J'en ai besoin pour écrire. Il me faut savoir, dès le réveil, que je n'aurai aucune sollicitation, aucune contrainte à laquelle je ne puisse me soustraire. La perspective d'une journée totalement "blanche" stimule mon imaginaire, me permet de m'extirper de mon environnement pour me transporter vers d'autres lieux et d'autres temps. Donnez-moi une heure, je n'en ferai rien. Donnez-m'en quinze, je pourrai m'évader à la rencontre de mes personnages. Otez-moi cette opportunité, je suis incapable d'aligner deux phrases de suite. Du moins rien qui vaille la peine d'être retenu...
En somme, j'ai besoin de vide et d'ennui... Je me suis fait la réflexion étrange, dernièrement, que c'est justement ce que fuient la plupart des personnes que je rencontre au quotidien. Toujours ce besoin d'échapper au vide, d'éviter ce tête-à-tête avec soi, de multiplier les distractions, au sens pascalien du terme...
Echo surprenant (une fois encore...), dans la 5ème promenade des Rêveries, Rousseau tient des propos que ses adversaires n'ont cessé de railler : " Cette espèce de rêverie peut se goûter partout où l'on peut être tranquille, et j'ai souvent pensé qu'à la Bastille, et même dans un cachot où nul objet n'eût frappé ma vue, j'aurais encore pu rêver agréablement." Ou encore dans l'une de ses lettres à Malesherbes, lorsque Rousseau évoque son séjour à Montmorency : " Avant une heure, même les jours les plus ardents, je partais par le grand soleil avec le fidèle Achate, pressant le pas dans la crainte que quelqu'un ne vînt s'emparer de moi avant que j'eusse pu m'esquiver..."
Vous avez noté, j'imagine, le choix du verbe ? "S'emparer de ..." Ce thème de l'aliénation à autrui est omniprésent dans l'oeuvre de Rousseau. Inévitable, me direz-vous, dès lors qu'on a choisi de vivre en société. C'est exact. Mais on peut désormais apprécier l'apparent paradoxe exposé dans les Rêveries, lorsque Rousseau laisse entendre qu'en prison, au moins, il se serait senti libre...
Il arrive parfois qu'on rêve de telles extrémités...
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