vendredi 24 février 2012

Rousseau, le voile déchiré

Le 2nd tome (Rousseau, le voile déchiré) est déjà en pré-commande sur les sites marchands.
Sortie prévue avant l'été.

lundi 20 février 2012

Robespierre et Rousseau

Voici un extrait du fameux rapport fait au nom du Comité de salut public, par Maximilien Robespierre, sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales. Séance du 18 floréal, l'an second de la République française une et indivisible.   
(18 floréal an II - 7 mai 1794)
Nous verrons quel regard le Montagnard pose sur le clan des Encyclopédistes, mais également sur Rousseau.

Maximilien Robespierre



"Dès longtemps les observateurs éclairés pouvaient apercevoir quelques symptômes de la Révolution actuelle. Tous les événements importants y tendaient ; les causes mêmes des particuliers susceptibles de quelque éclat s'attachaient à une intrigue politique. Les hommes de lettres renommés, en vertu de leur influence sur l'opinion, commençaient à en obtenir quelqu'une dans les affaires. Les plus ambitieux avaient formé dès lors une espèce de coalition qui augmentait leur importance; ils semblaient s'être partagés en deux sectes, dont l'une défendait bêtement le clergé et le despotisme. La plus puissante et la plus illustre était celle qui fut connue sous le nom d'encyclopédistes.
Elle renfermait quelques hommes estimables et un plus grand nombre de charlatans ambitieux. Plusieurs de ces chefs étaient devenus des personnages considérables dans l'État : quiconque ignorerait son influence et sa politique n'aurait pas une idée complète de la préface de notre Révolution. Cette secte, en matière politique, resta toujours au-dessous des droits du peuple : en matière de morale, elle alla beaucoup au-delà de la destruction des préjugés religieux. Ses coryphées déclamaient quelquefois contre le despotisme, et ils étaient pensionnés par les despotes ; ils faisaient tantôt des livres contre la Cour, et tantôt des dédicaces aux rois, des discours pour les courtisans, et des madrigaux pour les courtisanes ; ils étaient fiers dans leurs écrits, et rampants dans les antichambres. Cette secte propagea avec beaucoup de zèle l'opinion du matérialisme qui prévalut parmi les grands et parmi les beaux esprits. (...)
l'exécution de Robespierre (juillet 1794)
Parmi ceux qui, au temps dont je parle, se signalèrent dans la carrière des lettres et de la philosophie, un homme, par l'élévation de son âme et par la grandeur de son caractère (il s'agit de Rousseau...), se montra digne du ministère de précepteur du genre humain. Il attaqua la tyrannie avec franchise ; il parla avec enthousiasme de la divinité ; son éloquence mâle et probe peignit en traits de flamme les charmes de la vertu, elle défendit ses dogmes consolateurs que la raison donne pour appui au cœur humain. La pureté de sa doctrine, puisée dans la nature et dans la haine profonde du vice, autant que son mépris invincible pour les sophistes intrigants qui usurpaient le nom de philosophes lui attira la haine et la persécution de ses rivaux et de ses faux amis. Ah ! s'il avait été témoin de cette révolution dont il fut le précurseur, et qui l'a porté au Panthéon, qui peut douter que son âme généreuse eût embrassé avec transport la cause de la justice et de l'égalité ! Mais qu'ont fait pour elle ses lâches adversaires ? Ils ont combattu la Révolution, dès le moment qu'ils ont craint qu'elle n'élevât le peuple au-dessus de toutes les vanités particulières ; les uns ont employé leur esprit à frelater les principes républicains et à corrompre l'opinion publique ; ils se sont prostitués aux factions, et surtout au parti d'Orléans ; les autres se sont renfermés dans une lâche neutralité. Les hommes de lettres en général se sont déshonorés dans cette Révolution; et à la honte éternelle de l'esprit, la raison du peuple en a fait seule tous les frais."


samedi 18 février 2012

Ce bon Voltaire (4)

 S'il est bien un lieu commun qui m'exaspère, c'est celui du "Voltaire défenseur de la liberté d'expression". Combien de fois a-t-on entendu son nom accolé à la citation qui suit :

"Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire" ?

Eh bien, rappelons tout d'abord que Voltaire n'a jamais tenu ni écrit de tels propos. A l'origine de cette formule, on trouve une Britannique, Evelyn Beatrice Hall qui, dans un ouvrage consacré à Voltaire en 1906, lui attribue le célèbre « I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it ». Elle admettra quelques années plus tard qu'elle n'aurait jamais dû encadrer cette phrase de guillemets.
Tout cela illustre surtout la méconnaissance du public à l'égard de l'oeuvre de Voltaire (d'ailleurs, a-t-il encore des lecteurs ?) et plus encore l'ignorance de l'homme qu'il était réellement.

S'il s'est montré clément envers Palissot (brocardé pour sa pièce "les philosophes" en 1760), c'est avant tout parce qu'il était l'un des rares philosophes épargnés par le dramaturge ! Et de toute évidence, Voltaire ne fera pas toujours preuve de la même générosité ! Du jour où les autorités genevoises lui interdisent de donner des représentations théâtrales dans sa propriété des Délices, le patriarche de Ferney décide de faire payer l'affront à Rousseau, qu'il tient pour responsable de cette humiliation.

Voltaire défenseur de la liberté d'expression ?
Revenons à cette année 1762, au moment où Genève condamne l'Emile de Rousseau. Prononce-t-il un seul mot en faveur de Jean-Jacques ?
Et plus tard, alors que viennent de paraître les Lettres écrites de la Montagne, qu'écrit-il à son ami Cramer : "Encouragez les conseillers vos amis à se conduire avec autant de sagesse que de fermeté... il faut qu'ils réduisent la canaille au silence... et qu'ensuite ils punissent non un livre qu'on ne peut punir, mais un coquin digne des châtiments les plus sévères." ?

Tout cela prouve avant tout que dans les luttes d'influence, il n'y a jamais de place pour les grands sentiments. Restons-en là, car toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, surtout quand elles concernent nos grands hommes...

vendredi 17 février 2012

Allégorie révolutionnaire (1794)


Ce tableau de Jeaurat de Bertry a été offert à la Convention au mois de juillet 1794. On pourrait longuement gloser sur la manière dont les Révolutionnaires se sont approprié la pensée politique du Genevois. Quoi qu'il en soit, il aura fallu la chute de l'ancien régime pour que Rousseau ressorte de l'anonymat dans lequel l'avaient plongé ses ennemis. 
Détail amusant : on distingue assez nettement de chaque côté de son médaillon des traces de retouche. L'analyse infrarouge a permis de révéler que les portraits de Marat et Lepeltier (les anciens Montagnards francs-maçons morts en 1793) avaient été effacés, vraisemblablement au moment de la vague de terreur de 1795.

dimanche 12 février 2012

Mémoires de Marmontel

On a déjà évoqué l'effort des encyclopédistes pour discréditer Rousseau dans l'opinion parisienne. Le mot d'ordre de Voltaire à ses amis parisiens a été entendu : si on ruine la réputation du Genevois, sa parole ne sera plus entendue par le public.

Marmontel
L'action est donc concertée, et surtout relayée par des discours colportés dans les lieux qui comptent (notamment les sociétés de Mme Geoffrin et celle de Mme du Deffand). Si les chefs de file du clan encyclopédique demeurent prudents (Rousseau conserve des appuis), leurs séides se chargeront de répandre servilement leur venin. Les Mémoires de Marmontel constituent un exemple frappant de cette parole "officielle" censée caractériser le Genevois. Prenons l'exemple de l'illumination de Vincennes, ce moment que Rousseau décrit comme une révélation dans les Confessions ou encore les Lettres à Malesherbes :
 
"J'allais voir Diderot, alors prisonnier à Vincennes ; j'avais dans ma poche un Mercure de France que je me mis à feuilleter le long du chemin. Je tombe sur la question de l'Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c'est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture ; tout à coup je me sens l'esprit ébloui de mille lumières ; des foules d'idées vives s'y présentèrent à la fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable ; je sens ma tête prise par un étourdissement semblable à l'ivresse. Une violente palpitation m'oppresse, soulève ma poitrine; ne pouvant plus respirer en marchant, je me laisse tomber sous un des arbres de l'avenue, et j'y passe une demi-heure dans une telle agitation qu'en me relevant j'aperçois tout le devant de ma veste mouillé de mes larmes sans avoir senti que j'en répandais. Oh ! Monsieur, si j'avais jamais pu écrire le quart de ce que j'ai vu et senti sous cet arbre, avec quelle clarté j'aurais fait voir toutes les contradictions du système social, avec quelle force j'aurais exposé tous les abus de nos institutions, avec quelle simplicité j'aurais démontré que l'homme est bon naturellement et que c'est par ces institutions seules que les hommes deviennent méchants !

Voyez maintenant ce que devient cette "illumination" dans les Mémoires de Marmontel : 
"Voilà une extase éloquemment décrite. Voilà le fait, dans sa simplicité, tel que me l'avait raconté Diderot. "J'étais (c'est Diderot qui parle), j'étais prisonnier à Vincennes ; Rousseau venait m'y voir. Il avait fait de moi son Aristarque, comme il l'a dit lui-même. Un jour, nous promenant ensemble, il me dit que l’Académie de Dijon venait de proposer une question intéressante, et qu’il avait envie de la traiter. Celte question était : Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer les mœurs ? « Quel parti prendrez-vous ? » lui demandai-je. Il me répondit : « Le parti de l’affirmative. — C’est le pont « aux ânes, lui dis-je ; tous les talents médiocres prendront ce chemin-là, « et vous n’y trouverez que des idées communes ; au lieu que le parti contraire présente à la philosophie et à l’éloquence un champ nouveau, riche « et fécond. — Vous avez raison, me dit-il, après y avoir réfléchi un moment, et je suivrai votre conseil. » Ainsi, dès ce moment, ajoutai-je, son « rôle et son masque furent décidés. "

C'est avec de tels ouvrages qu'on est parvenu à discréditer Rousseau, à en faire un sophiste, un hypocrite uniquement préoccupé à faire parler de lui. Après 1770, lorsque Rousseau retombe dans l'anonymat, c'est très exactement cette image qui s'est imposée au public. Il faudrait attendre une vingtaine d'années, et la Révolution, pour qu'on ouvre enfin les yeux sur cette manipulation.


lundi 6 février 2012

Sentiment des Citoyens (2)

 
 Suite et fin de ce pamphlet anonyme... (de Voltaire).

"Il est vrai que Rousseau, dans cet endroit même, se compare à Jésus-Christ avec la même humilité qu’il a dit que nous lui devions dresser une statue. On sait que cette comparaison est un des accès de sa folie. Mais une folie qui blasphème à ce point peut-elle avoir d’autre médecin que la même main qui a fait justice de ses autres scandales ? 
S’il a cru préparer dans son style obscur une excuse à ses blasphèmes, en les attribuant à un délateur imaginaire, il n’en peut avoir aucune pour la manière dont il parle des miracles de notre Sauveur. Il dit nettement, sous son propre nom : « Il y a des miracles dans l’Évangile qu’il n’est pas possible de prendre au pied de la lettre sans renoncer au bon sens  » ; il tourne en ridicule tous les prodiges que Jésus daigna opérer pour établir la religion. 
Voltaire
Nous avouons encore ici la démence qu’il a de se dire chrétien quand il sape le premier fondement du christianisme ; mais cette folie ne le rend que plus criminel. Être chrétien et vouloir détruire le christianisme n’est pas seulement d’un blasphémateur, mais d’un traître. 
Après avoir insulté Jésus-Christ, il n’est pas surprenant qu’il outrage les ministres de son saint Évangile. 
Il traite une de leurs professions de foi d’amphigouri, terme bas et de jargon qui signifie déraison. Il compare leur déclaration aux plaidoyers de Rabelais : Ils ne savent, dit-il, ni ce qu’ils croient, ni ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils disent. 
« On ne sait, dit-il ailleurs, ni ce qu’ils croient, ni ce qu’ils ne croient pas, ni ce qu’ils font semblant de croire. » 
Voltaire et Rousseau
Le voilà donc qui les accuse de la plus noire hypocrisie sans la moindre preuve, sans le moindre prétexte. C’est ainsi qu’il traite ceux qui lui ont pardonné sa première apostasie, et qui n’ont pas eu la moindre part à la punition de la seconde, quand ses blasphèmes, répandus dans un mauvais roman, ont été livrés au bourreau. Y a-t-il un seul citoyen parmi nous qui, en pesant de sang-froid cette conduite, ne soit indigné contre le calomniateur? 
Est-il permis à un homme né dans notre ville d’offenser à ce point nos pasteurs, dont la plupart sont nos parents et nos amis, et qui sont quelquefois nos consolateurs ? Considérons qui les traite ainsi : est-ce un savant qui dispute contre des savants ? Non, c’est l’auteur d’un opéra et de deux comédies sifflées. Est-ce un homme de bien qui, trompé par un faux zèle, fait des reproches indiscrets à des hommes vertueux ? Nous avouons avec douleur et en rougissant que c’est un homme qui porte encore les marques funestes de ses débauches, et qui, déguisé en saltimbanque, traîne avec lui de village en village, et de montagne en montagne, la malheureuse dont il fit mourir la mère, et dont il a exposé les enfants à la porte d’un hôpital en rejetant les soins qu’une personne charitable voulait avoir d’eux, et en abjurant tous les sentiments de la nature comme il dépouille ceux de l’honneur et de la religion.
C’est donc là celui qui ose donner des conseils à nos concitoyens (nous verrons bientôt quels conseils) ! C’est donc là celui qui parle des devoirs de la société ! 
Certes il ne remplit pas ces devoirs quand, dans le même libelle, trahissant la confiance d’un ami, il fait imprimer une de ses lettres pour brouiller ensemble trois pasteurs. C’est ici qu’on peut dire, avec un des premiers hommes de l’Europe, de ce même écrivain, auteur d’un roman d’éducation, que, pour élever un jeune homme, il faut commencer par avoir été bien élevé.
Venons à ce qui nous regarde particulièrement, à notre ville, qu’il voudrait bouleverser parce qu’il y a été repris de justice. Dans quel esprit rapporte-t-il nos troubles assoupis? Pourquoi réveille-t-il nos anciennes querelles et nous parle-t-il de nos malheurs? Veut-il que nous nous égorgions, parce qu’on a brûlé un mauvais livre à Paris et à Genève? Quand notre liberté et nos droits seront en danger, nous les défendrons bien sans lui. Il est ridicule qu’un homme de sa sorte, qui n’est plus notre concitoyen, nous dise: 
« Vous n’êtes ni des Spartiates, ni des Athéniens; vous êtes des marchands, des artisans, des bourgeois, occupés de vos intérêts privés et de votre gain. » Nous n’étions pas autre chose quand nous résistâmes à Philippe II et au duc de Savoie ; nous avons acquis notre liberté par notre courage et au prix de notre sang, et nous la maintiendrons de même. 
Qu’il cesse de nous appeler esclaves, nous ne le serons jamais. Il traite de tyrans les magistrats de notre république, dont les premiers sont élus par nous-mêmes. « On a toujours vu, dit-il, dans le conseil des deux-cents, peu de lumières, et encore moins de courage. » Il cherche par des mensonges accumulés à exciter les deux-cents contre le petit conseil ; les pasteurs contre ces deux corps, et enfin tous contre tous, pour nous exposer au mépris et à la risée de nos voisins. Veut-il nous animer en nous outrageant? Veut-il renverser notre constitution en la défigurant, comme il veut renverser le christianisme, dont il ose faire profession? Il suffit d’avertir que la ville qu’il veut troubler le désavoue avec horreur. S’il a cru que nous tirerions l’épée pour le roman d’Émile, il peut mettre cette idée dans le nombre de ses ridicules et de ses folies. Mais il faut lui apprendre que si on châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux."

mercredi 1 février 2012

Critique d'un lecteur inscrit au grand prix Orange.

"C'est avec plaisir qu'on lit la biographie de Rousseau. Au mot biographie, l'auteur Olivier Marchal préfère l'expression"ensemble romanesque" tant il est vrai que la vie de Rousseau rappelle un roman ou une pièce de théâtre. Rebondissements, histoires d'amour, trahisons une matière riche que l'auteur prend à bras le corps. Il en résulte une évocation précise et détaillée d'une société où la vie est une vaste comédie.

Le roman s'ouvre sur une fête au château de Chenonceaux et le lecteur est plongé dans le 18ème siècle. L'encyclopédie, les salons littéraires,les coteries,les philosophes composent la trame du livre. Rousseau a la quarantaine et attend son heure. Elle ne va pas tarder car le destin met sur sa route Diderot .

Leur rencontre est magistralement évoquée.
Sur les conseils de l'encyclopédiste, Rousseau portera désormais un masque, il ne fera rien comme les autres...Il ne fera pas l'éloge des sciences, c'est trop consensuel! Cette posture va le" lancer" et le lecteur va suivre avec beaucoup d'intérêt son ascension.
La condition d'écrivain n'est pas facile au siècle des Lumières. Comment trouver de l'argent sans devenir esclave du donateur? L'itinéraire semé d'embûches maintient le lecteur en haleine...

Dans ce livre, nous découvrons par petites touches un Rousseau différent des manuels scolaires. C'est une personnalité très complexe, protéiforme pourrait-on dire.

Est-il sincère? Est-il dissimulateur? Olivier Marchal ne tranche pas, au lecteur de trancher!
Certains regretteront peut-être l 'absence de l'enfance de Rousseau. C'est un parti pris de l'auteur. Seules quelques expressions y font allusion.sans doute l'essentiel est ailleurs. Dans cette quête d'un idéal,dans cette recherche de reconnaissance sociale. Elles s'accompagnent de souffrances et sont sans compromission...
Un ouvrage remarquable! A lire d'urgence"

Y. Krempper