lundi 21 mars 2011

Rousseau vu par Jean d'Ormesson...

J'ai sous les yeux un petit ouvrage de Jean d'Ormesson dans lequel l'"immortel" propose une approche très académique (justement !) de Rousseau et de son oeuvre.
Mis à part le titre ("un Candide enragé"), on ne retiendra pas grand-chose de cet amas de poncifs, d'approximations, voire de contre-vérités indignes d'un écrivain de ce rang.
Jean d'Ormesson

En parlant de Rousseau, d'Ormesson affirme : "Il appartient tout entier à une société dont il combat les excès et les injustices - mais seulement les excès et les injustices. Il aime le luxe, l'argent, la vie facile, le plaisir".
Je préfère penser que l'académicien confond ici Rousseau et Voltaire. Rousseau aimerait "l'argent" et "la vie facile", lui qui renonce à deux pensions royales, lui qui reprend son métier de copiste à quelques sous la page, lui qui finit sa vie aussi pauvre qu'il l'avait commencée ? Il combat "seulement les excès" et les "injustices" ? Allons donc ! Jamais Rousseau n'a pris part à aucune affaire judiciaire, jamais il ne s'est impliqué dans aucun procès personnel. Il ne prend parti ni pour Calas, ni pour Sirven, ni pour La Barre. On le lui a bien assez reproché, d'ailleurs ! Contrairement à celle de Voltaire, la pensée du Genevois dénonce les fondements de la société d'ancien régime, et non ses "excès", comme le prétend d'Ormesson.


Plus loin, il affirme à propos de Rousseau qu'" il veut nous faire revenir à l'état de nature". Et d'Ormesson de s'étonner "qu'un libertaire à la limite de l'anarchisme finisse par édifier, dans le Contrat Social, une société à la limite du totalitarisme." Enfin, l'académicien lâche le mot qu'on attendait, celui de "révolutionnaire".
Passe encore qu'il reprenne ici, en la paraphrasant, la célèbre formule de Voltaire : "ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes", écrit-il à Rousseau en 1755. Mais de là à faire de Rousseau un anarchiste révolutionnaire ! On retrouve là le discours des ennemis de Rousseau, de Diderot à Grimm, ceux-là même qui tentent de le discréditer aux yeux de l'opinion en caricaturant ses propos. Car Roussseau n'a jamais encouragé la sédition ni le moindre mouvement de révolte. Lisons-le : "gardons-nous d'en conclure qu'il faille brûler toutes les bibliothèques et détruire les universités et les académies. Nous ne ferions que replonger l'Europe dans la barbarie, et les moeurs n'y gagneraient rien... on n'a jamais vu de peuple, une fois corrompu, revenir à la vertu. En vain vous prétendriez détruire les sources du mal... en vain même vous ramèneriez les hommes à cette première égalité, conservatrice de l'innocence et source de toute vertu : leurs coeurs une fois gâtés le seront toujours ; il n'y a plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu'elle pourrait guérir, et qu'il est blâmable de désirer et impossible à prévoir." (réponse au roi de Pologne)
En quelques lignes, Rousseau contredit l'analyse fallacieuse de Jean d'Ormesson. Ni révolutionnaire, ni anarchiste, ni partisan d'un retour en arrière, mais lucide et presque résigné quant au sort des Français. Il n'est pas étonnant après cela que Rousseau se soit surtout intéressé aux institutions de petits états comme la Corse ou la Pologne, car à ses yeux, seuls ces derniers pouvaient encore être réformés.  
Pour la France, hélas, il était déjà trop tard...

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