vendredi 16 juillet 2010

Louise d'Epinay (1)


Au fil de mes lectures, Louise d'Epinay est peut-être le personnage auquel je me suis le plus attaché. Comment pourrait-il en être autrement tant son destin est singulier ! Mariée à l'âge de 19 ans à un fermier général dont elle est amoureuse, Louise découvre très tôt à quel point sa conception du mariage et du rôle de mère peut paraître iconoclaste aux yeux du monde dans lequel elle vit. En effet, si l'inconstance conjugale n'avait alors rien d'un vice, la fidélité était quant à elle considérée comme une valeur du passé. Et que dire du maternage, considéré comme indigne d'une femme du monde ?
En prenant successivement Francueil puis Grimm pour amants, Louise montre qu'elle renonce à certaines de ses illusions. Dans le même temps, elle parvient à s'émanciper de la pression familiale et revendique la prise en charge de l'éducation de son fils aîné, né en 1746. Considérant que l'éducation traditionnelle dans les collèges religieux est inepte, elle est l'une des premières à prétendre que la mère doit se charger elle-même de ses enfants, non seulement pour les instruire mais également pour les éduquer. Rousseau lui doit peut-être certaines de ses idées, rapportées dans son Emile. Ainsi, c'est Louise qui conçoit le programme éducatif d'Angélique, sa fille née en 1749.
A la fin de sa vie, Louise d'Epinay écrira pourtant : "Perfectionner l'éducation ! Cette prétention me rappelle une conversation que j'eus il y a quinze ans avec JJ Rousseau ; il y soutenait que les pères et les mères ne sont point faits par la nature pour élever... Cette opinion me révolta. Mais maintenant le voile est déchiré ; j'en suis fâchée ; Jean-Jacques a raison."
Que s'est-il passé entretemps ? Amoureux du jeu mais criblé de dettes, son fils aîné est bientôt contraint de quitter son poste de conseiller. Nous sommes en 1769. Comme ses frasques reprennent de plus belle, Louise sollicite une lettre de cachet pour le faire jeter en prison, où il restera deux ans.
Nouvelle désillusion pour elle, qui a vu au fil de sa vie tous ses rêves s'éloigner les uns après les autres... Et encore, nous n'avons parlé que de la mère. La femme également connut bien des malheurs. Nous y reviendrons.

jeudi 8 juillet 2010

S'ennuyer pour écrire...


On me demande souvent combien de temps m'a pris l'écriture de "la Comédie des Masques". Pour être franc, je suis bien incapable de répondre à cette question. Concevoir l'architecture du roman, le découpage en scènes, le système des personnages, tout cela a fait l'objet d'un travail préparatoire qui me semblait indispensable. J'entendais un jour Modiano dire qu'il s'asseyait devant sa feuille en attendant que vienne la première phrase du roman et que le reste suivait presque naturellement. Impensable pour moi... Je dois nécessairement avoir l'impression, à tout instant, de maîtriser l'ensemble de l'intrigue. Au moment d'écrire, évidemment, on comprend que cette ambition était illusoire. Car il arrive que les personnages deviennent autonomes, qu'ils s'imposent à vous, qu'ils s'engagent, au fil des dialogues surtout, dans des voies auxquelles vous n'aviez pas songé. Paradoxalement, ces moments où vous perdez la maîtrise sont les plus exaltants, et à terme ceux qui donnent naissance aux passages les plus réussis. Je pense notamment à la rencontre entre Jean-Jacques et Sophie, à cette autre scène en "montage alterné" où l'on découvre durant un orage les réactions des trois personnages féminins.
En somme, les plans et autres documents, s'ils sont importants, ne constituent en fait qu'un support de travail dont il faut pouvoir s'éloigner de temps à autre. Quitte à remanier ensuite son architecture d'ensemble, à rechercher un nouvel équilibre, et à perdre un temps considérable...
A mes yeux, ce temps ne compte pourtant pas. J'aspire au contraire à rencontrer l'ennui, ces longues heures qui s'étirent, interminables, sans autre projet qu'une page à écrire. C'est dans ces moments trop rares que j'ai pu voyager à la rencontre de mes personnages, que je les ai vu agir et se parler, qu'ils m'ont dicté les meilleurs passages.

vendredi 2 juillet 2010

Hésitations...

Si les personnages étaient fictifs, toutes ces questions ne se poseraient même pas. Il me suffirait d'imaginer mes acteurs, de faire en sorte qu'ils soient complémentaires, et de les lancer dans le grand bain de l'intrigue.
Je n'ai pas cette latitude. Rousseau, Diderot, Louise d'Epinay, Sophie d'Houdetot, Grimm et les autres, tous ont existé. Des êtres de chair et de sang, avec leurs traits physiques, leurs qualités et leurs défauts, leurs secrets également... Et depuis les travaux d'Eigeldinger et Trousson, on connaît tous les faits et gestes de Rousseau, année par année, mois par mois, presque jour par jour.
Plus question d'imaginer, donc, sinon dans les rares zones d'ombre restées inexplorées. Dans le même temps, ne pas se contenter de "transcrire servilement" les faits pour atteindre la vérité. Du moins, la mienne... Car à ce jour personne n'a apporté de réponse satisfaisante à ces quelques questions : Rousseau était-il "authentique" ? Comment expliquer qu'il soit devenu, presque du jour au lendemain, une sorte de Diogène du XVIIIème siècle ? Posture ou conviction ? La question n'est évidemment pas anodine. Elle détermine la lecture qu'on fera de l'ensemble de son oeuvre.
Dans "la Comédie des Masques", j'ai pris le parti de ne jamais intervenir, de ne jamais apporter de jugement extérieur sur mes personnages. Mon "regard" est absent, en somme. Ce sont les personnages qui s'observent, s'évaluent, s'interrogent les uns sur les autres. L'ensemble doit constituer un kaléidoscope qui renverra des images contradictoires de Rousseau. Il faudra attendre le 2ème tome pour que les contours encore flous de sa silhouette se dessinent enfin.