vendredi 11 mars 2011

La maladie de Rousseau

sonde
On ne tentera pas ici de définir la nature du mal (de ce "vice de conformation", disent les Confessions) qui a marqué l'existence de Rousseau et entraîné tant de spéculations chez les cliniciens. De quoi s'agissait-il ? Peut-être d'une malformation de l'urètre qui provoquait chez lui une rétention urinaire. Rousseau lui-même s'en est souvent ouvert dans ses écrits : "mes rétentions ne sont point par accès comme celles de ceux qui ont la pierre, qui urinent à plein canal et tantôt n'urinent point du tout. Mon mal est un état habituel. Je n'urine jamais à plein canal et jamais aussi l'urine n'est totalement supprimée..." Dans les Confessions, il précise qu'il a dû faire d'"immenses provisions de sondes" destinées à le soulager plus aisément.

Ce qui nous interroge davantage, c'est la place que prend la maladie dans l'oeuvre de Rousseau. En effet, contrairement à bon nombre de malades, le Genevois ne cesse de décrire l'étendue de son mal ainsi que ses symptômes.

Par exemple, s'il refuse de se présenter devant le roi à Fontainebleau (lors de la représentation du Devin du Village), c'est parce qu'il craint le "fréquent besoin de sortir" pour se soulager. Il ajoute un peu plus bas que "cette infirmité (le) tenait écarté des cercles" parisiens. Par cet aveu, Rousseau réfute ceux qui le soupçonnent de jouer un rôle, celui d'un Diogène du XVIIIème. Que prétendent ils, ces anciens amis ? Qu'il a refusé la pension royale pour faire parler de lui. Qu'en société, il joue le personnage du cynique pour se singulariser. Non, répond Rousseau, c'est ma maladie qui explique mon comportement ! Il fait donc de ce mal (réel ou supposé) un allié incontestable : "cette maladie est connue de Messieurs Malouin, Morand, Thyerri, Daran, le frère Côme." Les témoins sont cités à la barre et sommés de confirmer ses dires !

En tenue d'Arménien (pour cacher les sondes ?)
La maladie apporte également un démenti à ses accusateurs, notamment Voltaire qui évoque dans un célèbre pamphlet les "marques funeste de ses débauches". Rousseau serait donc un débauché, un syphilitique "pourri de vérole" ! 
Cette accusation fait mouche. En décrivant sa maladie dans les détails, Jean-Jacques cherche à donner des gages de sa sincérité. Rien ne le hante tant que l'idée de ne pas être cru. Et s'il va aussi loin dans l'indécence, c'est certainement pour persuader son lecteur qu'il ne cache rien. Comment pourrait-on soupçonner de mensonge un homme qui avoue pratiquer la masturbation, qui relate ses échecs pitoyables auprès des femmes, son goût pour l'exhibitionnisme et son plaisir de la fessée ? Puisqu'il fait ces aveux, on peut sans nul doute avoir foi dans la pureté de ses intentions et dans son honnêteté intellectuelle.

Je finirai par le constat dressé par les médecins qui ont autopsié Rousseau en 1778, et qui ont disséqué son arbre urinaire : "nous n'avons pu trouver ni dans les reins, ni dans la vessie, les uretères et l'urètre, non plus que dans les organes et canaux séminifères, aucune partie, aucun point qui fût maladif ou contre-nature."

Vous comprendrez pourquoi la question de la maladie de Rousseau a autant déchaîné les passions...

1 commentaire:

  1. Monsieur,
    Je me réjouis de lire votre livre, particulièrement en ce qui concerne la "maladie" de JJR. A Môtiers en 2008, avec une petite exposition "Rousseau l'Arménien", j'avais tenté de cerner la question: le costume ("commode", mais je ne crois pas porté uniquement), les soins (sondes, bougies, bougies ??de M. Daran), le testament (~ thèse de Françoise Bocquentin), etc, etc.
    Avec mes salutations les meilleures
    Roland KAEHR, conservateur du MRM
    contact: musee.rousseau@bluewin.ch

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