Suite et fin de ce pamphlet anonyme... (de Voltaire).
"Il est vrai que Rousseau, dans cet endroit même, se compare à Jésus-Christ avec la même humilité qu’il a dit que nous lui devions dresser une statue. On sait que cette comparaison est un des accès de sa folie. Mais une folie qui blasphème à ce point peut-elle avoir d’autre médecin que la même main qui a fait justice de ses autres scandales ?
S’il a cru préparer dans son style obscur une excuse à ses blasphèmes, en les attribuant à un délateur imaginaire, il n’en peut avoir aucune pour la manière dont il parle des miracles de notre Sauveur. Il dit nettement, sous son propre nom : « Il y a des miracles dans l’Évangile qu’il n’est pas possible de prendre au pied de la lettre sans renoncer au bon sens » ; il tourne en ridicule tous les prodiges que Jésus daigna opérer pour établir la religion.
Voltaire |
Nous avouons encore ici la démence qu’il a de se dire chrétien quand il sape le premier fondement du christianisme ; mais cette folie ne le rend que plus criminel. Être chrétien et vouloir détruire le christianisme n’est pas seulement d’un blasphémateur, mais d’un traître.
Après avoir insulté Jésus-Christ, il n’est pas surprenant qu’il outrage les ministres de son saint Évangile.
Il traite une de leurs professions de foi d’amphigouri, terme bas et de jargon qui signifie déraison. Il compare leur déclaration aux plaidoyers de Rabelais : Ils ne savent, dit-il, ni ce qu’ils croient, ni ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils disent.
« On ne sait, dit-il ailleurs, ni ce qu’ils croient, ni ce qu’ils ne croient pas, ni ce qu’ils font semblant de croire. »
Voltaire et Rousseau |
Le voilà donc qui les accuse de la plus noire hypocrisie sans la moindre preuve, sans le moindre prétexte. C’est ainsi qu’il traite ceux qui lui ont pardonné sa première apostasie, et qui n’ont pas eu la moindre part à la punition de la seconde, quand ses blasphèmes, répandus dans un mauvais roman, ont été livrés au bourreau. Y a-t-il un seul citoyen parmi nous qui, en pesant de sang-froid cette conduite, ne soit indigné contre le calomniateur?
Est-il permis à un homme né dans notre ville d’offenser à ce point nos pasteurs, dont la plupart sont nos parents et nos amis, et qui sont quelquefois nos consolateurs ? Considérons qui les traite ainsi : est-ce un savant qui dispute contre des savants ? Non, c’est l’auteur d’un opéra et de deux comédies sifflées. Est-ce un homme de bien qui, trompé par un faux zèle, fait des reproches indiscrets à des hommes vertueux ? Nous avouons avec douleur et en rougissant que c’est un homme qui porte encore les marques funestes de ses débauches, et qui, déguisé en saltimbanque, traîne avec lui de village en village, et de montagne en montagne, la malheureuse dont il fit mourir la mère, et dont il a exposé les enfants à la porte d’un hôpital en rejetant les soins qu’une personne charitable voulait avoir d’eux, et en abjurant tous les sentiments de la nature comme il dépouille ceux de l’honneur et de la religion.
C’est donc là celui qui ose donner des conseils à nos concitoyens (nous verrons bientôt quels conseils) ! C’est donc là celui qui parle des devoirs de la société !
Certes il ne remplit pas ces devoirs quand, dans le même libelle, trahissant la confiance d’un ami, il fait imprimer une de ses lettres pour brouiller ensemble trois pasteurs. C’est ici qu’on peut dire, avec un des premiers hommes de l’Europe, de ce même écrivain, auteur d’un roman d’éducation, que, pour élever un jeune homme, il faut commencer par avoir été bien élevé.
Venons à ce qui nous regarde particulièrement, à notre ville, qu’il voudrait bouleverser parce qu’il y a été repris de justice. Dans quel esprit rapporte-t-il nos troubles assoupis? Pourquoi réveille-t-il nos anciennes querelles et nous parle-t-il de nos malheurs? Veut-il que nous nous égorgions, parce qu’on a brûlé un mauvais livre à Paris et à Genève? Quand notre liberté et nos droits seront en danger, nous les défendrons bien sans lui. Il est ridicule qu’un homme de sa sorte, qui n’est plus notre concitoyen, nous dise:
« Vous n’êtes ni des Spartiates, ni des Athéniens; vous êtes des marchands, des artisans, des bourgeois, occupés de vos intérêts privés et de votre gain. » Nous n’étions pas autre chose quand nous résistâmes à Philippe II et au duc de Savoie ; nous avons acquis notre liberté par notre courage et au prix de notre sang, et nous la maintiendrons de même.
Qu’il cesse de nous appeler esclaves, nous ne le serons jamais. Il traite de tyrans les magistrats de notre république, dont les premiers sont élus par nous-mêmes. « On a toujours vu, dit-il, dans le conseil des deux-cents, peu de lumières, et encore moins de courage. » Il cherche par des mensonges accumulés à exciter les deux-cents contre le petit conseil ; les pasteurs contre ces deux corps, et enfin tous contre tous, pour nous exposer au mépris et à la risée de nos voisins. Veut-il nous animer en nous outrageant? Veut-il renverser notre constitution en la défigurant, comme il veut renverser le christianisme, dont il ose faire profession? Il suffit d’avertir que la ville qu’il veut troubler le désavoue avec horreur. S’il a cru que nous tirerions l’épée pour le roman d’Émile, il peut mettre cette idée dans le nombre de ses ridicules et de ses folies. Mais il faut lui apprendre que si on châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux."
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