lundi 31 janvier 2011

Les "salons" parisiens (1)

Comme le mot "salon" est inconnu du XVIIIème siècle, il convient tout d'abord de définir quelle réalité il recouvre. En effet, si les termes de "coteries, cercles, sociétés" reviennent fréquemment dans les écrits de l'époque, celui de "salon" n'apparaît qu'en 1794, sous la plume de Chamfort. Reconnaissons également qu'il n'y a rien de commun entre les réunions aristocratiques chez la duchesse de Choiseul, où les tables sont richement garnies, et celles, plus modestes, chez Julie de Lespinasse, où il faut arriver l'estomac déjà rempli...


Il existe toutefois un certain nombre de critères permettant de définir plus précisément ces lieux de réunion et de sociabilité.


- Il s'agit tout d'abord d'un espace domestique. Madame du Deffand, Madame Geoffrin, Madame Dupin, Julie de Lespinasse reçoivent toutes chez elles. On distingue ainsi le salon des autres lieux de sociabilité tels que les jardins, les cafés ou encore les académies.


- Tenir un salon implique également de recevoir régulièrement des habitués, ou encore d'avoir au moins "un jour marqué", c'est-à-dire un jour fixe de réception dans la semaine. Ainsi, Madame Geoffrin reçoit les hommes de lettres le mercredi, puis les artistes le lundi. Aux soupers il faut ajouter les visites qu'on rend ou qu'on reçoit en général l'après-midi après 17 heures. Celles-ci apparaissent souvent fastidieuses et répétitives, à tel point qu'on instaure la pratique des "visites en blanc", qui consistent à faire noter son passage auprès du portier sans pour autant monter visiter la maîtresse de maison...


- Le troisième et dernier critère est celui du respect des règles de civilité et de politesse, liées à l'usage de ce qu'on appelle "la conversation". Dans ces lieux de sociabilité, les comportements sont toujours codés, parfois variables d'un cercle à l'autre. Devenir l'habitué d'un salon implique donc qu'on adhère aux valeurs et aux normes imposées par la maîtresse de maison (ou par le maître de maison). On ne se comporte par chez Madame du Deffand comme chez la Quinault, où l'on s'exerce notamment à des concours de lazzi. La conversation est plus libre chez le baron d'Holbach que chez Madame Geoffrin.


Il nous reste à évoquer les plus célèbres de ces lieux, et nous y reviendrons dans un prochain article.

mercredi 26 janvier 2011

Info presse

Voltaire et l'affaire Calas (1)

"Il me semble que j'ai combattu toute ma vie pour la vérité. Ma destinée serait-elle de n'être que l'avocat des causes perdues ?" écrit Voltaire en 1773 dans un de ces lettres destinées à circuler dans les salons parisiens. 
Voltaire, le redresseur de torts... 
Voltaire, le défenseur des opprimés... 
Voltaire, le héros des affaires Calas, La Barre, Sirven...
Voilà l'image qu'il s'emploie avec application à donner de lui ; et voilà l'image qu'en retient l'Histoire.
Calas roué en mars 1762

Une fois encore, il convient de rétablir quelques vérités.
Avant 1762 ( Voltaire a alors 68 ans ...), le philosophe n'a quasiment jamais pris part à aucune affaire judiciaire. Lorsque Calas est exécuté en mars 1762, Voltaire ne s'en préoccupe guère. Du moins accepte-t-il sans sourciller la version officielle, qui prétend que le père Calas a tué son fils parce que ce dernier voulait se convertir au catholicisme. "Nous ne valons pas grand chose, mais les huguenots sont pire que nous", écrit-il le 22 mars.
 - S'il s'engage dans la mêlée judiciaire dans les semaines qui suivent, c'est avant tout parce que les enfants de Calas sont venus à Ferney pour lui demander son aide. Plus tard, il affirmera avoir agi "par amour de l'humanité" ou même parce qu'il connaissait Calas personnellement !
les Calas à Ferney
 - La raison essentielle de son engagement est évidemment d'ordre religieux. Voltaire s'intéresse avant tout à la lutte contre l'"Infâme" et plus généralement contre l'intolérance. La question judiciaire n'a alors que peu d'intérêt à ses yeux. D'ailleurs, s'il voit la main malfaisante de l'Eglise dans cette condamnation, il ne remet pas encore en question le fonctionnement du parlement toulousain qui, selon lui, a été trompé par de faux témoignages. Le coup de génie de Voltaire est donc d'avoir pris conscience que ces affaires judiciaires constituaient un excellent moyen de s'en prendre indirectement à l'Eglise.
- La dernière raison, souvent sous estimée, est que Voltaire perd alors de son aura. A Paris, certains le considèrent déjà comme un homme du passé. Diderot et d'Holbach notamment, toujours progressistes, ne se privent plus d'exprimer leurs réserves sur les prises de position du patriarche de Ferney. Ce dernier a besoin d'un coup d'éclat, et il en a conscience. L'affaire Calas lui fournit l'occasion rêvée de redorer son blason et d'occuper à nouveau le devant de la scène.
L'erreur judiciaire en tant que telle n'a donc jamais intéressé Voltaire. Lui-même le reconnaît en 1769, alors qu'on lui demande son aide dans un autre procès ( qui lui, n'a pas un caractère religieux) : " Je ne me mêle point de l'affaire de Martin (...) Je ne peux pas être le don Quichotte de tous les roués et de tous les pendus."

(à suivre ici)

vendredi 21 janvier 2011

L'ennui...

J'en ai besoin pour écrire. Il me faut savoir, dès le réveil, que je n'aurai aucune sollicitation, aucune contrainte à laquelle je ne puisse me soustraire. La perspective d'une journée totalement "blanche" stimule mon imaginaire, me permet de m'extirper de mon environnement pour me transporter vers d'autres lieux et d'autres temps. Donnez-moi une heure, je n'en ferai rien. Donnez-m'en quinze, je pourrai m'évader à la rencontre de mes personnages. Otez-moi cette opportunité, je suis incapable d'aligner deux phrases de suite. Du moins rien qui vaille la peine d'être retenu...

En somme, j'ai besoin de vide et d'ennui... Je me suis fait la réflexion étrange, dernièrement, que c'est justement ce que fuient la plupart des personnes que je rencontre au quotidien. Toujours ce besoin d'échapper au vide, d'éviter ce tête-à-tête avec soi, de multiplier les distractions, au sens pascalien du terme...
Echo surprenant (une fois encore...), dans la 5ème promenade des Rêveries, Rousseau tient des propos que ses adversaires n'ont cessé de railler : " Cette espèce de rêverie peut se goûter partout où l'on peut être tranquille, et j'ai souvent pensé qu'à la Bastille, et même dans un cachot où nul objet n'eût frappé ma vue, j'aurais encore pu rêver agréablement." Ou encore dans l'une de ses lettres à Malesherbes, lorsque Rousseau évoque son séjour à Montmorency : " Avant une heure, même les jours les plus ardents, je partais par le grand soleil avec le fidèle Achate, pressant le pas dans la crainte que quelqu'un ne vînt s'emparer de moi avant que j'eusse pu m'esquiver...
Vous avez noté, j'imagine, le choix du verbe ? "S'emparer de ..." Ce thème de l'aliénation à autrui est omniprésent dans l'oeuvre de Rousseau. Inévitable, me direz-vous, dès lors qu'on a choisi de vivre en société. C'est exact. Mais on peut désormais apprécier l'apparent paradoxe exposé dans les Rêveries, lorsque Rousseau laisse entendre qu'en prison, au moins, il se serait senti libre... 
Il arrive parfois qu'on rêve de telles extrémités...

samedi 15 janvier 2011

Le besoin de pisser...

Il est un erreur commune qui consiste à rechercher dans les textes autobiographiques de Rousseau la clé qui nous éclairera sur l'intimité du philosophe genevois. Il convient même de se méfier des correspondances, dont la diffusion semi-publique (dans les cercles parisiens) constituait une arme essentielle pour qui désirait se forger une réputation. Voltaire fait partie de ceux qui ont excellé dans l'art de s'adresser à un correspondant unique, tout en espérant toucher un auditoire élargi.
Il existe pourtant une lettre tardive (1767) et peu connue de Rousseau au marquis de Mirabeau qui mérite qu'on s'y attarde. Rappelons au préalable qu'en 1767, Rousseau sort à peine de l'affaire Hume (voir article d'octobre 2010), et que sa réputation d'homme de lettres est désormais largement ternie. Il sait donc qu'il n'a plus rien à attendre de ses contemporains, sinon qu'on le laisse tranquille...
Je retranscris ci-dessous un large extrait de ce courrier.
" Vous supposez que je fuis la société par aversion pour elle : vous vous trompez... Je ne la hais ni ne la fuis. J'en hais la gêne que j'y trouve, et je hais cette gêne mortellement. Sans elle la société me serait agréable ; mais la gêne l'empoisonne, et je renonce à un bien dont je peux me passer, pour éviter un mal qui m'est insupportable. Les autres me disent qu'ils n'y trouvent pas cette gêne ; tant mieux pour eux ; mais je l'y trouve, moi. Voulez-vous disputer sur un fait de sentiment ? Il faut que je parle, quand je n'ai rien à dire ; que je reste en place, quand je voudrais marcher ; assis, quand je voudrais être debout ; enfermé dans une chambre, quand je soupire après le grand air ... que je raisonne avec les raisonneurs ; que je suive le phébus des beaux esprits ; que je dise des fadeurs aux femmes ; enfin que je fasse toute la journée ce que je sais le moins et qui me déplaît le plus, et que je ne fasse rien, je ne dis pas seulement de ce que je voudrais faire, mais de ce que la nature et les plus pressants besoins me demandent, à commencer par celui de pisser, plus fréquent et plus tourmentant pour moi qu'aucun autre. Je frémis encore à m'imaginer dans un cercle de femmes, forcé d'attendre qu'un beau diseur ait fini sa phrase, n'osant sortir sans qu'on me demande si je m'en vais, trouvant dans un escalier bien éclairé d'autres belles dames qui me retardent, une cour pleine de carrosses toujours en mouvement, prêts à m'écraser, des femmes de chambre qui me regardent, MM les laquais qui bordent les murs et se moquent de moi ; ne trouvant pas une muraille, une voûte, un malheureux petit coin qui me convienne ; ne pouvant en un mot pisser qu'en grand spectacle et sur quelque noble jambe à bas blancs..."
Je crois que de tels propos pourraient à eux seuls expliquer la volonté du Genevois de renoncer à Paris et à ses cercles. Il le reconnaît lui-même, la société lui aurait été "agréable" s'il n'avait pas été soumis à ses contraintes et ses artifices, et surtout à cette gêne physique qui apparaît ici essentielle. Dans les Confessions, les justifications de Rousseau jettent évidemment un éclairage différent sur les raisons de son départ : "Je me sentais fait pour la retraite et la campagne ; il m'était impossible de vivre heureux ailleurs..."

vendredi 14 janvier 2011

D'Alembert (2)

Si mon jugement sur d'Alembert s'est nuancé, c'est avant tout parce que durant ces derniers mois, j'ai eu l'occasion, à travers sa correspondance, de me pencher sur sa relation avec Julie de Lespinasse (voir articles de décembre). Cette Julie qu'il aime au-delà des mots, et qui donne son amour à un autre, il lui écrit ces quelques lignes alors qu'elle vient de mourir : "O vous qui ne pouvez plus m'entendre, vous que j'ai si tendrement et si constamment aimée, vous dont j'ai cru être aimé quelques moments, vous que j'ai préférée à tout, vous qui m'auriez tenu lieu de tout si vous l'aviez voulu... voyez mon malheur et mes larmes, la solitude de mon âme, le vide affreux que vous y avez fait et l'abandon cruel où vous me laissez !..."
Je n'ai pas le coeur à retranscrire la longue plainte qu'il adresse aux mânes de sa Julie (en juillet 1776), celle d'un homme abandonné par la femme qu'il aimait et dont il espérait qu'elle lui donnât l'amour qu'il n'avait jamais connu auparavant.
Et pourtant, rien de ce que j'avais jusque-là découvert de l'homme ne méritait une telle mansuétude...
Ainsi, lors de la querelle entre Rousseau et Hume (voir articles d'octobre 2010), le géomètre s'est montré particulièrement ignoble, d'autant que s'il tirait secrètement les ficelles du complot, en public, il s'est toujours montré magnanime à l'égard du Genevois. Ce même Genevois qu'en privé, il traite  d'"ordure" (lettre à Hume) ou de "bête féroce" (lettre à Voltaire). Et lorsque Rousseau tombe enfin (fin 1766), d'Alembert se réjouit en écrivant : "C'est un homme noyé" (lettre à Voltaire). Lors du conseil de guerre réuni durant l'été 1766 chez Julie de Lespinasse, c'est de toute évidence lui qui tire les ficelles, lui qui décide de la stratégie à adopter pour discréditer son ancien ami, lui qui ordonne à Hume de publier le récit de sa querelle avec Rousseau : "Vous ne devez point perdre de temps pour imprimer, et le plus tôt sera le mieux."
Comportement abject, mais soigneusement dissimulé. 
Car d'Alembert demeure soucieux de sa réputation. Et quand, un mois plus tard, Rousseau révèle publiquement ses soupçons à l'égard du géomètre, ce dernier, affolé, demande aussitôt à Hume de renoncer à son pamphlet ! Maintenant qu'il est nommément impliqué, d'Alembert veut brouiller les pistes, empêcher quiconque de remonter jusqu'à lui. En cela, on peut préférer la franchise de Diderot, voire celle de d'Holbach, qui clamaient ouvertement leur mépris pour le Genevois. Mais d'Alembert, dans ce domaine, ressemble davantage à Voltaire...
Et que dire de son exigence d'"indépendance" à l'égard des grands, érigée en idéal dans son Essai sur les gens de lettres
Ce qu'on ignore souvent, c'est que d'Alembert oeuvrait en toute discrétion pour obtenir une pension royale en France, mais également pour remplacer (en tant que pensionnaire) Clairaut à l'Académie des Sciences, afin de revendiquer une pension annuelle de 10 000 livres ! D'ailleurs, le grand philosophe savait à l'occasion ménager les susceptibilités des puissants. Ainsi, malgré ses nombreux crimes, Catherine de Russie gardait toute son estime : "Il faut aimer ses amis avec leurs défauts", écrit le géomètre en 1764.
Voilà les paradoxes de cet homme, capable des pires ignominies, mais également d'élans amoureux qui ne laisseraient personne insensible. Du reste, j'ai lu tant de fois sa dernière lettre à Julie que je dois la connaître par coeur...

lundi 10 janvier 2011

Et maintenant...

Les deux volumes étant désormais achevés (et réunis en un seul tome sous le titre "Rousseau, la Comédie des Masques"), je peux enfin songer à clore mon aventure personnelle avec Rousseau. 
Et quoi qu'il advienne, le dernier volet du triptyque sera écrit. Les documents sont déjà réunis, la plupart des personnages également : on y retrouvera Diderot, Louise d'Epinay et Grimm vingt ans après l'intrigue développée dans "la Comédie des Masques". Apparaîtront également d'autres protagonistes tels que Julie de Lespinasse, Watelet, ou encore Bernardin de Saint-Pierre. Ce dernier me résiste encore, mais il deviendra inévitablement le personnage central du récit...
Mon ambition demeurera la même : proposer un récit romancé, documenté, susceptible de plaire à tous les publics, à ceux qui connaissent le XVIIIème et Rousseau, mais également aux autres, désireux de suivre une intrigue plaisante sans s'interroger sur la réalité des faits rapportés.
"Plaire et instruire", en somme...  Et je découvre à l'instant combien mon parti pris est classique, très XVIIème siècle, en fait... ( en me lisant, que diraient les partisans du Nouveau Roman ?)
Autre confidence : de tous les reproches et critiques qu'on pourrait m'adresser dans les temps à venir, le seul propos susceptible de me marquer serait : "ce livre m'a ennuyé"... Mais peut-être fais-je preuve de naïveté, une fois encore...
Le dernier tome sera pourtant différent, notamment dans sa construction. Et surtout parce que j'y proposerai un portrait moins "aseptisé" des figures les plus illustres des Lumières. Bien des fois, en écrivant "la Comédie des Masques", je me suis retenu en songeant : "cela, conserve-le pour la suite". Mais ce que l'Histoire a laissé de côté, il me faudra bientôt en parler... Voltaire, Diderot, et même Rousseau descendront de leur piédestal pour se présenter à nous sous un jour différent : celui d'hommes, victimes de leurs passions, de leurs ambitions, et parfois de leur haine. Le matériau est là, à disposition, dans les correspondances et autres mémoires rédigés tout au long du XVIIIème. Ils sont d'une richesse telle que l'imaginaire n'a plus qu'à s'en nourrir pour leur redonner vie.
Et à bien y réfléchir, je ne suis pas prêt à laisser derrière moi cette époque fascinante. D'autres figures m'attendent, injustement oubliées dans l'ombre des personnages les plus célèbres. Ainsi, Louise d'Epinay et Julie de Lespinasse mériteraient bien qu'on s'intéresse un jour à leur sort...

dimanche 9 janvier 2011

4ème de couverture

"Rousseau, la comédie des masques" d'Olivier MARCHAL
En librairie le 27 janvier


Monstre d'égoïsme, misanthrope maladivement paranoïaque, capable d'abandonner sans remords plusieurs de ses enfants...
Jean-Jacques Rousseau est aujourd'hui encore sous le coup d'un jugement sans appel sur ses moeurs et sa personnalité.
 
En nous plongeant au coeur bouillonnant de la vie mondaine du XVIIIe siècle, de l'intimité amoureuse et psychologique de ses figures les plus célèbres, Olivier Marchal propose un portrait radicalement nouveau, plus attachant et nuancé, de l'auteur des "Confessions".

Alors que ses amis encyclopédistes lui prédisent un avenir glorieux, Rousseau décide inexplicablement de tourner le dos à son destin.
Est-il le jouet de sa propre manipulation ou la victime d'implacables adversaires de l'ombre ?

Riche de détails méconnus, souvent puisés dans les écrits mêmes de Jean-Jacques ou de ses contemporains, cette évocation ressuscite Diderot, Thérèse Levasseur, Grimm, d'Alembert, Louise D'Epinay, Madame Dupin, la comtesse d'Houdetot ou Voltaire...

Tous acteurs d'une troublante "Comédie des masques", ils semblent prisonniers de leurs personnages et des soubresauts d'un monde finissant, bouleversé par les visions prémonitoires d'un de ses plus grands pourfendeurs.

"La comédie des masques" est le premier roman d'Olivier Marchal, fruit de plus de dix années de lecture et de recherches passionnées sur le XVIIIe siècle et sur l'oeuvre de Rousseau.

mercredi 5 janvier 2011

Le 27 janvier...

Cette fois, nous y sommes... La sortie de "la Comédie des Masques"        ( Editions Télémaque) est annoncée pour le 27 janvier prochain. Le lancement est conséquent, et pour une fois, je vais employer une expression que j'ai habituellement en horreur : j'espère que le roman va "rencontrer ses lecteurs".
C'est du moins le voeu que je m'adresse (pourquoi pas ?) en ce début d'année 2011 !
Dans le même temps, je souhaite à tous les habitués du blog, mais également à tous les internautes de passage sur cette page, une excellente année à venir.
A bientôt, OM

dimanche 2 janvier 2011

Julie de Lespinasse (4)

Le drame de Julie, c'est qu'elle a pris goût à cet amour physique que lui offre Guibert, et que dans le même temps, elle se sent coupable de cette attirance qui la détourne insensiblement de Mora. Ce sont ses amis philosophes qui, les premiers, paient la note de ce conflit intérieur : " Mon Dieu que je les hais et que je les méprise et qu'il serait affreux de recommencer à vivre comme j'ai fait pendant dix ans ! J'ai vu de si près le vice en action... qu'il m'en est resté un dégoût invincible et un effroi qui me ferait préférer une solitude entière à leur horrible société ", écrit-elle en 1774.
Mais Julie devra boire le calice jusqu'à la lie, en dépit des remords qu'elle exprime alors auprès de son amant : "Comment ai-je été égarée, trompée à un tel excès ? Comment mon esprit n'a-t-il pas arrêté mon âme ?" Julie sait que Guibert n'est pas homme à aimer, que jamais il n'éprouvera pour elle cette passion qui la consume malgré elle.  
En Espagne, alerté par la tiédeur de cette femme qu'il adore, Mora décide d'interrompre sa cure. Malgré son état de santé déplorable, il saute dans la première voiture en partance pour la France, et le 23 mai 1774, il envoie ce billet à Julie : "De Bordeaux, en arrivant et presque mort...". La scène des retrouvailles n'aura pourtant jamais lieu. Le 27 mai, Mora se relève une dernière fois pour écrire ces quelques lignes : "J'allais vous revoir ; il faut mourir. Quelle affreuse destinée ! Mais vous m'avez aimé et vous me faites éprouver un sentiment doux. Je meurs pour vous." Sur son corps, ses serviteurs trouvent deux bagues : sur l'une d'elles se trouve une tresse de cheveux mêlée de fils d'or ; l'autre comporte cette simple inscription : "Tout passe, hormis l'amour."
Julie ne se pardonnera jamais ce qu'elle considère comme sa faute. Le choc causé par cette disparition aggravera son propre état de santé, puisqu'elle est atteinte de tuberculose. La fidélité qu'elle n'a su manifester à l'absent, elle l'accordera au disparu. Elle écrit encore à Guibert, mais dans ces lettres, elle s'adresse maintenant au disparu : " Je le ranime, je le rappelle à la vie, mon coeur se pose sur le sien, mon âme se verse dans la sienne...Oh, mon ami, si dans le séjour de la mort vous pouvez m'entendre, soyez sensible à ma douleur, à mon repentir. J'ai été coupable, je vous ai offensé, mais mon désespoir n'a-t-il pas expié mon crime ? Je vous ai perdu et je vis ; oui, je vis, n'est-ce donc pas être assez punie ?" (septembre 1774)
Le mariage de Guibert avec une jeune fille de 17 ans, confortablement dotée, apportera la dernière blessure à Julie (mai 1775). Tous deux continueront à correspondre, et même à se voir. C'est dans ces derniers moments que Guibert se montrera le plus attentionné, le plus passionné. De son côté, Julie succombe à cette culpabilité qui achève de la miner : "Quand je vous vois je n'entends, je ne sens que vous. Mais livrée à moi, je ne connais plus que le sentiment de la douleur, des remords, des regrets..."
Dans sa dernière lettre à Guibert, en mai 76, elle écrit : 
" Aujourd'hui, je ne veux plus que mourir. Il n'y a point de dédommagement, point d'adoucissement à la perte que j'ai faite..." Son dernier courrier sera pour d'Alembert, fidèle et aveugle jusque dans les dernières minutes.
Elle meurt le 22 mai 1776, âgée de près de quarante-quatre ans.
Morte d'avoir trop aimé. Morte, peut-être, de s'en sentir coupable...