue plâtrière. Et curieusement, les récits que font les visiteurs de ces rencontres ne correspondent en rien aux avis précédemment évoqués. On laissera de côté celui de Bernardin de St-Pierre, tant l'admiration qu'il porte au Genevois rend son portrait peu crédible. Mais les autres ? Les anonymes ? Quelles raisons auraient-ils eu de taire la vérité ? Ainsi de Ménétra, un vitrier parisien, qui rencontre Rousseau entre 1770 et 1772 : "Je vois en lui un bon protestant" affirme-t-il dans son journal. Ainsi du comte de Crillon, qui rend visite à Rousseau en 1772 : "J'ai beaucoup causé avec lui, il m'a reçu à merveille, j'y suis retourné plusieurs fois, et j'en ai toujours été fort content." Ainsi de François de Chambrier, qui en 1773, témoigne dans le même sens : "Je l'ai toujours trouvé de fort bonne humeur et se prêtant à la conversation qu'il fait tout en travaillant .Tous ces récits se recoupent, laissant l'image d'un homme quelque peu ombrageux, souvent agréable, mais certainement pas fou.  Avant d'aller plus loin, citons ces quelques vers écrits par Rousseau en 1778, alors qu'il vient d'apprendre la mort de Voltaire. 

Plus bel esprit que grand génie,
Sans loi, sans moeurs et sans vertu,
Il est mort comme il a vécu,
Couvert de gloire et d’infamie. 

Si la rime n'est pas riche, on reconnaitra au moins que le quatrain est très raisonnable...
Nous reviendrons donc une dernière fois sur la question. 



mercredi 29 juin 2011

La folie de Rousseau (1)

Le samedi 24 février 1776, soit deux ans avant sa mort, Rousseau se rend à Notre-Dame pour y déposer le manuscrit de ses "Dialogues". Il trouve les grilles fermées. A ses yeux, même le ciel se fait désormais le complice de ses ennemis : "Je sortis rapidement de l’église, résolu de n’y rentrer de mes jours, et me livrant à toute mon agitation, je courus tout le reste du jour, errant de toutes parts, ne sachant ni où j’étais ni où 
j’allais ".  
Il écrit alors une espèce de billet circulaire adressé à la nation française, en fait plusieurs copies et tente de les distribuer, sur les promenades et dans les rues, aux inconnus dont la physionomie lui inspire confiance. Mais, ajoute-t-il, tous refusent son écrit. En voici les premiers paragraphes.



"A TOUT FRANÇOIS AIMANT ENCORE LA JUSTICE ET LA VERITE.
François! nation jadis aimable et douce, qu'êtes-vous devenus? Que vous êtes changés pour un étranger infortuné, seul, à votre merci, sans appui, sans défenseur, mais qui n'en auroit pas besoin chez un peuple juste; pour un homme sans fard et sans fiel, ennemi de l'injustice, mais patient à l'endurer, qui jamais n'a fait, ni voulu, ni rendu le mal à personne, et qui, depuis quinze ans, plongé, traîné par vous dans la fange de l'opprobre et de la diffamation, se voit, se sent charger à l'envi d'indignités inouïes jusqu'ici parmi les humains, sans avoir pu jamais en apprendre au moins la cause! C'est donc là votre franchise, votre douceur, votre hospitalité? Quittez ce vieux nom de Francs, il doit trop vous faire rougir. Le persécuteur de Job auroit pu beaucoup apprendre de ceux qui vous guident dans l'art de rendre un mortel malheureux. Ils vous ont persuadé , je n'en doute pas, ils vous ont prouvé même, comme cela est toujours facile en se cachant à l'accusé, que je méritois ces traitements indignes, pires cent fois que la mort. En ce cas, je dois me résigner ; car je n'attends, ni ne veux d'eux, ni de vous aucune grâce; mais ce que je veux, et qui m'est dû tout au moins, après une condamnation si cruelle et si infamante, c'est qu'on m'apprenne enfin quels sont mes crimes, et comment et par qui j'ai été jugé.
Pourquoi faut-il qu'un scandale aussi public soit pour moi seul un mystère impénétrable? A quoi bon tant de machines, de ruses, de trahisons , de mensonges, pour cacher au coupable ses crimes, qu'il doit savoir mieux que personne s'il est vrai qu'il les ait commis? "

L'Histoire retient de ses dernières années (1770-1778) qu'"à la fin de sa vie, Rousseau a sombré dans la folie". Un tel document, je le concède, présente de quoi accréditer cette thèse. Mais j'ai appris à me méfier de l'Histoire, surtout lorsqu'elle concerne Rousseau.
Il nous faudra donc y revenir.

vendredi 11 mars 2011

La maladie de Rousseau

sonde
On ne tentera pas ici de définir la nature du mal (de ce "vice de conformation", disent les Confessions) qui a marqué l'existence de Rousseau et entraîné tant de spéculations chez les cliniciens. De quoi s'agissait-il ? Peut-être d'une malformation de l'urètre qui provoquait chez lui une rétention urinaire. Rousseau lui-même s'en est souvent ouvert dans ses écrits : "mes rétentions ne sont point par accès comme celles de ceux qui ont la pierre, qui urinent à plein canal et tantôt n'urinent point du tout. Mon mal est un état habituel. Je n'urine jamais à plein canal et jamais aussi l'urine n'est totalement supprimée..." Dans les Confessions, il précise qu'il a dû faire d'"immenses provisions de sondes" destinées à le soulager plus aisément.

Ce qui nous interroge davantage, c'est la place que prend la maladie dans l'oeuvre de Rousseau. En effet, contrairement à bon nombre de malades, le Genevois ne cesse de décrire l'étendue de son mal ainsi que ses symptômes.

Par exemple, s'il refuse de se présenter devant le roi à Fontainebleau (lors de la représentation du Devin du Village), c'est parce qu'il craint le "fréquent besoin de sortir" pour se soulager. Il ajoute un peu plus bas que "cette infirmité (le) tenait écarté des cercles" parisiens. Par cet aveu, Rousseau réfute ceux qui le soupçonnent de jouer un rôle, celui d'un Diogène du XVIIIème. Que prétendent ils, ces anciens amis ? Qu'il a refusé la pension royale pour faire parler de lui. Qu'en société, il joue le personnage du cynique pour se singulariser. Non, répond Rousseau, c'est ma maladie qui explique mon comportement ! Il fait donc de ce mal (réel ou supposé) un allié incontestable : "cette maladie est connue de Messieurs Malouin, Morand, Thyerri, Daran, le frère Côme." Les témoins sont cités à la barre et sommés de confirmer ses dires !

En tenue d'Arménien (pour cacher les sondes ?)
La maladie apporte également un démenti à ses accusateurs, notamment Voltaire qui évoque dans un célèbre pamphlet les "marques funeste de ses débauches". Rousseau serait donc un débauché, un syphilitique "pourri de vérole" ! 
Cette accusation fait mouche. En décrivant sa maladie dans les détails, Jean-Jacques cherche à donner des gages de sa sincérité. Rien ne le hante tant que l'idée de ne pas être cru. Et s'il va aussi loin dans l'indécence, c'est certainement pour persuader son lecteur qu'il ne cache rien. Comment pourrait-on soupçonner de mensonge un homme qui avoue pratiquer la masturbation, qui relate ses échecs pitoyables auprès des femmes, son goût pour l'exhibitionnisme et son plaisir de la fessée ? Puisqu'il fait ces aveux, on peut sans nul doute avoir foi dans la pureté de ses intentions et dans son honnêteté intellectuelle.

Je finirai par le constat dressé par les médecins qui ont autopsié Rousseau en 1778, et qui ont disséqué son arbre urinaire : "nous n'avons pu trouver ni dans les reins, ni dans la vessie, les uretères et l'urètre, non plus que dans les organes et canaux séminifères, aucune partie, aucun point qui fût maladif ou contre-nature."

Vous comprendrez pourquoi la question de la maladie de Rousseau a autant déchaîné les passions...

samedi 15 janvier 2011

Le besoin de pisser...

Il est un erreur commune qui consiste à rechercher dans les textes autobiographiques de Rousseau la clé qui nous éclairera sur l'intimité du philosophe genevois. Il convient même de se méfier des correspondances, dont la diffusion semi-publique (dans les cercles parisiens) constituait une arme essentielle pour qui désirait se forger une réputation. Voltaire fait partie de ceux qui ont excellé dans l'art de s'adresser à un correspondant unique, tout en espérant toucher un auditoire élargi.
Il existe pourtant une lettre tardive (1767) et peu connue de Rousseau au marquis de Mirabeau qui mérite qu'on s'y attarde. Rappelons au préalable qu'en 1767, Rousseau sort à peine de l'affaire Hume (voir article d'octobre 2010), et que sa réputation d'homme de lettres est désormais largement ternie. Il sait donc qu'il n'a plus rien à attendre de ses contemporains, sinon qu'on le laisse tranquille...
Je retranscris ci-dessous un large extrait de ce courrier.
" Vous supposez que je fuis la société par aversion pour elle : vous vous trompez... Je ne la hais ni ne la fuis. J'en hais la gêne que j'y trouve, et je hais cette gêne mortellement. Sans elle la société me serait agréable ; mais la gêne l'empoisonne, et je renonce à un bien dont je peux me passer, pour éviter un mal qui m'est insupportable. Les autres me disent qu'ils n'y trouvent pas cette gêne ; tant mieux pour eux ; mais je l'y trouve, moi. Voulez-vous disputer sur un fait de sentiment ? Il faut que je parle, quand je n'ai rien à dire ; que je reste en place, quand je voudrais marcher ; assis, quand je voudrais être debout ; enfermé dans une chambre, quand je soupire après le grand air ... que je raisonne avec les raisonneurs ; que je suive le phébus des beaux esprits ; que je dise des fadeurs aux femmes ; enfin que je fasse toute la journée ce que je sais le moins et qui me déplaît le plus, et que je ne fasse rien, je ne dis pas seulement de ce que je voudrais faire, mais de ce que la nature et les plus pressants besoins me demandent, à commencer par celui de pisser, plus fréquent et plus tourmentant pour moi qu'aucun autre. Je frémis encore à m'imaginer dans un cercle de femmes, forcé d'attendre qu'un beau diseur ait fini sa phrase, n'osant sortir sans qu'on me demande si je m'en vais, trouvant dans un escalier bien éclairé d'autres belles dames qui me retardent, une cour pleine de carrosses toujours en mouvement, prêts à m'écraser, des femmes de chambre qui me regardent, MM les laquais qui bordent les murs et se moquent de moi ; ne trouvant pas une muraille, une voûte, un malheureux petit coin qui me convienne ; ne pouvant en un mot pisser qu'en grand spectacle et sur quelque noble jambe à bas blancs..."
Je crois que de tels propos pourraient à eux seuls expliquer la volonté du Genevois de renoncer à Paris et à ses cercles. Il le reconnaît lui-même, la société lui aurait été "agréable" s'il n'avait pas été soumis à ses contraintes et ses artifices, et surtout à cette gêne physique qui apparaît ici essentielle. Dans les Confessions, les justifications de Rousseau jettent évidemment un éclairage différent sur les raisons de son départ : "Je me sentais fait pour la retraite et la campagne ; il m'était impossible de vivre heureux ailleurs..."