On me demande souvent combien de temps m'a pris l'écriture de "la Comédie des Masques". Pour être franc, je suis bien incapable de répondre à cette question. Concevoir l'architecture du roman, le découpage en scènes, le système des personnages, tout cela a fait l'objet d'un travail préparatoire qui me semblait indispensable. J'entendais un jour Modiano dire qu'il s'asseyait devant sa feuille en attendant que vienne la première phrase du roman et que le reste suivait presque naturellement. Impensable pour moi... Je dois nécessairement avoir l'impression, à tout instant, de maîtriser l'ensemble de l'intrigue. Au moment d'écrire, évidemment, on comprend que cette ambition était illusoire. Car il arrive que les personnages deviennent autonomes, qu'ils s'imposent à vous, qu'ils s'engagent, au fil des dialogues surtout, dans des voies auxquelles vous n'aviez pas songé. Paradoxalement, ces moments où vous perdez la maîtrise sont les plus exaltants, et à terme ceux qui donnent naissance aux passages les plus réussis. Je pense notamment à la rencontre entre Jean-Jacques et Sophie, à cette autre scène en "montage alterné" où l'on découvre durant un orage les réactions des trois personnages féminins.
En somme, les plans et autres documents, s'ils sont importants, ne constituent en fait qu'un support de travail dont il faut pouvoir s'éloigner de temps à autre. Quitte à remanier ensuite son architecture d'ensemble, à rechercher un nouvel équilibre, et à perdre un temps considérable...
A mes yeux, ce temps ne compte pourtant pas. J'aspire au contraire à rencontrer l'ennui, ces longues heures qui s'étirent, interminables, sans autre projet qu'une page à écrire. C'est dans ces moments trop rares que j'ai pu voyager à la rencontre de mes personnages, que je les ai vu agir et se parler, qu'ils m'ont dicté les meilleurs passages.
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